Trente-troisième Chapitre.

[Dans les limbes, après de maints et maints essais, Heaven n'a pas réussi à revenir à la vie. Elle a donc suivi les conseils de sa mère pour se libérer de sa peur de ce qui l'attend à son retour : revivre dans son esprit tous les moments de sa vie à Erédia. Heaven a alors compris qu'elle n'avait pas besoin de plus tant elle avait été heureuse, qu'elle devait simplement revenir, sans s'attendre à quoi que ce soit.]

_ _ _ _ _

J'ouvre les yeux en silence. Ma vue met du temps à se rétablir, comme si je sortais d'un sommeil éternel.

Je n'ai pas bougé. Et j'ai pourtant revécu toute mon existence. J'ai voyagé dans mes souvenirs, ai navigué dans des songes que je pensais éteints pour toujours.

Lentement, je passe mes mains froides sur mon visage. Je déglutis et prends une profonde inspiration. Je n'arrive pas à reprendre mes esprits. J'étais bien, dans mon propre esprit, bercée par la chaleur de ma vie d'avant.

Mais il me faut bien retrouver le froid des limbes. Parce que c'est là que je suis, pour l'instant.

— Ça va ?

La voix de ma mère est d'abord lointaine, mais quand elle le répète, je peux l'entendre clairement. Ma vue se rétablit, mon cœur regagne un battement normal, mes épaules s'affaissent. Je tourne la tête vers elle et acquiesce brièvement.

—  Tu avais raison, dis-je alors d'une petite voix.

Elle esquisse un doux sourire, posant sur moi des yeux emplis de compassion.

— Ce que j'ai vu... soufflé-je.

L'inspiration étranglée que je prends ensuite fait remonter d'infinies émotions dans ma gorge, et je sens ma poitrine se contracter.

— Ils m'ont tout donné, déclaré-je finalement. Ils m'ont tout donné. Tu avais raison. Je n'ai pas besoin de plus.

Son sourire s'éteint peu à peu, laissant sur son visage une expression d'une profonde tristesse. Elle ne dit pas un mot, mais se penche vers moi pour glisser ses bras autour de moi avec chaleur. Je me laisse étreindre sans bouger, frémissant d'un sentiment que je déteste. Je me sens vide.

— Tu penses qu'ils m'attendent, là en ce moment ? Et qu'ils ne m'attendront peut-être plus dans une minute ?

Ma voix est à peine audible, tremblante, brisée.

— Je suis sûre qu'ils pensent à toi à cet instant, peu importe où ils sont. Et même s'ils ne t'attendent plus, ils ne t'ont jamais oubliée.

Une larme coule silencieusement sur ma joue, s'écrasant dans mon cou. Je serre les paupières en même temps que les poings, repoussant tant bien que mal les affreuses contractions de mon cœur.

Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale et je m'écarte de ma mère. Les poumons gonflés d'air, j'expire pour évacuer mes dernières angoisses.

— J'ai eu de la chance d'avoir la vie que j'ai eue, même si elle n'a pas duré longtemps. Hein ? demandé-je comme si j'attendais qu'on m'aide à me convaincre.

— Oui, répond Teresa d'une voix à la fois assurée et hésitante.

Sans doute a-t-elle du mal à voir sa fille abandonner tout ce qui la rend heureuse.

— Et je leur ai toujours promis de revenir. J'ai dit que je ne les laisserai pas tomber, je ne peux pas rester ici juste parce que j'ai peur de ne pas les revoir.

Ma mère acquiesce, sans un mot. Elle sait que je me dis tout ça à moi-même plutôt qu'à elle, que je me répète ces paroles déterminées pour forcer mon âme à suivre ma tête. J'ai conscience de mon dilemme, mais je sais aussi que je ne dois, cette fois, pas écouter ce que mon cœur m'implore.

— Si je ne les revois pas, je pourrai au moins me dire que j'aurais honoré leur mémoire une dernière fois. Je ne dois pas être égoïste. Je ne fais pas ça pour moi.

