Douzième Chapitre.
[Dimanche 23 Octobre. 13h20. Après avoir révélé la vérité sur la vieille disparition de Jake, Jorah a décidé de s'en prendre physiquement à lui pour punir Heaven.]
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Sa voix fait hérisser les poils sur ma nuque, et je serre encore plus les poings. Alors, je l'observe répéter le même coup, faisant lâcher un gémissement étranglé à Jake. Je plaque instinctivement ma main sur la vitre, voulant capter le regard de mon petit-ami, en vain. Jorah le frappe une nouvelle fois, abattant son poing sur sa mâchoire pour faire vaciller Jake jusqu'au mur où il se retrouve plaqué. Je vois ses jambes trembler, et devine au regard appuyé de Jorah que ce dernier use de sa capacité de soumission mentale pour l'empêcher de riposter. Jake est en train de se faire tabasser sans pouvoir bouger. Et c'est Jorah qui parle de lâcheté. Je sens ma mâchoire se contracter, je donne un coup de rage sur le mur.
— Arrêtez, ça ne sert à rien, articulé-je.
Je n'essaie même plus de masquer mon énervement, voulant que Jorah en finisse le plus rapidement possible.
— Si, si, ça sert, répond-il en balançant son pied sur le torse de Jake. Il faut que tu te rendes compte. Je n'ai pas besoin de lui, tu sais. Je pourrais très bien le tuer pour que tu comprennes. Mais je ne le ferai pas maintenant. Pour chaque fois où tu m'as agacé, (Il s'interrompt pour frapper le crâne de Jake.) un coup.
— Réagis, Jake ! m'étranglé-je.
Jorah émet un ricanement sournois en levant légèrement la tête.
— Il ne réagira pas. Je lui ai dit que chaque coup qu'il éviterait, c'est toi qui le prendrais.
Un spasme fait trembler mes jambes, et je secoue lentement la tête. Jake accepte de se laisser ainsi faire simplement pour me protéger.
Jorah commence alors à enchaîner les attaques avec violence, tenant fermement Jake par le col. Le seul bruit qui brise le silence est celui des chocs et des râles de douleur. Sa main s'abat sur son visage, ses pieds, ses jambes, sur son dos.
— Non, arrêtez ! tenté-je d'intervenir. Je vous obéirai j'ai dit, c'est bon !
Jorah ne daigne même pas me regarder, et il fait cogner le crâne de Jake contre le mur, avant de lui asséner un nouveau coup de genou dans le nez. En voyant les gouttes de sang tâcher le sol, je serre les paupières, le ventre retourné. Je me retiens pour ne pas pleurer. J'ai beau savoir que Jake est résistant, une telle pluie de coups ne peut être sans dégâts.
— C'est lui qui prend alors qu'il n'a rien fait, se moque Jorah en faisant cette fois voler Jake jusqu'à l'autre mur contre lequel il s'écrase durement.
— Arrêtez ! Laissez le respirer.
Jorah pouffe en me lançant un bref regard, puis il dégaine soudainement un couteau de son dos. J'écarquille les yeux en voyant le métal étinceler, et à en deviner par la mine carnassière de Jorah, c'est de l'argent.
— Non, laissé-je échapper.
Jorah me regarde toujours quand il va chercher Jake et le traîne par le col jusqu'à mon niveau. Lorsqu'il tire ses cheveux pour mieux me le montrer, je laisse échapper un hoquet étouffé. Des ecchymoses et tâches de sang parsèment son visage habituellement si doux et beau, et la douleur déforme ses traits en une expression d'épuisement qui me donne envie de vomir tant elle est frappante. Il garde les yeux fermés, semblant à moitié conscient, en train de puiser dans toute son énergie pour ne pas s'évanouir. Je peux voir ses lèvres ensanglantées trembler, et je réprime l'envie de m'accroupir face à lui, sentant un sanglot remonter dans ma gorge. Je donne un nouveau coup de poing rageur sur la vitre, lançant un regard assassin à Jorah.
— Ça ne sert à rien d'aller aussi loin, j'ai compris.
