Troisième Chapitre - Réécrit
En face de moi s'étend un paysage tout droit sorti d'un conte de fées, ou d'un film fantastique. Entourées d'une forêt qui semble sans fin, d'innombrables maisons plus ou moins grandes se succèdent et forment une allée vers un immense château dont les tours paraissent s'élever jusqu'au ciel. Il fait jour, plus jour que chez moi. Jake et moi sommes à l'entrée de la ville, dans une petite clairière derrière laquelle s'étendent les arbres gigantesques. Et en face de nous, la scène qui se déroule est irréaliste. Dans les rues, toutes sortes de créatures fantastiques, monstres, lutins et fées, ainsi que d'autres personnes à l'apparence plus humaine, se promènent tranquillement. Une petite fée aux cheveux bleus et aux ailes rose pâle passe devant moi, laissant tomber sa poussière à mes pieds. Plus loin, une créature faisant deux fois ma taille marche en direction de la forêt qui s'étend derrière nous. Dotée d'une dizaine d'yeux et sans bouche, sa peau est épaisse et grise, et ses pattes sont armées de griffes noires. Je n'en reviens pas. Je suis littéralement bouche bée face à ce spectacle indéfinissable, et reste clouée au sol, les mains moites et la tête qui tourne.
— Oh mon... balbutié-je, sans mots.
— Ça va ? s'amuse Jake.
Je ne quitte pas des yeux ce paysage incroyable, et hoquette.
— Je... Jake...
— Oui, j'imagine que ça te fait bizarre.
— Bizarre... fais-je d'une voix presque inaudible.
— C'est marrant, quand même. Tu n'as jamais imaginé qu'un monde comme ça pouvait exister ?
— Imaginé, oui... quand j'étais petite et que je m'imaginais aussi avoir des pouvoirs, mais... Je n'ai jamais vraiment cru que...
Il y a encore quelques secondes, j'étais dans mon salon, sur Terre, j'étais humaine. Et maintenant, je ne sais plus. Je ne sais plus où je suis, sur Terre ou dans un autre monde, je ne sais plus si je suis humaine. Plus rien n'a de sens. Et cela fait naître en moi un sentiment inédit, que je ne saurais définir. J'ai peur, j'ai horriblement peur et je n'ai jamais été aussi décontenancée. Mais je suis également plus fascinée et intriguée que je ne le pourrais le dire. J'ai le vertige, le cœur sur le point d'exploser, mais j'aime ça.
— Tu vois, intervient alors Jake. Je t'avais dit que j'allais te prouver tout ce que je disais.
Je hoche lentement la tête, toujours silencieuse, et soupire.
— Je ne sais même pas quoi dire.
Jake pouffe, et il fait alors quelques pas vers la ville, m'invitant à le suivre. Je l'observe sans rien dire, n'osant pas bouger, et déglutis. Le beau brun me sourit.
— Allez, viens, il faut bien que tu te lances, non ?
Avec un frisson, j'opine et avance à mon tour, sentant tout mon corps me picoter. Chaque pas me pousse vers une nouvelle vie, c'est ainsi que je le ressens.
Soudain, j'aperçois une femme à la peau bleutée s'approcher de nous, intriguée. Sans surprise magnifique et paraissant sûrement plus jeune qu'elle ne l'est, elle arbore des cheveux aux tons auburn et des yeux bridés vert anis, qui ressortent encore plus avec sa bouche rouge charnue. En approchant, je parviens à distinguer des oreilles pointues dépasser de sa longue chevelure. Une elfe ? Incroyable. Elle semble connaître Jake puisqu'elle le salue en souriant, avant de croiser les bras en m'observant de haut en bas. Désarçonnée par sa beauté et la couleur inédite de sa peau, je ne sais pas trop comment réagir.
— Je peux savoir qui tu es ? lance-t-elle alors d'un ton légèrement dédaigneux.
Je ne réponds pas et ouvre la bouche sans qu'un son n'en sorte, l'air presque fébrile.
— Doucement, Neela, intervient Jake. Elle s'appelle Heaven.
— Neela, se présente la femme en soulevant le menton. Et donc, tu es qui ?
— Je... hésité-je.
— On ne sait pas encore, m'interrompt à nouveau mon accompagnateur.
