Vingtième Chapitre.
[Mardi 25 Octobre. Le jour J. La veille, Heaven a fait un pacte de sang avec Jorah, et a commencé la préparation mentale à sa fuite.]
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Le son de ma lente respiration est le seul brisant le silence de ma cellule. Je m'habille sans un bruit, voyant la lumière du jour commençant à percer par l'embrasure de la porte. Je fais les cent pas dans ma chambre, ressassant tout ce que j'ai préparé. Hier soir, jusqu'à des heures tardives, j'ai médité, j'ai entraîné mon esprit et ai affiné mes sens. Sur le sol, j'ai plongé dans l'essence de ma magie que je sens vibrer en moi. Mes menottes agissent encore, mais à présent, je peux sentir la flamme de mon psychisme percer et grandir.
Après avoir passé de l'eau glacée sur mon visage, je masse mes tempes et ferme les yeux le temps de prendre une profonde inspiration. Puis, j'essuie mes joues et sors de la salle de bains. Lentement, je m'approche de la porte. Et je frappe. Comme prévu, le garde qui a été placé en surveillance cette nuit particulièrement me répond.
— Est-ce que vous savez l'heure, s'il vous plaît ? demandé-je.
— Bientôt huit heures, mademoiselle. Pourquoi ?
— Je dois sortir, indiqué-je, il faut que je voie Jorah.
— Il m'a donné l'ordre de l'attendre, vous devez rester ici.
— Eh bien, à moi il a dit que si j'avais besoin de lui, je pouvais sortir si vous m'accompagniez. Vous ne voudriez pas risquer de manquer à votre devoir, n'est-ce pas ?
Pendant un instant, un silence pesant règne. Puis, comme je l'avais prévu, le garde déverrouille la porte. Il passe la tête pour me regarder, gardant une main sur la poignée, comme pour s'assurer que je ne compte rien faire. Je lève les mains en signe de paix.
— J'ai vraiment besoin de lui parler.
— Alors ne bougez pas, ordonne-t-il en agitant son couteau sous mon nez.
— Croyez moi, je n'ai pas que ça à faire que me rebeller le jour de la guerre, répliqué-je.
Il me lance un regard perçant, puis ouvre enfin la porte. Il m'agrippe brutalement le bras et je sens tout de suite la pointe de son couteau dans le bas de mon dos. Mon cœur s'emballe, mais je maîtrise tant bien que mal l'angoisse qui tord mes membres et calme la frénésie qui pourrait me troubler.
— Marche, alors, souffle-t-il contre mon cou.
J'inspire doucement, sentant la tension augmenter. C'est la première étape, si je la rate, je ne pourrai pas partir en toute discrétion. Je fais un pas en avant, et une fois concentrée, il ne me faut pas plus d'une seconde pour me retourner et me défaire de son emprise en tordant son poignet. Je plaque le Banni contre le mur en empoignant son couteau, et pose la pointe de la lame sous sa gorge. Je plonge mon regard dans le sien, et sens un frisson d'excitation parcourir tous mes membres.
— Vous ne bougerez pas, et vous n'allez rien dire, parce que vous êtes obligé de m'obéir, articulé-je en l'obligeant à me regarder dans les yeux. Vous n'avez pas le droit de me faire du mal, pas vrai ? Alors essayez, et je vous tue. D'accord ?
Le garde n'hésite pas un instant avant de hocher la tête. Je sais qu'il lui serait facile de m'attaquer avec ses pouvoirs, étant donné que je suis privée des miens. Mais il ne fait pas un seul geste. J'ai réussi.
— Donnez moi les clés, ordonné-je.
Il s'exécute, et je serre fermement le trousseau avant de le tirer par le col et le guider vers ma cellule. Il n'émet aucune résistance. Alors, quand je le pousse dans la pièce, il se retourne vers moi et me considère en silence.
— Je suis désolée, soufflé-je amèrement avant de fermer la porte.
