Chapitre 3

En fait, il ne s'agissait pas de la sortie du camp, mais de celle de l'un des camps. Noirceur de l'Étoile avait déjà très mal aux pattes, alors qu'ils venaient à peine de sortir de l'ancienne forêt du Tonnerre. Ils y avaient vu de nombreuses tanières, comme celle où les deux novices avaient grandis. Les guerriers sombres étaient bien plus nombreux que les deux plus jeunes ne l'avaient pensé, plus qu'un clan. 

Sombre Tigre prit la parole :

- Nous venons de traverser la Forêt du Sommeil, là où nous dormons et nous mangeons tous.

Ah oui ? songea Noirceur de l'Étoile, sarcastique. Ces monstres aussi doivent dormir ? Comme s'il avait lu dans ses pensées, le grand matou expliqua :

- Car, lorsque nous avons vaincus nos ennemis, qui nous avaient rejetés comme si nous étions de vulgaires campagnols malades, nous sommes miraculeusement revenus à la vie. Justice a été rendue.

Vous appelez ça de la justice ?

Comme les apprentis n'avaient pas de questions, le petit groupe poursuivit son chemin vers une forêt de pins. À mesure qu'ils approchaient, des cris guerriers en couvraient d'autres, pourtant plus forts et incessants, en provenance de la lande. Des cris de détresse, de désespoir, de douleur. Des cris qui hantaient la jeune chatte au quotidien, tout au long de sa courte vie, depuis sa naissance jusqu'à maintenant. 

En se frayant facilement un passage dans cette nouvelle forêt peu dense, ils découvrirent d'autres silhouettes sombres qui louvoyaient entre les troncs espacés. Arrivant à la lueur grisâtre et triste d'une petite trouée entre les conifères, ils marquèrent une pause. Les plus jeunes avaient les yeux écarquillés d'horreur, les plus vieux un sourire vil et satisfait sur les lèvres. 

Là se trouvaient deux guerriers, l'un gris perle et tacheté, l'autre roux et plus jeune. Ils roulaient violemment dans la poussière, se battant jusqu'au sang, qui dégoulinait de leurs nombreuses plaies. Le regard bleu glacé et effrayant du matou couleur nuage se posait avec dédain sur son adversaire, bien plus amoché que lui et qui, malgré sa détermination visible dans ses yeux, ne pouvait s'empêcher de trembler. 

Il le plaqua au sol et cracha :

- Défends-toi, bats-toi comme un vrai chat, Pelage Fauve ! Sinon, qui protègera ta chère fille, cette moins que rien de soumise qui loge malgré tout parmi nous ? Tu as refusé ce statut, alors montre toi digne d'un guerrier sombre !

Le dénommé Pelage Fauve regarda dans leur direction, le regard suppliant, comme s'il leur demandait leur aide. Mais la dernière attaque de son rival lui fit fatale. La tête du pauvre matou cogna contre une pierre. Son pelage flamboyant vira peu à peu au rouge sombre, tel le soleil couchant qui disparaissait lentement derrière les collines, pour se lever le lendemain matin.

 Mais lui ne se relèverait jamais. 

Le mâle tacheté s'immobilisa, puis haussa les épaules, sous le regard horrifié des jeunes novices. Il tourna d'ailleurs la tête vers les quatre félins, puis fixa Sombre Tigré.

- C'était un accident, dit-il d'une voix froide. Il était bien trop faible pour moi.

- Je le sais bien, soupira son chef, comme déçu par les capacités du défunt. Apportons sa dépouille à la Rivière Pourpre, nous y allions justement avec ces jeunes. En rentrant, je dirait à mes guerriers de ramener Aube Claire à la Lande des Soumis. Même étant pleine, elle ne possède plus le droit de demeurer avec nous. Ses chatons seront confiés à une autre reine, à la naissance, ou resteront soumis.

Mentors et apprentis reprirent silencieusement leur route, accompagnés du meurtrier. Sombre Tigre menait la marche, tandis qu'Ombre d'Érable aidait l'autre guerrier sombre à porter Pelage Fauve. Noirceur de la Vipère semblait fixer la dépouille avec une infinie angoisse dans les yeux, mais il lança un regard noir à Noirceur de l'Étoile quand il comprit qu'elle l'avait vu. 

