Quarante-troisième Chapitre.
[Jeudi 2 mars. Au centre d'entraînement, Heaven a montré sa puissance seule puis en se battant contre le roi sous les yeux du peuple d'Érédia.]
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Je reprends mon souffle, adossée à un mur d'escalade. Mes autres amis continuent les combats sans m'accorder trop d'attention, et je me réjouis de voir que tous les yeux ne sont plus tournés vers moi. Cela doit faire une heure que l'entraînement a vraiment repris et que je me bats aux côtés de mes nouveaux alliés, et peu à peu, je me sens de moins en moins observée. De plus en plus acceptée.
En sondant la foule, je me rends compte que la nouvelle unicité qui s'est créée. Peut-être que je les vois différemment maintenant que je n'ai plus à me cacher d'eux, mais ils me semblent moins effrayants.
Une présence près de moi me fait tourner la tête, et je découvre une fille de quelques années plus jeune que moi, à la peau noire et aux cheveux blonds, armée d'un sabre. Ses grands yeux bruns me fixent d'un air impressionné, sans qu'elle n'ose s'adresser à moi.
— Oui ? l'interrogé-je.
— Je... hésite-t-elle. Je peux me battre avec toi ?
Je n'arrive pas un réprimer mon sourire attendri, et lève le menton.
— Tu t'appelles comment ?
— Kaya ! se réjouit-elle en passant une main dans ses cheveux courts.
Je hoche la tête avant de reculer un peu, parvenant à une zone libre de l'aire de combat. Puis, levant ma dague, je lui fais signe d'approcher.
— Viens te battre, Kaya, souris-je.
Son visage s'éclaire. Elle n'attend pas un instant de plus avant de s'élancer vers moi, m'assénant un coup que j'esquive pour ensuite taper dans son sabre avec ma lame. Kaya marmonne, puis saute en arrière. Nous faisons entrechoquer nos armes sans utiliser de magie pendant quelques instants, et je remarque dans son regard une fureur que j'apprécie grandement. Elle est forte, et une adversaire bien fatigante.
La tension augmente quand je fais grandir les flammes autour de ma dague et propulse Kaya au loin. Elle se laisse tomber à terre en grimaçant mais se remet vite sur pied. Puis, sa main fouille dans sa poche et je n'ai pas le temps de reconnaître ce qu'elle en sort, elle est déjà derrière moi et m'assaille d'un violent coup de pied dans le dos. Je suis traînée sur quelques mètres et amortis ma chute en me reposant sur une bourrasque qui me retourne vers ma rivale. En apercevant ses doigts brillants et la poudre qui tapisse le sol à ses pieds, je comprends. Ses yeux devenus d'un violet presque rose me narguent fièrement. J'affiche une moue impressionnée avant de foncer de nouveau vers la fée. Je la fais tomber assez facilement et laisse le feu la repousser tout en lui arrachant son sabre d'un geste étrangement expert. En la voyant bouger de nouveau ses doigts pailletés, je souris et lui attrape le bras pour la plaquer contre un socle de ring. Lorsqu'elle sent la dague enflammée dans le creux de son épaule, elle capitule.
— Tu es forte, commenté-je lorsque nous nous redressons.
— Pas autant que toi, marmonne-t-elle en lissant sa tenue de combat.
— Oh, crois moi, j'étais une vraie incapable il y a quelques mois. À mon âge, tu seras bien meilleure !
Elle sourit, enthousiaste. Après avoir regardé la masse de combattants enragés autour de nous, elle soupire.
— Tu sais, ma mère n'était pas sûre de ton engagement. Mais après aujourd'hui, j'espère qu'elle sera convaincue. Je la convaincrai.
— Merci, c'est gentil.
— Je crois qu'elle a juste peur, comme beaucoup d'autres gens. Elle a déjà perdu mon père dans la dernière bataille, elle ne voudrait juste pas perdre sa fille, sourit tristement la jeune fée.
Mon cœur se serre mais je me contente d'acquiescer avec un sourire fébrile. Elle a l'air bien courageuse, cette Kaya.
Interpellée par un ami, elle s'éclipse après un signe de main, et je la regarde disparaître dans la foule. Je ne la reverrai sûrement jamais, mais comme tous ceux que j'ai pu affronter aujourd'hui, elle m'a permis de voir. Je soupire longuement, une satisfaction amère en moi. Je n'arrive pas à vraiment réaliser ce que je représente pour eux. Mais voir une fée, qui sera sûrement très puissante dans quelques années, impressionnée par moi, est assez drôle.
