4.Scott
Pour la troisième fois en moins de cinq minutes, la jolie blonde décroise et recroise ses jambes, m'offrant au passage une vue imprenable sur la peau d'albâtre de ses cuisses. Je me plais à croire que c'est un appel à peine dissimulé. Et lorsque mes yeux remontent jusqu'à son visage et le sourire ravageur qu'elle me lance, je n'ai plus aucun doute. J'entends encore la voix de Simon me murmurer lorsque nous sommes revenus du resto et que la journaliste patientait devant mon bureau.
— Punaise... Warren, je te déteste.
J'ai ri en le saluant à haute voix, avant d'inviter la jeune femme à entrer.
Maintenant, je me maudis presque d'avoir accepté de répondre à ses questions. J'ai une sainte horreur de parler de moi. Je ne joue le jeu que parce que cela fait partie de mon job. Depuis quelques années, notre laboratoire est devenu un des leaders sur le marché. Bien entendu, nous sommes de fait plus exposés médiatiquement. Et pour la DRH, quoi de plus vendeur que ma tronche de beau gosse ? Ainsi, insidieusement, ils ont réussi à faire de moi l'image de la boîte. Ils ont commencé par vendre ma belle gueule, puis mon ascension sociale. L'incarnation parfaite de la réussite. Les magazines sont tout de suite tombés dans le panneau, eux aussi charmés par mes yeux clairs et mes fossettes. Oh, je ne m'en plains pas, au contraire. Parce qu'en plus de mon salaire plus que confortable, j'engrange de juteux extras pour mes interviews et mes séances photos. Et, ça, assurément, ça attire les filles. Non pas que j'ai besoin d'être photoshoppé pour les attirer. Il suffit de voir avec quel air gourmand la miss installée face à moi mordille sa lèvre, attendant ma réponse à une question que j'ai déjà oubliée.
Je suis ramené sur Terre par la vibration de mon portable posé sur l'accoudoir de mon fauteuil. J'y jette un coup d'œil discret, interpellé par le nom qui s'affiche en bannière.
— Excusez-moi.
La blonde minaude sur son fauteuil :
— Mais je vous en prie, Monsieur Warren. J'imagine que vous devez être un homme très demandé. Et je vous attendrai la journée, s'il le fallait.
Je réprime un sourire devant son audace. Elle insiste sur l'adverbe en glissant une mèche parfaitement bouclée derrière son oreille.
June
[ Ne perds pas ton temps avec cette quiche.
Non mais... regarde-là ! ]
J'obéis avec un rictus. Par-dessus l'épaule de la journaliste, j'aperçois mon espionne qui simule des nausées magistrales. Je repose mon portable et décide de m'amuser à ses dépens.
— Non, ce n'est rien. Alors, vous disiez...?
La belle se racle la gorge et fait mine de chercher sur ses fiches.
— Oui, je vous demandais donc si vous seriez, cette année encore, l'invité d'honneur du Congrès Plaies qui se tiendra à Nice ce week-end ?
— Tout à fait. Notre laboratoire a fait des progrès immenses cette année encore et c'est avec plaisir que nous souhaitons échanger avec les professionnels de santé. Et puis...
Joueur, je m'interromps pour fixer sa bouche, tout en frottant mon menton avec mon index. Bingo ! Je la vois retenir son souffle, suspendu à mes lèvres. Je baisse un peu la voix sans cesser de la fixer au fond des yeux.
— ... aller passer trois jours dans un hôtel magnifique, dans une suite luxueuse, qui dirait non ?
Au loin, je vois June pester. J'adore la rendre chèvre. Elle affiche une moue boudeuse et croise les bras. Une vraie gamine. Sa jalousie est presque jouissive pour moi. Elle ne peut pas se passer de moi. Mon rythme cardiaque s'emballe devant ce constat. Avant de s'arrêter brusquement en voyant son front se plisser. Est-ce qu'elle a mal quelque part ?! D'un mouvement expert du pouce, j'envoie un sms à Candice, qui réagit en un quart de secondes tandis que je reporte à nouveau mon attention sur la journaliste qui continue de parler, totalement ignorante de la panique qui m'envahit. Sans plus de cérémonie, je lui coupe la parole, plutôt sèchement.
