Honte de mes diplômes

Mon diplôme n'a servi à rien : presque toute université est le réceptacle d'oisifs qui veulent « profiter » de leur jeune âge sous prétexte d'une formation – je reçois continuellement de ces témoignages : « La faculté m'a appris à être libre. J'ai pu m'épanouir grâce à elle », en quoi consiste l'aveu, tout travail étant par définition une occupation de forces, qu'on n'y fait à peu près rien que quérir du temps disponible en-dehors du travail, ce que je ne contesterais pas moi-même. Une fac de Lettres modernes ne valait à peu près rien il y a quinze ans, et, à ce que j'ai constaté, elle vaut à présent encore moins quant à l'édification intellectuelle et humaine. Plus on perdure à cette université, plus on est mauvais philologue et piètre écrivain : ce qu'on y apprend abêtit en habituant à des arbitraires imposés. Par souci « d'égalité » et de « progrès », l'université s'est progressivement abstenue d'évaluer le caractère d'un esprit, l'aspect singulier et libre de sa structure et de son expression, et elle a cru qu'elle devait pour cela s'en tenir à des contenus à répéter par cœur ou à appliquer en procédures : ainsi, on y note une conformité et une mémoire, mais on ne note ni raisonnement ni sensibilité, ou plutôt on donne le modèle de ce raisonnement et de cette sensibilité qu'on tient à retrouver similaires dans la copie au point qu'elle devrait avoir été écrite comme par tel professeur ou tel savant, et il ne s'agit alors plus que de noter si l'imitation est persuasive. On trouve que c'est ainsi plus juste parce qu'en effet il n'est besoin d'aucun bagage antérieur pour réussir, d'aucune disposition, d'aucune facilité, rien qu'une mémoire stupide, et il est indéniable qu'à tel régime où l'apprentissage n'est que protocole sans autre compétence particulière que de savoir retenir une routine et la reproduire mécaniquement, on ne risque pas de pencher vers la discrimination : c'est facile même pour des machines, on moule plutôt qu'on ne forme, on institue la coutume, on fabrique des cerveaux de stricte correspondance et nul esprit de distance. Le professeur ne fait que vérifier l'adéquation et la similitude, son action ne tend qu'à réaliser des répétiteurs convaincants. Il a renoncé à ce qui relève des idiosyncrasies humaines, originalités, spontanéités pertinentes, essais personnels de l'intelligence tâtonnante, il ne guide plus vers l'intuition des pistes novatrices et exemplaires tant les derniers témoignages qu'il en a reçus étaient, il faut le reconnaître, d'une impudente bêtise. Apprends donc. Restitue. Répète. Ne déchois pas du bachelier complaisant que tu fus, bien respectueux des aînés ; ce respect servile est le mieux manifestement que tu puisses être. Et n'essaie pas de penser : ce n'est pas pour toi, pas pour vous, vos sorties font pitié. Ça vous fatigue et ça nous énerve, ces tentatives avortées, consternantes, infâmes, déprimantes en ce qu'elles paraissent symptomatiques d'une époque de vanités abruties, d'inanités éhontées.Tout récemment, même l'enseignant d'université a commencé à ressembler à ces inutiles décérébrés dont, jeune, il est l'héritier. On les appelle, dit-on, des « islamo-gauchistes » : je ne vois guère ce que l'Islam et la politique y viennent faire, ce sont juste des adultes carriéristes, habitués à leur inutilité de cuistre, ayant acquis le dénuement du recul et appliquant sur toute perception un prisme simplificateur, en général celui de leur spécialité. Ce sont des mentalités réduites, eux-mêmes fruits d'une décadence des études supérieures. Stupides mais d'une pédante stupidité, d'une stupidité référencée, d'une stupidité pleine de contenus faux, sans verve, sans vérité, sans conscience de ce que serait une nécessité personnelle, sans direction instinctive pour quêter sans jalousie quelque vérité éclatante, et de plus en plus imprégnés de symboles puérils qu'ils jugent capitaux, des êtres faits pour des fiches-de-synthèse sans distance, de bonasses administrateurs, poinçonneurs de QCM d'une totale absence d'idéal viril. Au point que c'est personnellement qu'ils en voudraient à leurs élèves de ne pas souscrire aussi à leurs « visions », qu'ils voient une mission d'instruction essentielle dans le fait de convertir la société à certains automatismes de la pensée, que ce serait comme une faute morale, comme l'adhésion au grand Mal du monde, de ne pas par exemple considérer Victor Hugo du point de vue des injustices faites aux femmes ou Joseph Conrad à travers le prisme de l'oppression des peuples indigènes. Pour la moindre dérogation à la vision fondatrice et unificatrice de ce qui constitue à leurs yeux la toile même de l'univers, ils vous harcèleraient de leurs poursuites sous des dehors neutres, votre rébellion vous vaudrait la plus décomplexée justification de leur partiale éviction, zéros pointés sur copies pourtant très raisonnables, vengeances d'ajournements et rancunes de recalage – et je jure que j'ai vu cela, récemment.

