Vingt-deuxième Chapitre.
[Mardi 25 Octobre. Heaven, Thaniel, Molly et Jake sont revenus à Erédia et ont retrouvé Joyce et Zac, qui n'était donc pas mort. Ils se sont ensuite installés pour expliquer ce qu'il s'est passé chez les Bannis.]
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Le regard de Zac s'accroche fermement au mien, et je suis obligée de fermer les yeux pendant une seconde pour me fermer à toute émotion parasite. Puis, je me lance. Je raconte tout, de mon réveil chez les Bannis à comment j'en suis sortie. Sachant que nous n'avons pas beaucoup de temps, j'omets certains détails - comme la torture que Jake et moi avons subie. J'explique la place de Jorah, ses plans, l'entraînement qu'il m'a fait endurer et les personnes que j'y ai rencontrées. Je présente Kali et Derek, ainsi que toute l'organisation qui s'est mise en place dans ce camp depuis des années. Aidée par Molly, Thaniel et Jake, tous les impératifs sont évoqués, et la situation est décrite dans ce qu'elle a de plus urgent. En évoquant la puissance qu'il m'a été permis d'atteindre, je me vois recevoir des regards brillants, masquant difficilement une appréhension omniprésente.
Chacun de ces dix jours est passé en revue, et ils me paraissent soudain si loin de moi que j'ai l'impression qu'ils sont irréels. En mettant des mots sur ce qu'il s'est passé, je me sens envahie d'un flot de sentiments mêlés, et peine à repousser le mal de ventre qui me déchire les entrailles alors que je suis obligée de ressasser toutes les secondes que j'y ai vécu, tous les instants de mon calvaire. Décrire les événements alors que je n'ai pu que les vivre jusqu'à présent me force à les extérioriser et à les mettre à distance. En les racontant, je me rends compte d'absolument tout. J'aurais pu mourir de chagrin et de douleur des dizaines de fois, et j'ai pourtant survécu.
Là-bas, je crois que j'ai plus changé que je ne voudrais me l'avouer, et malheureusement, je n'ai même pas eu le temps de le voir, et je ne sais pas à quel point. Je serai donc obligée de le découvrir dans des conditions qui risquent de me détruire encore plus...
Puis, vient le sujet de Thaniel, qu'il décide de lui même amener. Là, la conversation prend le tournant que je redoutais, et les insultes fusent rapidement. Nous finissons tous par nous lever en criant sans raison, nous jetant des propos impulsifs. Joyce se remonte brutalement contre lui, puis contre moi de l'avoir accepté, et Zac est profondément heurté par la trahison que l'elfe a commise en pleine conscience. Mais après de longues minutes de lutte, la tension retombe. Thaniel repousse avec difficulté les larmes qui perlent à ses yeux quand il s'excuse du plus profond de son être, et qu'il livre tout ce qu'il a pu ressentir depuis qu'il s'est rendu compte de ses erreurs. Je le fixe en serrant les mains, frissonnante d'angoisse. Il a lui même vécu un calvaire de solitude sans nom, et il ne se remettra sûrement jamais de la culpabilité qui le broie.
Alors, un silence s'installe doucement dans la pièce, et nous enveloppe dans une atmosphère douloureuse. Je déglutis, osant à peine lever les yeux vers mes amis.
Joyce pousse alors un soupir étranglé et enfouit son visage dans ses mains. Zac, lui, ferme les yeux en se massant les tempes. Ils sont tous les deux dépassés, complètement désemparés, et je les comprends. Trop de choses se bousculent, ils viennent à peine de prendre conscience avec trop de brutalité de l'ampleur de tout cela. Et ils ont aussi compris le rôle que j'y jouais, ce qui n'arrange pas les choses.
— Je n'ai pas parlé d'un truc, hésité-je alors. Je... je pensais qu'il fallait que je le dise en dernier.
Tous les regards se posent sur moi, et je lève les yeux vers celui de Zac. Le bleu intense s'en dégageant me transperce, et je m'efforce de calmer ma tension face à lui.
— J'ai fait un pacte de sang avec Jorah.
La bombe que je lâche a l'effet que j'imaginais, et des yeux écarquillés m'encerclent rapidement. Tous étouffent leur surprise, alors que Zac inspire longuement en s'enfonçant dans son fauteuil. Je sens Jake se raidir à côté de moi et il cherche à capter mon regard. Je l'évite avec soin, ayant trop peur de ce que je pourrais lire dans ses yeux.
