Cinquième Chapitre.

[Dimanche 15 octobre. 19h30. Après une mise au point entre Heaven et Thaniel, des explosions ont retenti sans raison apparente.]

_ _ _ _ _

Je lance un regard affolé à la foule qui se presse déjà dans le camp sans que je comprenne pourquoi.

— Il se passe quoi ? lancé-je à Thaniel dans le brouhaha.
— Je ne sais pas. Mais les troupes vont vite le découvrir.

Je secoue la tête, et suis vite emportée dans le mouvement des gens jaillissant du bâtiment. J'en vois déjà qui s'élancent dans la forêt. Je sens mon souffle se couper peu à peu. Si j'avais raison et que la protection du camp a été fragilisée, j'ai une chance d'en sortir sans me faire électrocuter.
Alors, sans plus réfléchir, je me fonds dans la masse et cours à mon tour, déchirant d'un geste vif les pans encombrants de ma robe. Mes escarpins sont vite envoyés au sol, et je me lance à perte d'haleine dans les sillons du camp en suivant les gens.
J'entends rapidement des cris, je vois de la forêt s'échapper de la fumée. L'atmosphère dans cette obscurité du début de soirée est infernale.
Les gens s'organisent en troupes armées, et je comprends en arpentant les ruelles qu'ils partent au combat. Ils vont se battre dans la forêt. Alors il y a eu un offensive, et sûrement de la part d'Érédia. Ils ont réussi à s'approcher du camp, peut-être l'ont-ils même localisé en dévoilant le dôme protecteur.
En songeant à cela, mon cœur s'accélère. J'ai une chance de m'en sortir, de retrouver mes amis, de retrouver mon peuple.

J'aperçois peu à peu l'entrée du camp, et presse le pas, ignorant tous ceux que je croise. Je m'arrête progressivement en voyant les gens sortir du dôme invisible qui s'électrifie à chaque passage.
Le cœur battant, je me retourne pour m'assurer que Jorah ne m'a pas suivie, et serre les poings en observant mes menottes. J'inspire profondément, et m'avance.
Avant de passer la « frontière », je tends ma main pour vérifier le danger, et me sens trembler. J'ai peur.

Un cri me raidit et je recule instinctivement. J'assiste à un combat entre une Bannie et quelqu'un qui je le sais, vient d'Érédia. Ce dernier est propulsé contre un tronc d'arbre, avant qu'ils ne s'affrontent encore et disparaissent peu à peu. J'entends la bataille faire rage dehors, et je me rends parfaitement compte que les ennemis des Bannis ne voient ni le camp ni ses habitants, et que je suis invisible. Mais est-ce qu'ils ont trouvé le camp quand même ?
Je prends une profonde inspiration et m'élance de nouveau. Cette fois-ci, je m'arrête à un centimètre à peine, frôlant le dôme et sentant sa force imperceptible, percevant déjà les ondes et l'électricité piquer mes membres.

— Heaven ! résonne derrière moi.

Lorsque je me retourne avec panique, je fais face à Thaniel qui arrive en courant. En observant le camp depuis ici, j'ai l'impression que toute l'atmosphère est étouffée par une brume incandescente.
Je secoue la tête en voyant sa main tendue, sachant qu'il veut m'empêcher de sortir. Je le fixe à mon tour, et bloque ma respiration en soutenant son regard affolé.
Et sans plus réfléchir, je m'abandonne à mes émotions les plus fortes et fais un pas en arrière, traversant la frontière en un instant. Parce que je préfère mourir en essayant que mourir en me résignant.

A la seconde où je sens le dôme traverser mon corps, je me paralyse et sens mon cœur s'arrêter. Une chaleur infernale irradie mes extrémités et je lâche un cri de douleur lorsque mes poignets me paraissent s'arracher de mes bras. Un sanglot m'empêche de respirer, et mon corps entier commence à trembler. Ma vue se brouille, ma tête s'embrume, mes oreilles bourdonnent. Je gémis, et tente de faire un nouveau pas, qui me fait si mal que j'ai l'impression de me briser les articulations. Je perçois à travers mes cils les veines illuminées de mes bras et de ma poitrine, de cette même lumière indescriptible que lors de ma majorité. Le temps semble s'arrêter, et dans ce chaos intérieur, j'entends à peine l'écho de la voix de Thaniel qui accourt vers moi.
Ma poitrine se contracte dans une affreuse douleur et j'étouffe un hurlement. C'est impressionnant la manière dont ça ressemble à ma majorité. C'est pareil. J'ai l'impression de brûler, d'étouffer, que tous mes os et muscles sont perforés par les rayons électrifiés de ce charme protecteur.

