Analogie du romantisme et de la sexualité

C'est une hypothèse inattendue que le romantisme, entendu non comme genre littéraire mais dans son acception courante comme forme d'amour courtois, soit assimilable à la sexualité et puisse s'en admettre une alternative équivalente, peut-être même une compensation ; c'est la conclusion à laquelle je parviens par une analogie qui me semble relever d'une sensible pertinence.

La sexualité est quelque chose de sérieux : c'est le point initial et capital de mon raisonnement. Je ne crois pas qu'il soit possible d'avoir des rapports intimes en considérant l'autre comme un jeu, un dérisoire, comme exclusivement ludique, avec amusement, insouciance et frivolité ; si la sexualité est assurément un divertissement, c'est un divertissement où le partenaire est considéré un moment comme un défi à surmonter, et où se joue un assaut qui fait une saveur essentielle, et réciproque, de l'acte sexuel : c'est en tous cas le point de vue mâle, et je serais étonné si un homme pouvait rester longtemps en érection en plaisantant et en riant, sans disposer sa mentalité à ce qu'il faut bien appeler un rut. Il y a de la combativité et une atteinte dans une relation sexuelle humaine, une intrusion même, du moins une prise ou une possession ; c'est un acte éminemment non-comique.

Le romantisme, avec toutes les formes chevaleresques d'amour, admet un rapport similaire d'engagement et de volonté, presque d'acharnement cru, où l'autre, loin de prêter à rire, est le résultat d'un combat concentré : ce devient tout à fait autre chose qu'une distraction. Regarder une femme comme un projet et un mérite potentiel, c'est poser sur elle un regard du plus extrême sérieux : pour moi, je distingue déjà, dans une telle considération, un ersatz de sexualité, une façon d'envisager une dureté, une lutte, une mêlée : la femme, là, se dévisage plus qu'elle ne se marivaude. Songez à ce sérieux appliqué, insolent, avec lequel on circonvient sa « dame » en esprit, vous y trouverez quelque chose de presque inquiétant, d'un certain danger, de brutal et peut-être excitant. L'intention traverse l'objet, je veux dire l'intérêt de l'objet, de la femme, en la soif d'une possession que dissimulent des motifs « nobles » : c'est la préparation d'une conquête, l'espérance d'un triomphe, ce n'est point la simplicité d'un plaisir léger et superflu. Le romantisme rend combatif et fasciné de victoire.

Il faut, pour bien s'en apercevoir et comprendre cette analogie, imaginer ce qu'est ou ce que serait l'amour en-dehors de cette appréhension sévère de l'autre à travers soi : une mascarade tendre et mignonne, un amusement plus ou moins soigné, une bluette contingente, une séduction gentille et de peu d'enjeu, sinon une souveraine indifférence, une humeur facultative voire méprisable, jusqu'au moment du lit où l'on regagnerait la dimension pugnace ou belliqueuse, où la plaisanterie s'effacerait – mais manifestement on n'a pas voulu que l'amour soit ce seul plaisir, et l'on y a adjoint l'épreuve et la tension. La question en suspens, selon moi, consiste à interroger la possibilité que le romantisme soit un substitut moral à la sexualité considérée finalement ou temporairement comme trop triviale, sorte de transposition inconsciente : on y conserve l'esprit de fermeté, ce désir transcendé, cette force rigoureuse, cette virilité égoïste où l'on perçoit l'autre à travers son effort pour l'emporter contre des embûches, où se dessine la morgue du pionnier qui rend l'aimé objet de convoitise, considération de l'autre comme problème à résoudre où s'entend déjà une manière de violence, une façon, entreprise en l'avenir, de déjouer des résistances. Alors, s'épargnant d'altérer la nature pénétrante du sentiment amoureux, on en prolonge la perspective sur un fondement connu, celui de la mentalité conquérante, on le garde familier pour ne pas le révolutionner tout à fait, pour le conserver accessible, compréhensible et populaire, mais on en modifie le vecteur ou le biais, la femme demeure une tâche âpre et rude que le regard frappe comme un moyen, mais on lui attribue une cause morale « supérieure » qui permet d'en renouveler la pratique sans culpabilité ni honte – n'empêche que le chevalier et le libertin partagent une étrange fixité de l'esprit, cette préoccupation mâle et sensuelle. Si je prolongeais cette hypothèse fructueuse, je dirais que le romantisme est un regard de sexualité inavoué et dissimulé à soi-même, parce qu'on pose sur autrui une pensée très sérieuse qui ressemble à s'y méprendre à la consistance et presque à la teneur de l'amant nu et qui sait à quelle condition de dureté nécessaire il est en mesure d'accomplir sa mission.

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