Quarante-deuxième Chapitre.

[Jeudi 2 mars. Après son discours, Heaven a proposé un rendez-vous au centre d'entraînement. Puis, après avoir organisé la mission du lendemain, elle s'y est rendue avec ses amis.]

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— Il y a du monde ? m'enquiers-je auprès de Zac.

Celui-ci disparaît du petit vestibule dans lequel nous sommes pour jeter un oeil à la rue, et revient quelques instants plus tard. Quand il hoche la tête, les yeux écarquillés, je sens mon cœur bondir dans ma poitrine. Ils ont donc répondu présents. Je craignais que beaucoup ne croient pas en mon petit numéro, mais visiblement, personne ne peut résister à un spectacle gratuit.

Je prends une grande inspiration, serrant fermement ma dague. Puis, sautillant pour dégourdir mes jambes, je sonde du regard tous mes amis présents. Ils sont prêts au combat eux aussi et arborent fièrement leurs armes. Tyssia et Kaleb et leurs sabres croisés, Thaniel et son arc, Isis et son arbalète. Et évidemment Jake et son couteau, Zac et son épée, Joyce et son éternel katana. Ils sont particulièrement beaux quand ils sont prêts à la guerre. Est-ce à cause de cette incroyable aura magique qui semble émaner d'eux ?

Je leur souris, calmant un peu la frénésie qui fait rage en moi. J'ai conscience de l'enjeu que représente cet entraînement, de l'importance que cela aura sur la vision que le peuple d'Érédia sur moi. Je ne dois faire aucune erreur, je dois tout penser au millimètre près. Comme le fait Elijah.

— Je veux me battre avec le roi, déclaré-je alors.

— Quoi ? s'étrangle Kaleb.

— Il acceptera ? questionne Tyssia.

— Oh, oui, sûrement, répond Jake à ma place, tapotant gentiment sur ma tête. Rien de tel pour prouver que tous les opposants d'Heaven devraient se soumettre.

Je baisse les yeux, ressassant ses mots avec une légère amertume. Je ne veux pas les soumettre. Je veux les convaincre. Mais au fond, ces mots ne sont-ils pas deux synonymes...

Le brouhaha qui parvient enfin à mes oreilles me sort de mes pensées, et je relève la tête, alarmée. Ils arrivent.
Je n'ai pas besoin de le dire à mes amis, ils sont déjà devant moi et s'engagent dans le couloir qui mène au cœur du centre d'entraînement. Je leur emboîte le pas, pressée, le corps entier tremblant d'une angoisse édifiante.

Et lorsque nous revenons enfin au niveau de l'immense salle semblable à un stade, je frissonne d'excitation. J'ai déjà revu l'endroit en arrivant plus tôt, mais à chaque fois que je me retrouve au milieu de cette immensité, je me sens infiniment petite. Comme au château.

Nous traversons une partie du stade, passant à côté d'une partie des rings et des cibles, contournant la zone d'échauffement puis celle de musculation. Nous nous approchons de la zone la plus intéressante, celle des combats armés et plus loin, celle de la préparation magique. J'esquisse un sourire amer en repensant aux endroits consacrés à l'entraînement des Bannis. Ils n'atteindront jamais cette monumentalité. Je paris qu'un tel luxe manque à Jorah.

En entendant peu à peu les portes s'ouvrir à l'entrée du centre, je m'active pour me percher sur un des plus hauts rings de cette zone, et me racle la gorge en faisant tournoyer mon poignard dans l'air dans me mettre en condition. Mes sept alliés se joignent à moi et nous sommes ainsi assez surélevés pour observer les portes s'ouvrir de toutes parts, laissant entrer ceux que nous attendions. Ma respiration se bloque, et je ne sais rapidement plus où donner de la tête. Nous nous retrouvons au cœur d'une foule débordante, à des gens grouillant de tous les côtés. En effet, beaucoup sont venus. Vraiment beaucoup. Mais, comme le château, la salle me paraît s'être encore élargie, laissant assez de place pour tout le monde.