Le cœur battant, je verrouille la serrure et jette les clés dans un buisson plus loin. Pendant une seconde, je tremble et reste paralysée par la pression et l'angoisse. Je suis terrifiée par ce que je suis en train de faire.
Je jette un oeil aux allées du camp, heureusement pour moi déserte. Je sais que les Bannis ont prévu de bien se reposer et s'entraîner ensuite dans la forêt, alors personne ne devrait se montrer.
Sans plus réfléchir, je m'élance dans les escaliers menant à la rue et me mets à courir. Je fais attention à longer les murs et ne pas rester à la vue de tous au cas où, gardant en tête le chemin qui me mène jusqu'à l'endroit voulu. Pendant ces quelques minutes, j'ai l'impression que le temps s'allonge, au fur et à mesure que mon pouls accélère. Je sillonne le camp en le voyant disparaître au fur et à mesure, sachant que c'est la dernière fois que j'arpente ces allées. Et ce qui me tord le cœur à cet instant est un sentiment bien étrange. Car il est un soulagement intense, mais se mêlant à une forme de nostalgie que je ne pourrais expliquer.
Et peu à peu, l'entrée du camp se dessine. Je sens mon ventre se retourner au fur et à mesure que je m'en approche et sens le magnétisme du dôme pousser sur mon crâne.
Une fois que j'y arrive, je ralentis le pas, et respire bruyamment pour me détendre. Je regarde tout autour de moi, m'attendant à voir apparaître quelqu'un, mais rien. Alors je secoue la tête, et avance. Je n'ai plus le temps de réfléchir.
— Heaven !
Je me retourne brusquement et aperçois alors Molly qui accourt vers moi. Ses cheveux roux volent autour d'elle, si éclatants qu'on croirait d'un feu en émane. Donc c'était bien elle. Je pousse un soupir de soulagement et affaisse les épaules alors qu'elle arrive à mon niveau. Elle me serre directement dans ses bras, et je lui rends son étreinte, sentant son cœur battre violemment dans sa poitrine.
— Tu es toute seule ? osé-je demander, masquant avec difficulté ma déception.
— Non, Thaniel est parti chercher Jake.
En entendant ça, mon cœur menace d'exploser, et je clos brièvement les paupières. Je vais le retrouver.
— On va y arriver, soupire-t-elle dans mon cou.
— Oui, on va y arriver.
Elle se détache de moi et pose ses mains sur mes épaules en plongeant son regard dans le mien.
— C'est Kali, la barrière, fait-elle. On ne peut pas le désactiver.
— Je sais. Je vais devoir la passer de force.
— Tu t'en sens capable ?
J'hésite un instant, et la regarde intensément en voyant ses yeux briller sous l'effet de larmes qui naissent.
— Oui.
Elle hoche la tête et s'écarte un peu. Puis, nous nous tournons ensemble vers la forêt, séparée par ce dôme protecteur plus menaçant que jamais.
— Heaven, hésite Molly.
Je me tourne vers elle, et l'Ondine me lance un regard éloquent.
— Si jamais il t'arrive quelque chose, est-ce que tu veux que je...
— Il ne m'arrivera rien.
Un bref silence s'abat sur nous, et nous gardons nos regards accrochés.
— Dès que tu vois une faille, tu fonces, d'accord ? m'assuré-je.
— Oui.
J'acquiesce et lui adresse un dernier coup d'oeil avant de faire un pas en avant. Faisant vite abstraction de tout ce qu'il y a autour de moi, je me focalise sur ce dôme puissant, sur cette fine frontière qui me sépare de ma liberté. Et cette fois ci, je ne me retourne pas. Mon cœur bat si fort que je l'entends résonner dans mon crâne, et ma gorge est si nouée que je peux à peine respirer. Mais dans mon ventre, je sens rugir ma puissance qui ne demande qu'à s'exprimer et faire exploser ces menottes qui la retiennent. Je tends ma main vers la barrière en tremblant, pouvoir percevoir le frisson de peur exaltante qui me pétrifie. Mais je ne reculerai plus. Jorah me demandait hier de lui montrer que je pouvais détruire le monde. Eh bien, je suis sur le point de lui montrer. Qu'il me regarde lui échapper, plus puissante que jamais, qu'il observe attentivement sa précieuse hybride lui filer entre les doigts, et le battre sans qu'il ne puisse rien y faire. J'ai atteint le point de non retour. Alors il est temps que j'agisse.
