Sixième Chapitre 1/2 - Réécrit

Lorsque j'entends la sonnerie du lycée retentir pour la dernière fois aujourd'hui, je ne peux réprimer un soupir de soulagement. La journée est passée à une lenteur incroyable. Je n'ai pas adressé la parole à Jake depuis ce matin, à part un peu en cours de Français. Il est trop occupé à s'intégrer, et s'est déjà fait une petite réputation dans l'établissement. J'imagine qu'il attend de ne plus être dans son personnage de lycéen normal pour être avec moi, ce que je peux parfaitement comprendre. Je préfère le loup-garou.

J'ai aussi eu beaucoup de mal à éviter Shelsy et sa bande tout au long de la journée, devant supporter leurs regards assassins dans les couloirs sans ciller. Aucun d'eux n'ose dire à Shelsy que c'est elle qui est la principale responsable de ce qu'il s'est passé, même si je sais qu'ils le pensent. Et c'est encore pire. Car elle n'arrêtera jamais son petit jeu ridicule et triste tant que personne ne lui aura dit clairement qu'il le faut.

Je soupire en baissant la tête, et finis par enfin quitter l'enceinte du lycée, soulagée. La journée de demain sera peut-être moins oppressante. Avoir dû tout contrôler, tout supporter, sans laisser mes émotions m'envahir à chaque fois que la femme de mon rêve me revenait en tête, a été épuisant. Chaque seconde je dois empêcher mon esprit torturé de penser trop à elle, sans quoi le fait qu'elle soit peut-être ma mère deviendrait bien trop réel. Et je ne veux pas que ce soit réel, pas encore.

Perdue dans mes pensées, je relève légèrement la tête, et ai à peine le temps de remarquer que je fonce droit sur quelqu'un, que je lui rentre dedans.

— Oh, désolée, bafouillé-je en levant les yeux.

Et lorsque je le fais, mon cœur rate un battement, et je manque de lâcher un hoquet de surprise. Je fais un petit pas en arrière, les lèvres entrouvertes, sans savoir comment réagir. J'ai en face de moi une sublime fille de presque une tête de plus de moi, aux longs cheveux ondulés d'un doux châtain clair, et aux yeux noisette où dansent d'incroyables reflets orangés. C'est bien elle, la fille du café, l'amie de Jake. Joyce. Elle m'a reconnue aussi, et me considère en silence, le visage peint d'une expression étrange, mêlant choc et amusement. Je suis sans mots, complètement paralysée, hypnotisée comme la première fois que je l'ai rencontrée. Elle est d'une beauté renversante, et l'aura qu'elle dégage est toujours aussi déroutante. C'est comme si je pouvais sentir la magie émaner d'elle.

— Alors ça, si je m'y attendais, hoquette-t-elle.

Je ne réponds pas tout de suite, me contentant de soutenir son regard perturbant.

— Joyce, c'est ça ? hésité-je alors.

Un léger sourire étire ses lèvres, révélant une légère fossette sur sa joue.

— Exactement. Et toi, c'est Heaven, non ? Enchantée.

Elle me tend sa main, que je prends après un instant d'assimilation. Elle connaît mon nom. Donc Jake lui a parlé de moi, et lui a sûrement tout expliqué... Je ne peux m'empêcher de me questionner sur la nature de leur relation. Ils me semblaient vraiment proches au café, et il semble lui confier absolument tout. Il y a beaucoup de chances qu'ils soient en couple. Et s'ils le sont, ils sont probablement le couple le plus beau que j'ai pu voir, et je ne peux qu'imaginer la force qu'il peut se dégager d'eux.

— Jake m'a parlé de toi, et il m'a tout expliqué, si tu te poses la question.

J'ai un léger mouvement de recul, assez déroutée. C'est comme si à présent, c'était eux qui lisaient en moi comme dans un livre ouvert, et que j'étais celle qui se retrouvait face à un mur. Je n'ai jamais rien vécu de tel.

— Donc... souffé-je.

— Donc je sais qui tu es, oui, finit-elle, les yeux pétillants. Mais ne t'inquiète pas, je n'en parlerai pas. Et puis, on risque de passer pas mal de temps ensemble, alors...

— Ah bon ? m'étonné-je.

— Oui, sourit-elle légèrement. Au lycée, déjà, et puis, je n'ai pas vu Jake depuis quelques temps, alors je vais sûrement rester avec lui, et avec toi par la même occasion. J'espère que ça ne te dérange pas.

Je mets un instant à répondre, ayant du mal à bien comprendre. Elle va vraiment rester avec nous, aller à Érédia et me suivre dans le début de ma petite aventure, comme ça ?

— Euh, non, ça ne me dérange pas, mais... tu vas rester avec nous, c'est à dire ?

— Il m'a expliqué la situation, et je pense que je peux t'aider aussi. Te soutenir, te faire découvrir Érédia, te préparer, tout ça.

— Tu es sûre que c'est pas juste pour observer la dernière Silencieuse de Sang Pur ?

J'ai dit ça un peu trop brusquement, sans réfléchir. Je ravale difficilement ma salive, et fais face à l'air médusé de Joyce. Elle penche légèrement la tête, puis reprend lentement la parole.

— Oui, j'en suis sûre. Évidemment que ça m'intéresse, mais tu n'es pas une bête de foire. C'est juste que... je suis toujours là pour Jake, et s'il veut t'aider, alors il doit avoir une bonne raison, et je veux le soutenir dans tout ça, donc te soutenir. Il m'a parlé de toi, et je ne pouvais pas ignorer quelque chose d'aussi important. Jake est vraiment impliqué, je ne sais pas si tu as remarqué, ajoute-t-elle avec un petit rire. Et je veux l'être aussi, si tu es d'accord, bien sûr. Une présence féminine ne te fera pas de mal, après tout.