J'essaie de ne pas laisser paraître mon appréhension, et laisse la masse de personnes et de créatures qui m'entourent me reconnaître avant de se diriger vers nous. Rapidement, le vacarme que tout le monde fait se calme. Et si je trouvais cela étrange qu'ils soient attentifs aussi rapidement, je me rends vite compte que quelqu'un d'autre a imposé la stabilité. Derrière nous, non loin, le roi se tient fièrement. Je ne réprime pas un rictus en le voyant en une tenue de combat étincelante, son bras transparent s'unissant parfaitement au reste de son accoutrement. Il n'est pas venu que pour observer, je le savais.

Il croise mon regard et, alors que je pensais qu'il accueillerait son peuple à ma place, il m'indique d'un signe de tête qu'il me laisse l'honneur. Ce qui passe pour une vraie preuve de respect m'apparaît comme une énième manière de me faire passer pour plus essentielle que lui. Il sait bien que je ne lui arrive pas à la cheville et que personne ne peut parler mieux qu'un Sylphe. Mais il me laisse faire comme si j'y croyais.

— Merci d'être venus, tonné-je assez fort pour que ma voix résonne dans tout le stade. Je ne...

Je m'arrête avant de dire que je ne sais pas comment j'ai prévu cette séance.

— Je sais que vous êtes venus pour observer mes pouvoirs, reformulé-je. Et j'ai prévu de vous les montrer. Je veux me battre devant vous, à vos côtés mais aussi contre vous pour vous prouver mes capacités au combat. Est-ce que cela vous convient ?

Un hochement de tête général me répond, et j'apprécie intérieurement de voir autant de gens prêts à la guerre, armés et au même regard féroce. Ils sont redoutables.

— On veut un aperçu, un vrai ! s'exclame quelqu'un dans l'assemblée.

J'acquiesce, observant que beaucoup parlent en même temps. Je comprends rapidement qu'ils souhaitent d'abord une simple démonstration de ma nature. Moi, seule, face à eux, montrant qui je suis vraiment. Je frissonne, mais pas vraiment de surprise. Ils veulent un spectacle, après tout.

— Vous l'aurez ! clamé-je pour couvrir le murmure de la foule.

Dans un geste instinctif, je brandis ma dague flamboyante, et cela aide grandement à calmer l'assistance.

— Tout de suite, si vous le voulez, ajouté-je.

Je n'ai pas besoin d'attendre longtemps pour avoir leur approbation. Je gonfle mes poumons d'assurance, priant intérieurement pour ne pas faire n'importe quoi.

Derrière, le roi reste immobile sur son ring et m'observe en silence. Après avoir hoché imperceptiblement la tête, il pivote et j'ai le temps de le voir enchaîner quelques sauts pour atteindre les gradins. Gracieusement, il se perche sur un des bancs et lisse sa tenue de combat, sondant tout son peuple sans un mot.
Deux secondes plus tard, tout celui-ci répond à son mouvement et se presse jusque dans les gradins, prenant leurs places avec quelques acrobaties. Je retiens ma respiration, observant cette procession impressionnante qui n'a pas nécessité un seul ordre. Mes amis autour de moi se sont reculés et finissent par devoir imiter tous les autres, m'accordant tout de même un regard réconfortant.

Je me retrouve alors très vite seule, sur mon ring, au centre d'un stade bondé. Ils sont tous des spectateurs, à présent. Et cette fois, je ne suis pas épaulée par le roi en cas de problème. Je suis seule avec ma magie, et je ne dois compter que sur elle pour faire le travail.

Je tourne sur moi-même, cachant difficilement l'incroyable sensation de solitude qui se tapisse en moi à mesure que je me rends compte du nombre de personnes qui me fixent comme une bête de foire. Je déteste ce regard, mais une part de moi l'apprécie aussi particulièrement. Des milliers d'yeux qui me scrutent comme si je pouvais leur offrir le monde, c'est aussi effrayant que fascinant.

Lentement, je pose ma dague au sol, quittant à contre-cœur la chaleur du manche. Je fais craquer mes poignets et ma nuque, ancre mes pieds au sol et prends une longue et profonde inspiration. Je tente de m'éloigner du vide que le silence laisse tout autour de moi, de ne pas penser à ce que chacun d'eux attend de moi. Ce n'est pas cela qui compte. Je dois simplement leur montrer la vérité, pas vrai ?