Je n'étais pas censée me poser toutes ces questions. Je devais venir ici, trouver ma mère, et revenir. Je ne devais pas passer une éternité à remettre en cause toute mon existence, et l'avoir fait me confirme que je n'étais pas prête. Je pensais m'être sacrifiée pour le bien de tous, pour sauver mes alliés et ma mère. Mais je ne me suis pas vraiment sacrifiée. Je n'ai pas abandonné. Ou plutôt, je n'ai pas abandonné les bonnes choses. J'ai abandonné la victoire immédiate, la certitude, l'espoir à un moment précis. Mais je n'ai pas abandonné ma vie entière. J'en étais incapable. Je ne pense plus l'être, à présent. Parce que peu importe comment sera ma vie une fois revenue, elle ne sera plus jamais la même qu'avant. J'aurai une mère. Cet unique point signe le départ d'une nouvelle étape. Alors pourquoi regretter ce qui n'existera plus jamais ?

Je prends la main de ma mère, et la fixe longuement avant de me tourner vers la maison de Zac. Et, ainsi, je contemple la vie qui y résidait. J'imagine l'air caresser mon visage, la chaleur de leurs étreintes, la sensation des lèvres de Jake. Je me replonge, une dernière fois, dans mes souvenirs, dans tout ce qui me donne la force d'agir à cet instant. Et pendant ces quelques secondes, je me sens bien. Sereine.

Puis, je ferme les yeux. De mon autre main, j'agrippe mon pendentif et celui de Molly, je frôle la magie qui n'attend que de ressurgir. Silencieusement, je souffle, et j'attends. J'attends le frémissement dans mes membres, la vibration dans mon ventre, le picotement dans mon crâne. Résignée, je me force à ne plus penser à rien. Je ne vois rien d'autre que le vide en moi, et j'y cherche la lumière de la magie. Je ne pense plus à ce que je retrouverai, à ce que je verrai en ouvrant les yeux. Je ne veux pas réfléchir, et je veux garder mes souvenirs dans un coin protégé de mon cœur, pour qu'ils ne soient pas brisés. Je refuse que la dernière chose à laquelle je songe soit ce que je pourrai perdre. Non, je ne veux garder en moi que ce que j'ai gagné. Ce que j'ai eu la chance d'avoir. Ce qu'ils m'ont donné. Et la certitude de ne rien regretter en fait partie.

Je sens dans la main de Teresa battre son pouls affolé, ainsi qu'une chaleur inhabituelle. Ça y est, je sens la magie circuler en elle. Bientôt, elle s'unira à la mienne. Nous n'avions jamais atteint cette étape auparavant, et cette simple lueur d'espoir provoque en moi un élan d'adrénaline si puissant que ma tête se met à tourner. Je me sens frissonner de tout mon long, parcourue de décharges électriques. Mes muscles se contractent, ma poitrine se serre. Je reconnais ces sensations. Le sang qui bout dans mes veines me paraît laisser des traînées brûlantes sous ma peau, et mon crâne s'alourdit sous la pression qui s'y impose. Je suis peu à peu envahie de la magie qui ranime mon corps, j'en suis maintenant persuadée.

Mais il manque quelque chose. Le flot d'émotions qui m'envahit normalement à la seconde où le picotement survient dans mes extrémités... reste silencieux. Je ne ressens toujours que le vide, et ce malgré toute la puissance qui revient à la surface. Je me sens bloquée, encore une fois, mais différemment.

Alors j'ouvre les yeux. Je m'attendais à ce que la magie s'éteigne, mais elle continue de rugir en moi. Et c'est bon signe.

Je me tourne vers ma mère, dont les yeux brillent de la même manière que les miens. Et brutalement, elle lâche ma main avec un bref mouvement de recul. Je ne comprends pas tout de suite, mais je saisis vite son trouble. Elle voit dans la couleur de mes yeux celui qui a maudit notre existence. Elle reconnaît Jorah dans mon regard.

Tremblotante, elle glisse à nouveau ses doigts entre les miens, et s'efforce de ne pas me quitter des yeux. J'admire son effort, et même si voir une telle expression sur son visage me fend le cœur, je ne tressaille pas.

— Il manque quelque chose, annoncé-je alors doucement. Mais ce n'est pas comme d'habitude.

