Mon usage élitiste des réseaux sociaux

J'estime salubre de ne pas me servir « socialement » des réseaux sociaux en vertu de ce que plus on se mêle à la multitude de notre époque, plus on déchoit de son espèce. Toutes les « manières » qu'on fait ici, très en-deçà de l'Effort, pour se faire accepter du Contemporain, marquent une complaisance et une régression, parce que, sans être très difficile à atteindre, c'est retourner à la pensée grégaire qui est quasiment une pensée réflexe animale. J'ai mieux à faire de mon temps libre que les simagrées de consensus ou d'émoi qu'on est parfois obligé d'affecter dans le cadre professionnel : j'ai déjà fait entendre combien je suis économe du temps personnel que j'aspire avidement, presque fébrilement, à mettre à profit.

Quant à l'émotion si je veux en fabriquer, je ferai beaucoup mieux avec le roman !

Je consulte uniquement Facebook, et ne m'y abonne qu'à des correspondants que je juge pertinents et qui réalisent eux-mêmes des articles au lieu de les partager seulement – ce qui est impossible sur maintes autres plateformes où les contenus sont courts, voire subliminaux. Je tiens notamment à pouvoir consulter l'intégralité de mon « Mur d'actualité » sans rien devoir négliger, méthodique et loyal, de sorte qu'un importun est particulièrement pour moi celui qui change ses habitudes élevées et qui publie une photo de lui, de sa famille ou de son chat.

J'y recherche activement des pensées supérieures, des raisonnements ou des conclusions personnelles que je n'aurais pas eues, quel que soit le domaine, pour stimuler mon intelligence et m'enrichir d'idées neuves – je m'en sers aussi pour m'informer de polémiques de mon temps. Mais j'aime surtout y venir dans l'espoir d'admirer comme on consulte quelque anthologie des auteurs contemporains les plus fins. Ça n'arrive pas souvent que j'en trouve.

Je ne me penche nullement sur les imbéciles qui y sont majoritaires, et je ne les critique point, ce qui serait absolument vain tant ils sont légion, mais je blâme toujours les esprits vifs qui se dilapident en vanités et en autorités, qui se gâchent et s'abandonnent, comme c'est assez fréquent. Si une chose m'échappe ou si je souhaite un approfondissement, je pose une question, je m'informe, je propose peut-être une théorie contraire, je sollicite franchement des avis, sans a priori ni prévention, quoi que j'aie l'air. Mais la réponse indique toujours que le rédacteur a plutôt eu de la chance qu'il n'a profondément réfléchi. Tant pis. J'évite de lui faire remarquer trop nettement sa faiblesse, ayant pu constater seulement que la conversation n'a pas d'intérêt pour moi à se poursuivre, parce que, dans cette improvisation où mon interlocuteur se répand, il ne m'apprend plus rien, qu'ainsi le dialogue stagne, que je devine où il finira, par quelle faute et sur quelle impasse. Je ne me sens aucun profit à le vilipender, à moins que son attitude soit très manifestement celle d'un cuistre qui veut blesser. Presque toujours, quand on m'insulte, je ne réponds pas, ce qui stupéfie mes alliés : c'est inutile, voilà tout ; ça ne me défoule même pas, et je trouve puéril cet acharnement, même à la défense. Se faire comprendre : voilà jusqu'où va mon insistance, et je ne laisse jamais un malentendu, ce qui peut être déjà assez long. C'est tout.

J'y suis très égoïste, en vérité : je n'y ai pas le moindre plaisir à enseigner quelque chose, et je donne plutôt la référence de mes articles que de longues explications pour les résumer. Je prends, il est vrai, sans donner, ou plutôt je n'y donne que par les articles que je produis, ce qui n'est peut-être pas, après tout, un petit cadeau. Mais j'y suis d'une humeur égale, plutôt neutre, dans ce style lapidaire qui me vaut de passer pour un mufle sans présentation, militaire presque, ou bien si exact dans l'expression que je semble crâner de vocabulaire (c'est faux).

C'est pourquoi il m'est devenu presque impossible d'entretenir une discussion avec un internaute, ce que d'aucuns m'ont déjà remarqué, affirmant avec justice que je ne fais preuve de presque nulle sympathie, tâchant surtout à me faire comprendre, à quérir des renseignements et à soumettre des objections, et que je n'entretiens aucune espèce d'« amitié », de ces amitiés illusoires d'Internet. On me trouve donc inévitablement abrupt, parce que je vais droit à ce qui m'intéresse, sans compliment et sans apprêt, et, comme je suis l'un des meilleurs philologues de mon temps (ce qui n'est pas difficile), je devine presque aussitôt à quel esprit j'ai affaire, et je ne prolonge pas l'entretien : tout effet d'insistance auquel on m'oblige m'est un désagrément, une lourdeur, une angoisse presque, et tout ce qui ne me renseigne pas cesse de m'épanouir. Je voudrais que ces auteurs dont j'ai une fois estimé quelque faculté ne tergiversassent pas comme ils font tous pour masquer comme ils ont tort ou sont dépassés face à mes questionnements et réfutations ; je voudrais qu'ils n'allassent pas s'imaginer que je m'amuse à leurs dépens, et je trépigne aux jeux sociaux consistant à montrer à un public gagné d'avance combien au nom du sens commun (cette lamentable insuffisance), on suscite de suffrages, et combien son objecteur (comme moi) est un mauvais garçon digne des plus sophistiquées invectives.

En fait, je lis sur Facebook beaucoup de poseurs, pas encore de ces Féaux d'art dont j'ai longtemps parlé avec espérance, mais les poseurs restant en matière de littérature et de culture ce qui se fait encore de mieux dans notre siècle, j'y demeure comme un roi par intérim, faute d'une altesse à laquelle laisser, et bien volontiers, la place.

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