Alors, je me coupe du monde. En un instant, tout me semble disparaît et je n'entends plus que ma respiration et les battements frénétiques de mon corps. L'adrénaline dans mes veines me fait oublier mon angoisse à mesure que j'accueille le réconfort éternel de ma magie. Je fais un pas en arrière, levant légèrement les bras par instinct. Les yeux mi-clos, je frissonne de tout mon long, parcourue par les aiguilles brûlantes de mes pouvoirs remontant à la surface.

La dernière fois que j'ai utilisé ma magie vraiment librement, c'était contre Kali et Derek dans la forêt. Le pacte de sang que j'ai fait après m'a coupée de ma puissance avec cruauté. Ce que je retrouve actuellement est plus qu'une sensation familière et agréable. C'est une de mes raisons de vivre.

En ouvrant les yeux, je me rends compte que je brille, comme d'autres fois auparavant. Mes veines bleutées étincellent d'un éclat céleste et m'enveloppent dans une aura similaire, faisant tournoyer des ondulations vibrantes de pouvoir. Je respire profondément, et en moi, je me sens plus paisible que je ne l'ai jamais été au contact de ma puissance. Je fais grandir les ondes et bientôt, ce sont des flammes qui m'entourent. Des flammes blanches et bleues, unies à tout mon corps vibrant d'une émotion viscérale. Je ne regarde pas les réactions autour de moi, je ne veux pas. Je ne veux pas me défaire de l'union si parfaite que je partage avec ma magie, je ne veux pas voir l'éventuelle peur dans les yeux de ceux qui ne la comprendraient pas.

Mes doigts bougent d'eux mêmes dans la création des orbes d'énergie que j'ai déjà maîtrisées auparavant, et mes veines se mettre à battre encore plus fort. Les flammes dansent, et leur lumière baigne peu à peu la salle, nous plongeant dans une atmosphère indéfinissable. J'oublie le public, j'oublie où je suis. Mes pouvoirs m'appellent et je leur réponds avec instinct.
Je prends une nouvelle inspiration, et une nouvelle vague de puissance me parcourt. Je vacille lorsque l'air se met à siffler autour de moi, créant des bourrasques envoyant mes flammes encore plus loin autour de moi, encore plus haut.

Je décide de lancer les orbes brillantes au sol, et celles-ci atterrissent dans un fracas entraînant une onde de choc qui me fait sursauter en même temps que l'assistance. Mais cela a son effet, et c'est pour cela que je ne parviens pas à réprimer un sourire satisfait, appréciant les mouvements impétueux de ma magie au fond de mon être. Tout mon corps est contracté et vibre au rythme de mon pouvoir, ne se lassant pas des vibrations brûlantes de la puissance qui ne cesse de grandir autour de moi. Je tremble, mais je n'ai pas peur de ce que je fais. J'ai l'intime conviction de contrôler, de comprendre absolument chaque parcelle de ma magie, d'atteindre chacun des millions de messages qu'elle me fait passer dans ses plus infimes reflets.

La lumière grandit et le vent autour de moi aussi. L'air est étouffant, mais ainsi, au cœur de ma propre tempête, je me sens bien. Je n'essaie plus de réfléchir. J'étends les bras, et tout autour me paraît se mettre à trembler, à vaciller, à gronder. C'est comme si les murs vibraient, dans la même pulsation que le feu immaculé qui m'entoure. Le verre aux fenêtres et au plafond tremble violemment, puis siffle, semblant si fragile à mon contact. Je suis alors persuadée que si je le voulais, je pourrais faire exploser ces vitres, et mettre tout l'endroit sens dessus dessous. Il me suffirait d'un instant pour anéantir tout autour de moi, un souffle, un battement de cœur.

Mon ventre se retourne, m'assénant de la douleur familière de la puissance trop grande qui naît en moi. Mais je n'ai plus peur de cette douleur non plus, à présent. J'ai mal, je le sais, et j'aurai toujours mal. Parce que ma magie est trop grande pour moi, parce qu'elle n'est pas naturelle, parce que je me force à l'apprivoiser, parce que je refuse de la refouler comme je l'ai si longtemps fait. Mon cœur pourrait exploser et mon crâne se fracasser tant la pression est forte. Je ne respire plus, incapable de bouger par peur de blesser mes membres crispés, de faire éclater mes muscles tendus ou mes veines bouillonnantes. Quand je laisse la magie prendre toute la place, j'oublie la raison.