Teresa fronce les sourcils, ne trouvant quoi répondre.

— Je n'ai plus peur de ne pas les revoir. Vraiment, je suis prête. Mais...

Mon cœur bondit dans ma poitrine. Et soudain, en sentant l'habituelle sensation de mon pendentif me brûlant la peau, j'ai une idée.

Je détache mon collier, et fait tomber délicatement la fiole de Molly dans ma paume. Observant ses larmes brillantes, je me sens foudroyée d'une émotion difficilement répressible.

— C'est de ça dont j'ai besoin, affirmé-je en rattachant mon collier à mon cou. C'est ça qui fait le lien avec le réel.

Ma mère entrouvre les lèvres pour m'interroger, mais je ne lui en laisse pas le temps.

— C'est un poison, mais aussi un puissant remède. Pour les Sylphes, c'est nocif, mais je ne le suis qu'en partie. Et je ne suis pas dans la vraie vie. Peut-être qu'en en buvant une goutte, je me relierai avec mon corps. Peut-être qu'en m'empoisonnant ici...

— Tu reviendrais à la vie là-bas, finit Teresa.

Je hoche vivement la tête, parcourue de millions de frissons. L'espoir renaît. Je ne sais pas pourquoi je suis aussi sûre que ça va marcher. Mais je sens, au plus profond de moi, que c'est la solution. La vraie fiole est à Érédia. Ce qui tuera Jorah est à Érédia. Ce que j'ai dans la main, c'est mon échappatoire.

— On doit essayer.

— Je te fais confiance, déclare ma mère. Vas-y.

Alors, sans plus attendre, je débouche le flacon, laissant s'en échapper un bruit cristallin. Puis, avec délicatesse, je laisse couler une goutte étincelante sur le bout de ma langue. Après hésitation, je laisse Teresa m'imiter. Peut-être que lui insuffler un peu de réel l'aidera aussi.

Et je referme la fiole, avant de la mettre dans ma poche.

Ma main va vite rejoindre celle de ma mère, et nos yeux se ferment au même instant.

Il ne me faut pas plus d'une seconde pour ressentir cet ouragan en moi, emplissant le vide qui me terrassait. La magie courant dans mes veines, brûlant mes yeux, s'unit à la lumière des larmes de Molly. Je ne sais pas si c'est réellement leur pouvoir qui m'aide. Car ce qui m'inonde à cet instant, c'est le sentiment d'avoir à présent en moi la raison de mon combat, la dernière trace de ma vie d'avant. Je me sens noyée dans des émotions incroyablement belles et destructrices, dansant dans mon corps comme la magie qui s'y propage. J'ai l'impression de retrouver des sensations perdues depuis la nuit des temps, de m'unir à un autre monde, qui m'avait oubliée. Je me retrouve, moi, et je le ressens dans chaque fibre, chaque cellule de mon corps, chaque souffle de mon être. La lumière irradie le néant, et je ne sais à cet instant pas si elle vient de Molly ou de moi. Mais je sais que ce qui enflamme mon âme, c'est la braise d'une fureur que je n'avais pas ressentie depuis bien longtemps. Celle qui, unie à ma puissance, me rend invincible. Celle qui naît de la destruction et de l'amour de la vie, qui éclate quand l'espoir s'éteint.

Ça n'a rien à voir avec ma première fois dans les limbes. À ce moment, je n'ai pas besoin de bouger, ni d'ouvrir aucune porte. Tout se passe en moi, à l'intérieur d'un brasier qui ne demande qu'à se déchaîner.

Mon cœur s'emballe, mes poumons se gonflent et se contractent, ma poitrine s'écrase, ma chair brûle. Toute ma puissance court à la surface de ma peau, y abandonnant un murmure incandescent. Et je le sais, mon cœur se remet à battre. Mon vrai cœur.

Je serre de toutes mes forces la main de Teresa, et affaisse les épaules pour laisser mon corps aller au rythme de ma magie. J'ignore tout, laissant la lumière me guider. J'oublie le froid des limbes, j'oublie les ténèbres, pour me plonger dans ce vide abyssal. Et j'y vois s'y dessiner les couleurs de la vie. Mais peut-être est-ce simplement moi, mon esprit, bercé par les illusions d'une histoire achevée.