— Quelle sorte ? demande mon mentor.
— Il y a plusieurs sortes de pactes de sang ? s'étonne Joyce.
— Oui, répond Zac sans me quitter des yeux. Celui de fidélité, de soumission, d'aveuglement, celui d'union...
— Ils font quoi ? osé-je demander.
Zac met du temps à répondre, accroissant la panique régnant en moi.
— L'un t'obligerait à lui être toujours fidèle, l'autre à lui obéir, l'autre te fait penser ce qu'il veut que tu penses. Et le dernier... unie ta vie à la sienne.
— Comment ça ? m'horrifié-je.
— Décris moi précisément le pacte, Heaven, me coupe-t-il alors d'un air sévère.
Je secoue lentement la tête, le cœur battant. Puis, je m'exécute. M'appliquant à me rappeler de chaque détail et de le retranscrire le plus fidèlement possible, je m'oblige à ressentir de nouveau toutes les sensations affreuses qui m'avaient alors submergée, toutes les étincelles qui avaient explosé en moi alors que je ne pouvais décrocher mon regard de celui de Jorah.
Quand je termine mon récit, Zac soupire de nouveau et pose ses coudes sur ses genoux en fixant un point invisible sur la table basse.
— Ça ressemble au pacte de fidélité, mais aussi un peu à celui de soumission, finit-il par déclarer.
— Et pas à celui d'union ? s'étonne malgré elle Joyce.
— Non, je n'ai pas l'impression... Vous auriez dû boire dans la coupe sinon. Il n'a sûrement pas voulu prendre le risque de lier sa vie à la tienne, va savoir pourquoi...
— Donc je pourrai le tuer ? m'assuré-je.
Je sens tout de suite le regard que mes amis posent sur moi, et en particulier Jake. Il ne connaissait pas tous les détails de mon propre plan, et il vient sûrement de réaliser que j'étais déterminée à assassiner quelqu'un. Et pas n'importe qui. À cet instant, une de nos conversations qui me paraît très lointaine me revient en tête. Lorsque nous avions appris que Jorah était toujours en vie, Jake avait juré de le tuer. Je n'avais pas répondu, mais ressentais la même envie. Il vient donc de se rendre compte que moi aussi, je suis capable de faire ressortir mes forces les plus sombres pour mettre fin au règne de cet homme.
Un rictus se dessine sur les lèvres de Zac, et il passe la main sur son visage.
— Tu pourrais, en principe, répond-il. Mais s'il a vraiment réussi à faire cette sorte de mélange de fidélité et de soumission, je doute qu'il t'en laisse l'occasion.
— Attends, donc le pacte est impossible à briser ? fait Jake.
Zac hausse légèrement les épaules.
— C'est de la magie noire, donc bien plus dure à maîtriser, et d'autant plus dure à contourner. S'il a fait ce pacte, c'est dans un but bien précis. Et si tu veux vraiment le tuer, ajoute Zac en se tournant vers moi, ou en tout cas te retourner contre lui, j'ai peur que ça soit compromis.
Je me sens parcourue d'un tremblement irrépressible, et masque comme je le peux la fatalité qui s'abat sur moi. Je ne peux pas envisager réellement que ce pacte contrecarrera mes plans. J'y ai pensé, car je me suis bien rendue compte du lien qui m'unissait à présent à Jorah et de la complexité que cela allait ajouter à toute la situation. Mais je ne pourrai pas accepter d'être coupée dans un tel élan.
Un lourd silence s'installe entre nous tous, et je ravale difficilement ma salive. Je sens mes tempes battre douloureusement. Mon cœur pourrait jaillir de ma poitrine tant il bat vite à cet instant. Mais malheureusement, nous n'avons pas le temps de nous attarder sur cela. Car avant de songer à la vie de Jorah, il nous faut songer à celle de tous les habitants d'Érédia.
— On doit se dépêcher d'aller voir le roi, déclare avant moi Joyce. Si la guerre est censée arriver aujourd'hui, vous les avez ralentis, mais sûrement pas découragés.
— D'autant plus qu'avec ce pacte de sang, tu peux peut-être être manipulée, ajoute Zac.
Je fronce les sourcils et déglutis, puis secoue la tête en me relevant brutalement. Bientôt suivie par les autres, je rejoins le couloir. Mais en arrivant à la porte d'entrée, je suis interrompue par Joyce.
— Allez prendre une douche avant.