Je pourrais en faire plus, je le sais. Bien plus, et je pourrais me détruire à le faire. Mais je ne veux pas montrer le chaos dont je suis aussi capable, je ne veux pas les effrayer. Je ne dois que leur prouver que je ne mens pas, que je ne fais miroiter aucune promesse que je ne compte pas respecter.

Alors, je laisse le vent gronder partout dans la salle, s'unissant aux reflets bleutés que je fais naître de mes mains. Les flammes s'abaissent et reviennent en moi, rejoignant la course effrénée des étincelles dans mon sang. La lumière est encore plus forte, encore plus belle, et le halo devient une sphère parcourue de milliers de marbrures incandescentes, m'enfermant dans sa force ondulante, me coupant le souffle. Je me plie en deux, sentant que la pression est trop forte, la chaleur trop intense. Et, tombant à genoux, je lève la tête une dernière fois et fais exploser cette sphère céleste dans un dernier souffle libérateur, plongeant alors le stade entier dans sa lumière aveuglante. Je plisse les paupières mais veux observer cette explosion qui repousse les sifflements redoutables du vent, noyant de nouveau le monde dans un silence fatal, dans un néant immaculé. Et, le temps d'un instant, je me sens comme au cœur d'une étoile.


Puis la lumière s'éteint. Je reprends mon souffle avec détresse, agrippant ma poitrine en sentant la chaleur retomber brutalement. Pendant plusieurs secondes qui me paraissent durer une éternité, je fixe le vide sans pouvoir bouger, terrassée par toutes les émotions qui se bousculent en moi. Je me redresse lentement, sans quitter des yeux le point invisible au sol. Je serre les poings, sentant mon cœur tambouriner dans ma poitrine avec frénésie. Mon corps entier vibre encore de l'énergie qui s'y écoulait, et je ressens déjà l'envie de lui redonner place.

Quand j'ose enfin regarder autour de moi, je suis frappée par la stupeur avec laquelle tous me regardent. Certains se frottent les yeux, d'autres se sont levés brutalement, ou semblent chuchoter. Tout le monde est d'abord immobile, et c'est en tournant sur moi-même que je remarque qu'aucun ne sait comment réagir. Même mes amis. Je sens mon ventre se tordre. Ils ne m'avaient jamais vue comme ça, c'est vrai.

J'entends alors s'élever un applaudissement, puis deux, puis trois. Un instant plus tard, la salle entière tonne sous les acclamations impressionnées. Beaucoup ne suivent pas tout de suite, mais je vois le changement qui s'active chez eux. Et je comprends alors que même s'ils se méfient, ils suivront. La foule, même si elle est naturellement mitigée, accepte l'ampleur de mon pouvoir.

— On va gagner ! s'exclame quelqu'un.

— Les Bannis feraient mieux d'abandonner ! ajoute une autre personne.

De nouveaux applaudissements retentissent, des cris parfois. Je n'entends rapidement plus tout ce qu'ils disent, et je me sens un peu prise de vertiges, sentant tout résonner en moi avec force. Puis, lentement, je me baisse pour récupérer ma dague, s'animant vite de son halo familier. Parcourue du frisson d'assurance que j'affectionne toujours, je me redresse et sonde la foule qui peuple les gradins. À ceux qui me regardent toujours avec méfiance, je fais un signe de tête ferme. À ceux qui m'acclament, je souris. Je ne dois pas être que l'hybride capable de merveilles. Je dois être la garante de leur protection, celle de leur victoire, la seule en qui ils voudront bien croire.

En posant mes yeux sur mes amis et sur le roi, je me rends compte du changement qui s'est opéré. Je leur souris légèrement, capte leur soutien, et accepte ma solitude. Ce qui a changé, c'est qu'ils ne peuvent plus me protéger. Ils ne sont plus là pour me cacher du regard du monde, ni pour me renvoyer sur Terre en cas de problème. Je suis celle qui suis responsable d'eux à présent. Je ne sais pas vraiment depuis quand la situation s'est inversée. Peut-être qu'elle a toujours été comme ça, au fond.

Puis, je capte le regard du roi. Même de loin, l'éclat blanc de ses yeux est immanquable. Je ne sais pas si je comprendrai un jour que je suis la seule à les voir ainsi. Cette couleur froide est pour moi ce qui le constitue depuis le jour où je l'ai rencontré, ce qui le lie si étrangement à son frère, ce qui prouve que la puissance d'un Sylphe tapisse tout son être. Je me demande si, en voyant mon oeil blanc, les gens se rendent compte de ce qu'il signifie.

