Recul politique de l'esprit du Droit
Je m'étonne et m'offusque qu'un gouvernement démocratique puisse présenter ainsi à la suite tant de projets de loi qui, votés sans la moindre exception c'est-à-dire sans individu (comme dans ces pseudo-démocraties dont on aime ici à critiquer les écrasantes élections) par la majorité présidentielle sous l'effet tacite d'une crainte d'un ostracisme parlementaire, sont estimés, tout ou partie, tantôt illégitimes par la plupart des sénateurs, attentatoires aux libertés fondamentales par le Défenseur des droits, illégaux par le Conseil d'État, inconstitutionnels pas le Conseil constitutionnel. Et de telles propositions se reproduisent, les lois à peine retouchées après censure sont remises aussitôt à examen, c'est une succession d'illégalités qui suggèrent des discriminations et qu'on soumet sans cesse à l'avis des commissions et des assemblées jusqu'à ce qu'elles cèdent et, aussitôt que de guerre lasse, ou par négligence, ou par corruption, elles sont admises, faute d'en pouvoir fabriquer de nouvelles sur-le-champ, on formule décrets ou déclarations sous forme de menaces plus ou moins mensongères : les professionnels seront renvoyés, les enfants seront évincés de leur établissement scolaire, la vaccination deviendra obligatoire, etc. Hier, une manifestante arbore un panneau mettant en cause des autorités parmi lesquelles M. Macron, et, en l'absence d'explicitation par elle, avant même de songer à instruire quelque accusation, non seulement des membres du gouvernement, au mépris de la présomption d'innocence qui chez nous est censément un principe fondamental, la taxent d'antisémitisme, mais au surplus M. Blanquer suspend la professeure au dédain de toute jurisprudence, comme si sa liberté d'expression et d'opinion, qui ne touche en l'occurrence ni au secret professionnel, ni au devoir de réserve ni à celui de discrétion, et qui s'est exprimée en-dehors de tout cadre éducatif, relevait d'une sanction de son ministère, quand même cette femme serait en effet antisémite ! Évidemment que le tribunal administratif sera débouté ou que l'affaire se soldera par un non-lieu, oui mais qui le saura ? Le gouvernement fait peur aux foules récalcitrantes, et c'est l'effet qu'il cherche en tout premier lieu : il se revêt de plus en plus, et de manière éhontée, des attributs de la crainte et non de la grandeur.
Ce qu'il y a d'inquiétant, je trouve, c'est l'assomption de plus en plus fréquente, par des hommes et femmes politiques, de l'illégalité partielle comme moyen pour tendre à une fin : les discours et les réformes sont en cela éloquents, parce qu'on n'aurait jamais osé les formuler tels il y a dix ans : « Partout, nous aurons la même démarche : reconnaître le civisme et faire porter les restrictions sur les non-vaccinés plutôt que sur tous. » La parole politique, dont la dignité justement en tant que garante des droits et des institutions s'est salement décomplexée, tente à présent des sorties sur le domaine de l'interdit et des atteintes légales, et il ne s'agit plus seulement de pratiques qu'on déplore, mais de principes qu'on tâche à établir. « J'assume parfaitement de mentir pour protéger le président ». Des députés refusent de prolonger la durée du congé des parents qui ont perdu un enfant. M. Véran se moque en pleine Assemblée nationale des contraintes de la CNIL pour diffuser des listes de patients. Des ministres nombreux reviennent sur leurs déclarations antérieures par opportunité de faire accepter l'une après l'autre des lois qui, toujours, ne concernent qu'une minorité, bien sûr chaque fois étendue. Le gouvernement dissimule manifestement des informations sur le Covid, ou bien il en déclare des faits erronés, des « faits alternatifs », ce que M. Philippe, dans la commission sénatoriale qui l'a interrogé, a lui-même reconnu. Une sorte de violence de moins en moins tacite, oppressive et sans l'inhibition de l'esprit des lois et d'une hauteur bienveillante vis-à-vis de nos institutions et d'un devoir politique, pèse sur des personnes qu'on s'efforce à priver de ressources bien qu'ils ne fassent officiellement rien d'illégal, et même les commentateurs médiatiques n'estiment plus que ce procédé soit scandaleux : le pass sanitaire, admettent-ils, est bien une obligation de vaccination qui ne dit pas son nom, certes un déguisement légal, un moyen de contourner une illégalité provisoire, mais il « le faut », répètent-ils, et un sentiment de nécessité, mais qui n'est pas la nécessité, a priorité sur l'esprit des lois.