Il secoue la tête, et fait tournoyer le petit couteau en argent entre ses doigts, avant de l'approcher doucement de Jake. Et celui-ci doit le sentir, puisqu'il ouvre brusquement les yeux, dévoilant des iris presque totalement jaunes, brillant férocement, seule trace de vie sur son visage tuméfié. Je croise son regard, et me sens foudroyée d'émotions, à un tel point que je me laisse tomber à genoux devant lui, sentant toute force quitter mon corps. Et lorsqu'il trouve la force de lever légèrement la main pour la plaquer sur la mince vitre qui nous sépare, je tremble de tout mon long, voulant à mon tour coller ma main. Mais je suis interrompue par Jorah qui donne un coup de pied sur le poignet de Jake, faisant retentir un affreux bruit d'os claqués. Jake laisse échapper un faible cri de douleur, et arrache ses yeux des miens en se recroquevillant.
— Jorah, c'est bon ! essayé-je de le calmer.
Je me remets debout avec difficulté, supportant difficilement la vue de Jake. Jamais je n'aurais imaginé le voir dans un tel état, aussi fragile, incapable de bouger ou de parler.
— J'ai compris, répété-je en un souffle saccadé. Laissez le, il n'a rien à voir avec ça.
Sans un mot, Jorah tire Jake pour le mettre sur pieds, gardant la lame du couteau à quelques centimètres de son cou, avant de faire brutalement une entaille à la base de sa clavicule. Jake presse les paupières et étouffe un gémissement, je hoquette en voyant de la vapeur s'échapper de la blessure. L'argent brûle littéralement sa peau. Je secoue la tête, et lance un regard noir à Jorah, alors qu'il écorche cette fois ci la mâchoire de Jake, avant d'enchaîner sur son autre clavicule. Il s'apprête à glisser la lame sanglante sur son épaule quand j'interviens, à bout de forces.
— Il a déjà assez souffert, laissez le tranquille. S'il vous plaît...
Ma voix n'est plus qu'un faible soupir, épuisée par les émotions destructrices qui se bousculent en moi. C'est moi qui devrais endurer toute cette torture, pas lui. Et s'il doit vivre tout ça, s'il doit subir cette interminable punition, c'est uniquement parce qu'il est lié à moi. Je sens mon cœur se serrer douloureusement. Encore une fois, c'est à cause de moi qu'il souffre.
— C'est vrai.
En entendant Jorah, je redresse la tête, animée malgré moi d'un élan de soulagement. Mais j'ai à peine le temps de croiser son regard étincelant que la vitre qui me sépare de lui tourne de nouveau au noir, m'empêchant de distinguer la pièce à côté. Je reste pantoise, le corps entier tremblant sous la tension. Est-ce que c'est fini ? Je fais quelques pas en arrière, troublée. C'est brutal. Trop, beaucoup trop brutal. Ça ne peut pas être aussi simple...
Je n'entends plus rien, pendant quelques instants, et sens l'angoisse monter brutalement en moi. J'ai la chair de poule, la tête au bord de l'explosion, le cœur au bord de l'arrêt.
Apparemment, mon instinct disait vrai, puisque le mur retrouve soudainement son aspect normal, et j'aperçois de nouveau Jorah, toujours en compagnie de Jake qu'il tient fermement par la nuque. En l'apercevant, j'étouffe un sanglot qui manque de s'échapper de ma gorge. Tout son visage est tailladé, ainsi que la base de son torse, dont la chair semble être à vif. Je sens les larmes envahir malgré moi mes yeux. Il est couvert de sang, et ne tient même plus debout. On le reconnaît à peine.
— Jake... laissé-je échapper d'une voix rauque.
Je tente de bouger, mais sens que mes jambes vont lâcher, alors m'arrête, sentant des larmes rouler sur mes joues. Je vois Jake bouger légèrement la tête et la relever, avant qu'elle ne retombe. Je ne peux plus voir que ses cheveux poisseux, d'où coulent quelques gouttelettes de sang. Je passe mes mains sur mon visage brûlant et humide, reprenant tant bien que mal ma respiration.
— C'est bon, vous avez gagné, laissez le, lâché-je dans un souffle inaudible.