Mais je n'essaie pas de comprendre. J'ai l'impression de me détacher de ma propre conscience, perdue dans mes songes les plus profonds. J'ai déclenché quelque chose en moi, sans trop savoir où cela allait me mener. Et à présent, je ne peux plus revenir en arrière. Je n'arrive plus à bouger, ni à ouvrir les yeux, parce que je ne sens plus mon corps.

Alors je m'abandonne. J'oublie tout, emplie d'un feu qui s'immisce dans mes poumons, soulève mon cœur et m'aveugle. Je me laisse emporter par l'inconnu. Et à cet instant, je ne contrôle plus la magie, qui m'emporte dans sa course à la vie.

Puis, en une seconde, tout s'arrête. Je ne sens plus rien. Ça, c'est comme la première fois. Tout lâche, même la sensation de magie.

Et c'est le froid qui me fait ressentir de nouveau mon corps. Plus intense que jamais, écartant toute ardeur, toute force, le froid prend possession de moi, et s'infiltre à son tour dans mes veines. Puis, après m'avoir éveillée, il m'endort, anéantit toutes mes sensations, éteint mes émotions. Je m'enfonce de nouveau dans les ténèbres. C'est comme si je mourais une deuxième fois. Suis-je en train de replonger dans les limbes ?

La question ne m'atteint pas, et mon corps réagit avant que mon esprit le fasse. D'un coup, il m'extirpe de cet abîme glacé.

Et j'ouvre les yeux.

Mais je ne vois rien. Je perçois mon corps mais rien autour de moi. Je peine à ouvrir les paupières, et comprends que c'est parce que je suis enfermée dans une enveloppe trouble, qui me paraît être la cause de cette pression gelée autour de moi. De la glace. Je ne respire toujours pas, j'en suis incapable. Mes poumons me semblent paralysés, et mon cœur si ralenti que je ne le sens pas battre. Il peine à s'animer dans ma poitrine enserrée d'un froid mortel, tétanisé depuis je ne sais combien de temps. Mais à cet instant, il fait un violent bond qui m'irradie d'une douleur aiguë, parce que je me sens foudroyée par une prise de conscience. Mon corps a été enfermé dans la glace pour que je sois conservée. Depuis combien de temps suis-je morte ?

Je déglutis douloureusement, la gorge tout aussi nouée que le reste de mon corps. Je ne sens que l'horrible brûlure du froid sur ma peau, sous mes vêtements, dans mon crâne.

Je n'entends rien, je ne vois rien, je suis totalement livrée à moi-même dans un bloc de glace pouvant me replonger dans les limbes à tout instant.

Et en moi, le froid est le même. Je suis absolument incapable de ressentir la violence des émotions qui devraient m'envahir. Mon âme est aussi paralysée que l'enveloppe qui l'enferme. Je ne sais même pas si je suis vivante. Je me réveille dans un corps endormi, mais mon esprit me semble m'avoir quitté. Je ne respire pas. Mon cœur n'accélère pas, mon corps ne se réchauffe pas. Suis-je vraiment en vie ?

Alors lentement, mes paupières se referment, épuisées, et je retombe dans le noir, dans le néant. Mais cette fois, je ne quitte pas mes sensations. Je reste emplie par le froid, si intensément qu'il me pique toute la peau, qu'il me brûle de l'intérieur.

Et c'est à ce moment que mon âme décide de s'éveiller. Dans mon ventre, je sens naître la même chaleur que celle que la glace a éteint, enflammant peu à peu toutes mes entrailles, remontant dans mes bras, jusqu'au bout de mes doigts, au sommet de mon crâne. Je me sens envahie d'un violent feu intérieur combattant le froid avec toute l'ardeur que ce dernier a voulu achever. Il brûle au rythme de mon cœur qui se met à accélérer, si vite qu'il se met à résonner dans chacune de mes extrémités. Et mes poumons, toujours engourdis, se réchauffent peu à peu. C'est à cet instant réellement que je reviens à la vie. Je le sens au fond de mon être, au creux de mon estomac, je me réveille. Et enfin, mes émotions ressurgissent. Prendre conscience que je suis en train de réussir fait jaillir en moi un torrent d'une puissance telle qu'il me fait ouvrir les yeux, à la recherche d'air. Ma douleur et ma soif de vie bloquent ma gorge et me figent dans un ultime spasme enflammé, alors que ma poitrine se soulève avec désespoir.