Sans plus réfléchir, je retiens ma respiration, et en un pas, traverse la barrière.
À la seconde où mon pied passe la frontière, mon cœur s'arrête, et je suis parcourue avec violence par la même douleur indéfinisssable qui se répand dans tout mon corps. Je lâche un cri étranglé et me crispe intégralement en serrant les paupières. Une chaleur infernale irradie mes membres et je reconnais l'impression que mes poignets s'arrachent de mes bras. Je gémis et essaie de bouger, mais comme la dernière fois, il me semble qu'un seul geste pourrait me briser tous les os. Ma poitrine se contracte douloureusement, et je peine à respirer. Je suis raide et agonisante, assaillie par les rayons électrifiées de la barrière, s'immisçant en moi et détruisant chaque des particules de mon corps, poussant sur mes dernières forces, voulant m'obliger à abandonner et me mettre à terre. Mais je résiste, la tête prête à exploser, la poitrine brûlante et les oreilles sifflant tellement fort qu'elles me donnent le tournis. J'ai déjà connu cette souffrance, et j'y ai déjà survécu. Mais cette fois, il faut que je la vainque.
Alors, avec tant de difficulté que je suis obligée de rugir, j'ouvre les yeux et regarde mes menottes, qui sont à l'origine de ma torture. Je tourne la tête vers Molly en me tordant de douleur alors que j'ai encore l'impression qu'on m'arrache progressivement la peau, et parviens à croiser le regard affolé de mon amie. Elle tremble de tout son long. Je serre les dents et en poussant un gémissement guttural, je me redresse pour ne pas m'effondrer au sol. Je vois alors mes veines s'illuminer enfin, accentuant la douleur. Mais je ne faillis pas, et au lieu de tout faire pour arriver de l'autre côté, je fais tout pour créer une brèche, pour affaiblir ne serait-ce qu'un peu l'oeuvre de Kali. Je serre les poings jusqu'à m'enfoncer les ongles dans les paumes. Et j'ai si mal qu'à cet instant, je ne ressens plus rien. Je peux voir le dôme au dessus de moi s'électrifier de plus en plus, parce que je reste bien plus longtemps que la dernière fois. Les sensations sont les mêmes, et elles sont aussi destructrices que dans mes souvenirs. Mais maintenant, je suis plus forte. Alors je dois résister. Je force mon corps tremblant à se raidir, réprimant un sanglot. Chaque seconde est une seconde de trop. J'ai l'impression de sentir ma chair bouillir, mes muscles se déchirer, mes os craquer. Tous mes sens sont en alerte, et la magie dans mon ventre est en train de monter, je peux le percevoir. Je peux aussi voir qu'en menaçant d'arracher mes poignets de mon bras, mes menottes tremblent de plus en plus et reçoivent à leur tour l'explosion de mes pouvoirs parcourant mes veines. Elles m'électrocutent, mais n'arrivent pas à atteindre mon cœur, exactement comme la dernière fois. Sauf que cette fois, j'attaque à mon tour. Au lieu de fuir, je riposte. Et je ne lâcherai rien.
Dans un bruit lointain, je peux entendre le camp s'animer, et je comprends vite qu'il ne me reste plus longtemps avant que Jorah débarque. Et au lieu de me faire perdre mes moyens, ça me donne encore plus de force, et je n'hésite plus. Je laisse échapper un hurlement qui déchire l'atmosphère en même temps qu'il déchire mon être, et mon cœur s'arrête une nouvelle fois. En une fraction de seconde, la même lumière que j'ai déchaînée hier m'entoure, et je sens mes menottes vibrer jusqu'à l'explosion. Elle se brisent sous la pression et s'effondrent à terre. Je sens immédiatement ma puissance s'intensifier alors que ma douleur atteint son paroxysme, et je n'ai pas le temps de me concentrer sur le fait que ma torture physique cesse, je vois la lumière qui émane de moi se fondre au dôme et l'éclairer. La barrière ondule violemment, de plus en plus vite, et je ne peux réprimer un sourire de victoire en puisant de nouveau dans ma magie pour renforcer ma résistance. Un instant plus tard, le dôme cède sous ma pression et s'effondre en volutes blancs.
