Dixième Chapitre.

[Dimanche 23 Octobre. 3h. Molly est venue chercher Heaven dans la nuit pour l'emmener voir Jake, et après leurs retrouvailles et une mise au point stratégique, les deux filles se sont enfuies du bâtiment.]

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Molly et moi nous élançons dans le couloir, et je sens mon cœur battre à tout rompre au fur et à mesure que nous approchons de la sortie. Le bâtiment est heureusement vide pour le moment, mais les lumières qui l'éclairent ont tourné au rouge vif, donnant à l'atmosphère une teinte infernale qui accroît mon angoisse. À perte d'haleine, nous accélérons et arrivons à la porte d'entrée. Molly y donne un violent coup de pied, et elle s'ouvre à la volée. Je me prends le froid de la nuit en pleine face avec un frisson. Nous nous arrêtons brutalement, et je prends une profonde inspiration, la gorge en feu.

— OK, pour l'instant il n'y a personne, souffle Molly. On doit s'éloigner, on marchera après.

J'acquiesce vivement, et nous voilà reparties. Je repousse sur mes jambes en serrant les poings, et nous slalomons à une vitesse à en faire tourner la tête entre les allées du camp. Nous ralentissons lorsque nous sommes à mi chemin, et je m'interromps d'un coup en croyant entendre des voix briser le silence de la nuit.

— Quoi ? s'inquiète Molly.

Je lui fais signe de tendre l'oreille, et elle écarquille les yeux à son tour alors que les voix semblent s'approcher. Il ne faut pas plus de quelques secondes pour que lentement, nous découvrions avec horreur un groupe de Bannis, silhouettes menaçantes avançant dans la pénombre, à quelques dizaines de mètres de nous.

Je réagis immédiatement et prends Molly par le bras pour l'attirer vers une étroite ruelle. Je me colle au mur et elle fait de même. Je prie intérieurement pour que les Bannis ne nous aient pas vues. Je m'accroupis, ne souhaitant n'être plus qu'une masse noire invisible dans l'obscurité, et Molly m'imite. Je croise alors son regard, et le soutiens en silence pendant plusieurs minutes, captant la lueur dans ses iris bleus, puisant dans le calme qu'elle tente d'instaurer en elle. Je garde le contact visuel le temps d'entendre le groupe de Bannis s'approcher dangereusement jusqu'à passer devant la ruelle où nous sommes cachées, sentant mon pouls s'accélérer violemment et ma respiration se bloquer. Et lorsqu'ils nous ignorent complètement et continuent leur chemin en pressant le pas, je relâche un long soupir de soulagement, comprenant qu'ils se dirigent encore vers "l'infirmerie" où nous nous trouvions il y a quelques minutes.

— Ils pensent qu'on y est encore, lâché-je dans un souffle.
— Ils nous ont manquées de peu...

Je hoche la tête, le cœur battant, et me redresse en tendant l'oreille. Lentement, Molly passe la tête dans la ruelle, et soupire doucement.

— C'est bon, on y va.

Je la suis lorsque nous nous remettons en chemin. Nous marchons le plus silencieusement possible, sans dire un mot, les sens en alerte.

— Ils vont sûrement apprendre que c'était nous, lance alors Molly sans se retourner vers moi.

Je n'ai pas besoin de réfléchir pendant très longtemps pour me rappeler de l'homme qui nous a intercepté dans le couloir du bâtiment, et laisse échapper un soupir.

— Alors pourquoi on est parties en courant si ça ne change rien ?

Mon amie ne répond rien, et je lui repose la question en lui lançant un regard perplexe. Elle fixe le sol, les sourcils étrangement froncés.

— Hein, pourquoi ?
— Parce que j'ai eu un moment de doute.
— Comment ça ?

Elle secoue la tête en m'adressant une brève moue, signifiant que ce n'est pas si important que ça.

— Mais si, dis moi !
— J'avais l'impression que tu avais soumis son esprit.

Je m'arrête brusquement, et plisse les paupières, dans une sincère incompréhension. Molly se tourne alors face à moi, et me fixe en silence pendant une seconde, le visage marqué par les contrastes de l'éclairage nocturne, les yeux pétillants et le regard pénétrant.