Cette dernière n'y fit pas attention. Elle bouillonnait. Autant pour la mort d'un innocent enrôlé pour protéger sa fille que pour ces pauvres chatons qui, comme elle, allaient grandir sans véritable mère, nourris par une odieuse mère démoniaque. Mais cette rage profonde laissa place à la peur lorsqu'Ombre d'Érable prit la parole, fière :

- Vous avez donc assisté à une séance d'entraînement classique. Bien sûr, au début, ce sera moins dur, donc vous ne mourrez pas tout de suite. Enfin, si tout se passe bien...

Ce sont deux novices tremblants qui poursuivirent leur chemin. Comme pour l'impressionner et la ridiculiser, le mâle miaula, l'air supérieur mais pas très rassuré :

- Alors, minuscule point lumineux, on a peur ?

Serrant les dents, sa camarade l'ignora. Ils marchèrent encore un peu, jusqu'à ce qu'ils entendent le léger bruissement de l'eau. Ce son apaisa aussitôt Noirceur de l'Étoile. Mais pas pour longtemps. Les yeux baissés vers ses pattes lorsqu'elle marchait, la femelle argentée sursauta quand celles-ci se teintèrent de rouge. 

Une onde pourpre s'écoulait devant ses yeux exorbités d'horreur. Entre deux bras de cette rivière rouge sang, là où était encore aménagé une sorte de camp - sûrement celui de la Rivière - se trouvait un amas d'ossements félins et de corps en putréfaction. Celle aux yeux bleus eut un haut-le-cœur. Voilà comment finissaient les opposants de la Forêt Sombre et leurs morts ! 

Cette pensée fut confirmée lorsque son mentor et le chat gris au regard fou jetèrent à côté leur fardeau. Dans un silence pesant, les cinq chats s'apprêtaient à repartir. La jeune femelle tremblait comme une feuille. Maman, papa, Petit Espoir, avez-vous donc fini comme ça ? Êtes vous ici, sur cette montagne d'innocents tués sans raison ? 

Des larmes, brûlantes de haine et de chagrin, lui montèrent aux yeux, alors qu'elle suivait les mentors. Mais, avant qu'ils ne se soient éloignés, des pas se firent entendre. Noirceur de l'Étoile n'eut même pas le temps de tourner la tête que son camarade se planta de nouveau devant elle, les sourcils foncés, le poil hérissé, sa minuscule queue dressée.

- Tout ça, c'est de ta faute ! Feula Noirceur de la Vipère, la voix pleine de colère, mais aussi de désespoir.

Déroutée, la petite chatte se tourna lentement... et eut l'impression de recevoir un choc violent dans la poitrine. Un guerrier gris et blanc à l'air féroce balançait sans ménagement un petit corps frêle et sans vie sur la pile d'ossements dans un craquement sourd. Ce même corps parsemé de reflets dorés dans lequel elle avait enfoncé ses griffes peu de temps auparavant. 

Abattue, elle recula lentement, la queue basse, mais le frère de la défunte ne semblait pas vouloir la laisser s'en tirer ainsi. Il s'avança, menaçant pour un chaton d'à peine plus de trois lunes, plus coriace que sa sœur.

- Tu vas me le payer, sale clan-mêlé, sale fille de dégénérés, de traîtres, de morts, de... cracha il avec dégoût.

Cela mit Noirceur de l'Étoile hors d'elle.

- Un mot de plus et tu vas rejoindre ta sœur !

- C'est toi qui va rejoindre ton faiblard de frère, répliqua le plus jeune dans un grognement, même pas capable de survivre un jour sans manger !

C'en fut trop. 

Dans un hurlement de rage, la chatonne argentée lui sauta dessus et le fit rouler dans la poussière. Cette fois, elle ne se retint pas. Il avait insulté son père, celui qui avait donné sa vie pour la sauver, sa mère, celle qui avait perdu la sienne en la lui donnant, son frère, qui n'avait pas eu le temps de la vivre pleinement. 

Bouleversés tous deux par ce même système tyrannique sans s'en rendre compte, les deux minuscules boules de poils gesticulaient follement sur le sol dans un combat féroce. 

Rien ne pouvait les arrêter, car rien ne pouvait arrêter cette souffrance, cette triste colère, qui s'émanaient d'eux. De leurs petits corps de chatons qui ont vécu tant de choses qu'un petit ne devrait pas vivre, qui ont déjà perdu leur innocence depuis longtemps. 

Oui, rien ne pouvait les arrêter, enfin, sauf deux coups de pattes d'une violence inouïe, inappropriée pour de si petites choses, qui les firent s'écrouler dans la terre humide.


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