Chapitre 2 : Une heure.
Au détour d'un couloir, Julien jeta un regard vers ce garçon avec qui il avait passé la nuit à fumer le week-end dernier. C'était comme si depuis qu'il lui avait raconté son histoire, il le voyait partout. Lui et ses cheveux en bataille, lui et ses converses foutues, lui et ses hauts à motifs, lui et son style bien particulier. Lui et son sourire. Son regard était sans cesse attiré vers lui, et il occupait son esprit -accaparant toutes ses pensées- bien trop souvent à son goût.
« Jul' tu nous écoutes ? » Se plaignit un de ses amis, Marc. « T'es chiant mec à toujours être dans la lune en ce moment, il se passe quoi ? »
« Rien, rien. Juste des soucis avec ma sœur. On s'est engueulés, ça me prends la tête. »
Son mensonge passa sans aucun problème auprès de son groupe d'amis et il fit semblant de s'intéresser à leur discussion. Ordinairement, il était celui qui menait les conversations, le leader de la bande, mais ces temps-ci, il s'effaçait un peu. Pour tout dire ça ne lui plaisait pas trop à lui non plus, mais il n'arrivait plus à s'intéresser à toutes les choses futiles desquelles ils parlaient. Mêmes leurs éclats de rire pourtant habituellement si communicatifs semblaient être évaporés dans l'esprit tourmenté de Julien.
Le midi, il mangea avec tout son petit groupe, Nuccya et Aïssah venant s'ajouter à la troupe. L'italienne n'arrêtait pas de le fixer et ça le mettait mal à l'aise, il avait l'impression qu'elle sondait son âme et allait tout découvrir, alors il répliqua, hargneusement :
« Tu es en admiration ? Tu voudrais peut-être ma photo ? »
Elle leva ses sourcils superbement dessinés, roulant des yeux pour lui faire comprendre à quel point il était stupide et à quel point son attitude ne l'atteignait pas.
« Julo chéri, si je voulais une photo à admirer, soit certain que ce ne serait pas la tienne que je demanderais. Maintenant tu ferais mieux de manger tes petits pois au lieu d'aboyer comme un roquet, ils vont finir par être froids. »
La facilité qu'avait cette fille à moucher n'importe qu'il l'étonnerait toujours. Cependant, les rires de toute la tablée lui hérissèrent les poils, et bousculant sa chaise, il quitta le réfectoire furibond. Ses amis rirent de plus belle, se délectant de cette petite humiliation. Mais il ne pouvait pas leur en vouloir, il aurait fait pareil à leur place, parce que c'est ainsi qu'ils fonctionnaient. Et habituellement, il trouvait ça drôle.
Il arpenta un moment les couloirs, puis, sans réfléchir, il prit les escaliers qui menaient au toit, ignorant superbement la chaîne qui était censé en barrer l'accès et le petit écriteau pendu après.
Il poussa l'anti-panique pour ouvrir la porte et respira une grande bouffée d'air frais. Il n'était jamais monté sur le toit du lycée, mais il se sentit immédiatement mieux une fois là-haut. Il avança jusqu'au bord, surprit de voir à quel point tout le monde semblait petit. Le bâtiment n'était pourtant pas si haut, mais il semblait dominer le monde et ses problèmes.
« Comme on se retrouve. Un besoin soudain de quitter la foule ? »
Il sursauta et remarqua Ciel accoudé à la balustrade, quelques mètres plus loin.
« Ouais. Quelque chose du genre. »
« Ça m'arrive souvent. Alors je viens là. Ça me donne l'impression de pouvoir passer au dessus de tout cela. Mais je suppose que maintenant que tu connais ce coin, je vais devoir en trouver un autre. Parce que tu vas venir là avec toute ta bande, pas vrai ? »
« Non. Non, j'ai pas trop envie de leur montrer. »
Et après un petit silence, il ajouta presque précipitamment :
« Ni de te chasser d'ailleurs. Si c'est ton coin, très bien, je m'en vais. »
Ca ne lui ressemblait pas de faire profil bas, mais la présence de ce garçon auquel il ne faisait que penser le déstabilisait.
« Tu peux rester tu sais. Ta compagnie ne me dérange pas. Et puis tu sembles avoir plus besoin de déstresser que moi. »
Julien eut un rire nerveux.
« Quoi ? Non, n'importe quoi, je ne vois pas pourquoi je serais stressé. »
« Je vois pas pourquoi tu as honte de l'être. C'est humain tu sais. »
« J'ai pas honte. »
« Pourquoi tu es sur la défensive comme ça ? C'est toi le méchant de l'histoire je te rappelle. »
Surprit Julien releva la tête et croisa les yeux rieurs de Ciel qui pouffa, essayant de contenir son rire.
« Petit con va. »
« T'en veux une ? »
Il se tourna vers Ciel pour voir qu'il lui tendait une cigarette. Julien ne fumait pas de tabac seul, toujours de la weed, mais il accepta tout de même. Peut-être que ça pourrait le détendre un peu...
Ciel lui alluma sa cigarette, puis la sienne, avant d'expulser sa premier bouffée vers le ciel. Une rafale de vent chassa rapidement la fumée.
Comme hypnotisé, Julien ne pouvait détacher ses yeux de Ciel, laissant bêtement sa cigarette se consumer sans la fumer.
« Si c'était pour la gâcher, je ne t'en aurait pas passé. » Plaisanta Ciel.
« Non, c'est pas... »
Julien n'avait jamais autant cherché ses mots, il détestait cela.
« Je te taquine, t'inquiètes. Sois pas si tendu tout le temps. »
Ciel passa derrière lui, sa cigarette au bec pour se dégager les mains. Mains qu'il posa sur les épaules de Julien.
Le premier réflexe de celui-ci fut de se dégager.
« Tu fais quoi ? »
Ciel le replaça devant lui et commença à doucement mâsser ses épaules.
« Je te détends, c'est tout. Fermes les yeux, vides-toi l'esprit et ne pense à rien. »
Avec un peu de réticence, Julien s'exécuta, et peu à peu, ses muscles commencèrent à se délasser.
L'odeur de Ciel, emprunte de cigarette, l'entourait et étrangement, il appréciait assez cela.
« Tu vois, c'est mieux d'être détendu, non ? »
C'était le cas, et ça lui fit peur. Alors il prit la fuite. Il écrasa son mégot sur lequel il avait à peine tiré une ou deux fois sur la rambarde et baragouina :
« Je dois... Il faut que j'y aille, j'ai... un truc... Ouais un truc à faire... »
Se justifier n'était pas dans ses habitudes, et il comprit pourquoi, il était terriblement nul à cela.
Ciel ne dit rien et le laissa fuir. Il était persuadé qu'il reviendrait. Il trouvait Julien intriguant. Le vrai Julien, pas la façade qu'il faisait voir à tout le monde, cruelle, stupide et incroyablement cliché.
Ciel le savait bien, la vie entière n'était qu'un jeu d'apparences.
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