Je déglutis et lève le menton en voyant le roi faire un pas en avant. Je crois qu'il a compris sans que j'aie besoin de lui demander. Alors, en quelques secondes, il atterrit au milieu du terrain à environ cinq mètres de moi. Accordant un regard aux spectateurs, je vois un certain trouble s'installer, et les discussions enflammées cessent peu à peu.

Sans trop réfléchir, je saute par dessus le ring et me retrouve au sol, serrant bien fort le manche de mon arme. Sur le visage d'Elijah, un sourire en coin se dessine, et je sais que je suis la seule à le voir. Et à cet instant, en lui, je vois Jorah. Un sourire carnassier, un regard foudroyant, une rage de vaincre sans pareille. Il n'est pas en train de penser à son combat avec moi. Il est en train de nous imaginer venir à bout de son frère.

J'ai à peine le temps de gonfler mes poumons d'air, le roi élève le vent tout autour de lui. Son bras de verre ne bouge pas, mais les volutes immaculés qui le parcourent prouvent qu'il ne sert pas à rien. Je me mets en position de combat, et très vite, me laisse envahir par la vague de ma puissance.

Un instant plus tard, nous nous élançons l'un vers l'autre. Il exécute avec grâce des mouvements aériens, me projetant sur plusieurs mètres le long du terrain. Je pare ses coups à force de bouclier énergétique et d'attaques à distance de mes flammes magiques, roulant sur le côté et prenant de plein fouet les violentes bourrasques qu'il balance sans pitié. Nous tournoyons à vitesse fulgurante, et j'en oublie totalement que nous sommes observés. Les autres peuvent-ils seulement nous voir ?

La lumière qui m'entoure grandit et la sienne fait de même, augmentant la force dans nos attaques. Il esquive sans peine chacune de mes attaques, utilisant son nouveau bras comme réceptacle de vives ondes d'énergie, dont les pulsations me repoussent vivement. L'atmosphère devient étouffante, l'air manque, mais la frénésie du combat s'éveille en moi et me prie de ne jamais m'arrêter.

Notre combat est inondé par la même couleur aveuglante, et les touches bleutées de mon énergie se déversant avec pureté fait soulever mon cœur. Les spectres de magie que nous nous envoyons mutuellement me brûlent les mains et la poitrine, font trembler tout mon corps. Et je suis incapable de détacher mon regard de mon adversaire, dont l'agilité et la grâce ne cessera jamais de m'impressionner. Dans le château, contre son frère, il me paraissait danser. Je ne peux rivaliser avec lui sur ce point là, ne parvenant pas à maîtriser l'air comme il le fait. Il me semble posséder chaque particule qui se trouve autour de lui, d'être le vent lui même, de rugir comme le fait l'air dans la salle.

Nous nous élançons dans le vide avec instinct, voulant chacun prendre le dessus sur la magie de l'autre, assénant des coups violents mais contrôlés. Je m'abats sur le sol, mon dos craquant sous le choc. Lui-même glisse sur plusieurs mètres, frappant les murs. Je m'écorche, m'érafle, me sens couverte d'hématomes. Mes cheveux se sont vite détachés et plaquent ma peau brûlante.

Je ne m'étais jamais battue avec le roi. Et malgré moi, je dois reconnaître qu'il se bat comme son frère. Avec une cruauté sublime, une rage gracieuse, dans la lumière la plus pure qui soit. Plongé dans ses ondes violentes et brillantes, il me paraît être un Ange du chaos.

Le combat perdure pendant des minutes qui échappent au temps, où je ne fais qu'exécuter tout ce qui s'impose aujourd'hui comme une évidence. Je saute, roule, tombe, percute le roi sans crainte. Je le frappe avec fureur, lui envoie des orbes lumineuses en plein ventre, enferme son bras transparent dans mes flammes. La lame de ma dague envoie des décharges incandescentes, les ondes de choc nous séparent puis nous réunissent. Je sens mon souffle se couper à chaque fois qu'il abat sur moi son pouvoir aérien, à chaque fois que je sens ma gorge se serrer sous la pression invisible qu'il y appuie.