Un éclat apparaît dans les yeux d'un blanc translucide de Jorah, et il redresse le menton en me toisant sévèrement. Puis, je vois les commissures de ses lèvres s'étirer bestialement, en un sourire plus sadique que jamais. Alors c'est ça qu'il aime. Me voir faiblir petit à petit, me briser lentement. Il m'a fait espérer que c'était fini, pour mieux me faire mal après. Il tient à moi, dit-il. Quelle étrange façon de tenir à quelqu'un.
— Non, je n'ai pas encore gagné.
Je fronce les sourcils, épuisée par tant d'acharnement, et laisse de nouvelles larmes couler sur mon visage en baissant les yeux. Il ne va jamais s'arrêter...
J'entrouvre les lèvres pour parler en relevant la tête, mais fais alors face à l'expression effroyablement carnassière de Jorah, qui a relevé la tête de Jake pour que je puisse observer son visage. Je m'immobilise en le voyant lever de nouveau son couteau. Et j'ai à peine le temps de comprendre ce qu'il compte faire, qu'il abat la lame sur la gorge de Jake et la tranche en une seconde, laissant son sang éclabousser le mur. Le cri que je pousse alors déchire le silence, et je m'élance sur la vitre quand Jorah lâche le couteau et le corps de Jake, qui s'effondre au sol dans un bruit sourd. Je frappe le mur en déchaînant toute la force de mes poings, au bord de l'évanouissement. Je me laisse tomber à genoux, la gorge en feu. Mon ventre se retourne sous la nausée qui m'agresse brutalement, et je dois plaquer une main sur ma bouche pour ne pas vomir.
— NON ! Non ! JAAAAKE !
Je ne peux pas quitter des yeux son corps inerte, dont le sang ne fait que couler et tâcher le sol, laissant une mare écarlate entourer son visage. La plaie béante sur son cou laisse échapper une vapeur épaisse. Les larmes jaillissent sans que je n'ai plus aucun contrôle, et mes cris écorchent ma gorge nouée. J'ai mal au cœur, si mal que je pourrais en mourir.
— Pourquoi vous avez fait ça ? m'époumoné-je à l'intention de Jorah. Pourquoi ? Vous aviez dit que vous ne le tueriez pas !
Ma voix se brise, et j'éclate en sanglots, ne cessant pas de frapper le mur qui me sépare de Jake. Non, il ne peut pas être mort. Pas lui. Pas lui aussi. J'ai assisté au meurtre de Zac, je ne veux pas assister à celui de Jake. Je ne pourrai pas y survivre.
— Pourquoi...
Tout se bouscule dans ma tête, tout s'embrume et je n'arrive plus à penser clairement. Je vois flou, sens toute mon énergie partir dans mes coups et mes pleurs hystériques, la pression dans mon crâne augmenter, me donnant l'impression que je vais imploser. Mon corps entier me brûle, me fait mal. Ma poitrine retient difficilement les battements déchaînés de mon cœur qui est à deux doigts de me lâcher, et mes poumons n'ont plus le temps de se remplir d'air que je l'épuise en pleurant.
— Je... soupire Jorah.
En entendant sa voix, je suis piquée au vif et me remets sur pieds en manquant de tomber.
— Non ! Taisez vous ! Taisez vous !
Je le regarde pour la première fois depuis tout à l'heure, et me sens foudroyée par son regard brûlant de froideur. Animée par une fureur profonde qui surgit brutalement, je laisse pleuvoir les coups sur la vitre en lâchant un hurlement guttural, et finis par entendre un craquèlement. Toute l'énergie qu'il me reste est concentrée dans mon objectif, cumulant toute la force que j'ai pu acquérir, toute la puissance physique dont je peux faire preuve. Poussée par l'adrénaline, je ne sens plus la douleur dans mes poings ensanglantés, et frappe de toute mes forces. Alors, mon corps entier suit mon mouvement, et la vitre explose enfin, faisant pleuvoir ses éclats dans les deux pièces à présent unies.
Le premier réflexe que j'ai n'est pas de sauter à la gorge de Jorah, mais de me précipiter vers Jake. En faisant crisser le verre, je me laisse tomber à ses côtés, pataugeant dans son sang. Je le frôle de mes mains tremblantes, sentant la nausée torturer mes tripes. La vue de son visage éteint, de sa gorge ouverte, de son corps mutilé me déchirent intérieurement, ravagent mon être au plus profond.