Neela l'interroge du regard, et Jake souffle un instant.
— C'est compliqué, mais je pense qu'elle peut être une... Silencieuse.
— Hein ? Une Silencieuse ? s'esclaffe-t-elle. Tu te fous de moi ? A moins qu'elle ait pris une potion très puissante ou payé un sorcier très cher, je doute que c'en soit une ! (elle désigne une créature vaguement humanoïde avec trois yeux et privée de bouche, se déplaçant lentement) Ça, c'est une Silencieuse, au cas où tu aurais oublié.
Je secoue la tête, perdue. Jake semble trop occupé à débattre avec Neela pour répondre à mes interrogations, mais je suis de plus en plus troublée.
— Neela, je t'assure que c'est une Silencieuse, insiste-t-il, sous le regard médusé de son interlocutrice.
Celle-ci le toise de son air hautain et peu convaincu pendant encore quelques secondes, puis je vois un éclair passer dans les yeux. Son sourire en coin s'éteint, ainsi que son air confiant, et elle tourne les yeux vers moi, complètement désorientée. Elle me dévisage, et j'essaie de lire dans ses pensées. Avec surprise, je parviens à entrer dans son esprit, mais ses pensées sont trop brouillées pour que je les comprenne parfaitement, comme si elle était bien trop troublée pour réfléchir correctement. Jake a eu la même réaction, une sorte de choc, d'incompréhension profonde et désarmante. C'est inquiétant.
— Non, c'est impossible... articule difficilement la belle elfe.
— Je sais, répond Jake.
— Il faut l'emmener voir le roi.
— Tu penses ? Il va... Elle ne risque rien ?
Lorsqu'il lui demande ça, je hausse les sourcils, interloquée par sa question. Je suis en danger, ici ?
— Non, je ne pense pas, répond Neela. Vas le voir, il expliquera sûrement son existence.
Bien trop troublée par leur conversation sans queue ni tête, je ne peux m'empêcher de les interrompre.
— Mon existence ? Comment ça, je ne suis pas censée exister ?
— Heaven, s'il te plaît, fait alors Jake d'un ton sévère.
Il me jette un regard lourd de sens, et je baisse les yeux, définitivement coupée dans mon élan et un peu vexée. Il fait promettre à Neela de ne parler de moi à personne - ce qui me fait trembloter une seconde -, puis la quitte en empruntant rapidement la grande rue principale qui mène au château. Je le suis sans un mot, et regarde autour de moi. Les rues sont nombreuses et sinueuses, et la ville en elle-même paraît vivante, et ancienne, très... magique.
Sur le chemin, un silence de mort règne entre Jake et moi, et je lutte difficilement pour ne pas le rompre. Jake a l'air perdu dans ses pensées, un peu nerveux, alors je me tais. Et, en peu de temps, nous arrivons face au château, et montons les marches de son escalier en pierre. Je lève les yeux face à l'immensité de l'édifice, qui dégage comme une sorte aura inexplicable de puissance et de calme. Une imposante porte en bois haute de plusieurs mètres se dresse devant nous, et s'ouvre comme par magie lorsque Jake pose le pied devant. Il pénètre à l'intérieur, et je le suis lentement, me retrouvant alors face à... une vaste étendue d'herbe. De l'herbe recouvre tout le sol du palais, jusqu'à un trône monumental ayant pour base un tronc d'arbre luisant. Je suis ébahie. J'entre en compagnie de Jake qui ne parle toujours pas et la porte se referme seule derrière nous en un bruit qui résonne dans toute l'immense pièce. Je ne parviens pas à voir le plafond tellement il est haut, et de grande fenêtres laissent la lumière recouvrir tout l'endroit, et dévoiler les murs recouverts de lierre et à l'opposé de ce qu'on pourrait imaginer en observant la façade du château. Des troncs d'arbre larges servent de piliers et de la mousse tapisse les escaliers. Je ris intérieurement. Ce n'est pas vraiment l'idée que je me faisais d'un palais « tout droit sorti d'un conte de fées ». Je m'avance, avec Jake à mes côtés et m'arrête à environ trois mètres du trône vide. Il règne un silence pesant. J'aurais pensé qu'il y aurait plus de vie dans le château, plus de gens, de bruit. Mais non, c'est désert. Je peux entendre mon cœur tambouriner dans ma poitrine, et j'ose à peine respirer.