Instantanément, je me sens libérée d'un immense poids et reprends mon souffle en haletant. Je n'ai même pas besoin de regarder Molly pour qu'elle s'élance dans la forêt sans se retourner, disparaissant rapidement entre les arbres. Je fais mine de la suivre, mais dès que je fais un pas devant moi, je m'effondre au sol, à bout de forces. Je vois la lumière de mes veines s'éteindre, et mon énergie avec. Je suis vidée. Je sens des tremblements parcourir tout mon corps, et gémis en ressentant la douleur pénétrer mes membres de nouveau. J'y suis allée un peu fort, peut-être. Je porte ma main à ma poitrine et pose une main à terre pour me redresser. En lâchant un cri de souffrance et d'épuisement, je parviens à me mettre à genoux, et vois alors du sang perler sur le sol. Il vient de mon nez et de ma bouche, sans surprise. Je m'essuie le visage en jurant, et tourne difficilement la tête. Je suis en dehors des frontières, et je vois pourtant le camp des Bannis. J'ai vraiment réussi...
Malheureusement, j'ai alarmé toute la population, et je les vois déjà accourir vers moi. Je pourrai les repousser si je me relève, mais si Jorah arrive, je suis foutue.
Je pousse sur mon bras pour me mettre sur pieds, mais suis de nouveau prise d'un spasme affreux, et me plie en deux. La douleur est si forte que j'ai un haut-le-cœur et manque de vomir. Je m'insulte en poussant de nouveau. Cette fois-ci, un violent vertige s'abat sur mon crâne et je me crispe en laissant jaillir du sang de ma gorge. Je lâche un cri de frustration et de peur, sentant la tension serrer ma poitrine à un tel point qu'elle pourrait faire exploser mon cœur. Je sais que j'en ai trop demandé à mon corps, mais pourquoi ne veut-il pas tenir quelques minutes de plus ?
— Allez ! hurlé-je.
Je respire profondément et ferme les yeux pour me concentrer. Chaque seconde est précieuse, et si je me laisse prendre, tout sera terminé. Alors, j'ignore la douleur qui supplie mon corps de se reposer, écarte la migraine qui m'endort et repousse ma nausée insoutenable. Je mets un genou à terre, puis un autre. Je parviens enfin à me mettre debout en vacillant, et laisse échapper un cri de victoire. Je regarde partout autour de moi, attendant un quelconque signe de Thaniel ou Jake, en vain. Je préfère imaginer qu'ils ont trouvé une autre sortie, je refuse d'imaginer quoi que ce soit d'autre.
Des Bannis commencent à arriver à mon niveau, et je les évite tant bien que mal avec de brèves attaques défensives, titubant pour m'enfoncer dans la forêt. Je sens que mes forces me reviennent, mais très lentement. Trop lentement.
Alors que les Bannis tentent de m'atteindre, je reprends mon souffle en m'organisant pour les esquiver, et parviens à créer des ondes qui les gardent à distance sans m'obliger à les blesser.
Puis, dans la poussière du chaos, je vois se dessiner deux silhouettes qui se détachent à l'horizon, semblant dominer la scène et m'isoler du reste. Jorah et Kali. Mon sang ne fait qu'un tour et il ne me faut pas une seconde de plus pour appeler mes dernières forces à se manifester. Je contracte tous mes muscles, renforçant mes défenses pour me défaire des assaillants qui m'encerclent, et vois enfin Jorah et Kali arriver. Je n'arrive pas à voir leurs visages, mais je ne peux qu'imaginer ce qu'ils ressentent à cet instant. Ils n'attaquent même pas, signe qu'ils savent parfaitement ce qu'il va se passer.
