Trahison de nos politiques
On a certainement tort de croire que nos hommes politiques sont des traîtres, qu'ils nous ont délibérément menti, que leurs professions de foi contenant tant d'articles qu'ils n'ont finalement pas appliqués étaient insincères, qu'ils ont en quelque façon conspiré à obtenir par la ruse et la dissimulation ce qu'ils gouvernent aujourd'hui avec étonnamment si peu de ruse et de dissimulation : tant de mauvaise conscience ne se rencontre pas d'ordinaire en une personne, sans parler du peu de cohérence et des contradictions nécessaires à aboutir à une telle division mentale, et l'on oublie alors toujours de parler de leur extrême simplicité d'esprit, parce qu'on les estime encore automatiquement savants et compétents, et l'on voudrait donc que cela les eût rendus perfides. Mais ces personnalités sont des Français guère différents de vous du point de vue de l'intelligence, ils ne sont probablement pas corrompus à des causes étrangères, ils n'ont pas mijoté de grands coups que même leurs communicants ne savent jamais bien prévoir, ils ne vous ont pas escroqués, ni n'ont décidé de favoriser les riches, ni ne sont logiquement prévenus contre le peuple, et, puisqu'ils savent si mal bredouiller un discours, comment seraient-ils de si bons acteurs tant capables de duplicité machiavélique ? Vos hypothèses pour expliquer leurs revers simplement ne sont pas logiques, elles ne correspondent pas à la définition normale d'un être humain, et il n'y a pas lieu de supposer nos politiques plus ou moins qu'humains : ils sont des hommes et des femmes comme les autres, ne serait-ce que par défaut.
Seulement, ils se résolvent, c'est en cela que le pouvoir les change : comme ils ont le bonheur d'avoir accédé à des sommets inespérés, ils voient que leurs décisions sont médiatisées et servilement suivies, cela les flatte tout naturellement, leur donne le sentiment de leur valeur que l'urne indécise ne leur permettait pas d'atteindre ; ils intègrent par ailleurs des rouages qui les préexistent et qui sont nombreux, découvrent des réunions et des ministères aux mécanismes anciens, rodés de longue date, et qu'ils n'osent pas modifier, où ils s'insèrent du mieux qu'ils peuvent sans déranger, en courtoisie, en bonne et discrète éducation car ils ont comme chacun, et peut-être ici un peu davantage, le souci de leur image, sont tenus de bien s'entendre avec des gens fortunés qui sont là depuis bien avant eux, ce sont des gens qui ont plutôt pour compétence principale de s'adapter à des systèmes que de les altérer, ils veillent à l'efficacité d'institutions déjà en place, leurs études y sont pour beaucoup mais également la négociation perpétuelle, sans force fourberies d'ailleurs mais seulement avec opportunisme, dont ils ont fait preuve pour être institués candidats et accéder progressivement à des places élevées. Ils ne deviennent pas faux à mesure qu'ils grandissent, ils demeurent même relativement francs, ni plus ni moins que n'importe qui, c'est-à-dire que leur franchise égale le niveau de véracité du milieu où ils se trouvent et qu'ils ont laborieusement conquis, mais leurs opinions se sont distinguées, ils ont intégré de nouveaux groupes, ils ont de nouveaux amis, leurs idées ne sont plus les mêmes parce que leurs usages ont changé. Et certes, ils n'ont pas beaucoup d'intégrité, bien sûr, ils n'ont pas su résister aux pressions amicales ou dures, mais...
Mais quoi ? Qu'est-ce donc ? Qu'ai-je défini là ? Des politiques ? Non : des Français ! Prenez un professeur, faites-le principal de lycée ou directeur de section universitaire, ou prenez tout autre travailleur et intronisez-le, par faveur ou par mérite, à quelque place de responsable : même chose ! Il faut une capacité bien grande de philosophe pour ne pas souffrir des influences qu'une distinction rémunérée vous suggère, et les Français, qui ne lisent que cinq livres par an, n'ont pas beaucoup de quoi y prétendre : autour de nous, presque tous les dirigeants à l'échelle de toute hiérarchie sont aussi devenus de relatifs tyrans qui obéissent à des consignes collectives et qui sont sourds aux récriminations de leurs administrés. Or, votre grand tort, c'est d'imaginer que nos politiques sont autres que des Français : alors il vous faut des complots, des trahisons anticipées, des machinations terribles, des volontés souterraines et indicibles, d'immenses et scandaleuses corruptions, etc. etc. Mais en vérité, vous feriez exactement la même chose, c'est même exactement – ce que vous faites déjà à la moindre occasion !
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