— La manière dont il t'a regardée m'a fait pensé au regard que les gens adressent à Jorah quand il parle. Vraiment beaucoup.

Je sens mon cœur frapper contre ma poitrine, et entrouvre les lèvres sans savoir quoi répondre. Je me rappelle alors de l'étrange sensation de frisson dans mon crâne. Je sais que c'est une faculté que les Sylphes possèdent, une sorte de soumission mentale accroissant leur capacité de persuasion, qui leur permet de faire taire ceux qui leur sont inférieurs.
Mais je n'ai pas souhaité user de ma magie sur lui, et encore moins d'un tel pouvoir que je ne connais pas. De plus, je sais que mes yeux ne se sont pas animés, rien ne s'est passé comme d'habitude, alors il n'y a rien qui justifie l'idée de Molly.

— Tu t'imagines trop de trucs, soufflé-je.
— Oui, sûrement. Mais c'est pour ça que j'ai voulu courir. Je me suis dit que si tu avais soumis son esprit, peut-être qu'il ne dirait rien à ceux qui viendraient, mais mieux vaut ne pas prendre de risque...

Elle se remet en marche, et je lui emboîte le pas en me mordant les lèvres. Je regarde régulièrement derrière nous, le crâne prêt à exploser. Ma tête est lourde, mon esprit parasité, mes pensées embrouillées. Je ne crois pas posséder ce don, mais l'hypothèse n'est pas folle. Et même si je ne peux pas soumettre leur esprit, il y a en moi cette part de Sylphe, capable d'une persuasion perverse. Mais je ne sais pas si je veux lui laisser une place.

Je n'ouvre la bouche pendant le reste du chemin tendu qui suit, et c'est avec un immense soulagement que j'aperçois se dessiner au loin le balcon menant à ma chambre. Je laisse échapper un soupir, aussi surprise que ravie de n'avoir rencontré presque aucun obstacle sur la route. Mais, malgré mon soulagement, Molly reste sceptique, et ne peut s'empêcher de regarder partout autour d'elle, l'air contrarié.

— Je déteste cette ambiance, finit-elle par avouer. Si le camp est aussi peu surveillé, ça veut dire que les Bannis commencent à ne plus s'inquiéter de trucs comme ça. Ils se préparent et c'est tout ce qui compte.

Je déglutis, et me contente de hocher lentement la tête. Puis, je prends une profonde inspiration, et pose ma main sur l'épaule de mon amie.

— Hé, soufflé-je.

Elle arrime ses yeux aux miens, le regard brillant, et je soupire.

— Ça ne sera pas un combat facile, on le sait, mais ça ne veut pas dire qu'on n'y arrivera pas.

Un léger sourire étire le coin des lèvres de Molly, et elle acquiesce tranquillement, légèrement tremblotante.
Nous finissons le chemin en silence, et elle m'accompagne jusqu'à la porte de ma chambre en soufflant par moment. Avant d'y rentrer, je me retourne vers elle, et lui adresse un sourire qui se veut le plus reconnaissant possible.

— Merci, l'intimé-je. Merci, vraiment.

L'Ondine me tend ses bras, et je ne lui refuse pas l'étreinte qu'elle me donne ensuite. Puis, quelques instants plus tard, je rentre dans ma chambre et la salue, attendant qu'elle ferme la porte pour détacher mes yeux des siens. Lorsque j'entends que je suis de nouveau enfermée, je lâche un profond soupir, et m'effondre sur mon lit en fixant le plafond. Je ne suis toujours pas remise de mes émotions, et il suffit d'entendre le battement frénétique de mon cœur dans ma poitrine pour s'en rendre compte. Tout fuse dans ma tête, et honnêtement, si je me mets à réfléchir à tout ce que je ressens à chaque fraction de seconde, la migraine pourrait bien m'achever.

* * *

— Aujourd'hui, on va corser un peu les choses, sourit Derek.

Je lève les yeux vers les arbres autour de nous sans répondre, malgré moi toujours dans mes pensées. Ce matin, ce n'est pas Jorah qui est venu me chercher, et toujours aucun signe de lui alors que je suis bien arrivée au lieu d'entraînement. Ni lui ni Kali ne semble daigner apparaître pour mon apprentissage, et je trouve ça particulièrement suspect. Une boule s'est installée dans ma gorge depuis mon réveil. J'ai l'impression d'être dans une interminable attente, patientant jusqu'à la probable punition que je recevrai quand je reverrai Jorah. Car j'ai beau vouloir me convaincre du contraire, la raison de son absence doit concerner l'effraction de cette nuit, et il est sûrement déjà au courant de tout.

