La responsabilité nuit à la publication des émois
Tout être foncièrement politique, sur des sujets où incombe une responsabilité, se retient de publier ses émois, en particulier ses afflictions. Ce n'est pas qu'il est insensible aux malheurs du monde, mais intellectuellement son sens du surplomb avise d'abord au moyen de les corriger ou d'empêcher qu'ils se réitèrent : il a l'esprit occupé à son devoir, il n'ignore pas qu'il ne sert à rien d'épancher ses sentiments, que ces soulagements, ne faisant que déplorer, conservent ; il se sent concerné par ce qu'il faut réfléchir et faire plutôt que par la subjugation d'un pathos. Et cette vérité s'entend même pour ceux qui n'ont pas de fonction dirigeante, qui sont – vertu déjà rare – leurs propres directeurs de pensées : l'esprit de hauteur inclut de veiller par la raison sur les intérêts de tant d'êtres fragiles et ostentatoires qui ne pensent qu'à ramasser et véhiculer leurs douleurs cependant que le mal se perpétue, et ce n'est qu'en second lieu qu'il songe, après les actes et enfin retiré dans son foyer, de s'abandonner à l'épuisement ou de verser des pleurs. Le premier mouvement d'une puissance individuelle à l'intelligence organisée est d'analyser avec une logique froide les causes d'un phénomène commotionnant, et, endurant impassiblement le coup et sursoyant au choc, de délibérer sans craindre que l'apparente neutralité de son examen soit pris pour de l'inhumanité ou de l'indifférence.
C'est ainsi que chaque fois que j'entends quelqu'un se plaindre et s'émouvoir, se libérer d'un traumatisme qui, en effet, très bientôt s'atténue du fait même de la purgation, je ne puis m'empêcher – est-ce un biais de contradiction ? – de me placer à un niveau plus actif et définitif et selon moi plus noble et efficace, et je tâche à envisager des moyens de protection et de lutte, devinant sans importunité que mon flegme attirera les critiques par l'impression d'un mépris. C'est la différence d'un être d'effusions provisoires et d'un individu profond : la multiplicité des strates élaborées de l'identité incite à maintes contentions, parce qu'il y demeure de quoi receler, tandis que la superficialité d'une conscience ne pousse qu'à se libérer d'une émotion après l'autre en déculpabilisations, parce que l'existence s'y dessine comme une perpétuelle immédiateté sans rien de soi à écarter. Ce colosse d'airain sera admis « arrogant » et « sans âme », tandis que le pleurnicheur suscitera, au nom de codes moraux répandus, la compassion et le sentiment d'une tendresse : pourtant, les douleurs de celui-ci sont relatives tandis que les souffrances de celui-là sont plus absolues, et c'est justement ce qui fait que le colosse répugne à exposer ses larmes, parce qu'il connaît leurs rareté et valeur, sait combien elles sont amères et exhalées de loin, si essentielles et denses, comme les lacs cachés aux profondeurs de la terre, purs et invisibles, où l'eau semble plus noire et épaisse, et plus désespérée, que le ruisseau banal traité en surface et qui s'offre ouvertement aux regards des hommes parce qu'ils ignorent, tandis qu'on y marche et piétine sans préjudice, comme il est délavé et insignifiant.
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