Je me retourne l'espace un instant pour observer un peu plus l'intérieur du château et, lorsque je reporte mon regard sur le trône, un homme y est installé. Semblant très grand et élancé, il est légèrement barbu et garde la tête droite et le menton relevé. Il porte un costume d'or et de velours bordeaux, et une imposante couronne étincelante habille ses cheveux bruns et lui donne une allure bien particulière. Très bel homme, il respire l'intimidation et le pouvoir, c'en est à couper le souffle. C'est le roi, il est impossible d'en douter. Je n'ose pas le regarder dans les yeux, et baisse la tête en ravalant ma salive. Il n'a pas l'air très accueillant. J'entends Jake inspirer profondément, et il prend enfin la parole :
— Bonjour.
Son ton est sec, comme s'il tentait de contrôler une quelconque hésitation. Il paraît différent face à cet homme qu'est le roi. Enfin, c'est compréhensible, après tout.
— Bonjour, Jake, répond le roi d'une voix grave et forte, une pointe d'amusement étonnant dans la voix. Que me vaut le plaisir de ta visite, et de celle de ta camarade timide ?
Je lève les yeux, en évitant cependant toujours son regard, et il poursuit.
— Tu me la présentes ?
— Elle s'appelle Heaven, indique Jake dont la voix trahit l'appréhension.
— Mais encore...
— Je pense que c'est une Silencieuse, mais pas comme les autres.
— Une Silencieuse pas comme les autres, répète le roi à mi-voix. Tu veux dire...
Il hoche lentement la tête, comprenant visiblement la même chose que Neela il y a quelques minutes. Mais sa réaction est différente, et traduit plus de l'intérêt que de la surprise. Je n'arrive pas non plus à lire ses pensées, mais je commence à être habituée. Mon don ne m'a jamais été aussi inutile que dernièrement.
— Approche, Heaven, me fait-il alors soudain.
Je déglutis, et m'exécute avec hésitation. Je suis à environ un mètre de lui lorsqu'il descend de son trône et s'avance vers moi, me dominant immédiatement de sa prestance. J'ose affronter son regard pour la première fois, et je découvre avec stupeur ses iris d'un blanc bleuté presque transparent, aussi effrayants que perturbants. Il plisse ses yeux surnaturels, et plonge son regard dans le mien, sans dire un mot. Il reste un long moment ainsi, comme s'il m'analysait de l'intérieur. Puis, il lance un coup d'œil furtif à Jake, en lançant avec clarté :
— Eh bien, tu avais raison, mon garçon.
Il marque une pause, et rapporte finalement des yeux pétillants aux miens, visiblement toujours aussi intrigué.
— Une Silencieuse de Sang Pur, hein ? Intéressant.
Je suis parcourue par un violent frisson, et perds presque inexplicablement l'équilibre lorsqu'il prononce ces mots. Une Silencieuse de Sang Pur... Je ne sais pas ce que cela signifie, mais j'ai la profonde impression que ce n'est pas anodin. Le roi sourit légèrement, et je distingue une sorte de lueur malsaine dans son regard. Jake paraît mal à l'aise, et c'est encore moins rassurant. Je sens son regard peser sur moi avec insistance, et je sais que je ne suis pas totalement en sécurité.
— Pourquoi... osé-je alors demander au roi, la gorge nouée. Pourquoi c'est intéressant ?
— Jake, tu n'as donc rien dit à cette jeune fille ? s'amuse-t-il.
L'intéressé ne répond pas, et garde ses mains serrées derrière son dos, tendu. Son attitude est différente, ici.
— Assieds toi, Heaven, lance alors le roi. Tu vas avoir besoin d'être à l'aise.
Après un rapide claquement de doigt, je vois un fauteuil glisser jusqu'à moi, et suis poussée dedans par une force invisible. Je lance un regard paniqué à Jake, qui garde la mâchoire contractée et ne me quitte pas des yeux.
— Tu as des questions, peut-être ? s'enquiert le roi, détendu.
Je n'ose pas dire un mot, la gorge nouée et le cœur battant.
— Bien, fait-il. Alors je vais tout te raconter, tout t'expliquer, peut-être que ça t'aidera.