— Oh, tu te concentres ? insiste mon entraîneur en agitant la main sous mes yeux.

Je souffle en secouant la tête.

— Tu ne peux vraiment pas m'expliquer pourquoi tu es seul ?
— Non, je ne sais pas ce qu'ils font. Kali m'a juste dit de faire sans eux.

Je fronce les sourcils, et il hausse les épaules. Puis, je resserre mon emprise autour du manche de mon arme, me décidant à me concentrer uniquement sur les conseils de Derek. Je ne dois pas oublier mon objectif. Je dois devenir la meilleure, je dois devenir invincible.

— On s'y met, alors, lancé-je.

Il m'adresse un sourire rasséréné, et se racle la gorge.

— Hier, tu t'es améliorée pour les acrobaties. Mais tu manques encore d'agilité. Est-ce que tu as l'habitude d'allier ta magie à ton effort ?
— Comment ça ?

Son regard s'anime, et une légère expression amusée passe sur son visage.

— Le corps et l'esprit sont liés et indissociables, tu sais, fait-il alors. Et il en va de même pour le corps et la magie. Quand tu te bats, tu puises dans une énergie profonde qui t'appartient, donc tu fais jouer une infime partie de ta magie. Mais tu peux la solliciter encore plus pour compenser quelques faiblesses, ou pour attaquer plus sérieusement.

En me voyant plisser les paupières, il agite la tête et brandit son sabre. Alors, je vois les iris de ses yeux virer au violet en un instant, et la seconde d'après, son arme est enveloppée de flammes vives.

— Comme je suis un sorcier, déclare Derek, je peux utiliser les éléments - comme toi, d'ailleurs. Alors pour que mon sabre soit plus efficace, il m'arrive d'y ajouter une petite touche personnelle, comme celle là.

Le feu qui prolonge la lame de son arme diffuse une incroyable chaleur, et je mets un instant à réagir quand elle s'approche brutalement de moi. Je pare le coup avec ma propre lame, et me perds pendant une fraction de seconde à la contemplation de l'union des légères flammes bleues que ma dague dégage à celles du sabre de Derek.
Ce dernier intensifie l'échange, et je me vois obligée de pivoter pour éviter de me faire brûler. Puis, comprenant que les choses deviennent sérieuses, j'attaque à mon tour, ressassant dans mon esprit toute la précision que j'ai acquis la veille, parvenant tant bien que mal à faire le poids sans ma magie. Je peux voir à la rapidité inouïe de Derek qu'il puise dans ses pouvoirs, et observe attentivement chacun de ses faits et gestes. Il n'avait pas encore montré cette technique de combat, et c'est indéniablement plus impressionnant. Je peux sentir toute la puissance émaner de lui, l'entourant d'une aura d'harmonie incompréhensible. Lui et son sabre ne font plus qu'un, chacun de ses mouvements respire la magie, tous ses enchaînements sont naturels et réfléchis. La manière dont il bouge me fait penser à celle de Joyce. Bien qu'elle soit moins incroyable, il y a la même cohésion avec l'énergie surnaturelle, le même équilibre qui fait rêver.

Il comprend rapidement que je souhaite l'observer plutôt que le combattre, alors poursuit ses gestes tout en m'indiquant de précieux conseils, que j'écoute attentivement, l'imitant malgré l'absence de la magie en moi à cet instant. Il me tarde de m'exercer en conditions réelles, je retrouver la puissance que je dois dompter.

La séance dure plusieurs heures, où je m'efforce de ne penser à rien d'autre qu'à mon progrès. Je peux sentir dans mes membres que le combat commence à devenir une habitude, que les mouvements sont enfin instinctifs, et que les "acrobaties" dont me parlait hier Derek sont de plus en plus accessibles. Nous sommes passés rapidement au corps à corps, et l'affrontement s'est légèrement corsé. J'apprends alors à prendre appui sur les arbres, à balancer l'équilibre de mon corps sur certains membres, à sauter de plus en plus haut. Puis vient le fameux salto à plus de deux mètres du sol, celui que Derek a effectué tout calmement hier.

