Vingt-deuxième Chapitre 1/2 - Réécrit

— Heaven ! Ouvre les yeux, allez...

Je peine à desserrer mes paupières, et finis par me relever difficilement. Je tousse bruyamment, secouée par les grandes bouffées d'air que j'aspire. J'ai l'impression de revivre. Je respire en sifflant, la gorge nouée, je mets du temps à réaliser où je suis, à comprendre ce qui vient de se passer. Tout mon corps tremble, et ma tête est si embrumée que j'ai l'impression de tanguer alors que je suis immobile. Autour de moi, je ne vois que des silhouettes floues et entends des sons lointains. Assise dans l'herbe, je vois d'abord le feu sortir de la boutique, puis je secoue la tête et aperçois enfin Jake. Il me tient les épaules, et me fixe avec insistance, une expression indéchiffrable que je ne lui connaissais pas sur le visage. J'ai à peine le temps de reprendre mon calme qu'il m'attire vers lui et me serre fermement contre lui. Mon cœur bondit dans ma poitrine.

— J'ai cru que tu allais mourir, bordel, murmure-t-il d'une voix rauque.

Son souffle s'écrase dans mon cou, et je suis parcourue de frissons alors que je commence à revenir à moi-même. J'ai moi aussi cru que j'allais mourir... Je sens des sanglots remonter dans ma gorge, et je tremble violemment. Mes mains s'agitent d'elles mêmes, et Jake se décolle de moi pour les prendre. Je ne le regarde d'abord pas, les yeux perdus dans le vide, plongée dans ces moments que j'ai cru être mes derniers, tentant de calmer mon souffle qui accélère. Puis il me force à le regarder, et prend mon visage entre ses mains, essuyant la suie sur mes joues et sous mes yeux humides. Il plonge son regard dans le mien, ses yeux brûlant d'un feu invisible. Il me regarde comme il ne m'a jamais regardée.

— Respire, respire. C'est fini, Heaven.

Je hoche la tête, tremblotante, et inspire profondément. Je garde mes yeux solidement accrochés à ceux de Jake, et je vois alors que ses iris brillent étrangement, se teintant de reflets jaunes. Je déglutis, et ma respiration se calme enfin. Mais Jake ne bouge pas, et moi non plus. Il fronce les sourcils, et avant que j'ai le temps de comprendre ce qu'il compte faire, approche brutalement son visage du mien, et écrase ses lèvres contre les miennes en glissant sa main sur ma mâchoire. Mon cœur s'arrête, et je mets une seconde à réaliser, avant de répondre à son baiser en me redressant légèrement pour me rapprocher de lui. Ma tête commence à tourner, et mon souffle est de nouveau coupé, par ce baiser enflammé, honnête et surprenant. Tout mon corps semble perdre de sa force, et mon cœur menace de transpercer ma poitrine à tout moment. Ce que je ressens actuellement est indescriptible.

Jake s'écarte alors brusquement de moi, et me fixe de ses yeux ardents. Je reste immobile ne sachant quoi faire, complètement abasourdie, sonnée. Jake se mord les lèvres, et fronce de nouveau les sourcils en lâchant mon visage. Il a l'air aussi troublé que moi, comme si lui même ne comprenait pas. C'est lui qui brise le contact visuel en jetant un coup d'œil derrière lui, et je lève enfin la tête. J'aperçois alors Joyce, qui a un air ahuri sur le visage, près d'un Zac dans une incompréhension la plus totale.

Jake se redresse et me tend une main que je refuse, me mettant difficilement debout. Je n'ose plus le regarder dans les yeux.

Je jette un regard à ma robe, qui, comme je m'y attendais, est noire de cendres. Je souffle longuement en fermant les yeux, puis jette un regard à la boutique encore en flammes à quelques mètres de nous, des dizaines de gens autour essayant de l'atténuer en vain.

— Ça va aller ? demande Zac.

Je hoche frénétiquement la tête.

— Je suis vivante, c'est l'essentiel. Comment vous m'avez sortie de là ?

C'est Joyce qui répond.

— La porte a fini par céder, et Jake a bravé les flammes pour aller te chercher.

Son air théâtral me fait sourire, et je lance un regard à Jake, qu'il évite.

— Merci, articulé-je.

Je n'attends pas de réponse, sachant qu'il préfère m'ignorer, et ça me va très bien. Alors, je reporte mon attention sur le feu près de nous, et les flammes semblent doubler de volume, prenant quelques teintes multicolores.

— Un feu dans un magasin de potions, c'est vraiment pas une bonne idée, fait Zac d'une voix inquiète.

Tout le monde se presse autour de la boutique, alors que le feu grandit. Je secoue la tête en m'approchant du Changeur.