Le stade entier ne résonne que de nos coups et nos respirations haletantes, n'est baigné que dans notre lueur. Nous pourrions faire exploser tout autour de nous, et tout tremble pour le prouver.

Dès que je peux, je capte son regard intense et vais y chercher cette fureur que je reconnais en moi. Dans notre combat, il n'y a pas que la démonstration de notre puissance. On se rend tous les deux compte de notre complémentarité terrifiante, de l'union que nos pouvoirs semblent faire automatiquement. La Sylphide en moi est appelée par sa puissance, et je ne peux y résister. Nous ne nous battons pas seulement, nous apprenons à apprivoiser le contact de la magie de l'autre, nous apprenons à nous battre côte à côte.

Et c'est quand nous exécutons au même moment deux attaques identiques, nous projetant mutuellement d'un côté et de l'autre du large terrain, que j'en prends conscience. Le temps s'arrête, et le combat aussi, dans une évidence absolue. Je suis plaquée aux pieds des gradins, me laissant tomber à terre en toussant. La poussière et la lumière retombe, la pression aussi. L'air me paraît revenir naturellement dans la pièce et dans mes poumons. Tout mon corps bat au rythme de mon cœur, et je ne parviens pas à quitter le roi des yeux, qui lui aussi s'est assis, adossé aux gradins face à moi. Dans ses mains ondulent encore les vestiges lumineux de sa magie. Dans les paumes des miennes, les pulsations de mes veines sont affolantes, ma puissance remontant toujours par vagues dans chacun de mes membres.
Je vois en lui le miroir de ma fureur, et en nous la même certitude. Les pouvoirs qui m'habitent n'ont jamais autant été miens.

Lentement, nous nous relevons sans nous quitter des yeux. Le bourdonnement dans mes oreilles ne se calme que quand j'ose enfin avancer et me tourner vers les gradins, observant la réaction abasourdie de tous les spectateurs. Tremblants de peur ou d'excitation, tous ceux qui regardaient la scène sont muets, ébahis. Je tourne sur moi-même en reprenant ma respiration, posant mes yeux sur tous ceux qui retrouvent à leur tour leur contenance. Ceux qui s'étaient plaqués au mur retrouvent leurs places, ceux qui s'étaient recroquevillés se relèvent. Tous alternent entre le roi et moi, puis se regardent d'un même air ahuri ou offusqué.

C'est à cet instant que je remarque la silhouette perchée tout au fond, tout en haut dans l'ombre, presque invisible. Ma mère. Elle est bel et bien venue. Et même si je ne peux pas voir son visage, je capte toute son énergie. Et finalement, je vois la lueur légère mais assurée qui se dessine autour d'elle, dans ses mains tapissées dans l'ombre. La lueur bleutée d'une Silencieuse de Sang Pur, d'une guerrière qui elle aussi est appelée par le combat.

Puis, quand elle lève son poing en l'air, un rayon de lumière passe sur son visage et je me rends compte qu'elle sourit. Mon cœur bondit, et en rebaissant les yeux vers la foule, je me rends compte que certains lèvent leurs armes pour les brandir fièrement au dessus d'eux, me scrutant avec enthousiasme.
De plus en plus de gens suivent le mouvement, et je me sens parcourue d'un long spasme inexplicable. Alors que je laissais mes bras tomber, je me redresse et lève à mon tour ma dague étincelante, joignant ma force à la leur. Je n'arrive pas à réprimer mon sourire, ni le tremblement de mes mains.

J'observe chacun d'entre eux, et les gradins sont bientôt parcourus par les éclats furieux des lames qui s'entrechoquent. Peu à peu, la foule s'élève dans un même geste soutien, tout un peuple se dresse fièrement à mes côtés. Je serre avec fermeté et assurance le manche de mon arme, et le halo qui l'entoure grandit un peu, comme si lui même se nourrissait de leur énergie.

Et à ce moment, je le comprends.

J'ai réussi.

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Voilà pour le chapitre 42 ! J'espère qu'il vous a plu !

Beaucoup de magie et de tension, qu'en avez-vous pensé ? Heaven s'en sort pas mal, non ? ;)
J'essaie d'écrire le plus souvent possible, je ne veux pas vous laisser trop attendre alors que l'action s'accélère !

À bientôt pour la suite, bisouus ♥

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