— Ce n'est pas facile, tu t'en doutes, raille celui-ci lorsque nous faisons une pause pour qu'il m'explique. Mais si tu as vraiment bien assimilé tout ce qu'on a fait, tu devrais réussir. Tu as déjà fait beaucoup de progrès, et rapidement.

Je hoche la tête, et dégourdis mes jambes en inspirant profondément.

— Pour y arriver naturellement, il faut oublier ton corps, en bref.

Je considère Derek en silence, mi amusée mi déroutée.

— Me regarde pas comme ça, rit-il. Faire ce genre d'enchaînement, ça demande plus que de la force et de la détermination. C'est une vraie confiance en ton corps, au point que tu l'oublies et que tu ne te sens même plus sauter. Tu sais, quand je me bats, je n'ai même plus besoin de réfléchir.
— Oh, bah désolée de ne pas être savante, raillé-je.

Il rit doucement, et pendant un instant, je le regarde en me disant que c'est bien dommage qu'il soit dans le camp adverse. Étrangement, je me suis un peu attachée à lui et sa personnalité qui diffère de ce que j'attendais. Il ne veut de mal à personne, et est un parfait exemple du Banni aveuglé par un espoir illusoire. Et penser qu'il pourrait périr par ma faute si la guerre a lieu me fend le cœur. Je ne le connais pas, mais je sais qu'il ne mérite pas de pâtir de la folie de Jorah. Je pourrais presque en rire. Me voilà aujourd'hui arrivée à un stade où je veux protéger les Bannis.

Je soupire, et pendant les longues minutes qui suivent, je m'affaire à un nouveau travail de concentration, pour parvenir à imiter ne serait-ce qu'un des gestes inimaginables que Derek s'obstine à me montrer. Il enchaîne les pirouettes, glissades et autres roulades dans l'air, alternant des prouesses physiques qui semblent presque défier les lois de la nature, et qui ne font aucun doute sur sa capacité à vaincre l'ennemi. Il est persuadé que j'en serai capable d'ici après-demain, mais plus je m'acharne, moins j'ai confiance.

Soudain, Derek pose une main ferme sur mon épaule pour me forcer à cesser tout effort, et plonge son regard électrique dans le mien. Je frissonne en y retrouvant une lueur que je connais habituellement chez Zac. Celle du mentor qui veut calmer son élève trop tétu.

Un léger sourire barre le beau visage du sorcier, et il soupire une seconde.

— Tu ne crois pas en ton corps.

Je plisse le front et pouffe malgré moi, mais ravale vite ma moquerie en voyant son air sérieux.

— Non, vraiment, dit-il. Tu sais que tu es forte physiquement, mais tu te reposes trop sur ta magie. Tu ne dois pas t'en rendre compte, mais c'est pour ça que tu bloques, là. Pourtant, le fait que tu es privée de tes pouvoirs, ça aide. Et au lieu de te concentrer sur ça, tu dois t'imaginer "quand j'aurai mes pouvoirs, je pourrai compenser ça, et ça". Mais ce n'est pas le bon état d'esprit.

J'affaisse les épaules, désemparée. Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle, mais il a raison, il a parfaitement cerné mes pensées. J'ai conscience que je sais me battre, mais puisque ce n'est pas mon point fort, je pense qu'il est moins important. Mais je fais fausse route...

— Ton corps est aussi essentiel que le reste, poursuit Derek en agitant les mains. Tu crois que ça sert à quoi, tout cet apprentissage guerrier pour chaque habitant de ce monde ? Plus tu t'améliores physiquement, plus tu t'améliores psychiquement. Tu le sais, non ?

Un violent frisson parcourt de nouveau mon échine. Cette fois ci, le souvenir de Zac est beaucoup trop réel. Ce sermon, ces explications sur l'importance de mon initiation, tous les mots de Derek me viennent comme en écho de ce que Zac me disait. Je serre les poings, repoussant les affreuses pensées qui surgissent dans mon esprit. La raison, pas les émotions, je me le suis promis. Alors je secoue la tête, et écoute Derek.