— Jake... Jake...
Je pose mes mains sur son visage, plus brûlant qu'il ne l'a jamais été. Je suis secouée de spasmes incontrôlables, faisant trembler tous mes membres. Mes mains parcourent son corps sans que je puisse les retenir, se poissent de son sang alors que je viens attraper sa main. J'entrelace mes doigts aux siens, lâchant un sanglot inaudible. Ça ne peut pas être vrai. Je ne peux pas être en train de tenir le cadavre de Jake.
— Vous l'avez tué... haleté-je. Vous l'avez tué.
Tout se bouscule dans ma tête, tout se répète, tous les moments que j'ai pu vivre avec lui, toutes les sensations qu'il a réveillées en moi. Tout resurgit, remonte et m'inflige une douleur insoutenable. Je ne saurais décrire l'ampleur du sentiment qui me broie les entrailles à cet instant.
Je serre la paume de Jake, et pose mon front fiévreux sur ses doigts, violentée par des sueurs froides me donnant le tournis. Je me suis toujours dit que tant qu'il serait là, tout irait bien. Maintenant qu'il n'est plus là, comment suis-je censée faire ? Comment suis-je censée me battre si tout m'a été arraché ?
— Jake... répété-je, comme dans un mantra désespéré.
Je secoue la tête, assaillie par des vertiges qui m'empêchent de rester immobile. Les mêmes images repassent en boucle sous mes paupières, les mêmes mots destructeurs se répètent dans mon esprit. « Jake est mort ». C'est inimaginable, inconcevable, et pourtant c'est bien vrai. Cette plaie béante et ce visage inanimé en sont la preuve. Je suis aux côtés du cadavre de Jake, de mon petit ami, de mon loup-garou qui ne se réveillera jamais.
Jake est mort. Il est mort, par la faute de Jorah, comme d'habitude.
Brutalement, je m'arrête de pleurer, sentant en moi s'animer une force meurtrière qui m'est familière avec Jorah. Mais cette fois, ma haine et mon dégoût n'ont plus que d'égal ma soif de vengeance. Alors, sans plus réfléchir, je détache mes mains tâchées de sang de celles de Jake, et me redresse en manquant de glisser sur le liquide écarlate. Je me retourne vers Jorah et il ne me faut pas une seconde d'hésitation avant que je ne me jette sur lui, l'adrénaline vrillant mes tympans. Je parviens à lui donner un coup de poing sur le torse avant qu'il n'use de sa force pour m'envoyer contre le mur.
— Calme toi, Heaven !
— Vous me dites de me calmer ? m'emporté-je. Vous me dites de me calmer après ça ?!
Je m'élance de nouveau, et suis violemment plaquée au sol par une force invisible, qui me pousse jusqu'au corps de Jake. Je n'atteindrai pas Jorah maintenant, pas dans cet état. Alors, je serre les poings, tremblant de rage, et baisse la tête pour fixer les yeux fermés de mon petit-ami. Même ses cils sont ensanglantés. Je ramène mes genoux contre moi, et relâche tous mes muscles, me sentant perdre toute constance. Mes larmes ont cessé, je n'en ai sûrement plus en stock. Je sens toujours mon pouls battre frénétiquement dans mes tempes, faisant bourdonner mes oreilles dans une douleur qui me force à plisser les paupières. Je suis épuisée, terrassée. J'ai mal. J'ai mal au cœur, j'ai mal à l'âme. J'ai mal comme il me serait impossible de le dire, comme je pensais être impossible d'avoir mal. C'est une douleur sourde, infinie, emplissant chaque particule de mon être, m'arrachant les entrailles. Je ressens bien plus pour Jake que je ne voudrais me l'avouer. Je suis amoureuse, véritablement amoureuse. Je l'aime. Je l'aimais, et on me l'a pris.
— J'avais compris... chevroté-je. J'avais compris, vous n'aviez pas besoin de le tuer.