Ayant réussi à envoyer les quelques Bannis plus loin, je m'immobilise pendant un instant, juste le temps d'accorder un dernier regard à Jorah. Et lentement, alors que je peux enfin voir ses yeux briller, je lève ma main et lui adresse un doigt d'honneur magistral en souriant irrépressiblement. Je n'attends pas une quelconque réaction de sa part, et fais volte-face, poussant avec violence sur mes jambes. Alors, je coupe mon esprit de toute sensation pour ne pas ressentir l'intense douleur qui se répand en moi, et cours. En quelques secondes, le camp est hors de ma vue, et avec lui, tout mon cauchemar. J'accélère, la tête de plus en plus embrumée, me concentrant tant bien que mal sur le chemin que je sais être celui vers Érédia. Je ne me retourne pas, j'écarte la peur et l'appréhension de mon esprit et le tourne vers le simple fait que je suis libre. J'ai réussi.
Je cours si vite et si inconsciemment que le temps m'échappe, et je me sens ralentir peu à peu. Mes jambes finissent par ne plus répondre, et je regarde autour de moi, constatant que je me suis tellement éloignée du camp que je n'entends plus aucune panique. Je n'entends que le bourdonnement dans mes oreilles, le bruit de mon cœur affolé et ma respiration haletante. Je titube sur plusieurs mètres avant de me laisser tomber à terre, mes jambes ne pouvant plus me soutenir. Je déglutis et me mets sur le dos en respirant bruyamment, maudissant intérieurement mon corps. Il faut que je me dépêche de regagner des forces, mais je ne devrais pas être en danger ici si je ne reste que quelques minutes. Alors je ferme les yeux en priant le ciel de bien vouloir me donner une dernière once d'énergie. Et peu à peu, mon cœur résonne de plus en plus fort et lentement dans mon crâne, et ma vue se brouille.
Puis, je n'entends ni ne vois plus rien.
* * *
Je sens ma tête ballotter dans le vide et entrouvre les paupières, une migraine m'empêchant de voir clairement. Je ne bouge pas, mais comprends que je suis portée par quelqu'un, et que mon corps tombe de chaque côté de son épaule. Pendant une seconde, je suis totalement perdue, puis je me rappelle que je me suis évanouie, et me rends compte que je suis encore dans la forêt. Et alors que le bourdonnement dans mes oreilles s'atténue, je peux entendre une voix masculine dans mon dos. Mon sang ne fait qu'un tour et j'ouvre enfin les yeux en commençant à m'agiter dans tous les sens pour me défaire de l'emprise de l'homme que je crains d'être Jorah. J'y parviens et tombe durement sur le sol. Je gémis mais me dépêche de reculer, la vue toujours trouble, persuadée que je dois m'enfuir.
— Heaven, calme toi ! fait alors la même voix lointaine.
Je secoue la tête, essayant de reprendre mes esprits et de voir qui se tient devant moi. Ce n'était pas la voix de Jorah.
Je porte ma main à mon crâne en reculant instinctivement, et tremble malgré moi. Mais peu à peu, je distingue les silhouettes face à moi, et mon cœur s'arrête. C'était Thaniel. Je lève les yeux vers lui et entrouvre la bouche, sidérée. Puis, les personnes derrière lui deviennent nettes leur tour. Je vois Molly, essoufflée.
Et je vois Jake. Quand je croise son regard, mon corps entier est pris d'un spasme et je plaque ma main sur ma bouche pour étouffer le sanglot qui remonte dans ma gorge. Jake ne bouge d'abord pas, restant paralysé par le regard que nous échangeons. Puis, il tremble à son tour et s'élance vers moi. Il se jette au sol à genoux et passe ses bras derrière moi pour me serrer contre lui. Dès qu'il pose ses mains sur moi, je n'arrive plus à me retenir et éclate en sanglots. Je m'agrippe à son tee-shirt en enroulant mes bras autour de lui, ne voulant plus me décoller de lui. Je m'enivre de son odeur délicieuse et ferme les yeux en enfouissant ma tête dans son cou. Je sens son souffle s'écraser sur ma nuque et frissonne de tout mon long, secouée par des sanglots incontrôlables.