Nous la regardons tous avec de gros yeux.
— Tu crois qu'on a le temps pour ça ? ronchonne Jake.
— Les gardes ne vous laisseront jamais rentrer dans cet état, sévit Joyce en fusillant son meilleur ami du regard. Et je pense que vous avez besoin de vous nettoyer de tout ce qu'il s'est passé.
Elle ponctue ses mots d'un geste de la main parcourant tout mon corps, et j'hésite un instant avant d'opiner. Puis, sans me faire prier, je me dépêche de gagner les escaliers et courir dans la salle de bains. Ignorant toutes les émotions qui surgissent en moi en parcourant ces pièces que je connais tant, je me déshabille et me retrouve face au grand miroir que j'ai tant de fois fixé. La poussière creuse mon visage livide, et mes yeux d'un noir plus éteint que jamais me paraissent de deux trous vides. Je passe des doigts tremblants sur mes joues, ayant presque du mal à me reconnaître. La dernière fois que je me suis regardée dans ce miroir, je pensais avoir l'air triste. Je n'avais apparemment encore rien vu.
Mes yeux se posent sur mes poignets meurtris encore rouges, et je les masse en soupirant. Ne plus ressentir le contact oppressant de ces satanés menottes est encore plus satisfaisant que j'imaginais.
Quand j'entre sous la douche et que l'eau brûlante commence à couler sur mon corps, je ferme instinctivement les yeux. L'eau me paraît nettoyer tous mes actes et toutes mes cicatrices en même temps qu'elle nettoie la saleté imprégnant ma peau. Je sens ma chair brûler et se purifier, éloignant mon esprit de tout ce qui s'y était ancré. Je prends des grandes respirations, voulant puiser dans la couette sérénité que cette douche m'offre. Pendant un instant, je me lave de tout. J'oublie tout.
En retournant dans ma chambre, j'ai la surprise de trouver Joyce à la fenêtre. J'entrouvre les lèvres, serrant fermement ma serviette pour qu'elle ne tombe pas alors que mon amie m'accueille avec un large sourire. Je frissonne d'émotion, retrouvant enfin ma chambre, mon confort, toute cette routine quotidienne qui me manquait tant.
— Habille toi, je regarde pas ! lance Joyce en tournant les yeux vers l'extérieur.
Rapidement, je m'exécute, et enfile mes habits. Une étrange sensation de soulagement se répand alors en moi. Rien que porter mes propres vêtements me rassure, me donne l'impression de redevenir peu à peu moi-même. Un élan de nostalgie s'empare alors de moi, et je suis obligée de serrer la mâchoire pour contrôler les tremblements émus de ma gorge. D'un pas lent, je rejoins Joyce au rebord de la fenêtre. Nous avons un peu de temps avant que nos amis ne finissent de se laver.
Sans un mot, je pose les yeux sur les rues que je devine d'ici. J'ai tant de fois regardé Érédia par cette fenêtre, tant de fois songé que ce paysage me manquerait si je venais à le quitter. Aujourd'hui, ces pensées se confirment, et observer les maisons et les allées de la ville me procure un sentiment impossible à décrire. Mon cœur se serre quand je note l'atmosphère lugubre que je n'aurais jamais imaginé sur Érédia. Cette couleur noire, je veux l'effacer de la ville, je veux l'effacer des esprits. Je ne veux pas que tout soit détruit et disparaisse. Si tout ce que je connais ici, si tout ce qui me fait me sentir chez moi s'en va en poussières, il ne me restera plus rien à espérer. Maintenant que je suis là, mon objectif se cristallise, et je visualise exactement les risques.
Un soupir discret s'échappe de mes lèvres, je tourne la tête vers Joyce qui me regarde à son tour. Pendant un court instant, aucune de nous ne parle, et nous nous contentons de puiser dans les yeux de l'autre, comme si ce silence confortable était tout ce dont nous avions besoin en ce moment. La simple présence de l'autre, sans artifice, sans rien pour nous détourner de l'instant.
— J'ai du mal à réaliser que je suis là, avoué-je doucement.
— Pareil...