Jorah ne répond pas, mais je peux sentir son regard peser sur moi avec insistance. Et en imaginant l'expression sur son visage, en imaginant ce que lui même ressent, mon cœur se serre un peu plus. Il sait que je n'ai jamais plus souffert qu'à cet instant. Il sait que sa torture a parfaitement marché, et qu'il a trouvé le moyen de me briser. Son moyen de pression, il l'a utilisé, l'a épuisé. Mais il a surtout réussi à faire naître en moi une colère inhumaine, une colère muette, née de la destruction de mon monde, de l'apogée de ma soif de vengeance. J'étais déjà persuadée que je le tuerai, mais là, je suis persuadée que je le massacrerai.
— Ce n'est pas lui, déclare alors Jorah d'une voix qui résonne dans toute la pièce.
— Quoi ?
Je fronce les sourcils, sans oser me retourner vers lui. Et soudain, la vapeur qui émanait doucement du cadavre de Jake s'épaissit et grandit, pour venir envelopper tout son corps. Je m'éloigne en chancelant, sentant tous mes muscles endoloris se tendre. Pendant un instant, je ne vois plus Jake, masqué par ce brouillard étrange. Je me traîne jusqu'à un mur pour y poser ma tête, n'ayant même plus la force de penser. Puis, quand la vapeur commence à disparaître, je me redresse légèrement. Et à ce moment, mon sang ne fait qu'un tour. Le corps que j'ai à présent sous les yeux n'est plus celui de Jake. Je ne reconnais plus son visage, qui est maintenant celui d'un homme aux cheveux roux, bien plus vieux.
— Je... Où... Jake...
— Ce n'était pas lui, j'ai dit.
Je secoue la tête, complètement abasourdie, et entends Jorah faire quelques pas avant de se retrouver devant moi, de l'autre côté du cadavre inconnu.
— C'était un Changeur, déclare-t-il calmement en s'accroupissant pour m'observer.
Je lève les yeux vers lui, sentant ma cage thoracique se serrer brutalement.
— Hein ? balbutié-je.
— Jake n'est pas mort. J'ai tué ce Changeur pour te le faire croire.
Cette fois ci, c'est le coup de trop. Je lâche un gémissement profond, pressant ma poitrine tant mon cœur me fait mal à cet instant. Je perds tout mon souffle, sentant mon corps entier se crisper sous la douleur. Mes tympans sifflent, ma gorge est si nouée que je pourrais m'étouffer.
— Non, non... haleté-je.
— Je ne mens pas.
Et je le sais. Je laisse alors échapper un violent sanglot qui ressemble plus à une plainte désespérée, me recroquevillant sur moi même alors que je sens mon corps se détendre sans que je puisse le contrôler. Je porte une main à ma bouche, si bouleversée que j'ai l'impression de ne plus pouvoir rien discerner. Je tente de reprendre mon souffle, assaillie par l'angoisse qui me prend aux tripes et enserre ma gorge, me donne l'impression que je brûle de l'intérieur.
Définir ce qui m'emplit à ce moment est au dessus de mes forces. Ce n'est pas du soulagement. C'est bien plus que ça, et c'est insupportable à un tel point que je pourrais y succomber. J'ai encore plus mal qu'avant. Je me sens à la fois débordée d'émotions et vide, plus chamboulée encore que deux minutes auparavant. Les émotions qui me frappent sont telles qu'elles pourraient me tuer.
Jake était mort il y a quelques secondes. Il était mort, ici et dans ma tête, dans mon cœur. Et il ne l'est plus. Sa mort était fausse, mais le sentiment qui m'a déchirée était bien réel. J'ai cru que j'allais mourir à mon tour, mourir de chagrin et de désespoir. Et je ne pourrais jamais l'oublier, je ne pourrais jamais oublier ce que la mort de Jake a causé en moi.
Je me traîne jusqu'à un coin de la pièce éloigné de Jorah, et ferme les yeux en enfouissant mon visage entre mes mains. Je me sens fondre en larmes alors que les images de ces derniers instants repassent dans mon esprit, comme une seconde torture pour moi.
— Pourquoi vous avez fait ça ? sangloté-je d'une voix étranglée.
J'entends Jorah s'approcher de moi, et lève alors la tête en la collant à mes genoux. Il s'abaisse à mon niveau, le visage neutre, l'air calme.