— Ne pleure pas... murmure-t-il.
Entendre sa voix provoque des dégâts encore plus horribles dans mon ventre et de nouvelles larmes brûlantes roulent sur mes joues. Je ne veux pas m'effondrer comme ça, mais c'est plus fort que moi. C'est comme si, en un instant, tout était retombé, que tout le malheur avait disparu et que l'espoir renaissait. Je le serre enfin contre moi, sans avoir peur qu'on vienne me le prendre. Nous sommes enfin réunis. Mon cœur est au bord de l'explosion, et il me paraît battre si fort dans ma poitrine qu'il pourrait en jaillir. Ce que je ressens est au delà de mes forces, et mêle un bonheur indescriptible à un soulagement si intense qu'il me donne le tournis. Toute la douleur qui m'a été infligée depuis que je suis arrivée dans le camp des Bannis ressurgit et me retourne l'estomac, toute la souffrance que j'ai enduré face à Jake pendant ces longs jours, tout ce que j'ai ressenti et qui m'a changée à tout jamais, tout noie mon âme en un seul instant, pour exploser avec mon cœur. Parce que tout l'amour que je ressens pour Jake ressurgit à son tour, plus fort que jamais. Je l'ai vu mourir, et je le tiens à présent contre moi, si près que je peux sentir son cœur battre frénétiquement dans sa propre poitrine. Ses mains parcourent mon dos et viennent fouiller mes cheveux en serrant ma nuque. La paume brûlante de sa main sur ma peau gelée provoque d'intenses frissons dans tout mon corps, et je sens mes épaules s'affaisser sous l'émotion quand ses lèvres frôlent la base de mon cou. Je n'ai jamais rien ressenti de tel. Je suis si amoureuse que je pourrais en mourir.
J'ouvre les paupières en relâchant peu à peu mon étreinte, alors que je sens les mains de Jake se poser sur mon cou. Il se détache à son tour de moi et prend alors mon visage en coupe en plongeant son regard dans le mien. Alors, le temps semble s'arrêter. Je me noie dans le noir profond de ses yeux, dans les paillettes dorées qui y nagent. Je me perds dans la contemplation de son visage magnifique, marqué par de fines cicatrices dont l'origine tord mon cœur. Lui aussi me dévore des yeux et alors que nos regards s'accrochent l'un à l'autre, un sourire irrépressible étire ses lèvres et rayonne sur son visage, alors que je vois de fines larmes naître brièvement au coin de ses paupières.
Alors, à mon tour, je souris, d'un air idiot, euphorique, et je ris. Je commence à rire alors que je suis en train de pleurer, secouée par une frénésie qui ne dépend plus de moi. Je l'aime tant que mon cœur en est déchiré. Je l'aime comme je n'aurais jamais pensé pouvoir aimer quelqu'un, comme il m'est impossible d'imaginer. Je voudrais le lui dire, le crier et le hurler encore et encore tant j'en suis assommée, mais je ne dis rien. Je me contente de le regarder, les larmes inondant mon visage et un sourire incontrôlable sur les lèvres. Je pose à mon tour mes mains sur ses joues, grisée par le simple contact de sa peau. Il inspire profondément, passant ses doigts sur mon visage pour en essuyer les larmes et le sang. Ses cils papillonnent et quand son pouce passe sur ma bouche, il m'achève et je ne peux plus me retenir. J'écrase mes lèvres sur les siennes en laissant mes doigts parcourir sa mâchoire et ses cheveux, tandis qu'il me colle à lui en serrant mon visage plus fermement entre ses mains. Je suis si avide de ses lèvres que j'en ai des vertiges.
