S'étonner du Covid, c'est se laisser surprendre par le monde contemporain
Nos sciences psychologiques et sociales, semble-t-il, ont délaissé l'étude approfondie de notre société du confort et de sa mentalité spécifique, discipline majeure de la compréhension du monde, ou alors elles n'ont fait de ces dernières décennies, en s'y penchant tout de même, qu'entreprendre l'analyse microscopique de parcelles si circonscrites de cette société qu'elles n'ont jamais abouti à des conclusions éloquentes sur le sens – pour ne pas dire : la « direction », qui est un mot trop volontaire pour s'appliquer à la pensée du contemporain – que prend notre époque. Et c'est parce qu'aucune référence ni sagesse en la matière n'a émergé que l'inquiétude autour du Covid est parvenue à nous surprendre, nous circonvenant par son ampleur et ses conséquences (le Covid en soi, je veux dire en-dehors de la peur, n'a guère eu de conséquence) ; notamment, l'homme contemporain a pris l'habitude, pour décharger sa conscience, d'attribuer automatiquement à la société et à ses experts des compétences dont ils sont dénués, et c'est en particulier ce bénéfice-du-doute où il se suppose moins bon que ceux à qui il attribue le rôle de représentants qui l'a amené à croire qu'il était impossible que tant d'intelligences considérées par défaut efficaces se trompassent sur un tel sujet d'importance. Mais si, au contraire, l'opinion populaire avait été méthodiquement préparée et informée, par quelque savant suffisamment diffusé, à la réalité que tout professionnel, chez nous, est quelqu'un qui...
- ne prend pas, ou très peu, la peine de se renseigner sur son domaine de spécialité,
- travaille avec une conscience fort relative dans l'attente d'un prochain divertissement,
- tâche le plus souvent à obéir, et à se conformer au groupe de ses pairs,
- admet que celui qui parle avec le plus de certitude et de diplômes a sans doute raison,
- se plaint toujours et sans mémoire de ses actuelles conditions de travail,
... et si elle était bien imprégnée que ces règles s'appliquent aux contemporains de toutes les professions sans nettes distinctions de classes à l'exclusion de métiers impliquant une initiative fortement marquée et nécessaire, alors elle ne se serait pas laissée abuser par l'impression qu'il existe à présent sur un phénomène comme le Covid une version juste et sacrée, établie par des sages et à laquelle on aurait raison de durablement se fier – mais est-ce qu'on ne voit pas de ces spécialistes, après tant de budgets faramineux et mondiaux destinés à l'analyse du Covid, dirent encore qu'ils « n'y connaissent à peu près rien », démonstration qu'un virus qui est pourtant un objet d'étude assez simple, aussi bien probablement que tout autre objet, peut être disséqué et examiné longtemps sans produire aujourd'hui une seule vérité objective et utile que celle d'un universel soupçon porté sur les bilans que des financements privés ont projetés et, évidemment, réalisés ? Ne voit-on pas que notre époque est devenue si décadente qu'elle n'est même plus en mesure de produire un vrai professionnel dont le travail et la mesure scientifiques ou artistiques soient incontestés ?
