Remontrance d'une femme
La remontrance d'une femme est pour l'homme une arme plus redoutable que celle d'un homme : le tempérament viril s'attend toujours à des combats âpres de rivalité, à de ces joutes d'apparat qui servent uniquement à asseoir une autorité et une suprématie, de sorte que presque toute relation masculine est établie dès l'origine sur la méfiance et sur le soupçon latent d'une guerre à venir. Tout rapport est une conquête, et l'homme ne se bat que contre des hommes et en faveur des femmes : si une femme est ennemie, elle cesse aussitôt d'être féminine à ses yeux. Du reste, il ambitionne toujours de séduire une femme, même s'il n'est pas amoureux d'elle ou s'il ne la désire pas particulièrement ; d'une façon ou d'une autre, il escompte se faire valoir en amitié hétérosexuelle, tandis que ses rapports aux hommes se déprend de cette intention et de cet effort, beaucoup se fondant même sur une manière d'écrasement (en cela, bien des hommes n'ont des amis publics que pour montrer leur hégémonie parmi eux auprès des femmes) ; ainsi, le mécontentement d'une amie le frustre davantage, parce que ce bris nuit à l'image qu'il veut transmettre et abîme une relation qu'il a soigneusement construite, tandis qu'une dispute avec un homme, qu'il appréhende dès l'origine, est encore pour lui un prétexte de valorisations. Mais les femmes usent peu, en général, de la remontrance explicite contre l'ami : est-ce parce qu'elles en devinent la brûlante efficacité ? Peut-être pas ; elles n'y ont pas d'intérêt, sans doute parce que leur ami n'a pas vocation à devenir autre chose, ou parce que leur mode de séduction s'établit sur moins de violence ou de franchise et sur plus de finesse ou de dissimulation. Reste que, lorsque la critique surgit d'une femme, l'homme n'y réplique pas facilement, il doute un peu, il examine ses torts avant de répondre, il s'inquiète ainsi de dire du mal à une femme, et c'est cette crainte de déplaire, après toutes ses affèteries répétées, qu'on nomme « galanterie » : voilà pourquoi il faudrait, pour qu'un dialogue soit toujours constructif, que pour l'homme tout autre homme fût une femme, de façon qu'une discussion masculine ne donnât pas lieu, comme c'est tant le cas, à la démonstration superficielle et à l'invective systématique, fondées sur la supposition d'une volonté de domination, comme en une arène où chacun cherche à se parer du coup le plus éclatant au lieu de mesurer s'il n'a pas une bonne raison d'être disputé et battu. On peut être orgueilleux et tout ensemble reconnaître un faux pas ; j'admets même cet apparent paradoxe, auprès des femmes les plus fines, comme la meilleure preuve de virilité, en ce que ce détachement vérace est l'apanage du gentilhomme qui se sait globalement assez fort pour ne pas craindre de reculer sur le moindre sujet. De sorte que, si je me méfie en effet des hommes, c'est surtout parce que je les sais différents de moi, cherchant des affronts quand je leur prodigue des conseils ou demande des éclaircissements, et mon entretien les laisse tout démunis, comme avec une femme qu'ils ne voudraient pas séduire, parce qu'elle porte un nom masculin.
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