Un sourire flottant sur les lèvres, j'observe de nouveau tous les guerriers que j'ai sous mes yeux. Les chocs s'enchaînent et les armes tournoient dans les airs, les éclairs de magie fusent dans tous les sens. Tous les côtés de la salle sont occupés, et la nouvelle énergie qui règne profite à tout le monde.
Plus je les regarde plus je me rends compte qu'il y a moins de créatures qui n'ont pas d'apparence humaine. Je me rappelle avoir été frappée à mon arrivée à Érédia par la présence des Silencieux, de gobelins ou encore de Minotaures dans les rues, par le vol des innombrables fées, entre beaucoup d'autres. Aujourd'hui, la plupart des gens que je vois sont des elfes et des sorciers, et j'en viens à la triste conclusion que ces autres créatures surnaturelles ont eu moins de chance durant la guerre ou ont simplement fui. Je ne m'étais jamais fait la réflexion, mais chez les Bannis, c'est pareil. C'est comme si toutes ces autres créatures disparaissaient, laissant la place à celles au visage humain. Au final, au cœur de la guerre, on ne verra plus que d'énièmes humains désespérés. Ce monde a beau être dans un autre univers, il est bel bien le jumeau de la Terre.
— Tu fatigues ?
La voix enjouée de Thaniel m'arrache à mes pensées sombres, et je me tourne vers l'elfe aux yeux jaunes.
— Je fais une pause, le corrigé-je en levant le doigt.
Il glisse ses cheveux derrière ses oreilles pointues et sourit, abaissant son arc en accordant un regard au reste de la salle.
— Ils t'ont acceptée, je crois, se ravit-il.
— Je crois aussi, admets-je. Ils ont commencé, en tout cas.
Il penche la tête. Lorsqu'il me regarde de nouveau, une lueur étrangement mélancolique passe dans son regard.
— Les autres ont appris pour ma trahison, tu sais. Et ils ont fini par me pardonner. J'avais un peu abandonné l'idée, pourtant.
J'esquisse un sourire, détournant mes yeux de lui.
— Tu as été manipulé. Par Jorah, par les Bannis. (Je soupire.) J'ai failli l'être aussi, tu sais. Quand on est auprès d'eux, c'est très facile de se prendre de compassion.
Il reste silencieux. Mon cœur bat la chamade, mais je garde le regard rivé sur ceux à côté de qui je me battrai bientôt.
— Leur vraie malédiction, ça n'aura pas été de perdre l'essence de leur magie, dis-je lentement. Ça aura été Jorah.
* * *
En sortant de la salle de bain, je laisse échapper un soupir d'allégresse et m'étire lentement. Depuis la fenêtre des escaliers, on voit que le soleil se couche. Le silence est agréable, et malgré les tensions dans mes muscles, je me sens enfin tranquille.
Je descends les escaliers en tirant sur ma chemise de nuit, appréciant de retrouver la familiarité d'un endroit où je n'ai plus besoin de prétendre.
En arrivant dans le couloir vide, je suis surprise d'entendre des voix depuis le bureau de Zac. Intriguée, je reconnais la voix de ma mère et celle du Changeur, semblant en discussion à voix basse. Au début malgré moi, puis plus volontairement, j'en capte quelques mots.
— Ne la laisse pas dans le flou trop longtemps, s'il te plaît, c'est injuste, semble dire Zac.
— Oui, je sais... je vais essayer, mais ce n'est pas le moment, répond ma mère.
Un court silence s'installe. Mon cœur bat la chamade.
— Comme dirait Adrian, souffle Zac, « Si on devait taire toutes les vérités blessantes, on ne dirait plus rien ».
Ma mère rit doucement, et j'entends d'ici la tristesse dans sa voix.
— Il disait ça pour justifier ses conneries, souffle-t-elle.
— Mais il avait souvent raison.
Encore un silence. J'ai l'impression de voir le visage de ma mère, son expression nostalgique et éternellement brisée.
— Il me manque...
— À moi aussi, Teresa, soupire Zac. À moi aussi.
Ma poitrine se serre. Je crispe les doigts sur les pans de ma nuisette et m'empresse de quitter le couloir, gagnant le salon avec la désagréable impression que j'ai entendu des choses que je ne devais pas entendre. La présence de Joyce et Jake me rassure mais au fond de moi, j'ai une soudaine envie de pleurer. Envie que je réprime en m'affalant dans un des fauteuils, répondant au sourire des deux amis
— On était en train de parler de la fois où Jake a organisé un tournoi à l'école, raille Joyce.
