Chapitre 4 : Trois heure.
Depuis quelque temps, Julien n'arrêtait pas de se ressasser ce que Ciel lui avait dit le premier jour, ou plutôt la première nuit. Cette histoire, de son ami avec qui il fumait sur le toit de leur immeuble. Exactement comme eux fumaient sur le toit du lycée. Son ami qui l'embrassait parfois. Exactement comme lui l'embrassait. Son ami qui n'était plus là, qui s'était suicidé... Tout ça tournait en boucle dans sa tête. Il avait l'impression de devenir dingue et ça le forçait à tout sur-analyser et évidement il ne pouvait parler de cela à personne. Même à sa sœur il n'avait pas osé. Et ça le faisait vriller comme jamais.
Julien avait de plus en plus cette impression que Ciel l'utilisait. Qu'il l'utilisait pour remplacer ce garçon dont il lui avait brièvement parlé. N'être qu'un substitut à un garçon qu'il ne connaissait pas le mettait mal à l'aise. Pire que cela, il était en colère. Et il savait très bien qu'il n'y avait plus beaucoup de temps avant que cette colère explose, comme une bombe qui dévasterait tout sur son passage, lui et ses sentiments avec, même les sentiments qu'il refoulait, n'osant se les avouer. Ceux-là étaient les pires. Aussi incontrôlables qu'inavouavouables et surtout dangereux.
Et cette explosion qu'il avait tant tenté de retarder, par tous les moyens et à n'importe quel coût, survint tout de même, comme une fatalité, comme la lune contrôle les marrés, un jour où son ami Marc avait été particulièrement insistant pour savoir où Julien allait tous les midis, l'harcelant pour savoir quelle fille il allait voir -Marc était persuadé qu'il donnait des rendez-vous secret à une fille de leur classe, si seulement c'était seulement une fille...- Julien avait fini par se défaire de ce lourdaud qu'il supportait de plus en plus mal ces temps-ci, pour pouvoir filer sur le toit. Une fois en haut de celui-ci, subissant l'assaut des bourrasques de vent dans ses cheveux, c'était comme s'il pouvait enfin respirer. Cet endroit lui faisait toujours cet effet irréel. Julien avait pu retrouver Ciel, partager avec lui une cigarette et un sandwich, et sa tension interne c'était presque apaisée. Mais Ciel semblait ailleurs, un peu triste, mélancolique pour être exact, et son humeur maussade ternissait les pensées déjà très peu joviales de Julien.
« A quoi tu penses ? » Demanda-t-il, même s'il n'avait pas pour habitude de montrer qu'il s'intéressait aux sentiments des autres, aux sentiments tout court d'ailleurs.
Ciel sortit une nouvelle cigarette, sur laquelle il tira la première latte avant de la passer à Julien.
« C'était il y a un an. Il est mort il y a un an. »
Il souffla ses quelques mots dans le vent, en même temps qu'il crachait la fumée meurtrière qui emplissait ses poumons.
Julien serra les poings. Il ne voulait pas parler de lui. Il en était venu à lui vouer une haine immense, à la fois atroce, incohérente et destructrice.
« J'ai l'impression de l'oublier. Avant je pensais à lui tous les jours, maintenant c'est... c'est à toi que je pense. J'ai l'impression de le remplacer. »
Et la bombe à retardement logée au fond du cœur de Julien se déclencha. Il ne gérait plus rien, il se laissa consumer comme en combustion instantanée. Il se releva d'un bond, fusillant Ciel du regard, sans aucun état d'âme. Et il lui jeta ces paroles incendiaires :
« J'en était sûr ! Tu t'es bien foutu de ma gueule ! Depuis des mois à te servir de moi. Et puis le pire c'est que je le savais, mais comme un con je continuais à venir. À rentrer dans ton petit jeu malsain où tu me donnais le rôle de ton pote disparut pour rejouer les scènes sordides de ta vie ! J'vois clair dans ton jeu, tu cherches juste à le retrouver à travers moi, mais t'en a rien à faire de qui je suis. Ça pourrait être n'importe qui ! »
Ciel entrouvrit les lèvres, sans doute se demandait-il si Julien était réellement en train de lui balancer tout cela, sincèrement. Voyant que son vis-à-vis était tout ce qu'il y avait de plus sérieux, il explosa à son tour, profondément blessé par son attitude.
« Sérieusement ? C'est moi qui t'ai utilisé ? Non, non non. On va remettre les choses au clair, c'est toi qui est venu ici en premier et qui a continué à venir tous les jours en suite ! Et puis sincèrement c'est quoi là ? Tu fais une crise de jalousie pour un mort ? Parce que ça a beau être douloureux, je sais très bien qu'An... »
Sa voix se brisa et il baissa les yeux un instant, avant de les replonger dans ceux bleus de Julien, furieux.
« Antoine est mort ! Je ne me voile pas la face ou quoi que ce soit ! C'est douloureux mais c'est la vérité. Il est mort et ne reviendra pas ! Jamais ! Et clairement tu n'as vraiment rien à voir avec lui. Rien du tout ! Alors oui, on est sur un putain de toît avec une putain de clope, oui, j't'ai peut-être embrasse une fois ou deux, mais à part ça, il est où le rapport ? Et puis je te rappelle que c'est toi qui m'ignores toujours quand tu es avec tes potes, alors ne me reproche pas le fait qu'à chaque fois qu'on se voit, il se passe la même chose et qu'on soit toujours sur ce putain de même toît ! Demandes toi plutôt pourquoi tu ne veux pas me parler ailleurs, pourquoi tu m'évites dans les couloirs, d'où te vient cette honte, parce que c'est toi qui as un problème avec toi-même ! T'assumes juste pas ce que tu ressens, parce que t'es un putain de lâche, c'est tout. T'es juste trop con ! »
Ciel le bouscula avant de s'engager dans l'escalier, quittant le toît et laissant Julien seul avec lui même et ses pensées sans dessus dessous. Et il avait raison, il était trop con. Il avait bien vu les larmes de rage déborder des yeux de Ciel. Et contre toute attente ça lui avait fait du mal alors même qu'il pensait que tout laisser sortir le libèrerait d'un gros poids.
Julien soupira, mais sa fierté l'empêcha d'aller retenir Ciel. Il n'allait pas ramper devant lui alors qu'il était partit en l'insultant...
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