Je ne réponds toujours pas, j'attends simplement. Je glisse un regard vers Jake, et je perçois un léger hochement de tête de sa part. Il tente de me rassurer, c'est réconfortant. Je repose mes yeux sur le roi, qui, après avoir esquissé un sourire carnassier, fait s'ouvrir la porte massive du château d'un geste de la main, en toisant Jake d'un regard glacial.
— Toi, lui fait-il d'un ton sec. Sors, je veux parler avec Heaven seul à seul.
Jake le dévisage en serrant les poings derrière son dos, et reste sans mots pendant une seconde. Je sens des gouttes de sueur froide couler le long de ma nuque, et l'observe sans oser m'imposer. Je ne veux pas qu'il parte. Mais le roi semble imperturbable, et s'est maintenant réinstallé sur son trône et ajuste sa couronne.
— Non, je... tente de riposter Jake, d'une voix hésitante.
— Jake, l'interrompt brutalement le roi, le regard foudroyant.
Le seul fait de le rappeler à l'ordre par son nom suffit à Jake pour se résigner. Il inspire longuement, et fixe le roi pendant une seconde qui me semble durer une éternité. La tension entre eux est palpable, et je sens qu'il n'y a quelque chose de particulier qui les lie, allant au delà de la simple autorité redoutable d'un roi. Jake baisse les yeux un instant, avant de se retourner et se diriger lentement vers l'extérieur, sans même un regard pour moi. La porte se referme derrière lui dans un violent bruit, et je mets un moment avant d'oser me retourner pour affronter le roi de nouveau.
— Bon, enfin, se ravit alors celui-ci. Je vais pouvoir commencer. Prête ?
J'acquiesce avec lenteur, redoutant plus que tout ce qu'il va me dire. J'ai encore du mal à prendre conscience de tout ce qu'il se passe actuellement, et je sens déjà ma tête s'alourdir de pression. Le roi souffle un instant, puis s'éclaircit la voix. Il débute alors, d'une voix rauque :
— Heaven, tu es une Silencieuse de Sang Pur, et il y a dix-sept ans, ton espèce a été exterminée.
Mon cœur rate un battement, et je sens ma respiration se couper légèrement. C'est inconcevable, impensable.
— Avant cela, poursuit le roi, vous viviez dans ce monde en paix avec les autres, toujours importants car puissants, mais jamais vraiment redoutés. Seulement, mon prédécesseur, l'ancien roi d'Érédia, a découvert quelque chose qui a scellé le destin des tiens. Vos pouvoirs psychiques étaient tels qu'en plus de votre contrôle parfait sur tous les éléments, vous étiez en mesure de tuer quelqu'un de l'intérieur, sans aucun effort physique. Et cet élément faisait de vous des êtres dangereux, très dangereux, et surtout, incontrôlables. Alors il a décidé de consulter le peuple secrètement, par petits comités pour que vous ne suspectiez rien, afin de les informer.
Il fait une courte pause, et je sens ma vue se brouiller sous les vertiges qui m'assènent déjà. Tout me tombe dessus, il y a trop d'informations pour que je puisse les assimiler correctement. Je suis absolument tétanisée.
— Il prenait du temps pour prendre une décision convenable vous concernant, continue-t-il alors, et pendant ce temps de réflexion, le monde commençait à vous craindre sérieusement, à vous évitez, à vous exclure, par pur instinct. Et vous, vous commenciez à vous rendre compte que quelque chose se tramait, que vous n'étiez plus aussi intégrés. Il fallait agir, et vite. Le roi a d'abord envisagé le bannissement définitif de votre espèce, une condamnation à vivre en dehors d'Érédia. Mais, et le peuple était sûrement d'accord, cela aurait été faire face au risque d'une rébellion, qui aurait pu faire d'énormes dégâts, des morts, certainement. Vous étiez bien trop imprévisibles, une espèce trop puissante pour être préservée et maintenue sous contrôle sans problèmes. Alors il a choisi plus radical, ce qui réglerait tout rapidement. Vous faire disparaître, tout simplement. Il a alors commencé, dans le plus grand secret, à bâtir une armée de personnes puissantes et capables de vous vaincre avec organisation, qui, pendant une nuit, après vous avoir fait tous ensorcelés, a tué chaque famille, chaque Silencieux de Sang Pur jusqu'au dernier. Il n'y a eu aucun survivant, sauf toi, visiblement. Je ne sais pas par quel moyen, mais j'imagine que tes parents avaient compris ce qui allait arriver et ont donc décidé de t'envoyer sur Terre pour te protéger. Tu venais tout juste de naître, après tout, tu ne te rappellerais de rien.