— Un tournoi de quoi ? m'amusé-je.
— De billes, répond Jake à sa place. Un tournoi de billes, et elle te dira toujours qu'elle a gagné alors que c'est faux.
Je pouffe de rire, m'imaginant avec plaisir un mini Jake et une mini Joyce se disputant la victoire d'un jeu d'enfants.
— Vous deviez être insupportables, me moqué-je.
— Elle, oui, me répond le loup-garou en désignant son amie du pouce. Moi, j'étais un ange.
— Oh alors là ! s'offusque la belle blonde.
Je m'esclaffe, et ils continuent de se chamailler pendant quelques minutes sous mes yeux amusés. Je pose mon visage dans ma main, les observant débattre de futilité avec soulagement. Je préfère ça aux soirées conseil de guerre, et de loin.
Au bout d'un moment, j'entends des pas dans le couloir, et ma mère et Zac ne tardent pas à apparaître devant le salon. Je vois ma mère nous adresser un signe de main et un sourire attendrissant avant de rabattre sa grande capuche sur elle et quitter la maison sans un mot. Je sens un petit point dans mon ventre. Je lui ai parlé tout à l'heure, après l'entraînement, et elle avait l'air bien moins mélancolique.
Broyant malgré moi du noir, je n'entends pas ce que Zac nous dit avant qu'il s'installe dans l'autre fauteuil en poussant un soupir.
— Je ne préfère même pas y penser, lui répond Joyce.
— De quoi ? hasardé-je.
— La mission de demain, fait Jake. Ça va ?
Je hoche la tête, l'esprit un peu embrumé.
— Juste une grosse journée.
Le loup-garou esquisse un sourire troublé. Je laisse retomber ma tête sur ma main, écoutant peu à peu la conversation reprendre sur les inquiétudes quant à notre expédition. Je tempère avec Zac, appuyant que les Bannis n'auront pas que ça à faire qu'improviser une grande bataille dans la forêt, et que cela laisserait bien trop d'indices sur leur chemin. Je ne veux pas envisager le pire des scénarios alors que pour une fois, nous avons l'avantage.
Au bout d'un moment, je détourne les yeux et regarde par la fenêtre en écoutant les voix lointaines de mes amis partir sur des discussions plus légères. Je suis perdue entre la réalité et mes pensées. Dans ma tête, défile toute la journée épuisante que j'ai subi, et j'ai l'impression d'en avoir vécu des dizaines. Cela a été un des jours les plus décisifs depuis mon arrivée ici, et pourtant tout a été étrangement subtil. Gagner le cœur d'un peuple, ce n'est clairement pas une partie facile à jouer.
Malgré moi, je songe à Jorah, et au fait qu'un jour, il a été le souverain officiel, adulé puis craint. Ils s'étaient laissés séduire par lui, et ont ensuite dû subir sa folie. Je peux imaginer le doute qui s'est installé depuis que leur ancien roi est devenu leur pire ennemi.
Chez les Bannis, je me rappelle que Thaniel m'a dit que beaucoup d'entre eux avaient encore de la famille à Érédia. Je me demande si les réticences de certains habitants viennent vraiment de leur peur de moi, ou simplement de la peur de devoir massacrer leur propre sang. Je me demande aussi combien d'entre eux comprennent réellement le bannissement, combien le soutiennent encore, combien veulent faire évoluer le monde.
Je crois qu'au fond de moi, j'aurais toujours une part de culpabilité inavouable. Je déteste y penser, mais je déteste encore plus ce que Jorah me force à faire. J'aurais aimé pouvoir créer le dialogue entre Érédia et ces Bannis incompris. J'aurais aimé pousser le roi à tout réformer avant que tout tombe dans le chaos. J'aurais aimé comprendre les Bannis avant le point de non-retour, devenir assez puissante avant que Jorah ne prenne le contrôle. J'aurais pu faire beaucoup de choses si j'avais su.
Je supporte encore moins d'avoir pris conscience de tous ces réels problèmes parce que Jorah m'y a traînée de force. En camp ennemi, j'ai ouvert les yeux et j'ai fait exactement ce qu'il voulait. Je hais les Bannis parce qu'ils ont décidé de se condamner et agissent avec stupidité, parce qu'ils ne veulent plus écouter. Mais la haine que je ressens est triste, et je ne me l'expliquerai jamais.
Je veux juste en finir, vite. Je veux juste qu'ils disparaissent. Et je veux surtout que plus jamais, des gens ne deviennent des soldats de la folie pour le simple prix de la liberté.