Et avec un cri étouffé, je m'effondre au sol et frappe durement la terre. Je me tords de douleur, agonisante. J'ai conscience que si je ne fais rien, je vais mourir.
Je me traîne au sol, gémissant de douleur avec l'impression que mes membres sont tous arrachés de mon corps. Je ne peux plus bouger, et dès que j'essaie de lever mes mains brûlantes, je hurle tant c'est affreux.
Je laisse ma joue frapper la terre et sens ma tête s'alourdir. Ma respiration est saccadée et sifflante, mon cœur bat si vite qu'il pourrait s'arrêter à tout moment. Les sons autour de moi sont lointains, mais je comprends que ma sortie du camp a accentué la panique, car plus de troupes semblent s'élancer à travers les arbres. L'air est chaud, c'est à cause des quelques feux ou de moi ?

Des pas rapides résonnent près de moi et retentissent horriblement dans le sol, m'arrachant une grimace. Je ne vois plus le camp, c'est comme s'il n'y avait rien.
En distinguant parmi les larmes la silhouette de Thaniel, je sens un sanglot m'étrangler et veux reculer. Mais il se penche vers moi pour écarter mes cheveux poisseux de mon visage brûlant, et marmonne sans que je l'entende. Je le sens alors glisser ses mains sous mon dos et mes genoux pour me lever. Aussitôt, un hurlement guttural s'échappe de ma gorge et je suis pliée en deux par une nausée de douleur, au bord de l'évanouissement. Thaniel tremble et pose sa main sur ma poitrine affolée. Je sens déjà mes yeux rouler sous mes paupières lorsqu'il me lâche brutalement et que je le vois voler deux mètres plus loin.

En ouvrant difficilement les yeux, je découvre alors avec horreur le visage flou de Jorah au dessus de moi. Et même comme ça, je peux voir la haine effroyable qui y est gravée.

Je lâche un cri étranglé et pousse sur mes dernières forces pour ramper afin de le fuir. Mais violemment, il m'agrippe le col pour me redresser et je hurle en m'écorchant la gorge. Mon crâne va exploser, mon corps va finir par lâcher.

— Espèce de petite garce, réussis-je à entendre dans le brouillard du chaos.

Il me secoue brutalement, et je laisse échapper un sanglot. J'ai si mal que je pourrais en mourir. Jamais je n'ai autant eu envie que l'on abrège mes souffrances.

— Arrêt... soufflé-je.

Mais au lieu de parvenir à parler, je suis prise d'un haut-le-cœur qui secoue ma poitrine et crache du sang. Je pleure, je peux le sentir et ne peux pas le contrôler.

— Je t'avais prévenue, Heaven ! hurle Jorah en agrippant mon poignet.

Je tremble, et il secoue la tête. Je peux le voir plus clairement à présent, comme dans un moment de lucidité avant le coup fatal. Ses yeux sont si blancs qu'ils illuminent l'obscurité qui s'abat sur nous, et un rictus sauvage barre son visage.

— Tu sais ce qu'il se passe là ? peste mon agresseur. Toute la force énergétique du dôme s'est insérée dans tes veines et te brûle de l'intérieur, elle t'étouffe et consume tes os à chaque seconde, t'arrachant la magie qui naît en toi. Tu meurs à petit feu, et dans quelques minutes, tu ne seras plus qu'une masse sans force. C'est ça que tu voulais ? Hein, c'est ça que tu voulais, Heaven ?!

Un flot de larmes coule sur mes joues, et je sens ma respiration se bloquer peu à peu. Je croise le regard de Thaniel, immobilisé contre un arbre, le visage déformé par l'horreur. Peut-être qu'il a enfin pris conscience du monstre qu'était Jorah. Alors ça n'était pas si vain, après tout.

Je préfère mourir en essayant que mourir en me résignant. C'est ce que je me suis dit avant de franchir la barrière. Aurais-je dû réfléchir plus longtemps ?

— Bien fait... Pour vous... articulé-je dans un souffle étouffé.