— Qu'est-ce qu'on peut faire ?

—  Nous, rien, à vrai dire. Les sorciers, elfes et fées sont en train d'allier leurs forces, et ça devrait se régler. Le feu est vraiment puissant, mais il faut leur faire confiance.

Je suis soudainement prise d'un vertige, et titube en m'agrippant à Zac.

— Ça va ?

— Oui, oui, soufflé-je.

J'aurais dû rester plus longtemps au sol, le temps de reprendre totalement mes esprits. Quelle idée Jake a-t-il eu de m'embrasser après que j'ai échappé à la mort ?

Zac pose alors sa main sur mon épaule dénudée, et il ferme les yeux. Instantanément, une chaleur agréable détend mes muscles et je sens que je retrouve l'équilibre et un semblant d'énergie. Mon ami guérisseur enlève sa main, et s'assure d'un regard que je vais bien.

— Tu as fait quoi ? l'interrogé-je.

— Je t'ai donné un peu de force, tu en as besoin.

Je hausse les sourcils, et Zac sourit.

— C'est mon boulot.

Les gens autour de nous nous indiquent de nous écarter, se serrant un peu plus autour de la boutique. Et je le discerne enfin. Ce sont les sorciers, elfes et fées dont parlait Zac.

— Ce que tu vas voir est rare et, crois moi, ça vaut le coup, fait alors ce dernier.

Je fronce les sourcils, et observe d'un œil perplexe toutes les créatures du groupe fermer les yeux en effectuant les mêmes mouvements de mains. Je ne saurais l'expliquer, mais je sens alors une énergie incroyable émaner d'eux. Ils restent ainsi quelques instants, puis rouvrent tous les yeux et tendent les mains vers le feu. C'est à ce moment que je lâche un hoquet d'émerveillement, bouche bée. Des sortes de spectres blancs brillants jaillissent de leurs paumes et dansent autour du feu avant de s'unir. Entourant la boutique, grandissant peu à peu, il finissent par ne former qu'une sorte de feu immaculé autour des flammes. Lentement, le véritable incendie s'atténue, et finit par s'éteindre. Le halo étincelant créé par les elfes, les sorciers et les fées cesse lui aussi de briller et nous nous retrouvons dans la pénombre de la nuit éclairée par les lampadaires et les lumières des rues.

Tout le monde se félicite, soulagé. Je vois la solidarité et l'union particulière qui rend si spéciaux ces gens, cette entraide qui leur semble logique, et pendant une seconde, je viens à me demander comment ils ont pu laisser se produire le massacre d'une espèce entière. Cette pensée m'arrache le cœur, et je remercie intérieurement Zac de prendre la parole, me sortant de ma torpeur.

— Comme je te disais, c'est vraiment rare. Généralement, la magie n'a pas besoin de se manifester physiquement, et tout reste psychique, mais à certaines occasions, on peut la voir à l'état pur.

J'entrouvre les lèvres. Alors là, c'était de la magie pure...

— Sérieusement, ce monde...

— Je sais. Plein de surprises.

En hochant la tête, je regarde autour de nous.

— Où est le roi ?

Zac lâche un soupir grave.

— Il supervise ses guerriers pour aller attaquer les Bannis.

Je lui lance un regard abasourdi.

— Il doit leur répondre, c'est son devoir.

— Alors la guerre a commencé.

— Je crois bien...

Je déglutis. Cette fois-ci, je ne retournerai pas sur Terre, pas à quatre jours de ma majorité. Je serai présente pendant la guerre, à partir de maintenant, et peut-être que j'y participerai. Une guerre... Des gens vont mourir, tout le monde est en danger. Cette pensée me serre la poitrine. C'est bien la première fois que je m'inquiète pour quelque chose d'aussi important.

À ce moment, une question me perturbe. Pourquoi les Bannis n'ont pas choisi d'attaquer au bal ? Il y aurait bien plus de dégâts... C'est incompréhensible. Ils n'ont peut-être pas voulu directement attaquer, c'était peut-être un simple avertissement violent. Mais un feu dans une banale boutique n'a pas de réel impact, ça n'a pas vraiment de sens. Cela aurait été plus logique de mettre feu à une habitation, le foyer d'une famille, mais une boutique ? C'est étrange.

— Il y a eu d'autres feux ? m'enquiers-je.

— Oui, un à l'entrée de la ville, répond Zac. Mais il était beaucoup moins conséquent, ça devait être une diversion.

Je secoue la tête et masse mes tempes. Ça ne sert à rien de réfléchir pour le moment.

— Je pense que je vais rentrer, j'ai besoin de me reposer, fais-je lentement.

— Je vais te raccompagner.