Nous gardons nos yeux arrimés, et le temps d'une seconde, j'ai l'impression d'être hypnotisée comme je l'ai été lors de notre première rencontre. Fascinée par la vie des flammes de ses iris, accrochée par l'aura s'en dégageant. Je reconnaîtrais entre mille la vivacité de ce regard, et je n'aurais jamais pensé y être aussi attachée. Dans ce café il y a deux mois, quand je me suis rendue compte qu'elle n'était pas comme les autres, c'est la première chose que j'avais remarquée. Aujourd'hui, c'est comme si mon esprit me susurrait « Tu vois, je te l'avais dit, elle sera plus importante que tu le penses. » Je le ressentais au fond de moi, et cela se certifie à cet instant, alors que je suis réunie avec elle.
— C'était comment, ici ? osé-je finalement demander.
Joyce soupire du nez.
— Compliqué. Je devais m'occuper de Zac, et même s'il ne sait pas à quel point, j'avais vraiment peur qu'il meure. Au début, il ne pouvait plus du tout bouger, il... (Elle pince l'arête de son nez, puis reprend :) Je voyais les autres pour me changer les idées, mais cette ambiance de deuil omniprésente... J'avais l'impression de ne plus pouvoir respirer, tu vois ?
Voyant parfaitement, je hoche la tête. Suffoquer. Suffoquer jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à ce que ce soit si insupportable qu'on préférerait presque mourir.
— J'avais besoin de vous, de vous revoir pour m'éloigner de tout ça, continue la Kistune. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de penser au pire, et imaginer que vous étiez morts me faisait encore plus mal. J'étais enfermée dans un cercle vicieux d'attente et d'angoisse. Tu comprends, non ?
J'acquiesce avec tristesse. Je me rends compte à mon tour qu'elle a ressenti cette même panique intérieure et impossible à extérioriser, la sensation que tout autour t'oppresse et veut t'achever. Ne plus pouvoir réfléchir, agir, te sentir bloquée parce que tout te paraît pire que le reste. Elle l'a ressenti, elle aussi, et peut-être d'une façon encore plus affreuse. Elle ne savait rien, elle n'avait rien à quoi s'accrocher, rien à faire à part attendre. J'imagine à peine le vide qu'elle a eu en elle pendant ces dix interminables jours.
Sans lui répondre, je l'enlace dans mes bras, et lui frotte chaleureusement le dos. Je dois lui montrer que je suis là, qu'elle n'a plus à s'inquiéter car nous sommes tous réunis. Nous avons toutes deux retrouvé la force qu'il nous fallait pour continuer à nous battre, et nous n'avons même pas besoin de le dire. À son tour, elle me serre contre elle, et je la sens vouloir exprimer dans son étreinte toute sa propre volonté de me rassurer. Nous sommes là, chacune l'une pour l'autre. Voilà ce que nous nous disons, voilà ce nous était indispensable.
Je m'écarte enfin d'elle, les larmes aux yeux, et reporte mon attention sur le paysage extérieur, toujours aussi calme. Le soleil commence à être haut dans le ciel, je sais qu'il va nous falloir compter les minutes.
— J'ai vu ton esprit renard quand Zac a été poignardé, annoncé-je en un souffle.
— Ah, je t'avais dit que tu le verrais peut-être ! rit légèrement mon amie.
Je lui coule un regard éloquent en esquissant un sourire.
— C'était comment ? l'interrogé-je.
Elle hausse les épaules alors que ses sourcils s'arquent machinalement.
— Impossible à expliquer. Je n'avais jamais vécu ça aussi intensément... C'était automatique, comme si je ne réfléchissais plus et que je laissais toutes mes forces les plus enfouies se déchaîner. Je ne me suis jamais sentie aussi puissante, mais en même temps, je n'ai jamais eu aussi peur de moi-même.
— Je comprends...
Elle sourit en poussant un long soupir.
— Je ne sais pas si j'ai envie que ça se reproduise, honnêtement. On verra, mais je préfère avoir le contrôle. L'esprit renard peut rester blotti, ça ne me dérangera pas.
Je laisse échapper un petit rire, et cette douce seconde de légèreté me procure un bien inexplicable.
— Je n'avais jamais tué personne, tu sais, lâche-t-elle soudain.
Ma respiration se coupe un bref instant, et je me retourne vers elle en secouant la tête.
— Moi non plus. On aura vécu notre première fois ensemble, ajouté-je avec un sourire hésitant.
Elle ébauche un sourire consterné, et ferme les yeux. Je pose les coudes sur le rebord de la fenêtre en songeant à cette bataille. Pour tuer ces Bannis, j'ai dû fermer mon esprit à toute émotion parasite, devenir une machine prête à tout pour sauver les siens. Je ne me reconnaissais plus. Mais à présent, est-ce toujours le cas ?