Je sens ma tête basculer en arrière, et Jorah la tient fermement, me fusillant du regard.

— Oh crois moi que tu ne mourras pas, petite chose, lâche-t-il. Si tu penses vraiment que je vais te laisser gagner...

Je grimace, et serre les paupière sous la douleur d'un spasme qui bouscule mon corps. En rouvrant les yeux, je crache sur Jorah pour exprimer toute ma haine. Je lève mon poing en faisant mine de l'abattre sur lui, mais mon crâne frappe alors violemment le sol lorsque je reçois la paume de sa main en plein visage.

— Je t'avais parlé des limites, Heaven ! se déchaîne-t-il en me donnant un nouveau coup.

Je me recroqueville instinctivement sur moi même, complètement sonnée par la douleur. Jorah se relève alors en soufflant bruyamment, les poings serrés et le visage peint d'une expression si sauvage qu'elle déforme son apparence. Est-ce que cet homme a encore une once d'humanité ?

Je pleure, attendant déjà d'être traînée violemment au sol jusqu'à l'intérieur du camp, mais Jorah n'en fait rien. Il se contente de se frotter les mains au dessus de moi. On dirait qu'il pense à ce qu'il va bien pouvoir faire de moi. Est-ce qu'il dit vrai ? Est-ce que je vais vraiment mourir comme il l'a dit ? Je n'en serais pas étonnée, je me sens déjà agoniser, je me sens disparaître imperceptiblement. On m'avait prévenu...

Il finit par reculer, et prend mon bras pour me traîner comme prévu. La douleur à cet instant est indéfinissable, et j'ai l'impression qu'il m'arrache chaque membre tendon par tendon. Je pousse un hurlement étranglé, à bout de forces, et Jorah m'assied contre un arbre.

— Tu survis quelques minutes encore, et on pourra s'y remettre, déclare-t-il d'une voix affreusement calme.

Je ferme les yeux et ne lui réponds pas, luttant pour ne pas m'évanouir. Maintenant, je ne demande qu'une chose. Mourir le plus rapidement possible.

Jorah recule enfin, et à la seconde où il me tourne le dos, je vois une ombre fondre sur lui. Je reconnais rapidement Thaniel, qui déchaîne sur lui des flammes majestueuses. Il est repoussé sans effort par les mouvements vifs de l'ancien roi, qui maîtrise l'air comme s'il s'y confondait, et contre attaque avec violence. Thaniel ne pourra pas le battre seul, peu importe à quel point il est fort.

Soudain, la bataille éclate un peu plus près de nous, et je vois des gens commencer à se battre dans les arbres, avant qu'une silhouette se dessine près de Thaniel et se jette sur Jorah à sa place. Je n'arrive pas à la reconnaître au milieu des flammes magiques de l'elfe à ses côtés, mais lorsqu'un éclair d'obscurité nous plonge dans le noir de la forêt, je peux voir ses yeux, et je suis paralysée par le choc. Ce regard embrasé, ces iris d'un jaune chaud éclairant des cils fournis... je pourrais le reconnaître entre mille. J'entrouvre les lèvres pour prononcer son nom, mais en suis incapable, et me contente de l'observer combattre avec force Jorah, comme animé d'une rage incontrôlable. Cette fois-ci, je reconnais toute sa silhouette musclée, le mouvement de ses cheveux dans l'air, je reconnais tout et me prends sa présence en pleine face, comme si elle n'était qu'un mirage que je n'espérais plus. C'est lui. C'est Jake.

Lorsqu'il est à son tour jeté par Jorah contre un arbre, je remarque les menottes à ses poignets. Les mêmes que les miennes. Non... Il était chez les Bannis ? Il était prisonnier, lui aussi ? J'avais raison, j'avais vraiment entendu sa voix dans la rue ?

Un sanglot me secoue alors que je vois le poing de Jorah s'abattre sur son visage, et je hurle son nom, comme si tout mon reste d'énergie avait été concentré pour lui montrer que j'étais là. Et Jake entend mon cri. Il relève la tête, et pendant une fraction de seconde, je croise son regard brûlant, pendant une fraction de seconde, je le retrouve et j'oublie ma douleur. Puis Jorah le frappe encore et encore, avant d'agripper son bras. Il le tire avec une force inouïe et le balance comme une vulgaire poupée de chiffon à travers les arbres. Je vois le corps inconscient de Jake passer par le portail séparant le camp de la forêt, et il disparaît avec celui-ci. Il est de nouveau enfermé. Je pleure de plus belle, le cœur battant si fort qu'il pourrait exploser, et regarde Thaniel se faire terrasser à son tour, et s'effondrer dans des résidus de flammes illusoires. Jorah relève le menton, à peine essoufflé, et serre les poings en regardant autour de lui.