Et c'est à cet instant que le bloc de glace explose. Dans un bruit terrible, les débris pleuvent et font bientôt scintiller la pièce dans laquelle je réside. Et je la reconnais tout de suite. Alors, le feu en moi se ravive. Mes poumons se gonflent enfin, me permettant de prendre une inspiration plus profonde que jamais auparavant, l'air m'arrachant la gorge mais m'inondant de vie. Ma vue se rétablit peu à peu, mon cœur se remet à battre à une allure folle. Mes sens sont en alerte, alourdissant mon crâne brûlant, faisant parcourir d'interminables frissons sur ma peau. Je me relève dans un geste brutal, et ressens tout de suite une intense douleur dans tous mes membres. Mais cela m'importe peu. J'ai mal parce que je suis vivante.

D'abord assourdie par un sifflement strident, puis par un bourdonnement incessant, je regarde tout autour de moi dans un geste ralentis par de violents vertiges. Mon cœur bondit quand je ne vois pas ma mère à mes côtés, et un sanglot de terreur s'effondre dans ma gorge. Je ne peux pas l'avoir laissée derrière moi. Et en même temps, cela m'abat d'une question encore plus terrifiante : Suis-je vraiment vivante, suis-je vraiment de retour ?

Je n'arrive pas à y répondre. Je ne ressens qu'à moitié ma présence. Mon corps est bien là, mais mon esprit me paraît encore hésiter entre la mort et la vie, entre les limbes et la réalité. À la fois frigorifiée et enflammée, mon âme est prisonnière d'un dilemme existentiel, assaillie par les terribles pensées qui m'assènent.

Mais j'ai ma réponse une seconde plus tard.

Comme si cela résonnait avec violence dans toute la maison, j'entends pour la première fois quelque chose qui ne vient pas de mon crâne engourdi. Des pas. Affolés, assourdissants, envahissant le couloir et se répercutant sur les murs dans un bruit frappant tout de suite mon cœur,  bondissant violemment dans ma poitrine.

Et avant que j'ai le temps de comprendre, je les vois dans l'entrée. Tous les trois. Ensemble. Comme je m'en rappelle.

Arrivés en trombe, ils s'arrêtent à la seconde ou leur regard croise le mien. Je les vois alors, un à un, m'observer avec une expression qui restera gravée à jamais dans mon esprit. Et je ne réagis pas.

Tout mon corps me paraît lâcher à cette seconde, et je suis de nouveau incapable de respirer. Je suis noyée d'une émotion que je ne veux plus jamais ressentir tant elle me fait mal et tant elle prend le contrôle sur moi. Il me paraît entendre mon être tout entier hurler de tristesse et d'un soulagement plus brisé qu'heureux. Je sens l'épuisement de mon âme battre dans mon cœur et faire couler sa cruauté dans mes veines, me brûlant de l'intérieur. J'ai la tête qui tourne, les poumons en feu, mais aucun de mes membres ne veut bouger. J'ai si mal que mon corps a abandonné, laissant place à un tel désarroi que même le bonheur de les revoir ne saurait écarter.

Ce sont eux. Jake, Joyce, Zac. Ils sont là, face à moi, les visages terrassés par le choc.

Jake ne bouge pas, paralysé par ses jambes flageolantes. Il me regarde d'une façon que je ne pourrai jamais décrire, faisant pleurer mon cœur. Joyce essaie de s'avancer, mais se ravise. Ses yeux expriment ce que seule la vie peut transmettre. Zac est debout. Il peut marcher, car le temps a passé.

Je les regarde sans les voir, plongée dans un état second. Ils sont devant moi. Mais ce ne sont pas ceux que j'ai quittés. Je vois en eux ce que j'espérais ne jamais voir. Je les reconnais, mais le temps a marqué son passage, les tâchant d'une tristesse qui les enserre et ne les quittera plus jamais.