Je pose les yeux sur mon amie. Sur son visage aussi se marque le dur combat qu'elle a mené, les vies qu'elle a dû enlever. La souffrance se lie sur ses traits, comme une cicatrice.
— Tu as l'air différente, avoué-je difficilement.
Joyce ne répond pas tout de suite, et hausse lentement les épaules avec une moue fatiguée. Elle le sait. Elle sait ce qui se lie dans son regard, ce qui se dégage d'elle.
— Toi aussi, fait-elle.
Je hoche la tête, sachant qu'il ne sert à rien de nier ce qui se voit partout en moi. Elle est marquée à vie, comme je le suis.
— Tu ne nous as pas tout dit, pas vrai ? lâche soudain Joyce.
Je la considère d'un air interdit pendant un bref instant avant de comprendre ce à quoi elle fait allusion. En racontant le séjour chez les Bannis, j'ai voulu me concentrer sur l'aspect impératif de ce que j'y ai vécu. Alors, j'ai omis ce que Jorah avait fait subir à Jake et moi.
— Oui, avoué-je. Je t'en parlerai, mais... pas tout de suite. C'est un peu compliqué.
Elle acquiesce faiblement, sans me quitter des yeux. Je vois ses lèvres trembler sous la question qui les brûle, et l'émotion émaner de la façon dont elle crispe tout son corps.
— Est-ce qu'il t'a...
Ne comprenant d'abord pas, je fronce les sourcils. Puis, je me rends compte de ce qu'elle sous entend et plaque ma main sur ma bouche en secouant vivement la tête.
— Oh, non, Joyce ! Non, il ne m'a pas touchée, pas comme ça.
Elle lâche un bruyant soupir de soulagement en passant la main sur son front avant de la poser sur son cœur.
— J'ai eu peur, je te jure, dit-elle d'une voix étranglée.
Tremblotante, je pose les mains sur ses épaules, me voulant rassurante. Elle a dû être terrifiée par cette idée, je peux le comprendre.
— Non, ne t'inquiète pas, il ne m'aurait jamais fait ça, promis, affirmé-je.
Après une courte pause, j'accroche son regard et souffle en frissonnant.
— Il m'a fait du mal, c'est vrai. Mais pas comme ça. Je t'expliquerai tout. Là, je ne peux pas, c'est trop long, d'accord ?
Elle me fixe sans répondre pendant une seconde. Puis, elle opine. Elle m'adresse un sourire lourd de sens. Je lui dirai tout. Elle apprendra à son tour les raisons de la disparition de Jake, et ce qu'il s'est passé. Mais elle a déjà assez souffert, je ne veux pas lui infliger un nouveau poids. Quand tout sera réglé. Oui. Quand tout sera fini.
* * *
— Tu es sûre que ça va ? s'enquiert Jake.
— Mais oui, je te dis, insisté-je.
Il me lance un regard qui en dit long, et je détache ma main de la sienne en baissant les yeux. Je ne veux pas qu'il perçoive ma fragilité actuelle, nous n'avons pas le temps de nous y attarder.
Après avoir tous pris une courte douche, nous sommes partis en direction du château sans plus attendre. Nous parcourons à présent les rues qui commencent à se remplir. Nous y croisons quelques habitants, et je ne peux que remarquer la lueur commune qui anime chaque regard. Cette étincelle de douleur qui n'existait pas dans leurs yeux y a à présent trouvé place, s'unissant au voile noir peignant les rues.
— Les gens sont prêts à se battre ? hésité-je à demander.
Menant le groupe, Zac fait crisser les roues de son fauteuil et tourne la tête vers moi.
— Non, j'en doute. Depuis dix jours, la seule préoccupation a été la réparation de la ville et la prise en charge des blessés. Et des morts...
Je déglutis, n'arrivant plus à soutenir son regard. Je me doute parfaitement qu'ils ne pensent pas devoir se retrouver à nouveau dans un combat si dévastateur. C'est pourquoi il est impératif de l'empêcher avant qu'il n'arrive, car les dégâts seront bien plus grands. Si Jorah parvient à la ville, nous sommes condamnés.
— Heaven... lance Joyce.
Je l'interroge du regard et elle se racle la gorge.
— J'ai demandé à Tyssia si on pouvait briser un pacte de sang, parce que Zac conseillait l'avis d'un sorcier.
