Encore un Goncourt de la conformité
Il y a une autre raison qui m'exaspère avec ce Goncourt, c'est la façon dont il se présente une nouvelle fois comme une conformité c'est-à-dire un anti-art. Voici le roman d'un écrivain francophone de l'immigration : quel cosmopolitisme pour nous et quelle réussite pour lui ! Un roman sur l'histoire : quel respectueux alibi ! Un roman sur le roman : quel prétexte intellectuel parisien ! Un roman assurément accessible de style et capable de plaire à un lectorat déshabitué de littérature : quel universalisme ou plutôt quelle racole ! N'y a-t-il pas de l'homosexualité dans ce roman, et M. Mbougar Sarr n'est-il pas depuis toujours le gentil chantre des causes morales : quel bon esprit ou plutôt quel esprit bon ! Alors, ce Goncourt : quel adoubement de tout ce que notre époque estime veulement des « critères artistes » !
Ah ! et puis, en ses interviews, ce monsieur, quel bel être ! Vraiment, c'est à désespérer de la tolérance française si, dans ses goûts, notre société ne veut promouvoir que cela comme Noir éduqué et distingué ! C'est un « type », et c'est presque une caricature ! Naguère, pour la publicité colonialiste comme Banania ou Uncle Ben's, on prenait un « Nègre » souriant avec un accent chaleureux ; auparavant, Carlyle se servait d'un « Negro » qui était une « créature affectueuse et pleine d'entrain, qui sourit, danse et chante avec beaucoup d'enjouement » ; oui mais c'était, cela, avant Carlton dans Le Prince de Bel-Air. Nos jurés du Goncourt, qui sont à peine sortis de cette génération d'imbéciles, pour valoriser un Noir exigent qu'il porte le col roulé en laine, se comporte en gendre idéal et soit aussi lisse que policé : il a l'air ainsi moins à l'aise mais aussi moins « dangereux », sans doute. Je ne prétends pourtant pas qu'un Noir doit se comporter à la télévision en risque-tout et s'exprimer avec brutalité comme dans l'imagerie exactement inverse, mais peut-on enfin admettre qu'un artiste, qu'un vrai artiste c'est-à-dire qu'un être puissant, n'a pas à porter le regard humble et fuyant ni à paraître s'excuser d'avoir réussi en remerciant jurys, parents et professeurs comme M. Mbougar Sarr s'en dispose, allant jusqu'à faire rougir ses interviewers qui s'étonnent de sa timidité et y condescendent non sans la posture d'adultes sur le petit garçon premier de classe ? Je veux bien qu'on couronne, mais je n'entends pas que ce ne soit qu'en vertu de stéréotypes ! Quant à la qualité du roman lui-même, j'en attends toujours des preuves au lieu d'allégations péremptoires, et, si je m'avançais jusqu'à présumer quelque peu, je dirais que ce livre, M. Mbougar Sarr, qui ne s'en défend pas fort, l'a écrit précisément avec l'intention de correspondre à de ces cénacles qui distinguent non en fonction de l'œuvre, mais, faute d'esprit critique qu'ils ont depuis longtemps abdiqué, en adéquation avec certaines représentations de la « littérature ».
Pauvre monde où même les experts, ne réclamant que des gages extérieurs, sont devenus incompétents à juger sur pièce !
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