Notre baiser a un goût qu'aucun n'a jamais eu, aussi grisant qu'amer. Un goût de passion, de bonheur et de tristesse, un goût de douleur. L'embrasser me fait mal, mal partout, mal au cœur et mal à l'âme, parce que ça me rend si heureuse que ça pourrait me détruire. Je l'embrasse comme si ma vie en dépendait, comme s'il pouvait me sauver. J'oublie tout, et plus rien ne compte. Il n'y a plus que lui. Il n'y a plus que nous.
Lentement, Jake s'écarte de moi et nous reprenons notre souffle, nous regardant si intensément que j'en suis embarrassée et que je suis obligée de détourner les yeux.
Mon loup-garou laisse glisser ses mains sur ma mâchoire et sur mes bras, puis nous arrimons nos yeux un dernier instant. En ce regard, s'exprime tout ce qu'aucun de nous ne peut dire.
— On dérange, peut-être ? résonne derrière Jake.
Je lève les yeux vers Thaniel et pouffe alors qu'il sourit. Les jambes flageolantes, je prends les mains que Jake me tend pour me relever. Puis je m'approche de Thaniel et me mets sur la pointe des pieds pour le serrer dans mes bras. Je sais que je devrais lui en vouloir, que je dois avoir une discussion sérieuse avec lui et que je ne devrais pas me montrer aussi démonstrative. Mais à cet instant, je suis beaucoup trop heureuse pour m'attarder sur ma rancœur. Thaniel resserre son étreinte, et son contact me rappelle un bref souvenir qui revient dans mon esprit malgré moi. Quand il m'a serré dans ses bras après que je lui ai révélé mon identité, dans cette même forêt. Je comprends à présent pourquoi il avait semblé si grave, et m'en souvenir me fait mal au cœur. Si seulement j'avais su... J'ai l'impression que c'était il y a une éternité...
Je me détache de l'elfe et vais enlacer Molly. Elle me sourit et je peux voir sur son visage se peindre un soulagement et une fierté évidentes.
— Que... Comment... bafouillé-je en reculant pour leur faire face.
Ils rient et Thaniel soupire longuement avant de parler.
— Quand on est sortis du camp, on t'a pas vue alors on s'est dépêchés de chercher dans la forêt. Heureusement, on t'a trouvée sur le chemin. Je t'ai portée - parce que ton mec n'est pas encore bien rétabli, tu le pardonneras - et on a réussi à rattraper Molly.
Je hausse les sourcils, le cœur battant la chamade. Ce n'était qu'une question de temps avant que les Bannis me trouvent, et ils ont réussi à les devancer. On a vraiment eu beaucoup, beaucoup de chance sur ce coup là.
Je hoche lentement la tête, et voit Jake s'approcher pour passer son bras autour de mes épaules et me coller à lui. Je souris brièvement et pose ma main dans son dos en appréciant la chaleur qu'il dégage.
— Le message, me rappelé-je alors.
— C'était moi, déclare Thaniel.
Je lui lance un regard interrogatif, et il jette un coup d'oeil à Molly.
— Après ce qu'il s'est passé avec Jorah... commence-t-il.
Je sens la main de Jake se crisper sur mon épaule, et pose la mienne sur la sienne instinctivement, comme pour le rassurer. Je ne veux pas non plus penser à cette dure épreuve. Malgré ça, je sais que je devrai en parler avec lui, je sais qu'il faudra tout faire revenir dans nos esprits et accepter la douleur que nous avons dû affronter. Mais c'est encore trop frais. Beaucoup trop.
— Molly a pu m'expliquer ce qu'il s'était passé, poursuit l'elfe, et me tenir au courant de votre plan. Alors je me suis débrouillé, et j'ai... galéré, pour écrire ce message sur ta main.
— Comment t'as fait ? demandé-je.
Il soupire et fait un mouvement évasif de la main.
— J'ai réussi pour la première fois l'étude des champs thermiques, ce qui m'a permis de te localiser. Après, j'ai poussé pour atteindre ta main et utiliser mon pouvoir de loin pour brûler ta peau en écrivant en même temps. T'imagines pas le temps et les efforts que j'ai dû faire. Tu m'as donné mal à la tête, petite Heaven.