Alors, je pousse un hurlement à en déchirer l'atmosphère. Je ne sais pas où je trouve la force de me remettre sur pieds, mais je la trouve, et vois mes veines de nouveau s'illuminer de bleu. Mes poignets me brûlent affreusement, mais j'ai l'impression que la souffrance que je ressens est si intense que je ne la perçois même plus. On dit qu'avant de mourir, la douleur disparaît complètement. Il semblerait que ça soit vrai. Mes menottes explosent sous la pression qui se dégage de mes bras, et je gémis en faisant un premier pas. Jorah se tourne avec horreur vers moi, une expression indescriptible sur le visage. Il ne s'attendait pas à ça. Et moi non plus.

Je m'avance vers lui en grimaçant, le souffle court. C'est comme lors de ma majorité. J'ai l'impression de m'éteindre peu à peu et je suis entourée d'un halo bleu. Je vais sûrement mourir, mais je n'aurais jamais été aussi puissante.

Alors, j'accélère et saute brutalement sur Jorah. Mon poing s'abat sur lui, et il recule en titubant, me lançant une bourrasque violente. Je vole un mètre plus loin, et reviens à la charge. Je sens la magie m'emplir de nouveau, je sens ma force atteindre son paroxysme malgré la destruction de mon corps, je sens la partie qui me manquait revenir à moi. Je redeviens moi-même, et si meurs maintenant, je serais morte en tant que celle que je veux être.

Je déchaîne les pouvoirs que je retrouve sur Jorah. Des spectres de lumière fusent entre nous, j'exécute mes mouvements avec précision, fais gronder le vent autour de nous, me bat comme je ne me suis jamais battue. Nous fonçons entre les arbres, attaquant chacun avec tant de force qu'elle pourrait tout détruire, et tout ce que j'ai appris est mis à l'œuvre. Je pense à cet instant à tous ceux pour qui je me bats, tous ceux pour qui je me dois de tuer Jorah, même si cela me coûte la vie. Alors, j'encaisse la puissance inimaginable de mon adversaire, et me convaincs que je peux le battre.

— Je te déconseille de me tuer ! crie Jorah alors que nous sautons en arrière.

Je secoue la tête et fonds sur lui une dernière fois. Alors, je suis soudainement immobilisée par une sorte d'éclair lumineux, et sens mes yeux rouler sous mes paupières alors que mon corps perd toute consistance. Jorah abat son pied sous ma mâchoire et je crache du sang en m'écrasant au sol. Alors ça, je ne m'y étais pas préparée. Je pensais que j'allais encore avoir la force de le battre, mais j'ai à peine réussi à l'affaiblir. Je desserre difficilement les paupières pour découvrir le regard empli d'une émotion indéchiffrable de Jorah, avant de sentir toute mon énergie quitter définitivement mon corps. Et à cet instant, je prie pour mourir plutôt que de me réveiller. Je préfère que le cauchemar cesse.

Et, alors que je n'entends presque plus rien, je peux percevoir les cris de guerre enjoués qui retentissent dans la nuit. Et je sais au fond de moi, que ce ne sont pas ceux de mes alliés. Car les Bannis ont gagné, ce soir encore.

_ _ _ _ _

Voilà pour le chapitre 5 ! J'espère qu'il vous a plu !

Beaucoup d'émotion et de violence, j'espère que ça vous fait plaisir toute cette tension, en tout cas moi j'adore l'écrire ahah !

Jake est revenu le temps d'un instant, qu'en avez vous pensé ? A votre avis, qu'est-ce qu'il va se passer avec lui ?

Le prochain chapitre n'arrivera sûrement pas avant quelques temps, je passe le bac dans........ 2 jours (help), donc travail et sérieux obligent ! Mais ne vous inquiétez pas, je reviendrai en force dès que tout ça sera fini !

À bientôt pour la suite, bisouus ♥

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top