Après le Covid, la grippe
L'extrême sensibilité, l'extrême susceptibilité, l'extrême hypocondrie, avec lesquelles le contemporain accueille le Covid pour s'occuper l'existence et se fabriquer des vertus n'ont aucune raison de s'arrêter : c'est un processus mental propre aux nations du confort (il est déjà notable que les pays dont les habitants sont suffisamment occupés n'en souffrent pas tant), ce n'est pas l'effet de la virulence réelle d'une maladie. La preuve, c'est que ce processus a débuté il y a des années avec des risques qu'on tâchait certes moins d'enfler, avec moins d'adresse et de méthode, pour se créer semblablement une peur salubre, valorisante, tragique : des maladies graves comme Ebola, H5N1 ou Nipah dont le taux de mortalité dépassait alors 50% et qu'on ne médiatisait guère dans les années 90 parce que le peuple se situait dans une mentalité d'actifs véritables et ne ressentait pas la nécessité de cette exacerbation, se sont changés en SARS, en H1N1 et en Covid-19 dont le taux de mortalité, presque toujours inférieur à 2%, s'est trouvé inversement proportionnel à la panique et les mesures extraordinaires prises pour les endiguer : c'est la preuve que le danger d'un virus n'a qu'un faible rapport avec la crainte qu'il suscite – je ne parle même pas du syndrome de Kawasaki dont on espéra un temps se faire un bon sujet de terreur, ni de l'appréhension d'un certain vaccin lui-même qu'on suspendit en Europe parce qu'on constata qu'après injection il rencontrait des cas de thromboses (et de diarrhées aussi, de céphalées, et de fractures du tibia par la même occasion) en quantité a priori tout à fait normale. Qu'on y songe posément et l'on trouvera que même le SIDA, d'une dangerosité incontestable, était alors considéré à peu près comme une fatalité, et qu'on n'y attachait pas tant d'importance personnelle – non, rien à voir avec le fait qu'on admettait que ce virus n'atteignait à peu près que les homosexuels, car le Covid n'atteint également à peu près que les vieillards. Ce n'est pas la virulence d'un mal qui fonde son accès en telle époque, mais c'est le besoin de cette époque à se sentir une douleur qui détermine ses sujets d'angoisse et de passion. Aujourd'hui, nous ne tolérerions plus la grippe saisonnière, et déjà les épidémies de gastro-entérite, si l'on se souvient bien, commençaient à soulever l'opinion il y a quelques années, gagnant les journaux télévisés et les remplissant d'inquiétude et d'indignation. Le Covid n'est guère plus létal, mais il présente l'avantage du nouveau, il porte un nom qu'on n'a jamais entendu et qui peut beaucoup plus facilement susciter l'imagination et les alarmes que les anciens fléaux dont on se rappelle qu'ils furent établis dérisoires ; on peut ainsi poser des craintes exagérées sur un virus inconnu en un temps où les citoyens ont besoin, un besoin très vif et inédit, d'avoir peur. C'est pourquoi, faute de changement de paradigme mental – et notre humanité est encore fort éloignée d'une telle remise en cause, d'un pareil effort culpabilisant, d'un si pénible examen de conscience –, si le Covid soudain disparaissait, c'est sans nul doute qu'on se mettrait à examiner avec méticulosité les autres maladies qui, comme le Covid, rencontrent 300 cas pour 100 000 habitants, c'est-à-dire un minuscule 0,3% de la population, et cette maladie deviendrait à son tour le Covid dans les mêmes proportions d'angoisse irrationnelle et d'obsession névrotique, on en chercherait et fabriquerait artificiellement des cas comme on l'a fait avec des tests PCR peu fiables ou bien en considérant qu'un admis positif à l'hôpital y est forcément mort du Covid – je songe soudain qu'il est heureux qu'on ne compte pas pareillement les patients décédés après avoir été détectés souffrant d'hémorroïdes, cette banale affection deviendrait soudain mortelle –, on constituerait des chiffres vraisemblables pour prouver qu'on a bien raison d'être inquiets. Qu'on voie aussi comme même la diminution du nombre de contaminés d'un âge avancé suite à leur vaccination immunisante – constatation pourtant rassurante a priori – fut encore malgré tout un sujet de préoccupation : c'est qu'en proportion on calcula que les patients jeunes étaient plus nombreux, et il a semblé que les malades étaient moins vieux comme si le virus lui-même était devenu plus dangereux, inférence absurde mais dont on avait envie et qui démontre que même les bonnes nouvelles dorénavant servent à accroître la peur. J'entendais hier un infectiologue qui disait qu'on ne serait enfin tranquille du Covid et qu'on ne pourrait commencer à se débarrasser des mesures prophylactiques qu'à condition que ce seuil devienne inférieur à... 50 pour 100 000 ! Croyez-vous que la fin du Covid, fin qui ne peut advenir tant