Parlementarisme d'imbéciles masqués
Il n'existe qu'une façon d'acquérir vraiment de l'intelligence, et c'est de devenir capable de distinguer ce qu'on sait et ce qu'on ignore. Il n'existe pas de puissance intellectuelle partout où l'on se vante ou sous-estime : l'esprit qui ne mesure pas ce qu'il a acquis et ce qui lui manque demeure dans un état d'indistinction où il ne saurait se conduire, car tout lui semble également incertain, il ne sait rien, il ne se sent pas la plus petite assise, la moindre fermeté, pour motiver ses pensées et ses décisions. Il n'existe pas un savant en n'importe quelle discipline qui prétende ne savoir rien de mieux qu'autre chose ; la parole de Socrate selon laquelle : « La seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien » est en soi une hypocrisie et une imposture : Socrate se savait au moins un dialecticien excellent, ou il n'aurait jamais aventuré d'être un « consultant » pour toutes sortes d'occasions et auprès d'une telle multiplicité de ses contemporains.
Aujourd'hui, relever sa compétence et la circonscrire, on appelle cela l'orgueil : on veut que tout le monde se dise minable et sot pour promouvoir l'humilité par principe ; on n'admet pas que les gens se reconnaissent ce qu'ils sont ou ne sont pas. Une mièvre philanthropie pousse chacun à ne pas se prétendre ni meilleur ni pire en quoi que ce soit : c'est plutôt une prudence populaire, à mon avis, car s'il fallait qu'il s'examine, le citoyen ne découvrirait en effet guère de domaine où il est supérieur. Même le professionnel, comme je l'ai souvent expliqué, apparaît une feinte : il est rare de rencontrer un métier qu'on ne pourrait exercer en quelques heures de formation accélérée pour ne pas dire de simple observation ; une profession n'est, en général, qu'une routine.
À quel sujet, cet article ? Au sujet que la façon dont nos députés et sénateurs indiquent aujourd'hui que, pour avoir voté toutes sortes de lois sanitaires, ils ne sont pas du tout sûrs d'y avoir été compétents, montre assez combien ces imbéciles sont des poseurs sans aucune espèce de faculté : ils ne savent pas quand ils savent, ils ignoraient qu'ils ignoraient ce qu'ils votaient, et les voici tout à coup abasourdis par l'accusation qu'on leur fait de s'être trompés, maintenant que c'est de quelque évidence. Ce sont des gens qui, comme ils ignoraient ne pas savoir, n'ont même jamais consulté des spécialistes pour motiver leurs opinions et leurs suffrages, et il a suffi qu'une experte dépassionnée, Mme Desbiolles en l'occurrence, se mette à disposition du Sénat le 8 février 2022, pour que des M. Karoutchi s'aperçoivent qu'ils se contentaient de suivre sans esprit critique les consignes du gouvernement ou de leur parti politique. Mais comment croire à présent, avec tous les témoignages d'assurance qu'ils exprimèrent alors, que plusieurs de leurs décisions ne sont pas ainsi faussement certaines, que la plupart ne sont pas telles, que toutes peut-être ne sont pas aventurées sur la seule foi d'une posture et d'une « conviction » sans nulle étude préliminaire ? L'extrême amateurisme que se révèlent des sénateurs et des députés pour excuser leur erreur, qui ne s'accompagnait pourtant d'aucune modestie ni d'aucune expression d'incertitude au moment de leurs votes, constitue de facto un réquisitoire terrible contre notre parlementarisme : ce sont, plus que probablement, des gens qui ne savent que très peu de choses et qui sont stupides au point que, quand on leur soumet une question qu'ils ignorent, ils sont même incapables de savoir s'ils ont besoin de se renseigner ; or, ce n'est pas un moindre vice à une époque où le plus difficile n'est certainement pas de se sentir ou non la nécessité de recevoir des apports d'informations, mais plutôt de discerner quelle information appartient à de la vérité et quelle autre à de la propagande !
Mais c'est sans doute exagéré, à ce qu'il paraît : une foule démocratique ne saurait croire qu'on élit à la tête d'une nation une telle quantité de crétins absurdes ; et la preuve, c'est que ce qu'il y a de plus élevé que le Sénat ou l'Assemblé nationale, c'est le Conseil constitutionnel, et qu'on ne songerait certainement pas à y nommer quelqu'un qui ne dispose, pour toute faculté et tout mérite intellectuels, qu'un Capes d'histoire-géographie, comme Jacqueline Gourault !
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