—Bien, une fois de plus je vais devoir vous demander de m'excuser, mais j'ai encore pas mal de détails à régler avant mon départ. Avez-vous toutes les réponses qu'il vous faut ? Sinon, mon assistante se fera un plaisir de me faire parvenir votre liste de questions.
Un brin déstabilisée par ce brusque changement de ton, la jeune femme se lève en bredouillant des banalités que je n'écoute même pas. Elle capte mon regard en posant sa main sur mon avant-bras et glisse une carte de visite dans la poche de mon pantalon.
— Si vous ne voulez pas aller seul à Nice, appelez-moi.
Gentleman, je la raccompagne jusqu'à la porte de mon bureau. Bien installée sur son siège, Candice pianote sur son ordinateur et relève à peine la tête pour saluer la blonde qui l'ignore tout à fait. Je reste là une poignée de secondes, à regarder ses hanches rouler au rythme de ses pas, les mains dans les poches. C'est le soupir de mon assistante qui vient se planter à mes côtés qui me fait lâcher ce spectacle appétissant.
— Quelle bécasse, murmure-t-elle.
Je ne réponds pas, mais le coin de ma bouche se relève, instinctivement.
— Et June ?
— En salle de pause, boss.
A grandes enjambées, je m'empresse de parcourir les dix mètres qui me séparent de June, sans relever l'agacement bien visible de mon assistante. Je sais parfaitement qu'elle déteste les filles qui se jettent sur moi comme... Comment dit-elle déjà ? Ah oui, comme la pauvreté sur le monde.
Au moment où je pénètre dans la pièce bien trop colorée à mon goût, June lève vers moi ses grands yeux clairs. Je m'agenouille à côté d'elle pour saisir sa main. Je pose deux doigts sur son poignet. Mes yeux balaient son visage, scrutent son regard à la recherche du moindre signe alarmant. Mais la petite brunette se rebelle, m'arrachant son bras.
— Arrête un peu.
— Je t'ai vue..
— Non, Scott. Je vais bien. Pas besoin de jouer les docteurs avec moi. J'ai Papa pour ça.
Ni une ni deux, d'un simple mouvement de ses doigts fins, elle fait reculer son fauteuil avant de foncer en avant, me bousculant au passage. Histoire de l'énerver un peu plus, j'attrape les poignées de son carrosse comme elle l'appelle pour la stopper net. Elle se tourne, l'air furieux :
— Laisse-moi, crétin.
—Dis-moi d'abord pourquoi tu m'en veux comme ça.
Elle tente de me faire lâcher en avançant. Peine perdue. Elle est contrariée et je veux savoir pourquoi. June finit par se résigner, et plante son regard dans le mien.
— Tu m'énerves, voilà tout. T'es toujours en train de roucouler avec tout ce qui a une jupe.
Je lève un sourcil, peu convaincu par sa réponse.
— Juste ça ? Tu boudes comme lorsqu'on avait huit ans simplement parce qu'une blonde me...
— Ce n'est pas seulement cette journaliste, Scott, tu le sais parfaitement. C'est... un tout. D'ailleurs... j'imagine que tu ne seras pas là ce week-end, n'est-ce pas ?
Quand elle me fixe ainsi, avec ses iris si semblables aux miens, je me sens comme un moins que rien. Parce que j'y lis tant de courage, tant de force... June est définitivement la meilleure de nous deux. Elle est ma moitié. Ma petite sœur, que j'aime plus que tout. Et la voir chaque jour se débattre avec toute cette merde, ca me rend fou. Elle est si forte... Mais pas moi. Et ça, June le sait. Je me sens minable lorsque je me tends légèrement, enfonçant un peu plus mes mains dans mes poches.
—Non, j'ai un colloque ce week-end. Je suis désolé.
—Pas tant que moi, Scott. Ou qu'April.
Ignorant mon air dévasté, June fait rouler son fauteuil et quitte la pièce sans se retourner. Merde.
