Quatrième Chapitre 2/2 - Réécrit

Mon cœur rate un battement, et je reste bouche bée, le considérant en silence, les yeux écarquillés. Je suis choquée, mais pas réellement surprise. Évidemment que les loups-garous existent, évidemment... Je ne peux m'empêcher de remarquer à quel point c'est cliché. Cela aurait dû me venir tout de suite à l'esprit. Un sublime brun aux yeux sombres et aux airs mystérieux ne peut être qu'un loup-garou, voyons. Je me mets à rire nerveusement, et Jake m'interroge du regard.

— Quoi ? fait-il, déboussolé.

— Non, rien, mais c'est... C'était évident, quoi. Tu ne pouvais pas être un sorcier, ou un Chasseur d'Ombres, non non, t'étais forcément un... un loup-garou, quoi...

— Un Chasseur d'Ombres ?

Je balaie sa question d'un rapide signe de main, me reconcentrant sur notre conversation en un soupir.

— Un loup-garou...

— Ouais. Ça va ?

— Ah, oui, oui. C'est juste... Waouh, quoi.

— Oui, j'imagine.

— Donc tu te transformes en loup à la pleine lune ? fais-je brusquement, et stupidement.

Jake rit légèrement, et je me sens idiote pendant un instant. Mais quelle abrutie. Bien sûr qu'il se transforme pendant la pleine lune.

— Pas totalement en loup, mais oui, répond-il finalement.

Je le dévisage, muette et un peu décontenancée. D'innombrables questions se bousculent dans ma tête, et je n'arrive pas à réaliser que j'ai en face de moi un loup-garou, un vrai de vrai. Cette journée ne cesse de devenir de plus en plus folle et improbable. Je n'essaie même plus de comprendre.

— Bah voilà, fais-je, je vois pas en quoi c'était compliqué. Bon, je vais devoir m'y habituer, mais bon.

— Non, c'est pas ça qui est compliqué.

Son visage a repris une mine étrangement sérieuse, et je ne peux m'empêcher de frissonner en l'interrogeant du regard.

— C'est quoi, alors ? hésité-je.

Il ne répond pas tout de suite, et je gesticule de nervosité en remarquant la tension qui s'est brutalement abattue sur nous. Jake se racle la gorge.

— Le roi t'a expliqué ce qui était arrivé à ton espèce, n'est-ce pas ?

Je hoche la tête.

— Et il t'a parlé des conditions de son massacre, de l'armée ?

Je frissonne et serre la mâchoire, en acquiesçant. Je n'ai pas envie d'y penser, pas envie d'imaginer. Alors pourquoi me faire songer à ça, me forcer à ressentir toute cette peine de nouveau ?

— L'armée dont il parlait... poursuit-il.

— Mais Jake, pourquoi... l'interromps-je d'une voix tremblante.

— S'il te plaît, écoute moi.

Je me ravise tout de suite, et me raidis. Son regard et sa voix se sont endurcis, et il a l'air beaucoup plus tendu qu'au début de notre conversation. C'est inquiétant.

— Donc, continue Jake d'une voix rauque, l'armée dont il parlait... Elle était essentiellement composée de loups-garous. Et après l'attaque, certains ont fui, mais la majorité a été tuée par un puissant sorcier. Le but était de faire croire à une attaque étrangère ou un truc comme ça, mais surtout pour que les autres habitants ne sachent rien.

Je le dévisage, sous le choc et complètement désarmée. Son espèce a tué la mienne, sous les ordres d'un roi complètement fou qui a finalement fait tuer la sienne aussi. C'est inimaginable. J'ai du mal à comprendre ce que tout cela signifie réellement, et surtout du mal à rester parfaitement consciente et concentrée. Comment est-ce possible que j'apprenne autant de choses en si peu de temps, que ma vie ait autant changé en si peu de temps ? J'entrouvre les lèvres, sans pouvoir prononcer un seul mot, et affaisse les épaules, soudain vidée de toute énergie. Je ne m'y attendais vraiment pas.