Il s'arrête enfin, et je ravale difficilement ma salive, la gorge nouée. Je réprime un haut-le-cœur, bouleversée et complètement sous le choc. Je garde mes yeux rivés sur le sol, et hoche lentement la tête, m'efforçant de la maintenir droite.
— M... Merci, articulé-je d'une voix étranglée.
Je m'appuie sur le fauteuil pour me lever, le corps lourd et la tête qui tourne. Un bourdonnement agresse mes tympans de plus en plus intensément au fur et à mesure que j'atteins la grande porte en titubant. Le chemin me paraît durer éternellement, comme dans un tunnel sans fin. J'y arrive enfin, et elle s'ouvre seule. Le bourdonnement dans mes oreilles est devenu sifflement strident. Je sors en vacillant du château, arrivant en haut de l'escalier alors que le vent frais d'Érédia vient frapper mon visage. Jake est là, adossé à la rambarde en pierre, et il s'avance vers moi dès qu'il m'aperçoit. Il m'agrippe l'épaule en me voyant ainsi faiblir, et j'entends sa voix comme dans un écho lointain, sans pouvoir le comprendre. Mes jambes flageolent, et des sueurs froides me font frissonner de plus en plus violemment. Je n'ai plus aucun contrôle sur moi-même, et je sais que je vais perdre connaissance. Le choc, l'émotion, tout est bien trop fort pour être supportable. Et, alors qu'un dernier vertige me bouscule, je finis par m'effondrer, sombrant dans les bras de Jake.
* * *
J'entrouvre les paupières, et une lumière vive m'agresse la rétine. J'ai une légère migraine, mais c'est supportable. Je finis par enfin ouvrir les yeux, et me redresse lentement en réprimant un gémissement, les muscles endoloris et le crâne plus douloureux que je ne le pensais. Je suis dans une pièce assez grande, une dizaine de lits longeant des murs blancs, et un carrelage étincelant recouvrant le sol. En tournant la tête, je découvre Jake, assis dans un fauteuil près de mon lit, des yeux assoupis rivés sur l'écran de son téléphone, visiblement dans ses pensées puisqu'il n'a pas remarqué que je m'étais réveillée. Je me racle donc la gorge pour le signifier, et il se redresse en un sursaut.
— Ah, enfin, souffle-t-il avec une pointe de soulagement dans la voix. Ça va ?
— Ça va, fais-je à mi-voix. J'ai été inconsciente combien de temps ?
Jake jette un coup d'œil à son téléphone, et relève la tête avec vivacité.
— Six bonnes heures.
— Six heures ? Autant ?
— Ouais. Tu as bien fini ta nuit, ricane-t-il.
Il penche légèrement la tête, et son regard s'anime d'une lueur indéfinissable, le faisant paraître tout de suite plus sérieux.
— J'imagine que le choc était... trop intense.
J'acquiesce en soufflant.
— Oui, j'imagine. Et tu es resté là, sans rien faire ? Pourquoi tu n'as pas essayé de me réveiller ?
— J'ai essayé, mais... J'ai préféré attendre, du coup.
Je sens la chaleur affluer à mes joues. C'était vraiment gentil de sa part, de patienter ainsi pour moi.
— Le roi... hésite soudain Jake.
— Il m'a tout expliqué, réponds-je abruptement. Et... Je ne m'y attendais pas.
— Et tu tiens le coup ?
Je hausse les épaules, et lui adresse un léger sourire hésitant.
— Je préfère ne pas en parler. Même pas y penser, en fait.
— Oui, je comprends. Mais t'inquiète pas, tu vas t'y faire.