* * *
Je baille et entre dans ma chambre en perdant déjà mes yeux sur mon lit douillet. Jake sur les talons, je ne fais pas attention quand il s'arrête sur le pas de la porte, appuyé contre l'encadrement comme s'il attendait quelque chose.
— Bah quoi ? l'interrogé-je en détachant mes cheveux. Entre.
Un sourire barre son visage.
— J'ai donc enfin l'honneur de partager ta chambre ? J'attendais que ça.
Je lève les yeux au ciel et le tire par une manche, fermant la porte derrière lui. Il se laisse faire avec un air moqueur avant de s'effondrer comme une masse sur mon lit. Étalé bras en croix, il ferme les yeux. Je l'observe dans la pénombre, et n'arrive pas à contrôler mon sourire. La nuit dernière, j'avais besoin d'être un peu seule, mais il est à présent hors de question que je ne profite pas de chaque instant en sa compagnie.
— Tu sais que Zac a déjà pris ton apparence ? lâche-t-il soudain.
— Hein ?
— Pour te désinscrire du lycée, explique-t-il en gardant les yeux rivés sur le plafond.
— Pardon ? pouffé-je, incrédule.
Il hausse les épaules.
— Ben, nous, on pouvait le faire nous-même. Mais il fallait bien quelqu'un pour toi, sinon tu aurais été portée disparue au bout de deux semaines.
J'acquiesce en riant du nez, un peu perturbée. Je n'avais à vrai dire même pas songé au lycée. La vie sur Terre me paraît si lointaine qu'elle devient presque absurde. Y retournerai-je seulement un jour ?
— Il a même payé ton loyer, ajoute Jake en se redressant, rieur.
Je secoue la tête, balayant toutes ces pensées d'un geste de la main. Tout ça me semble si ridicule. Je fais quelques pas vers lui, allumant au passage la lampe de chevet. Une lumière tamisée imprègne alors la pièce, substituant les lueurs douces des étoiles.
— Alors tu l'as vu ? En moi, je veux dire.
Il grimace.
— Je préfère oublier. Cinq minutes m'ont suffi. Et te voir bouger alors que... enfin bon.
Je fronce le nez à mon tour, mal à l'aise.
— Je n'ai pas vraiment hâte de le voir avec mon apparence, avoué-je en regardant la nuit dehors. S'il ose reproduire mes boutons, je le frappe.
Jake s'esclaffe.
— Tu es la fille la plus puissante du royaume et tu te soucies encore de tes boutons.
Je lui lance un regard noir, plissant les paupières avec ironie.
— Excuse moi, Monsieur Parfait, mais ça n'a aucun rapport !
Jake éclate de nouveau de rire. Mon cœur est brûlant. Il se rassied, et attrape ma main pour m'attirer sur le lit.
— Bah moi en tout cas je m'en fous, t'es Madame Parfaite pour moi.
Je glousse malgré moi, le ventre noué d'excitation. Je sautillerais si je le pouvais, comme une idiote amoureuse. Il passe son bras autour de mon épaule et je me blottis contre lui, posant ma main sur son torse chaud. Pendant de longs instants, nous restons silencieux, à fixer le plafond, Jake jouant avec des mèches de mes cheveux. Puis, je me redresse pour m'asseoir en tailleurs, portant mon attention à l'extérieur qui s'étend derrière la fenêtre.
— Est-ce que toi aussi, tu as peur ? hasardé-je à voix basse.
Il se redresse sur ses coudes.
— Comme tout le monde, non ?
Ses mots me rassurent, car il ne fait pas semblant. Mais le point dans ma poitrine se serre. Je baisse les yeux en triturant ma chemise de nuit du bout des doigts.
— Je ne sais pas, j'ai l'impression qu'ils ont moins peur que moi. Ils ont l'air tellement... déterminés.
— Peut-être, admet-il. Parce qu'ils n'ont pas l'avenir de tout le monde sur leurs épaules, eux.
Je ris dans un souffle fatigué, puis passe une main sur mon visage. Jake s'éclaircit la voix.
— Et aussi parce que tu les rassures. Tu as parlé comme une reine, aujourd'hui.
J'esquisse un sourire embarrassé.
— Sauf que je n'en suis pas une.
— Hmm, si. La mienne. La reine de mon cœur, ajoute-t-il d'un terrible air théâtral.
J'éclate de rire et me penche pour lui donner une tape sur le torse, le foudroyant du regard.