— Heaven...

Je ne sais même pas qui prononce mon nom tant sa voix est étouffée, mais cela a l'effet d'une bombe en moi. La réalité me frappe en pleine poitrine. Je reviens à moi-même.

Et c'est à cet instant là que je suis foudroyée par la sensation d'un manque infini, celui qui s'est accumulé dans les limbes, pendant tous ces moments sans durée. Celui qui s'est ouvert comme un abysse béant à l'instant où j'ai accepté de ne plus jamais les revoir, où j'ai abandonné ma raison de vivre pour accomplir mon dernier devoir. Et ce manque que je pensais ne jamais se combler, est inondé en une seconde, débordant dans mon être comme le torrent sans pitié d'une souffrance viscérale.

Ils n'y croient pas non plus. Je le vois dans leurs yeux, à chacun. Sûrement ont-ils l'impression de voir un fantôme, un souvenir, dernier mirage avant la fin. Et je les vois comme s'ils n'étaient qu'un reflet déjà révolu, comme si j'étais encore plongée dans les méandres de mon esprit, observant ce que je ne vivrai plus jamais. Je n'arrive pas à les voir, je n'arrive pas à y croire. Parce que si je le fais, je me laisserai tomber, et j'ai peur de ne plus jamais me relever.

— Je suis vivante ?

Parler m'écorche la gorge, et je me mets à tousser douloureusement, soudainement à bout de souffle. Mes yeux s'emplissent de larmes que je ne réprime pas, et je relève la tête vers mes amis.

— Je suis vivante, répété-je comme à moi-même, imperceptiblement.

Mes mots résonnent dans la pièce et dans ma poitrine, faisant hurler en moi le son d'une ultime supplication, d'un dernier soupir de souffrance. J'ai réussi, il faut que je sorte du néant. Il faut que j'y croie.

— Oui. Tu es vivante, Heaven.

Je ne sais toujours pas qui parle. Les larmes commencent à couler d'elles-même, je n'arrive plus à parler. Tout mon corps tremble, et il me semble perdre toutes ses forces en un instant. Le feu qui y régnait s'éteint, laissant place à un océan de peine. Et je ne contrôle plus aucune de mes réactions. J'éclate en sanglots, laissant échapper un cri étranglé de ma gorge. Des spasmes d'une douleur profonde secouent mes membres, et mon visage se retrouve meurtri par la détresse qui y ruisselle.

Le néant m'emplit pendant des secondes où seul le désespoir agit. Mon cœur se contracte, m'infligeant une torture qui se répand dans toute ma poitrine, et bloque ma respiration. Je serre les paupières, prise d'un mal immense. Je me déteste de réagir comme ça, alors que la seule chose que je devrais ressentir est le soulagement infini de retrouver les miens, d'avoir accompli ma mission. Je ne comprends pas mes larmes, ni mon épuisement, ni cette douleur indéfinissable qui ne trouve aucune fin. Je ne comprends pas pourquoi je n'arrive pas à simplement être heureuse de revenir à la vie. Pourquoi la mort s'accroche à moi comme si j'y étais destinée.

Je rouvre les yeux pour voir, à travers un voile de chagrin, tous mes amis se précipiter vers moi avec émoi. Leurs bras m'entourent bientôt, et je suis serrée contre chacun d'eux jusqu'à ne plus pouvoir voir au delà. Je n'entends plus rien d'autre que leurs sanglots, leurs battements de cœur affolés ; je ne sens plus rien que leurs odeurs ; je ne ressens plus rien que leur amour. Et en un instant, leur chaleur vient inonder le néant, m'emplissant de sentiments si puissants qu'ils combattent ma détresse. Et mes larmes, si tristes, se réchauffent au rythme du bonheur qui m'emplit. Je pleure parce que je ressens l'espoir que j'avais abandonné. Parce que mes derniers souvenirs heureux auront finalement une suite.