— Ce n'est pas de la mauvaise volonté, fait-il. Plus une mauvaise habitude. Mais là, il faudrait limite que tu t'imagines ne pas avoir de pouvoirs. Avant de pouvoir unir toutes tes énergies, il faut pouvoir les dissocier sans en délaisser une. Alors, mets de côté ta magie, mais vraiment. Tu l'oublies.
— Je veux bien, mais...
— Pas de mais.

Je me ravise face à son ton tranchant, et écarquille les yeux sans trouver quoi répondre.

— Il n'y a pas que l'utilisation directe de la magie qui témoigne de ta nature, déclare alors posément le sorcier.

Il marque une pause pour reculer, et je médite un instant sur ses mots avant qu'il ne continue.

— Tu es une créature surnaturelle, et tout ton corps en témoigne, sans que tu aies besoin de le "prouver". Fais confiance à ton corps autant que tu fais confiance à tes pouvoirs, et tu pourras faire tout ce que je fais sans problème.

Je mets un temps à acquiescer, profondément perturbée par ses paroles. Tout ce qu'il dit est d'une pertinence déconcertante, et je me dois de sérieusement y réfléchir. Cela rejoint les conseils de Kali, et l'objectif que je veux atteindre. Si je veux "posséder" ma puissance, il faut que j'accepte tout en moi. Et pour cela, il faut que je pousse mon corps au delà des limites que je lui ai si longtemps imposé. Je n'ai jamais considéré sérieusement la possibilité que je sois aussi incroyablement forte, agile et experte que mes amis, mais il est temps que j'y crois. Il faut que je progresse. Parce que dans quarante-huit heures, j'affronterai Jorah.

Soudain, alors que je me remets en position, une voix cinglante résonne derrière moi, et je me retourne en sentant ma gorge se nouer.

— Bonjour, Heaven, lance le fameux Sylphe.

Toujours accompagné de près par Kali qui me lance un regard perçant, il s'approche en saluant Derek.

— Alors, ça avance ?
— Oui, affirme le sorcier. Bon, vous nous avez interrompu, mais c'est bien, elle va pouvoir réfléchir avant demain.

Derek pose ses yeux sur moi, et je risque un léger sourire reconnaissant.

— Très bien, se ravit Jorah avant de se tourner vers moi. Demain signera la fin de ta préparation, tu as intérêt à être exemplaire.
— Oh, je le serai, lâché-je d'un air peut-être un peu désobligeant.

Il arque un sourcil, puis reporte son attention sur Derek. Il indique devoir mettre fin à la séance physique d'aujourd'hui, et Kali m'explique que ma "leçon" psychique se déroulera en fin de journée, sans donner de raison. Puis, elle s'éclipse en soutenant mon regard. Alors, Jorah me fait signe de le suivre, et je déglutis en saluant Derek après lui. Il y a cinq minutes, j'étais vraiment concentrée et motivée. Le choc est brutal.

J'emboîte le pas à Jorah en silence, sentant l'atmosphère s'alourdir.

— Pourquoi les plans de la journée ont changé ? m'aventuré-je à demander.

Il ne répond pas. C'est la première fois qu'il fait ça. Et ça me fait froid dans le dos. Je serre les paupières, sentant l'appréhension accroître.

— Vous m'emmenez où ?
— Tais-toi, Heaven.

Ses mots me clouent littéralement au sol, et je me sens parcourue d'une angoisse grandissante. Je lève les yeux vers Jorah, manquant de lâcher un hoquet de surprise en croisant son regard d'un froid inouï. L'air sévère que l'ancien roi affiche déforme ses traits en une expression affreusement effrayante, qui ne laisse rien présager de bon. Je n'ose pas lui poser la question, mais je sais parfaitement que nous pensons la même chose. Je sais qu'il est courant de ce qu'il s'est passé cette nuit, et je pourrais parier tout ce que j'ai que je me dirige vers la punition qu'il m'a réservée, et que je peux déjà me préparer à être fragilisée psychologiquement. Je finis par le cerner, ce malade mental.