Mon cœur s'emballe étrangement, et je fronce les sourcils. Cette fille est... bouleversante, au même titre que Jake. Je ne comprends pas vraiment son entrain à vouloir m'aider elle aussi, mais peut-être que je ne me rends pas encore compte de ce que je représente... Et ce soutien aveugle qu'elle donne à Jake ne peut que me déboussoler encore plus. Mais je ne peux pas refuser du soutien, bien que je ne sache pas vraiment ce qu'elle peut m'apporter. Enfin, elle a raison, une présence féminine ne me ferait peut-être pas de mal...

— D'accord, fais-je lentement, en haussant les épaules. Si Jake te fait confiance, j'espère pouvoir le faire aussi...

— Tu peux, répond-elle. Ou tu pourras, en tout cas.

Son sourire calme semble empli de malice, et elle a le même air rassurant que Jake. J'ai du mal à croire à une gentillesse et un naturel tels, chez deux personnes à la fois. Tout en moi me pousserait à me méfier d'eux comme de la peste, mais j'ai ce sentiment inexplicable, au fond de moi, qui me pousse vers eux et me force à lâcher prise. Avec Jake, j'avais peur, au début, et avec Joyce, c'est pareil. Je ne lui fais pas confiance, et je préfère toujours me méfier d'elle, mais elle aussi me semble sincère, alors que je ne la connais que depuis quelques minutes. Exactement comme Jake. Je n'ai jamais eu besoin de me méfier de qui que ce soit, sachant toujours qui j'avais vraiment en face de moi. Mais avec eux, c'est totalement différent, et je ne sais pas si je m'y habituerai. Avec eux, je ne peux pas savoir, et je ne saurai jamais. Car ils sont impénétrables, et paraissent cependant complètement transparents. Ils ne sont pas humains, et c'est flagrant, finalement.

— Bon, fait alors Joyce, me sortant de ma torpeur. C'était marrant de te revoir comme ça, mais je dois y aller, alors... à plus tard, d'accord ?

— Oui, à plus tard.

Elle m'adresse un sourire cordial que je lui rends avec hésitation, et elle s'éloigne en faisant voler ses cheveux dorés. Elle m'a complètement perturbée, et je ne sais pas vraiment quoi penser d'elle, à vrai dire. Mais je m'accroche au fait que c'est une amie de Jake, une personne de confiance selon lui. Et je lui fais confiance, à lui, et sais qu'il me guidera. Alors, je le laisserai me convaincre que cette fille n'est pas à craindre. Elle semble gentille, mais cette aisance si particulière qu'elle a eu de me parler, comme Jake l'a fait lui aussi, m'a sérieusement désemparée. Mais peut-être que c'est simplement parce que je suis pas habituée à avoir une simple vie sociale, aussi. Peut-être que ce sont simplement deux adolescents extravertis, qui sont simplement gentils et veulent me connaître et m'intégrer à leur quotidien. Peut-être que je suis simplement en train de me faire des amis, et que je ne devrais pas me prendre à ce point la tête quant aux allures insolites de toute cette situation, assez banale finalement.

*   *   *

Une fois mon repas du soir préparé, je m'assieds confortablement dans mon canapé en soupirant. En mangeant mon plat de pâtes, j'écoute la pluie frapper mes fenêtres. L'atmosphère est particulière, et la lumière tamisée me plonge dans une ambiance étrange. Je me rends compte, que ces moments de quotidien qui me paraissaient auparavant banals, semblent à présent presque « faux », comme s'ils n'étaient là que pour combler l'attente. Cette attente que je ne peux réprimer, et qui occupe chaque seconde mon esprit. J'attends un nouveau signe de Jake, une nouvelle occasion d'aller à Érédia, une nouvelle révélation. J'attends que ma vie continue, et ça ne m'était jamais vraiment arrivé. Je n'avais plus attendu quoi que ce soit depuis bien longtemps, je m'étais enveloppée dans une routine à la fois rassurante et déprimante, qui aujourd'hui est totalement brisée et me paraît bien dérisoire.

Je pose mon assiette vide sur la table basse de mon salon, et m'enfonce dans les coussins de mon canapé, en fixant la bougie allumée sur la même table. Les yeux rivés sur la flamme dansante, j'inspire lentement. Si j'ai réellement en moi la magie dont on me parle, si j'ai réellement des « pouvoirs », alors de quoi suis-je capable ? Le roi a parlé du contrôle des éléments, de capacités psychiques incroyables, d'une capacité à tuer sans effort... Mais est-ce que je peux vraiment faire tout ça ? Ça ne me paraît même pas rationnellement concevable, mais peut-être qu'il faut que j'oublie la raison, maintenant...

En respirant profondément, je ne quitte pas des yeux la bougie, et contracte légèrement la mâchoire. Si vraiment, tous disent que je suis capable de telles choses, alors...

Je fixe toujours la flamme, et sens un frisson picoter toutes les extrémités de mon corps, avant qu'une légère chaleur n'irradie le creux de mes paupières. Et, soudain, la flamme s'éteint, et je sursaute avant qu'elle ne se rallume en un quart de seconde. Je fais presque un bond, et sens mon pouls s'accélérer, tout en sentant les frissons dans mon corps cesser. C'était moi ? Je déglutis. C'était moi. Pendant un instant, j'ai éteint la bougie, par la seule force de ma pensée. Cela peut paraître stupide venant d'une télépathe, mais je n'aurais jamais cru cela possible. Et si j'ai réussi à faire cela, si petite chose, sans aucune expérience, qui sait ce dont je suis réellement capable, qui sait ce que je suis réellement...

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