— T'as quoi aujourd'hui ? m'exclamé-je, hilare.
Un large sourire fend son beau visage. Je roule des yeux, désespérée.
— Je suis d'humeur enjôleuse, fait-il avant de passer sa main derrière ma nuque pour m'attirer vers lui.
Quand il m'embrasse, je me sens envahie par une vague de réconfort qui efface rapidement tous mes doutes. Je me laisse tomber contre lui, appréciant son contact grisant. Pouvoir le toucher et profiter de chacun de ses baisers sans crainte est une des choses pour lesquelles je suis la plus reconnaissante actuellement. Il ne se rend sûrement pas compte de ce qu'il m'apporte, mais j'espère que je lui fais comprendre en me serrant contre lui avec tout l'amour que je peux donner. Dans ses bras, je me fiche d'être au cœur d'une guerre, d'être en danger de mort. Je m'autorise à tout oublier.
Il se redresse, et je fais de même sans quitter sa bouche, haletant au toucher de ses doigts sur mon cou puis dans le bas de mon dos. Je me presse contre lui, fouillant dans ses cheveux. Quand il détache son visage du mien pour me contempler, je me sens fondre. Ses yeux pailletés de jaune me scrutent avec ardeur, et je suis obligée d'y répondre, mon corps entier se tendant sous les sensations terrifiantes qui me parcourent. Je me jette à ses lèvres, serrant les paupières sans pouvoir contrôler la chaleur qui m'emplit. Ressentir la magie dans mon corps est intense et instinctif, mais y ressentir l'amour est bien plus imprévisible, bien plus sauvage.
Lorsqu'il fait glisser les bretelles de ma chemise de nuit sur mes épaules, je frissonne, et son baiser dans le creux de mon cou fait parcourir un spasme brûlant dans mon ventre. Grisée, je tire sur les pans de son tee-shirt et il se retrouve torse nu, soutenant alors mon regard, une expression indéchiffrable sur le visage. Il recule et m'attire vers lui pour me mettre à califourchon sur lui, relevant le fin tissu au dessus de mes cuisses. Ma peau nue contre la sienne est parcourue de fourmillements, et je lutte pour ne pas simplement déchirer ma nuisette. Je ferme les yeux lorsqu'il embrasse mon épaule, et suis le chemin de ses doigts quand il s'aventure sur le bas de mon dos, puis sur mon ventre. Soudainement alarmée, j'ai un mouvement de recul, qui fait retomber toute la chaleur dans ma poitrine avec un violent vertige. Plaquant ma main sur mon ventre, je ressens encore la pulsation affreuse dans ma cicatrice. J'ai l'impression qu'elle me brûle, qu'elle va se rouvrir.
— Quoi ? s'inquiète Jake, penaud.
J'entrouvre les lèvres, reprenant difficilement mon souffle. À cet instant, la marque sur sa clavicule me paraît plus voyante que jamais, et les écorchures que Jorah a laissé sur son corps et son visage me semblent me narguer. Une vague de culpabilité me prend aux tripes, je secoue la tête.
— Désolée, bafouillé-je. Je...
— J'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas ?
— Non, non ! paniqué-je en posant une main sur son bras. Pas du tout.
Il me considère avec trouble, et je déteste l'émotion que je vois passer dans ses yeux. Encore un peu sonnée, je baisse les yeux et me contente de soulever ma nuisette pour dévoiler mon ventre, et la détestable marque qui s'y étend cruellement. En relevant la tête, je sens mon cœur se tordre tant l'expression de Jake me fait mal.
— Pardon... souffle-t-il.
— Non, l'imploré-je, ne t'excuse pas. Je vais m'habituer.
En voyant qu'il n'est pas rassuré, je prends une longue inspiration et attrape sa main pour la poser sur ma cicatrice. La gêne qui me parcourt n'est pas importante, je garde les yeux plantés dans ceux de Jake et lui souris tant bien que mal, le suppliant intérieurement de ne pas s'en faire. Il n'a rien à voir avec la difficulté que j'ai à ressentir le souvenir de ma mort gravé sur ma peau. Et, à mon grand soulagement, je crois qu'il le comprend peu à peu. Il se détend, et hoche lentement la tête, avant d'éloigner sa main. Je pousse un soupir de soulagement en remettant le tissu en place. Accordant de nouveau un regard à son torse nu et à sa propre cicatrice, je me fige. Nous partageons cela, cette même empreinte d'un moment que nous préférerions oublier. Il l'avait oublié, lui.
Il remarque où je regarde et passe la main sur le haut de son torse, pensif.