Je fronce légèrement le nez, mais accepte sa tentative de réconfort. Il a l'air d'être très bienveillant, et je trouve cela assez déroutant. Je le connais à peine, mais il semble déjà très impliqué dans cette découverte que je fais de moi-même. Il veut m'aider, étant donné qu'il est celui qui m'a « découverte » le premier, et je trouve ça très appréciable. Peut-être sera-t-il mon allié dans tout ça, si encore je comprends ce que « tout ça » signifie. Qui aurait cru cela, que le garçon magnifique du café deviendrait en réalité si important deux semaines plus tard ?
— On est où ? m'enquiers-je alors.
— Chez un ami à moi qui est guérisseur, et cette pièce est une sorte... d'infirmerie, si on veut.
— Guérisseur ? fais-je, trouvant cette appellation inédite assez surprenante.
Jake sourit d'un air amusé, et dévoile une expression innocente qui illumine son visage. Il est vraiment beau, c'en est presque effrayant.
— Un médecin, en gros, mais qui utilise la magie, et des plantes, ou des potions. Le terme de guérisseur est juste resté depuis nos ancêtres.
Je hoche lentement la tête, sans trop savoir quoi dire. Ce monde semble regorger de surprises. La magie...
Je secoue la tête, voulant forcer mon esprit à se concentrer sur moins perturbant.
— Et maintenant, on fait quoi ? interrogé-je Jake, qui hausse les épaules.
— On verra. Mais pour l'instant...
Il est interrompu par la sonnerie de son téléphone, lui signalant qu'il reçoit un appel. Il réprime un sursaut, et répond rapidement sous un ton détendu, me faisant signe d'attendre ici. Il sort de la pièce, et j'entends une porte se fermer quelques secondes plus tard. Je sors lentement du lit où j'étais assise, et me mets debout en m'accrochant au matelas pour éviter tout vertige. Me sentant bien, je baisse les yeux et découvre mes chaussures au pied du lit. D'abord surprise qu'on ait eu l'attention de me les enlever, je mets un instant avant de les enfiler de nouveau. Je rajuste ma queue de cheval, vais rincer mon visage dans le lavabo accroché à un des murs. En observant mon reflet, je me rends tout de suite compte de la pâleur de ma peau, et du point auquel mes cernes sont marqués. J'ai l'air faible, fatiguée, alors que je viens de dormir six heures. Enfin, je pense tout de même avoir une bonne excuse. On ne découvre pas tous les jours qu'on est une sorte de créature magique avec des pouvoirs dont l'espèce a été exterminée.
Je soupire, et sors de la pièce d'un pas hésitant. Et, alors que je mets un pied dans le couloir, je tombe nez à nez avec un homme inconnu. Sûrement le guérisseur. Semblant âgé d'une cinquantaine d'années et les cheveux blonds presque entièrement blancs, il tient un carnet sous son bras et me toise d'un regard médusé. Ses yeux bleus sont étonnamment rayonnants et emplis d'une certaine malice déroutante, semblant ne pas coller à son apparence plus âgée. Lorsque je tente de lire ses pensées en soutenant son regard, je suis surprise d'y parvenir de la même manière qu'avec Neela plus tôt dans la journée. Mais je suis confrontée de nouveau à une difficulté, différente de l'esprit embrouillé de Neela. Cette fois ci, j'entends parfaitement ses pensées, seulement, elles sont pour le moins étonnantes : « Je suis habitué à la télépathie, alors tu ne trouveras rien d'intéressant dans mon esprit, crois moi » est la seule chose que je parviens à entendre. Je recule, déroutée par l'aisance avec laquelle il a détourné mon don.
— Dé-désolée, balbultié-je.
Un léger sourire étire ses lèvres, et je reste immobile, sans savoir comment m'éclipser.
— Je... hésité-je.
— La porte d'entrée est au bout du couloir, tout droit, m'interrompt alors le guérisseur.
J'entrouvre les lèvres, sans rien dire, soulagée qu'il ait deviné que je voulais m'enfuir à tout prix.
— M-merci, fais-je d'une petite voix.
Puis, je lui tourne le dos en un instant et presse le pas le long du couloir lumineux en repérant l'entrée. Et avant d'ouvrir la porte, je prends une profonde inspiration. J'ai du mal à ne pas paniquer intérieurement depuis tout à l'heure, alors il me faut à chaque instant un moment de calme afin de me détendre comme je le peux. Tout va bien. Tout. Va. Bien.
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