Le recul effarant qu'on constate ces dernières années en France ne touche pas seulement, à mon sens, la liberté d'expression du citoyen, mais le franchissement et l'enfreinte de plus en plus fréquents de limites légales par l'autorité même, ne serait-ce qu'en langage, par lesquelles l'honneur politique dans la démocratie, qui consistait foncièrement en l'assurance répétée des droits du citoyen, ne se retrouve plus, où l'homme politique est devenu un être d'hystérie, grossier et populacier. Nos représentants menacent hors de proportion, ils insistent pour faire valoir de nouveaux statuts de légalité, ils convoquent des Chambres pour leur demander si telle discrimination est acceptable, et quand on leur répond que non, ils se réunissent de nouveau et font juste après de nouvelles convocations en temps extrêmement limité pour voir si, cette fois, une illégalité différente qui n'est qu'une variété de la précédente peut passer. Ils annoncent des sanctions qui n'ont jamais été inscrites dans la loi, formulent des décrets que nos cours et nos juridictions sont scandalisés de découvrir au dernier moment et ne peuvent pas appliquer (on interdit le port de tels maillots ou l'usage d'instruments de musique), ils prennent des engagements qu'ils n'ont nulle intention ou nul moyen de tenir (la pollution de l'air sera diminuée, les migrants en situation irrégulière et coupables d'infractions n'auront pas le temps d'assassiner des prêtres), et dorénavant nul n'est choqué de ces contradictions, nul ne s'indigne non de défaillances qui, après tout, peuvent toujours se produire par inadvertance ou par gabegie incontrôlée, mais de l'effondrement de la relation intime de nos représentants à la vérité et à la légalité. Ce semble devenu facultatif : respecter sa parole et respecter le Droit. On ose tout ; on ne se réfrène plus ; il ne paraît pas que le citoyen sanctionne ces manquements au serment tacite de la Démocratie. C'est étrange : tout le monde s'en fiche, personne ne s'inquiète, chacun aspire seulement à ce que cette permission passe dans son camp, et c'est peut-être – j'aventure cette hypothèse – la conséquence d'une France par trop bureaucratique qui se sait figée dans la stricte légalité processive et qui se sent le besoin de recourir à des interdits faute de quoi elle se sent paralysée. Oui, mais c'est une pente dangereuse. Demain, on peut annoncer n'importe quoi, par degrés ou non, et prohiber vos déplacements et vos revenus. C'est à peu près ce qui arrive déjà, à bien y réfléchir. Et personne ne viendra vous défendre. On dira que vous l'avez cherché, que votre désobéissance légitime était néanmoins illégale, et qu'entre le légal et le légitime, c'est bien le légal qui l'emporte – comme l'admettait récemment un professeur de philosophie qui m'écrivait, en substance, qu'il était normal que l'expression de la liberté ait, pour ceux qui ne font même rien d'illégal, un prix à payer. Certes, les Droits de l'Homme seront pour vous, mais tous jugeront qu'il ne s'agit que d'une antiquité poussiéreuse qui, d'ailleurs, s'interprète comme on veut et qui, le plus souvent, gêne. L'insolence politique sans foi (ni loi), sachez-le, si elle est ratifiée par le peuple, en république peut tout : prenez-y garde, un peu. Concédez-leur un peu de vos droits que vous leur exposez, et ils vous en prendront beaucoup.
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