Le documentaire que j'ai regardé hier, « Ceci n'est pas un complot », traitant de la façon antiprofessionnelle dont les médias belges ont communiqué sur le Covid, n'aurait plus, après un pareil avertissement introduit profondément dans les consciences d'une population, besoin de durer une heure, ni même cinq minutes : il suffirait d'indiquer que les journalistes de Belgique travaillent comme tout le monde suivant les règles ordinaires que j'ai citées ; il suffirait même, si l'on en voulait la preuve, d'infiltrer facilement ce milieu et de vérifier comme on y travaille à la façon contemporaine c'est-à-dire en se fichant de tout et à dessein surtout de gagner sa vie, et, en extrapolant de ces faits, de procéder aux mêmes vérifications ou supputations appliquées aux personnels de santé, aux médecins, aux spécialistes et aux politiciens, et l'on aboutirait à un résultat beaucoup plus utile au lieu de disperser ses forces dans l'examen de tant de métiers différents comme s'il se pouvait que les gens ne se comportassent pas à peu près partout de la même manière. C'est l'avantage de mes articles sur le contemporain d'ériger des vérités fondées sur des faits tangibles et transposables à toute la société, de procéder ainsi par extrapolations très scrupuleuses et vraisemblables, et, probablement, si j'avais pu les entreprendre plus tôt, ces réflexions eussent permis de prévoir le Covid en tant qu'aspiration et que représentation, ou, du moins de ne pas s'en étonner (ce qui eût été déjà un pas vers une correction, car l'effarement perpétuel est un facteur de passivité et d'inhibition : on se sent constamment dépassé et pris de court quand on ne fait sempiternellement que se remettre d'un étonnement), phénomène Covid qui n'est fondamentalement que la conséquence de la mentalité particulière des peuples de notre ère et nullement l'effet d'un danger réel – le Covid est presque tout entier contenu dans son appréhension. Mais l'absence d'intérêt que le contemporain porte aux questions essentielles de sa particulière inertie mentale, en raison de ce que ces questions non seulement parviennent à des conclusions qui ne lui sont pas du tout valorisantes, mais plus simplement parce qu'il s'agit d'études et d'analyses qu'il faut lire avec réflexion, ce dont il ne consent plus à s'embarrasser ou à se tracasser, ce désintérêt a conduit au gouffre imprévu où la société sombre actuellement sans beaucoup d'espérance de retrait, dans la mesure où rares sont ceux qui ont compris que la clé de notre malheur se situe dans notre pensée et que les solutions se trouvent dans des remèdes intellectuels qu'il faudrait apporter au moyen d'effort de l'esprit (l'active cure de la distance spirituelle contre le palliatif passif de la distanciation physique !). Or, le Covid demeure à ce jour un méandre indiscernable et insoluble où s'opposent uniquement deux partis qui se plaisent à se faire peur sans raison ni recul, et que l'un ou l'autre de ces partis l'emporte, voilà qui n'apportera nulle lumière décisive ni solution majeure quant aux vices intrinsèques du citoyen d'à présent : une même peur obstinément entretenue contribuera à des effets tout semblables, ou bien dans l'hypocondrie et le renforcement de restrictions sanitaires toujours plus coûteuses et inutiles, ou bien dans la conception paranoïaque de gouvernements considérés comme des fomenteurs de complots et l'application d'autres sortes de limitations, l'une et l'autre ne servant pas à l'intelligence réaliste du monde et de ses acteurs qui, alors, pourront reproduire les mêmes erreurs ou des erreurs d'un même ordre d'idée : ces deux paradigmes n'en constituent en réalité qu'un seul où l'homme se distrait par le moyen d'une peur factice et qu'il ne pourrait ressentir telle irrationnelle et controuvée qu'à un certain degré de résolution intellectuelle. Le paradigme juste, celui qui correspond à la vérité du monde réel, c'est que, faute de savoir ou de vouloir appréhender la valeur effective de l'homme au sein de notre société, ce qui revient à dire ses déficiences systématiques auxquelles nous contribuons par nos diversions, nous n'existons que dans l'imagination, que dans une virtualité, dans une fantasmagorie, dans une rehausse générale de l'humanité, au point que notre perception du réel est un mensonge psychologique. Qu'on mesure seulement, pour s'en convaincre, combien nul n'est en capacité de prévoir quoi que ce soit aussi bien sur le Covid que sur toute autre chose, d'anticiper le moindre événement avec des annonces audacieuses et nettement vérifiées ! C'est l'effet de cet aveuglement multilatéral où tout le monde aventure des hypothèses sans fondement et ne sait pas même l'état du monde où il vit, ne s'y intéresse pas et refuse tout net de s'y intéresser. Sans doute les grands penseurs d'autrefois se sont-ils peu à peu égarés jusqu'à quêter à présent des diplômes qui ne peuvent venir que de jurés spécieux : dans nos universités, on n'enseigne que des spécialités argutieuses, les enseignants incitant les étudiants à les rejoindre. Je suis persuadé de pouvoir trouver quelque thésard, et même plusieurs, ayant rendu un travail sur les diverses façons d'accueil du patient dans un cabinet de proctologie, mais pas un seul ayant sérieusement et concrètement dressé un compte rendu sur la mentalité foncière d'un proctologue : nos champs de recherche deviennent absurdes, n'ayant trait à rien de globalement profitable, ne servant qu'à valoriser des carrières en « posant beau » et en suivant des critères et conventions d'agrément pour complaire (ou du moins ne pas déplaire) à des hiérarchies issues de formations et d'épreuves tout identiques. Je prétends, oui, qu'on aurait pu deviner ce qui advient en ce moment-même, et aussi qu'on aurait pu l'empêcher sans difficulté si quelqu'un avait édifié une réflexion plus avancée que la mienne et plus influente sur le moyen de redresser l'homme contemporain vers plus d'exigence et de grandeur, du moins vers un plus grand sens de la réalité ; je veux dire : on enseigne bien dès le collège des dates et des théorèmes qui n'ont pas le moindre intérêt dans la compréhension de notre société, pourquoi alors ne pas instruire sur un sujet aussi pragmatique et essentiel que la spécifique défectuosité de la mentalité née du confort ? Voilà qui serait utile à appréhender le monde, voilà qui serait une mise en garde et une conscientisation de ce qu'est le monde, le monde réel, le monde tel qu'on peut le constater et dont on indiquerait les principaux ressorts et dont on informerait des périls (qui, soit dit en passant, me semblent beaucoup plus imminents et réels, bien plus scientifiques et effectifs, que le réchauffement climatique anthropique qu'on enseigne partout avec tant d'insistance). J'espère dans des articles ultérieurs pouvoir avancer des théories crédibles sur l'avenir de notre siècle, pour autant que je ne me laisse pas persuader qu'une foule ou qu'un politicien m'écoute un jour pour orienter ses décisions. Au lieu de ça, de cette science positive de l'homme vu, nous ne faisons qu'entretenir dès le plus jeune âge des illusions sur l'humanité : « Tout homme est ton semblable, il est bon, il ne faut pas douter de lui, il veut le meilleur à quoi il s'applique avec effort et résolution dans la suite d'une formation fine et légitime, il faut respecter ainsi les spécialistes... et tu dois admettre malgré ces préceptes qu'aucun de tes semblables ne te ressemble en ce qu'ils sont, eux, efficaces et soigneux, ce que tu ne saurais sincèrement te reconnaître. » Peuh ! Si c'est toute la philosophie dont on a besoin aujourd'hui puisque c'est avant tout celle qu'on sert, il n'est pas nécessaire d'avoir les yeux ouverts, de voir directement les choses et plus généralement de s'intéresser à la vérité : c'est une philosophie de la moraline, une philosophie des droits de l'homme, une philosophie de la prévention favorable universelle ! Mais quand va-t-on enfin reconnaître que si ce Covid nous a surpris, il n'avait rien de surprenant ; il n'a pu me surprendre, moi, que parce que j'ai dû, depuis trois ou quatre ans, initier une compréhension de l'homme contemporain à peu près de zéro : car il n'y avait, avant moi, que Nietzsche et Muray à peu près pour me donner un peu d'élan et d'avance, tous ceux du moins que j'ai trouvés, les autres n'ayant consisté qu'en de vétilleux conférenciers de l'étant, de l'en-soi et du conatus. C'est dire combien notre société se laisse bercer et condamner à ne rien voir venir : elle refuse même de savoir où elle en est, et cet état, ce constat initial, est tout ce dont on peut partir pour former la moindre probable prédiction. Faut-il encore une métaphore ? Cette société se trouve dans la situation d'un groupe de gens sur un bateau, dont aucun n'a connaissance de la navigation (quoique sans l'avouer), et qui ne savent pas s'accorder sur une direction à prendre, qui ne se fient pour cela qu'à leur majorité influencée par des intérêts mesquins et privés, fût-ce l'estime-de-soi. Et tout cet équipage garde sa conscience tranquille, parce qu'ils ont mutuellement confiance en leurs compétences, parce qu'ils se respectent les uns les autres, parce qu'ils se laissent parler à tour de rôle, parce qu'ils votent, parce qu'ils ont assez de bonheur à entretenir des croyances plutôt qu'à initier des doutes réalistes, et parce qu'en fin de compte ils ont plus de bonheur à ne rien voir de ce qui est et à ne rien prévoir de ce qui va venir en ce que l'effort y serait un peu dur, qu'on y préfère le principe démocratique des représentants (à la bonne heure ! nos représentants, à nous, sont tous devenus des représentants de commerce !), et que, fort heureusement, on a toujours de la télévision dans sa cabine pour se dispenser de fatigues aussi intempestives.
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