— Moi aussi ça me fait mal, des fois, lâche-t-il alors à mi-voix.
— Vraiment ? m'étonné-je.
Il hoche la tête, ne parvenant pas à cacher la douleur dans ses yeux.
— Depuis que je sais d'où elle vient, oui. Mais je vais m'habituer aussi. Les cicatrices sont surtout là pour nous rappeler qu'on a survécu, non ?
La mélancolie dans sa voix me prend au ventre et je sens les larmes poindre à mes yeux. Tremblotante, j'opine et me mords la joue, déjà brisée par la discussion que je m'oblige à avoir.
— C'est toi qui m'a trouvée, ce jour là, hein ? fais-je d'une voix étranglée.
Il répond oui d'un signe de tête, me faisant fermer les yeux brièvement.
— J'ai cru que tu étais vraiment morte, mais heureusement que Joyce est arrivée et m'a rappelé qu'on pouvait encore te sauver.
— Je suis désolée... m'étranglé-je en enfermant mon visage dans mes mains.
Il ne dit rien, sa respiration saccadée attestant de son tourment. Je relève la tête, la poitrine en feu.
— Est-ce qu'à chaque fois que tu me regardes tu te rappelles de ça ? lui demandé-je avec tristesse. Parce que moi je sais qu'à chaque fois que je te voie, j'ai l'image de toi mort sous mes yeux. Sauf que ce n'était pas vraiment toi, alors que là, c'était vraiment moi. Est-ce que...
— Oh, oh, me coupe Jake en prenant mes mains.
Son regard angoissé me fait taire, je serre ses doigts, me maudissant de perdre pied.
— Oui, j'y pense à chaque fois, finit par admettre Jake. Mais c'est normal. Je ne peux pas oublier ça, et tu ne peux pas oublier que tu m'as vu être torturé puis tué.
— Ce n'est pas pareil.
— Peu importe, tranche-t-il en levant sa main vers ma joue. On s'en rappellera toujours, et on ne peut pas s'attendre à tourner la page aussi facilement. Ça nous fera toujours mal, mais je veux que tu te rappelles à chaque fois que si on peut ressentir cette douleur, c'est parce qu'on est encore en vie. Parce qu'on a survécu. Parce qu'on est forts, et que même si on souffre, même si on se sent coupable, même si on a peur, on est vivants.
Mes épaules s'affaissent, plombées par le poids de l'émotion qui s'abat sur moi. Je tremble de tout mon long, et ne trouve rien d'autre à faire que m'élancer sur Jake pour le serrer contre moi avec fermeté. Il m'enferme dans ses bras et je laisse tomber ma tête sur son épaule, le sourire aux lèvres. Il ne se rend pas compte comme ses mots sont importants pour moi, ni à quel point le sentir aussi près de moi me rend heureuse. Je voudrais trouver les mots pour le remercier, mais je crois que rien ne pourrait vraiment expliquer ce qu'il a changé en moi. Et je pourrais encore avoir peur, craindre le pire. Mais je choisis l'espoir, près de lui.
Quand je l'embrasse, je sens la chaleur revenir dans mon cœur, et ne veux plus le lâcher.
En me laissant tomber à ses côtés, j'accepte l'étreinte dans laquelle il m'entraîne, et me recroqueville, respirant son odeur et m'emplissant de son énergie apaisante. Fermant les yeux, je me sens sereine pour la première fois depuis une éternité.
— Je t'aime, Jake, chuchoté-je contre son oreille.
Il ne répond pas, mais sa main qui me serre un peu plus contre lui suffit à me faire sourire. Mon corps enflammé se calme, perdu tout de suite dans le contact si parfait de sa peau contre la mienne. Mon cœur, lui, continue de battre à tout rompre.
Lorsque je me réveille, il est toujours endormi, et je ne le quitte pas des yeux. La douce lumière du matin caresse son visage et ses longs cils, un sourire vague étire ses lèvres. Il n'a jamais semblé aussi comblé, et je me dis à cet instant que c'est cette image de lui que je veux garder pour toujours gravée derrière mes paupières.
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Voilà pour le chapitre 43 ! J'espère qu'il vous a plu !
Plus tranquille mais j'ai ADORÉ l'écrire, vous imaginez bien pourquoi hihi
Merci encore pour vos retours sur les derniers chapitres, je me donne tellement à fond pour bien décrire que j'ai toujours peur de décevoir ! Mais vous êtes adorables ♥
À bientôt pour la suite, bisouus ♥
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