— Non, t'inquiète. Et j'ai besoin d'être un peu seule.

Après hésitation, il me donne les clés de chez lui. Avant de me remettre en marche, je me retourne brièvement pour voir Joyce et Jake qui discutent derrière nous. Je croise alors le regard de Jake, qui détourne instantanément les yeux. Il est bizarre. J'imagine qu'il est gêné, comme je le suis. Mais personnellement, je suis tellement sous le choc que je n'arrive pas à réaliser. Il m'a embrassée tellement spontanément que je me demande s'il y a réfléchi avant, et le baiser que nous avons échangé était magique. Je me posais déjà des questions avant cet échange, mais là, c'est encore pire. L'a-t-il fait sur le coup de l'émotion parce qu'il avait eu peur, ou parce que je lui plais ? Je soupire longuement. Je m'étais convaincue de me pas me laisser emporter dans des sentiments qui n'aboutiront à rien, mais ce baiser change la donne.

Sur le chemin, je sens ma fatigue accroître. Peut-être que c'est l'adrénaline qui descend, que la pression se relâche. Ce soir, j'ai failli perdre la vie. En quelques minutes, tout a basculé, et j'étais persuadée que j'allais mourir. C'est un sentiment indescriptible que je ne souhaite plus jamais ressentir, et qui, je le sens, a changé quelque chose en moi. J'ai frôlé la mort, et jamais je ne m'étais sentie aussi faible. À cet instant, je n'étais plus rien, et j'ai vraiment réalisé que je n'avais jamais vécu. Cette prise de conscience était brutale, peut-être un peu trop. Je frissonne, ayant l'impression que le picotement des braises renaît sur mes bras.

Ma vie était calme, jusqu'à cette journée du quinze août où j'ai compris qu'elle ne le serait plus jamais. Depuis, je ne suis plus sereine, et je ne sais pas si cela s'arrêtera un jour.

En entrant chez Zac, je passe mes mains sur mon visage. Je crois que j'ai enfin compris que je ne contrôle absolument rien, plus maintenant. Je pensais l'avoir, être maître de mon destin et pouvoir tout gérer, mais j'étais totalement aveuglée par la peur d'affronter la réalité. Les choses arrivent sans que je ne puisse les empêcher ou les prévoir. C'est comme ça.

Je me précipite à l'étage pour prendre une douche. J'enlève mes chaussures et ma robe recouverte de suie, et enclenche le jet d'eau brûlante. Aussitôt, l'eau se teinte de noir, et je soupire d'allégresse en sentant tout mon corps se détendre. Je ferme les yeux, soulagée.

Parfois, je repense à ma vie d'avant, et je me demande ce qu'elle serait devenue si j'avais décidé de ne pas entrer dans ce café, ou que Jake n'avait pas choisi d'étudier dans mon lycée.

Ma vision de la vie a bien changé, je m'en rends compte. J'ai du mal à m'imaginer qu'il y a encore un mois, j'étais dans mon appartement, allongée dans mon canapé devant la télé, sans but ni aspiration à rien, dans une ignorance et une solitude qui me rongeaient de l'intérieur sans que je me l'avoue. Je soupire silencieusement. J'ai changé...

En retournant dans ma chambre, enfin propre et calmée, je m'affale sur mon lit et fixe le plafond, épuisé. Je porte mes doigts à ma bouche, repensant malgré moi au baiser avec Jake. Je me rappelle parfaitement de chaque sensation, chaque frisson qui a parcouru mon corps, chaque picotement dans mes lèvres, chaque battement contre mes tempes et ma poitrine. J'ai l'impression d'être complètement folle, mais je n'arrive pas à me l'enlever de la tête. Et j'ai peur, parce que la discussion que j'ai eu avec Joyce ne fait que se confirmer. Aucun baiser que j'ai échangé avec Aidan n'a été aussi intense, malgré l'amour que je ressentais pour lui. C'est perturbant, mais après tout, aucun baiser que j'ai échangé avec lui n'a été après avoir frôlé la mort.

Je sens un poids sur ma poitrine. J'essaie de me mentir à moi-même. Je sais que la relation que j'ai avec Jake n'est et ne sera jamais la même que celle que j'ai eu avec Aidan. Parce qu'avec Aidan, j'avais le contrôle. Je m'efforçais de ne pas lire ses pensées mais je pouvais comprendre tout ce qu'il ressentait, je savais quand il m'embrasserait, je me sentais en parfaite confiance. Avec Jake, je ne contrôle rien. Et c'est peut-être pour ça que je suis aussi effrayée par le risque de développer des sentiments pour lui. Parce que si ça continue, je sais parfaitement que je pourrais tomber follement amoureuse, et que je ne pourrais même pas le prédire.

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