Mon cœur me fait un mal terrible, terrassé par la vie. Je pourrais m'évanouir à tout moment tant l'émotion est grande. À cet instant, je ne suis pas heureuse de retrouver Zac, Joyce ou Jake. Je ne suis pas heureuse de retrouver les personnes que j'aime le plus au monde. Non. Je suis heureuse de retrouver ma raison de vivre. De me remettre à respirer et d'avoir l'impression que cela a un sens. De sentir mon cœur tambouriner dans ma poitrine en sachant que la douleur en vaut le coup.

Coupée de la réalité, perdue dans une torpeur brûlante, je les sens s'écarter de moi pour me scruter avec des yeux brillants de bouleversement. Puis, mon regard se pose de lui même sur celui qui occupe en une seconde tout mon esprit. Ses lèvres tremblent, sur son visage déformé par une émotion que je ne saurais décrire, perdue entre un chagrin profond et un bonheur infini.

J'ouvre la bouche pour parler, mais rien ne sort. Et j'imagine que mes yeux parlent d'eux-mêmes. Jake brise la distance qui nous séparait et enroule ses bras autour de moi, me serrant contre lui comme il ne l'a jamais fait auparavant. Je tremble de tout mon long en sentant l'incroyable chaleur qui émane de lui, son odeur emplissant mon air. Avec les peu de forces qu'il me reste, je pose mes mains sur son dos. Je retrouve le contact grisant de son corps contre le mien, comme si je le ressentais pour la première fois. Je ferme les yeux, voyant alors se poser derrière mes paupières les couleurs de l'amour. Je les avais oubliées, ces couleurs.

Sa tête se loge dans mon cou et vient respirer ma peau, me faisant frissonner de tout mon long. Sa main fouille mes cheveux alors que l'autre me presse un peu plus contre lui. Je n'ai pas besoin de l'embrasser pour me sentir enfin à ma place, dans ses bras. Aucun baiser ne saurait dire ce que son corps entier me déclare à cet instant. Je sens ses cils frôler la peau de mon cou, sa bouche l'effleurer. J'entends son cœur battre violemment, au même rythme que le mien. Mon ventre se retourne, bouleversé par le retour d'émotions tues depuis bien trop longtemps. Encore une fois, je ne retrouve pas seulement celui que j'aime. Je retrouve l'amour lui-même. Et même l'éternité n'aurait su taire ce sentiment.

Mes larmes ne cessent pas et ruissellent dans son cou, silencieuses. Elles expient la peine accumulée, écartent tout mon désespoir pour laisser la place à la lumière. J'oublie que j'ai dit adieu à cette vie. J'oublie que j'ai abandonné. Parce que plus jamais je ne veux m'imaginer respirer un autre air que le sien, sentir une autre peau que la sienne. Tout me revient, plus puissant que jamais. Parce que c'est lui. Mon loup-garou. Mon amour.

J'entrouvre les paupières, voyant à travers les larmes mes deux amis, enlacés et ne me lâchant pas des yeux. Je leur souris, mes lèvres s'étirant en tremblotant. Ils me sourient eux aussi, et posent leurs mains sur les miennes. Alors, je me sens inondée d'une telle émotion que je laisse échapper un hoquet étranglé, presque un rire. Dans les bras de Jake, mes mains liées à ceux que j'aime, je me sens enfin entière. Je me sens invincible, comme à chaque fois à leurs côtés. Et le monde pourrait me tomber dessus, je n'en aurais que faire. J'ai déjà survécu.

Et mon cœur, à cet instant, se remet à battre. À leur rythme.

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Voilà pour le chapitre 33 ! J'espère qu'il vous a plu !

Je suis tellement désolée de vous avoir autant fait attendre (même là, j'ai oublié 21h je m'en veux horriblement), vous pouvez pas savoir comme ça me rend triste :(( vous avez dû comprendre que j'ai beaucoup de mal à m'organiser, ma fatigue est si intense pfiou
Mais je n'abandonne pas ne vous inquiétez pas ! J'espère que vous me pardonnez...

Qu'avez-vous pensé de ce retour après touute cette attente ? Les retrouvailles ? C'était bien décrit, fort en émotions ? J'espère que vous êtes heureux de les voir enfin réunis (en tout cas moi oui ahah) !

Merci infiniment d'être toujours là malgré les attentes que je vous fais subir ♥

À bientôt pour la suite, bisouus ♥

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