Quant aux examens, c'est encore pis : je tiens un examen le point culminant d'un effort d'adaptation absurde que le professionnel n'atteindra plus jamais de sa carrière, en sorte que sa réussite unique marque, après un summum de compromission, le commencement d'un fatidique déclin. Je serai probablement incapable de réussir encore ces exercices s'ils se présentaient de nouveau à leur niveau de difficulté initial, mais heureusement la plupart sont devenus le lieu de sélection des moins nuls, arrangé pour « encourager », et l'abaissement flagrant des exigences, au profit notamment d'épreuves presque aussi fictives que les travaux de Mme Fillon, incluant de surcroît la possibilité de rattrapages et d'arrondis, donne bon espoir qu'on ne s'y traumatise plus autant qu'autrefois (mais c'est à condition que la génération ne tourne plus comme elle le fait à l'excès de la plus épidermique susceptibilité). Comprenez : ce n'est pas que mon esprit ait décliné au point que je ne puisse plus réussir à de pareils tests – je serais même honoré de m'y essayer –, c'est que je me suis élevé jusqu'à ne plus pouvoir me conformer à ces inepties – On jugera peut-être le fait paradoxal et vantard. J'ai même honte à présent d'avoir tant réussi, d'avoir été si bon, dans ces conditions où je me suis tellement adapté. J'eusse préféré quelque inaptitude d'obéir à des conventions si insensées et ridicules : c'eût été la preuve de certaines intégrité et grandeur. Mais le jeu pathétique auquel on doit se soumettre pour paraître instruit, loin de signaler une faculté d'acclimatation, humilie foncièrement au simulacre, et, dirais-je si le mot n'était pas ampoulé, humilie jusqu'à l'âme : on ne devient pas seulement servile dans telle circonstance, on s'accoutume à penser que la servilité fut pour soi la meilleure des vertus puisqu'elle permit d'acquérir un métier, en somme on devient la servilité.

Et je dirais davantage : c'est qu'avec tous les outils littéraires que j'ai acquis depuis lors et avec l'infatuation des nouveaux enseignants sur des bases si consternantes, décalées du sens de la vérité, sur des bases de tels catéchisme et propagande, je crois que je pourrais échouer carrément et involontairement, c'est-à-dire par excès irrésistible de volonté propre, si je devais reprendre des études. Sans doute, les professeurs, loin d'apprécier l'esprit d'inédit, détesteraient mon aplomb intransigeant et se sentiraient concurrencés par mes idées et par mon style, ils ne tolèreraient pas ce manque de soumission, me chercheraient de fatales imprécisions de recopie, et trouveraient moyen d'annuler le profit de mon petit génie sur des peccadilles de transcription. Rien de plus susceptible en effet qu'un prof de fac, parce que, comme il se sait un imposteur de l'esprit, il craint perpétuellement d'être supplanté, alors il admet la certitude comme un vice et saque tout orgueil même justifié. D'ailleurs, jamais on ne le voit critiquer un collègue, redoutant d'être lui aussi découvert par représailles : ce sont des fantoches qui se donnent le change et qui veulent passer pour des lumières, n'étant qu'abat-jours. Si j'avais à y retourner, mon ennui au sein de leur déplorable engeance, de leur race surfaite et péroreuse, me rendrait décrocheur, ainsi que nombre des meilleurs élèves qui, par hauteur, finissent par vouloir réussir à des jeux vidéo plus difficiles et valorisants. Je finirais par proposer mes critiques dures et irréfragables, comme je le fis placardées autrefois aux panneaux administratifs, comme en contenaient aussi nombre de mes copies, ce qui amusaient alors ceux de mes professeurs déjà âgés qui y voyaient de la finesse iconoclaste, et ils répondraient aujourd'hui que je dois gagner en pondération et que ce n'est pas ainsi qu'on règle un écrit, qu'il y faut assurément plus de règles d'arithmétique et moins d'assurance. Ils me donneraient à lire Kundera, Deleuze, Derrida ou Meschonni, et je les mépriserais tant pour leur déchéance que je serais fichu de me faire exclure sur une saine et vive caricature de l'état de leur lamentable transmission. Mes brusqueries et mes systématiques éreintements, c'est-à-dire au fond toute ma vitalité, auraient l'air si disparates en rapport avec leurs féminines et cauteleuses indolences, qu'on me condamnerait sans hésiter comme brutal suborneur, comme provocateur et risque-tout, et sans aucun scrupule mon méthodique esprit de contradiction serait remisé au rang des inadaptés de droit commun, on me ferait un Rimbaud, à ceci près qu'on m'en dénierait la race triomphante, n'étant pas assez sagement assis pour mériter l'attribution par eux du fameux talent glorieux et intempestif.

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