Mon cœur fait un bond. Elle doit voir la panique dans mes yeux, puisqu'elle m'adresse un bref sourire se voulant chaleureux. Je serre les poings, tendue à l'extrême, alors qu'elle se raidit un peu.
— Le pacte ne se brise qu'à la mort d'une des deux personnes.
J'ai l'impression qu'un violent marteau s'abat sur mon crâne, et ma respiration se coupe instantanément. Mes autres amis entendent, et se paralysent à leur tour. Je suis parcourue d'un million de frissons, emplie par la haine et la déception. Je baisse les yeux, évitant soigneusement la main que Jake tente de poser sur mon épaule.
— Sauf que je ne pourrai sûrement pas le tuer, sifflé-je entre mes dents.
— Donc... commence Joyce.
— Donc soit quelqu'un d'autre tue Jorah, soit... Heaven meurt, finit Zac.
Je tremble malgré moi, et suis obligée d'enfoncer mes ongles dans mes paumes pour ne pas faire de geste brusque, vrillée par la rage qui m'emplit. En plus de détruire ma vie, Jorah vient de m'enlever la possibilité de lui ôter la sienne.
— Tant qu'il meurt, c'est l'essentiel, non ? hésite Thaniel.
Je secoue vivement la tête, sentant mes oreilles bourdonner. Je reste silencieuse, incapable de desserrer les dents, la mâchoire si crispée que j'en ai mal.
Personne ne répond, voyant mon air trop tendu. Je pousse un profond soupir étranglé. N'arrivant pas à parler, je me contente donc de reprendre ma marche, ignorant tant bien que mal les regards de mes amis. Les autres suivent le pas et nous accélérons dans les rues menant jusqu'au château. Au bout d'un moment de silence, je sens la main de Jake empoigner mon avant bras pour me tirer en arrière. Alors que je me retourne en un sursaut vers lui, il fait signe aux autres de poursuivre leur route. Je me retrouve donc nez à nez avec lui, qui me fixe d'un regard intense. Je tremblote, sentant tout de suite mes forces me quitter. Voilà pourquoi je crains tant nos regards. Parce qu'il en suffit d'un seul de sa part pour qu'il me fasse tout perdre.
— Ne te renferme pas, Heaven, souffle-t-il.
Ses yeux brillent, et il pose alors ses doigts sur les côtés de mon cou. Au contact de sa peau, je sens mes lèvres trembler. Je n'arrive plus à quitter son regard, et me sens foudroyée par les éclairs dorés qui s'y dessinent.
— On n'a pas le temps, réponds-je d'une petite voix.
Il intensifie la pression de ses doigts, comme pour marquer encore plus sa présence. Mes jambes flageolent. Je suis prête à m'effondrer dans ses bras.
— Si, finit-il par déclarer. Tu as le droit de dire comment tu te sens. Et tu ne vas pas bien. On ne va pas bien. Tu as le droit de l'accepter. Tu n'es plus seule, tu sais ?
Ses derniers mots finissent de m'affaiblir, et je me laisse tomber contre son torse en étouffant ma voix. Surpris par ma brutale perte de contrôle, il sursaute, puis pose sa main derrière ma nuque pour me rassurer. Son menton sur le haut de mon crâne, il caresse la base de mes cheveux et me fait frissonner. Je me blottis contre lui, m'enivrant du réconfort indicible qu'il me donne. Sans un mot, sans un baiser, il me réchauffe, et me montre qu'il est là. Il a raison, je ne suis plus seule. Je l'ai été, pendant trop longtemps, et maintenant j'agis comme tel. Par peur, je me ferme, je rejette ce qui me fait mal, je ne veux pas les inquiéter plus qu'ils ne le sont déjà. Mais Jake me ramène à la réalité, parce qu'il sait ce dont j'ai besoin.
Mon cœur se serre quand j'entends le sien battre avec frénésie. J'ai pensé ne plus jamais entendre ces battements, ne plus jamais toucher sa peau brûlante. J'ai pensé rester seule pour le restant de ma vie, et j'en ai été brisée. Mais maintenant, il est là, ils sont tous là, et je peux enfin respirer.
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Voilà pour le chapitre 22 ! J'espère qu'il vous a plu !
Une semaine directe après, je voulais me faire pardonner ;) J'espère que vous appréciez de revoir tous nos petits personnages chouchou, en tout cas !
Dites moi ce que vous en avez pensé ! Selon vous, comment ça va se passer par rapport au pacte de sang ?
À bientôt pour la suite, bisouus ♥
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