— Pour que tu comprennes de quoi je suis capable. Pour que tu comprennes que ça (Il désigne le cadavre du doigt.), je peux le faire quand je veux, et pour de vrai cette fois. Ce que tu as ressenti, c'était ça ta torture. Et ça va rester marqué pendant très longtemps.
Je tremble tellement que j'ai du mal à soutenir son regard. Je n'arrive pas à reprendre mes esprits.
— Tu dois prendre conscience que tu ne peux pas jouer avec moi comme tu le fais, Heaven.
Il se redresse, et me toise en silence, les yeux perçants. Je ne réponds pas à sa remarque, incapable de trouver les mots justes. Lorsqu'il ouvre la porte de la pièce, je me questionne une seconde, avant de voir débarquer deux Bannis, qui avancent tranquillement jusqu'au corps de l'inconnu et le posent sur une civière mortuaire avant de ressortir. Je ne quitte pas des yeux la mare de sang qui macule le sol, n'arrivant pas à m'arracher de l'esprit l'image du cadavre de Jake qui y gisait quelques minutes plus tôt. Devant moi, Jorah a tué Jake, pour me montrer à quel point sa vie était fragile, pour graver dans mon esprit et dans mon cœur la pire des tortures, me faire réaliser qu'il est très sérieux. C'était une punition bien plus perverse et affreuse que je n'aurais pu l'imaginer.
— Ton loup-garou finira par s'en remettre, déclare alors Jorah. Il n'aura que quelques petites cicatrices, ça lui rappellera votre connerie.
Je serre les dents, le front plissé sous la tension. Je devine assez rapidement que c'était bien Jake qui était présent dans la pièce, jusqu'à ce que le mur tourne au noir et que Jorah l'échange avec le Changeur. Et je ne me suis douté de rien...
Toutes mes émotions se bousculent. Je suis indescriptiblement soulagée, que Jake n'ait pas eu à trop supporter la lame d'argent, qu'il soit vivant. Jake est vivant. J'arrive à peine à y croire tant je ne peux m'enlever sa mort de la tête. Tout ce que je voudrais, c'est le voir, le toucher, me prouver qu'il ne m'a pas été enlevé.
— Ne le touchez plus, lâché-je.
Mon regard se durcit, et celui de Jorah s'anime d'une lueur impétueuse.
— Je n'en aurai plus besoin.
Sur ces mots, il détourne les yeux, et fait quelques pas pour sortir la pièce, laissant claquer la porte derrière lui. Un frisson violent parcoure mon échine, et je laisse mes jambes retomber au sol. Je lâche un profond soupir, laissant mon regard osciller entre les débris de verre, les tâches de sang et mes propres poings, dont les phalanges écorchées commencent à brûler. L'adrénaline descendue, toute la douleur se réveille, et je peux sentir dans chaque partie de mon corps que j'ai souffert mentalement. Mes genoux sont écorchés par le verre, mes vêtements et mes mains remplis du sang que je pensais être celui de Jake.
J'inspire par le nez, et l'odeur métallique du sang me donne une légère nausée. Je n'arrive même pas à réfléchir correctement tant mes pensées sont brouillées. Je bloque ma respiration, et desserre les poings en grimaçant. Je n'en peux plus, de tout ça. Je n'en peux plus.
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Voilà pour le chapitre 12 ! J'espère qu'il vous a plu !
Désolée, désolée, je sais que vous allez m'incendier pour cette fausse frayeur D:
Ce chapitre était très éprouvant à écrire, j'étais au bord des larmes alors j'espère que les émotions y sont bien retranscrites ! C'est hyper important, surtout dans celui là !
Normalement, le 11 et 12 ne devaient être qu'un seul chapitre, mais j'ai eu l'idée de la mort de Jake et je les ai séparés (quelle merveilleuse idée, hein ?), c'est pour ça que c'est long !
Bon, ce qui compte c'est qu'au bout du compte il est vivant, non ? Vous y avez cru, à sa mort, où vous aviez deviné le stratagème ? ;)
M'en voulez pas, promis un jour ils seront tous heureux, un jour...
À bientôt pour la suite, bisouus ♥
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