qu'on est tenté de fabriquer, même inconsciemment, les statistiques qu'on veut, ne réveillerait pas le désir impérieux de créer de nouveau un souci qui n'existe pas dans la réalité, d'autant qu'on sait à présent comment révéler et démontrer, et avec quel appareil statistique lui-même amplificateur, des faits spécieux ? Il est très vraisemblable, par exemple, que 50 cas positifs pour 100 000 habitants correspond à une proportion inférieure à la marge d'erreur des tests PCR tels qu'on les pratique chez nous à plus de trente cycles d'amplification, ce qui revient à dire que même une population saine et dénuée totalement de Covid se situerait probablement aux environs de ce nombre et peut-être même un peu au-dessus. Anéantissez demain le Covid, après-demain on découvrira que la grippe a depuis toujours été un fléau terrible qu'on avait jusque-là fort mal comptabilisé et très sous-estimé, et on l'exacerbera au point de fébrilité extrême, on présumera de diverses pathologies associées pour l'empêcher à tout prix d'exister, on jugera cette maladie inhumaine et affreuse parce que jusqu'alors on n'avait guère besoin d'être préoccupé. Le propre d'une nation qui se déclare en guerre contre une épidémie qui ne tue pas 0,1% de sa population, c'est de concevoir tous ses fantasmes morbides comme des vérités perpétuelles : ce qui est d'une nature psychosomatique dure autant que la névrose continue. Je le répète : le Covid n'a pas créé la peur du Covid, mais c'est l'acharnement à se trouver un motif de peur qui a constitué les preuves du Covid tel qu'on se le représente aujourd'hui. C'est l'époque qui est covidienne, ou grippale, ou relative à toute autre pathologie alarmante ; la réalité du mal – sa gravité – est presque sans rapport avec l'émoi qu'elle suscite, et tant qu'on aura intérêt à se croire en danger, rien qu'une bagatelle assiéra nos sensations d'effroi et poursuivra nos excitations. Le mode d'existence du contemporain, son rapport à la vie, passe par l'affectation d'une douleur surestimée, c'est pourquoi il est illusoire d'attendre que cette épidémie s'arrête : nous sommes perméables, hypersensibles, contagieux de souffrance à l'extrême degré ; nous sommes même auto-immunes, l'épidémie est en nous, nous sommes maladifs au sens où nous nous incitons à des défenses excessives contre des maux négligeables (ce que je simplifie par « covidistes »), nous aspirons ou bien à être malades tant que la maladie reste bénigne, ou bien – et c'est encore mieux – à « lutter » contre une maladie qui ne nous provoque qu'un mal imaginaire qui est tout ce que nous sommes prêts à supporter, pour ce que la maladie, croyons-nous, « rend fort et valorise », c'est-à-dire donne de l'individu, apporte de la puissance et fait exister ! Un minuscule germe relativement inoffensif reviendra soulever identiquement nos transports et renouvellera périodiquement ces intentions morales qui ne demandent que des efforts de pacotille : les contemporains resteront les pusillanimités grégaires, les vaines détresses qui ont servi à bâtir le mythe ampoulé du Covid. Vous ne me croyez pas encore ? Vous pensez décidément que j'exagère ? Interrogez-vous seulement si, après le Covid, quelqu'un osera dire que la grippe saisonnière est sans importance parce qu'elle tue peu et principalement des vieillards ? Ah ! vous voyez que j'ai raison : après le Covid, un tel grossissement sur la grippe ! sur la gastro ou sur toute autre chose ! parce qu'il n'y a aucun motif que la paranoïa, tant qu'elle n'est pas identifiée et soignée, finisse à trouver des sujets de méfiance et d'angoisse – où il faut entendre que non pas « le » Covid mais « les » Covids » sont des maladies de la décadence des mœurs et des signes avant-coureurs d'agonie intellectuelle et morale ! Nous dégénérons au point où le bonheur imbécile que la société a atteint et qui ne nous semble au fond pas du tout mérité, exacerbe en nous le désir du malheur que nous sommes trop lâche pour pouvoir délibérément provoquer. Il faut au contemporain un prétexte à se prétendre inquiet, il ne tolère avec vaillance ni les plus petites souffrances, ni l'accusation de n'avoir vécu aucune souffrance : il a besoin des grandes souffrances de l'imagination ou de la fiction. Il en appelle aux douleurs majestueuses qu'il n'a pas lui-même traversées, et, comme elles n'existent qu'à peine, il les exagère au suprême degré, en quoi les Covids sont perpétuels et naissent d'un manque. Il n'y a donc nul lieu de penser qu'ils cesseront après telle ou telle forme : corrigez et redressez les peuples dans le goût de l'action et de la vérité, ensuite seulement seront-ils assez édifiés pour ne pas considérer leurs mauvais désirs comme une étrange réalité.
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