Je souris en coin, impressionnée. Il a donc la capacité de faire une cartographie par vision des zones de chaleur. Le feu n'a donc vraiment plus aucun secret pour lui.
— Comment vous avez tous réussi à vous libérer ? les questionné-je. J'avais tellement peur que vous restiez enfermés...
— Moi, j'étais utile, alors ça n'a pas été trop compliqué, déclare Molly. Et Thaniel...
— J'ai dû prouver ma loyauté à Jorah, continue-t-il. Donc j'ai fait du cinéma, j'ai menti, j'ai même un peu pleuré, et je lui ai juré mon allégeance.
— Alors tu as changé de camp ? hésité-je.
Thaniel ne répond pas tout de suite, et se contente de soutenir mon regard pendant un instant.
— Est-ce qu'il y a vraiment un camp, Heaven ?
Je serre les dents. J'ai tout de suite compris ce qu'il a voulu dire. En effet, même moi, j'ai tendance à me demander de quel côté je suis. Il n'y a plus de camp, il a raison. Il y a simplement le monde, et Jorah. Et malheureusement, ça veut dire que je ne peux pas être contre les Bannis, du moins pas totalement. Et c'est bien ce qu'il y a de plus compliqué.
Je ne réponds pas et acquiesce sous le regard insistant de mon petit-ami. Je ne lève pas les yeux vers lui et me contente de serrer un peu plus fort sa main.
— Bon, il faut qu'on se dépêche, intervient alors Molly. Tu te sens en état de courir ?
J'inspire longuement en reportant mon attention sur elle. Et au lieu de répondre, je me détache de Jake et pivote avant de pousser sur mes jambes pour filer entre les arbres. Ignorant mes membres endoloris, j'apprécie de retrouver mon énergie et de sentir l'air frapper mon visage. Je puise dans toute la détermination qui monte en moi à cet instant, et continue mon chemin avec vivacité, sentant que les autres me suivent. Je ne pense plus à rien, à part l'exécution de notre plan, animée par mon objectif et par tout l'espoir qui ressurgit en moi. J'y crois, plus que jamais, j'y crois enfin. Je crois que nous allons réussir, et que nous irons bien. Je crois que je m'en suis sortie, que mon calvaire va bientôt toucher à sa fin. C'est terminé, je ne serai plus la victime, je le comprends à chaque nouveau pas qui me rapproche de mon objectif. Et je sais que nous sommes proches, qu'on y arrivera bientôt.
Alors, peu à peu, nous ralentissons et je reconnais l'orée familière de la forêt. Et au loin, je la vois. Je vois la ville, je vois le château, je vois la clairière et les maisons.
Érédia.
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Voilà pour le chapitre 20 ! J'espère qu'il vous a plu !
JOYEUX NOËL !!! J'espère que vous passez tous de bonnes fêtes !
J'ai voulu vous faire ce petit cadeau, avec un gros chapitre qui je l'espère a été à la hauteur de vos attentes ! Normalement, il y a tout ce que vous aimez ;)
Aussi, je ne vous demande jamais ça mais une amie à moi écrit des histoires vraaaaiment géniales dont une qui vient de commencer, c'est Gagou29 et franchement ça vaut le détour ! Allez lire, ça lui fera trop plaisir et je suis super impliquée dans ses histoires ! Ça sera le cadeau de noël que vous m'offrirez ! (promis ça vous plaira, y'a de l'action de l'amour et de la magie)
Je ne sais pas si vous avez fait attention, mais j'ai aussi changé la couverture (j'en avais marre de la couverture de substitution là), elle ne change pas beaucoup mais elle correspond bien plus à ce tome 2 ;) Dites moi si elle vous plaît !
Pour ceux qui lisent Alive, je poste ce soir un chapitre :) Oui, pour noël je veux vous faire plaisir !
Bonnes fêtes, et à bientôt pour la suite, bisouus ♥
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