Je traverse le reste de la journée avec l'estomac noué. Les paroles de ma sœur, ses grands yeux tristes... Je suis un sale con. Mais punaise, elle sait parfaitement que c'est au-dessus de mes forces. Il est maintenant dix-sept heures, et depuis bientôt quinze minutes, Candice m'expose le planning des trois jours à venir, dans les moindres détails. De temps à autre, elle me lance un coup d'œil par-dessus ses lunettes, passablement agacée de me voir plus intéressé par mon portable que par ce qu'elle m'explique. Elle finit par abattre son dossier sur le bureau, certaine d'attirer mon attention.
Lorsque je sursaute en levant les yeux, elle se redresse en plantant sa main sur sa hanche gauche. Aïe, je connais cette Candice-là.
— Si cela ne vous intéresse pas, je peux tout à fait vous laisser vous débrouiller. Peut-être que miss Barthel saura gérer votre emploi du temps ? Le peut-elle ?
En la voyant croiser les bras et me toiser, me voilà revenu sur les bancs de l'école, quand je me faisais réprimander par l'instit. Mince, cette fille doit avoir mon âge, mais elle sait exactement comment me ramener les pieds sur Terre. Et quand elle se met à me vouvoyer, je sais que ça va barder pour mon matricule. J'abandonne mon téléphone avec un sourire enjôleur :
— Candice... Personne ne t'arrive à la cheville. Et puis, je ne sais absolument pas de qui tu me parles.
Erreur.
— Parce que tu ne prends même plus le temps de relever les noms des abruties qui se jettent à ton cou ?
Mon cerveau tente de rassembler les morceaux du puzzle... Barthel ! Lola Barthel, la journaliste de cet après-midi. Les coins de ma bouche refusent de s'abaisser. Je souris comme un idiot en songeant à la jolie blonde aux longues jambes. D'un claquement de langue, Candice laisse transparaître tout son mécontentement. Elle désapprouve et le fait savoir. Pourtant, elle reprend son exposé, sans rien laisser paraître. Je ris en reportant mon attention sur les notes qu'elle a pris soin de me préparer. Méticuleuse, comme toujours.
— Je te disais que j'ai réservé ta suite. Tu es attendu dès le dimanche après-midi pour la conférence d'ouverture. Ensuite, il y a un trou dans le planning du Congrès qui peut te permettre de caser le rendez-vous avec NAWP. Les conférences suivantes sont prévues à partir du mardi midi et...
À nouveau, la voix de Candice n'est plus qu'un bruit de fond berçant mes pensées. NAWP. Une des plus grosses boîtes pharmaceutiques des États-Unis qui, chaque année, obtient des résultats ahurissants, cherche depuis quelques semaines à me rencontrer. Incompatibilités d'agendas, de part et d'autres, certainement beaucoup de mauvaise volonté de ma part... mais cette fois-ci, sans réellement savoir pourquoi, j'ai accepté leur demande d'entretien. Enfin si, je sais. A cause d'elle. Cette fille, celle qui m'a retourné le cerveau en quelques heures et qui a filé sans un mot. Celle qui est aujourd'hui en une du magazine Forbes, ce mois-ci.
Une fois tous les détails réglés, Candice se saisit à son tour de son téléphone et fait glisser son pouce rapidement.
— Tu as son cadeau, j'imagine ?
Devant ma grimace, elle roule des yeux. J'éclate de rire. Je sais très bien qu'elle a déniché le présent parfait. Comme tous les ans.
— Qu'est-ce que je ferai sans vous, jolie Candice ?
Elle pourrait me tuer avec ses prunelles noires. Et elle ne se gênerait pas.
— Sérieusement ?
— Ouais !
— Tu serais comateux dans le fond de ton lit, certainement entouré d'une blonde et d'une brune levé dans un défilé quelconque. Incapable d'aligner deux mots... Mais toujours aussi arrogant.
Je ris de bon cœur devant sa sincérité. Même si au fond de moi, je sais qu'elle a parfaitement raison. Cette fille est une perle. Elle tourne vers moi l'écran de son téléphone, pour m'expliquer en détail le cadeau qu'elle a choisi pour ma peste de frangine.
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