Idée d'une présidence perpétuelle de la République

On peut tout à fait admettre, en démocratie, l'existence d'une présidence perpétuelle de la République, à condition que cette présidence serait révocable à tout moment – du moins passé un délai minimal – par le peuple lui-même. Je veux dire que tant qu'un gouvernement exerce ses fonctions avec qualité et efficacité, il est absurde d'en changer, on ne fera que le renouveler, et que la limitation qu'on applique à la durée du mandat présidentiel ou à son nombre n'existe que parce qu'on n'accorde pas absolument confiance en les institutions. Si le citoyen était bien certain qu'on ne chercherait jamais, qu'on ne pourrait jamais chercher, à perpétuer sans son consentement celui ou celle qui le dirige, il ne s'inquiéterait point d'un président élu sans durée déterminée, il saurait qu'un processus simple de nature référendaire lui permettrait de l'écarter n'importe quand du moment qu'un nombre suffisant de citoyens le demanderaient comme lui, mais, en l'état de notre régime et du rapport que le peuple entretient avec ses élus, il n'a aucune certitude que le pouvoir, dont il se méfie et en lequel il n'accepte foncièrement de placer sa créance qu'à condition qu'il soit provisoire, n'en profiterait pas pour trafiquer ses suffrages ou réformer ce système à son profit.

Ce serait pourtant une innovation intéressante qui épargnerait la démocratie de procédés politiques récurrents que Tocqueville déplorait déjà au début du XIXe siècle, à savoir, au sein du mandat, les phases inverses, alternatives et systématiques, de contraintes et d'allégements, préméditées à dessein de se faire réélire. Ainsi, on pourrait disposer constamment d'une sorte de cote publique indiquant si les Français s'estiment satisfaits de leur président, cote en-deçà de laquelle la nation serait invitée aux urnes pour choisir un nouveau président, ou bien peut-être le même si elle veut. Cela empêcherait parfois qu'on eût interrompu l'action d'un président inutilement réélu, et parfois cela provoquerait au contraire l'interruption d'un président qu'on n'accepte plus ; mais cela placerait toujours la fonction suprême sous les surveillance et menace du peuple.

Je n'ignore pas qu'on voudra me rétorquer que la proposition est « populiste » et qu'il est trop périlleux de laisser le citoyen décider, argument qui vaut particulièrement lorsqu'on le méprise c'est-à-dire quand on n'est démocrate que pour la forme, mais elle présente l'avantage d'être la plus authentiquement démocrate si c'est bien ce qu'on désire et s'il existe une réelle concordance des vœux et des réalisations dans l'esprit du Contemporain, si celui-ci n'est pas hypocrite ou incohérent au point d'aspirer à des idées qu'en fait il réprouve.

J'ai pourtant conscience que l'idée d'une présidence perpétuelle ne sera jamais adoptée, du moins pas avant cent ou deux cents ans, que je m'exprime ici en théorie pure : le Démocrate de notre époque, lourdaud, sans audace et qui tient par-dessus tout à l'assurance de son confort (assurance qu'il croit garantie moins même par la stabilité que par la permanence), n'est jamais tant rassuré que par ce qu'il dispose déjà, ce pourquoi il n'existe pas un président prochain qui pourra, sous le mandat et la volonté populaires, réformer véritablement nos institutions.

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