J'ai remarqué que les personnes très attentives à l'orthographe, comme c'est souvent le cas des professeurs, usent généralement d'idées banales et pleutres, comme on en lit souvent dans les bulletins scolaires. Chez eux, le respect d'une forme tient lieu de respectabilité : une digne tenue signifie la dignité, et il n'est pas besoin d'améliorer son intérieur. En accusant son adversaire de fautes superficielles, comme chaque fois qu'on le discrédite sur une erreur de syntaxe ou une liaison erronée, on induit aussitôt qu'il n'est plus nécessaire de chercher au fond ce qu'il y a à contester : on prétend humilier par des formes qui sont pourtant bien les adhésions les plus simples et les plus imbéciles à tenir, et qui ne dépendent que d'une poignée de règles à apprendre et à appliquer par cœur. À ce compte, on trouve des idiots capables de dénigrer en totalité un savant ou un sage au prétexte qu'un livre contient toujours au moins quelque faute d'orthographe. C'est d'ailleurs largement sur l'orthographe de ses enfants que le Contemporain se concentre quand il tâche à mesurer la compétence du professeur de français : critère médiocre mais qui lui convient, parce que c'est un critère à sa hauteur, critère dont, dans sa faible capacité, il peut toujours faire l'estimation et se sentir instruit.

De façon générale, toute focalisation prioritaire sur des formes suppose l'adhésion plutôt à des traditions et à des conventions qu'à des essences individuelles, excluant d'office de telles essences comme des sortes de péril ou de vice : ces jugements proviennent de gens qui ne sont pas des identités, parce qu'en corrigeant selon le critère qui leur paraît important, ils prouvent qu'ils n'accordent de l'importance qu'à des apparences de conformité faciles à atteindre. Ce sont ces personnes qui vantent le « respect », respect inconditionnel pour l'usage établi auquel est censé s'incliner le noyau d'un homme ; or, ce ne leur demande aucun sacrifice, à eux, parce qu'ils ne disposent pas de noyau, alors ils en font peu de cas. C'est rarement qu'on rencontre des individus qui, en pratique, témoignent de l'attention à la fois pour la forme et pour le fond, qui allient certains respects protocolaires justifiés avec la quête d'une réelle personnalité – le plus souvent, les deux ne coïncident pas philosophiquement, un être d'automatique obéissance admet cette notion une vertu en soi, la considère une valeur essentielle, et confond l'intime et la périphérie, alors qu'il ne s'agit que d'une posture recopiée, que d'un vernis acquis, que d'une discipline irréfléchie. C'est bien à de tels « respectueux » qu'on doit notre système des études « d'élite » et des grandes écoles qui ne recommandent que des élèves extrêmement adaptables et sans réflexion propre. Mais il faut entendre que dans un mécanisme ou un moteur, le rouage n'est jamais la force, et ce qui ne sait faire que tourner ne sait pas introduire une énergie : plus on devient un engrenage en admettant cette fonction une part fondamentale de l'homme, moins on prise la puissance qu'on se contente de réduire ou de multiplier par le nombre de ses dents. Une initiative sera toujours l'opposé de la loi, et jamais un esprit attaché aux conventions et aux usages ne servira à comprendre les supérieures valeurs de l'autonomie et de la liberté où il peine à reconnaître le génie : il préfère célébrer la banalité des actions réglées, ce qui, en toute société de l'égalité, lui est préférable au génie, parce ce que celui-ci discrimine selon des critères qui semblent hors de portée du vulgaire, et qui, en quelque sorte, lui sont désespérants.