Nous débouchons en quelques instants sur le couloir qui mène à la salle capitonnée où a normalement lieu mon entraînement psychique, et je fronce les sourcils au fur et à mesure que nous y avançons, sans oser interroger Jorah. Et, alors que je pensais que nous allions rejoindre la pièce que je connais déjà, nous tournons sur un autre couloir et Jorah pénètre dans une pièce plus loin.

— Entre, lance-t-il d'un ton à faire trembler.

Je m'exécute, et serre fermement les poings pour ne pas perdre la face devant lui. Je ne préfère pas le regarder dans les yeux, et attends qu'il ferme violemment la porte derrière moi pour lever la tête. La pièce est identique à celle que je connais, bien que plus petite, et le mur en face de moi est toujours étrange, semblant encore cacher une autre pièce derrière lui.

Je reste immobile, debout devant ce mur, sachant pertinemment que je dois simplement attendre la sentence.

Soudain, le mur tourne au noir, comme un écran s'éteindrait, et je retiens ma respiration.

— Tu vois, Heaven, retentit alors brutalement la voix de Jorah, je pense que tu as besoin d'une petite correction.

Je sens mon coeur bondir dans ma poitrine, et m'efforce de respirer tranquillement. Puis, d'une voix toujours aussi grave, Jorah poursuit.

— Cette nuit, tu as désobéi. Tu as failli à ma confiance, et ça ne m'a vraiment pas fait plaisir de l'apprendre. Enfin... je sais que c'était pour retrouver ton cher petit amoureux, mais... est-ce que les retrouvailles valaient vraiment la peine ?

Je sens ma gorge se nouer, et contracte la mâchoire. Je ne dois pas avoir peur, il ne me fera pas de mal, il ne me fera pas de mal...
Mais... Il sait comment me faire mal. Il le sait parfaitement. Lentement, en imaginant le pire, je porte la main à ma bouche, et attends qu'il continue son discours.

— Je me suis demandé comment je pouvais te faire comprendre un peu plus sérieusement de ne plus me manquer de respect pour la énième fois, et... je pense que j'ai trouvé la meilleure manière.

Je n'ai pas le temps de penser à quoi que ce soit, que la vitre qui fait office de mur se "rallume" et laisse en effet apercevoir la pièce adjacente. Je suis paralysée, et réprime un gémissement alors que le pire que j'imaginais se réalise bien. Sous mes yeux, de l'autre côté de ce mur transparent, Jake est assis par terre et me fixe. Je m'effondre à genoux en soutenant son regard, et dois rassembler tout mon sang froid pour ne pas me précipiter vers lui et tenter de briser la vitre, ne pas laisser exploser l'émotion qui m'enlève toute force à cet instant et me broie l'estomac. Je sens mes lèvres trembler, et je garde mon regard plongé dans celui de Jake, sans qu'aucun de nous ne bouge. Je peux sentir mon cœur battre à tout rompre dans ma poitrine, dans mes tempes, faire pulser mes veines et brûler mon ventre. Rien que de savoir qu'il est là me fait mal. Parce que je ne veux pas imaginer ce que ça veut dire.
Avec un frisson glacé, je m'arrache à ses yeux et considère Jorah, qui se tient derrière lui, et me toise durement, adossé au mur. Sans briser le contact visuel, et ignorant tant bien que mal la présence de Jake à quelques centimètres de moi, je me remets debout, contrôlant comme je peux mes jambes flageolantes. Je vois Jorah inspirer lentement, et me concentre intérieurement pour ne pas l'insulter. Son moyen de pression, il l'a, et il sait très bien qu'il marchera, et que pour me punir, il suffit de faire subir à ceux que j'aime ce qu'il n'est pas autorisé à me faire subir.

— Bon, déclare-t-il alors, sa voix retentissant dans toute la pièce, on va pouvoir commencer. On verra si après ça, tu as toujours envie de trahir ma confiance.

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Voilà pour le chapitre 10 ! J'espère qu'il vous a plu !

Je suis contente, je n'ai pas mis longtemps à l'écrire, je pense que je suis repartie sur un bon rythme !!

Qu'en avez vous pensé ? Vous avez un avis sur Derek, d'ailleurs ?
Bon, niveau Jake, vous êtes servis du coup, mais je me demande si vous n'auriez pas préféré ne pas le voir ahah (désolée)

À bientôt pour la suite, bisouus ♥

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