Preuve de la passion foncière des covidistes
Il suffit de constater la promptitude et l'insistance avec laquelle ils parlent de « leur expérience », qu'ils confondent toujours avec l'expérience de collègues, l'expérience amicale, l'expérience familiale, en un mot l'expérience des autres : il faut qu'ils aient connu « quelqu'un qui » comme si cela pouvait avoir le moindre rapport avec un débat rassis, objectif, rationnel, raisonnable, intellectuel ; ils affichent leurs passions et ils estiment cela des arguments ; ils vous lancent des cris indignés qui sont comme des râles de faiblesse et ils appellent cela débattre. Ils ne parviennent pas à se projeter hors d'eux-mêmes et supposent que le témoignage de leur vie, que le témoignage de ce qui est même très périphérique à leur vie, que le témoignage de ce qui est même manifestement controuvé, suffira à convaincre : c'est foncièrement le pathos qu'ils érigent en science. D'ailleurs, c'est souvent qu'ils exagèrent et extrapolent : l'infirmière n'était pas vraiment leur sœur, ils n'ont pas véritablement vécu dans un hôpital, celui qui est mort n'est pas exactement trépassé dans de telles conditions ; mais puisqu'ils présument que, comme eux, vous allez mentir, parce qu'on se figure toujours autrui à l'aune de ce qu'on est, ils exacerbent leurs déclarations d'une multitude de petits mensonges et de compromissions qu'ils admettent à dessein de vous circonvenir mais qui s'opposent essentiellement à l'esprit de vérité nécessaire à dépasser et à trancher une controverse. Ils ne considèrent et ne conservent dans la vérité que les illusions – une pâle vraisemblance surtout à laquelle ils ne sont guère familiers – qui servent comme armes à arracher des consentements, et ils mentent mal. Au surplus, ils ne voient pas, étonnamment, combien cette attitude personnelle, plus impliquée qu'engagée, est inappropriée à la tenue circonspecte d'un débat, ce que chacun doit pourtant bien sentir : est-ce qu'on discute de la mort en présence d'une personne dépressive ? Je veux dire que non seulement autrefois on se serait abstenu d'entrer dans une conversation justement en raison de sa subjectivité, de son émoi, de son atteinte, qu'on devinait en soi déformants et qu'on se sentait instamment en devoir « d'extraire de la partie », mais on n'aurait pas relaté avec autant d'indécence affichée, étalée et surjouée des expériences dont il est évident que le pathos n'apporte rien au débat. Or, il faut comprendre que c'est parce qu'on n'a rien d'autre à dire qu'on se rabat tout à coup sur de larmoyantes circonstances, c'est parce qu'on tient à remporter à tout prix la polémique qu'on ose ainsi parler d'intimités qui n'ont rien à voir avec la raison, pour ne pas dire : avec le sujet. Qu'on y songe : est-ce que nos arrière grands-parents de la guerre illustraient les nécessités de la liberté en rapportant à toutes occasions les morts douloureux qu'ils avaient traversées ? S'il leur restait la pudeur, c'est parce qu'ils se sentaient avoir raison au-delà même du récit de ces souvenirs atroces, ils n'avaient surtout pas envie de rien exagérer, ils renonçaient volontiers à ces représentations fortes au profit de leur certitude intérieure de ne pas se tromper : ils savaient, et ainsi ils ne doutaient pas qu'il y avait bien d'autres arguments avant d'en arriver là, il ne leur était pas nécessaire de décrire ces malheurs seulement illustratifs et de risquer de compromettre en vain, du revers condescendant d'une froide raison, la valeur de ces souvenirs. C'est la preuve que les covidistes ont besoin d'avoir raison tant ils sont attachés à une thèse plus qu'à l'honneur et à la dignité de la vérité : on ne raconte pas un traumatisme avec cette aisance, ou bien ce n'est pas un traumatisme mais une instrumentalisation de la pitié ! Voilà pourquoi je tiens de pareils témoignages, abandonnés au grand public sur tous les réseaux sociaux sans le moindre souci d'élaboration ou de précaution, pour la démonstration certaine, évidente et irréfutable, que les covidistes veulent arracher une victoire forcenée davantage qu'ils ne se savent victorieux : au dernier stade des torts, quand on a perdu, quand on est réduit au silence par de plus convaincants que soi qui cependant n'ont pas la brutalité de vous interdire de parler, on lâche des pleurs et on sollicite ainsi des sanglots pour se créer une puissance artificieuse sur autrui, parce qu'on n'ignore pas que la compassion universelle peut toujours in extremis replâtrer une défaite et confondre des sensibilités propres au pathétique, notamment des sensibilités chrétiennes, morales ou démocratiques. Il est cependant singulier et révélateur de constater que ce « dernier stade », très souvent, est aussi la première réaction, le tout premier « argument », qu'on rend à vos idées : c'est indiquer nettement, je crois, combien l'esprit du contemporain se situe en entier dans son épiderme, car au-delà de cette immédiate effusion, comme on le voit communément, il quitte la partie.
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