— Heaven...bafouille Jake.

— Attends, le coupé-je en détournant mes yeux de lui.

Il me considère avec hésitation, l'air nerveux et en retrait, les bras crispés sur le cuir du canapé. Je frissonne, l'esprit brouillé.

— C'est... dis-je à mi-voix.

— Je sais, je...

— Donc... ton espèce a tué la mienne.

Je déglutis, et je lève les yeux vers un Jake raide et au regard assombri. Il ne répond pas, et me fixe, tendu. Je comprends mieux le « compliqué ».

— Les loups-garous ont tué mes parents, soufflé-je d'une voix presque inaudible.

Jake frémit, et un éclair passe dans son regard.

— Heaven, hésite-t-il.

— Je sais que tu n'as rien à voir là-dedans, mais... je...

Ma voix est plus tremblante que je ne souhaiterais, et je vois que Jake se ferme de plus en plus. C'est totalement compréhensible, je suis en train d'avoir l'exacte réaction qu'il redoutait sûrement, et je ne le laisse pas parler. Mais peut-être que c'est juste trop, trop pour aujourd'hui. Je scrute ma table basse, le cœur battant.

— Jake, ce serait peut-être mieux que tu partes, lâché-je en osant un bref regard dans sa direction.

Il ne dit rien, et parait désemparé pendant un instant. Puis, sans dire un mot, je le vois acquiescer lentement, et se lever. Il contourne le canapé, et se dirige vers ma porte d'entrée. Je garde les yeux rivés au sol, et entends alors la porte s'ouvrir tandis que Jake lance derrière moi :

— Tu sais, le véritable coupable, c'est le roi. C'est évidemment en partie de la faute des loups-garous, mais ils ne sont pas à l'origine de tout ça, et ils ont fini par en être victimes aussi. Alors tu peux leur en vouloir autant que tu veux, c'est normal, mais alors c'est que tu ne vois pas la vérité en face.

Et la porte se referme brusquement. Un frisson parcourt mon dos, et je ramène mes genoux contre ma poitrine, tremblant dans un silence de plomb. Ma gorge se serre, et je suis alors secouée par un sanglot que je réprime difficilement. Jake a raison, je le sais parfaitement, mais j'ai juste besoin d'un peu de temps, un tout petit peu...

Mes yeux me piquent, et je soupire en sentant les larmes remonter dans ma gorge. Là, je ne pense pas pouvoir résister à l'émotion. Je laisse échapper un nouveau sanglot, et mes joues sont bientôt inondées de larmes brûlantes. Je pleure, après m'en être empêchée toute la journée, je n'ai pas pu repousser une nouvelle fois ce qui allait finir par arriver. Je laisse toutes les larmes jaillir, ressentant un irrépressible besoin d'extérioriser. C'est pitoyable, sûrement, mais je n'y peux plus rien. Je ne suis pas spécialement triste, ni en colère, juste... bouleversée. Et je n'ai plus la force de lutter contre toutes ces émotions douloureuses qui agressent mon esprit depuis ce matin. Ça fait mal, mais ça m'est aussi étrangement bénéfique, et ça me désarme totalement. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas été aussi désemparée, aussi en détresse. Depuis la découverte de mon don, probablement. Je viens de réaliser qu'avant aujourd'hui, ma vie n'avait aucun sens, que je n'avais jamais vraiment vécu, que j'étais simplement « là ». Je viens à peine de commencer à vivre...

* * *

Je soupire en fixant l'horloge au dessus du tableau de la salle de classe, affichant trois heures de l'après-midi. Ma dernière heure de cours est bientôt terminée, et j'ai l'impression que la journée est interminable. Je n'ai pas vu Jake aujourd'hui, et n'ai donc pas pu lui adresser la parole depuis samedi. Deux jours que je rumine et que je suis tendue au possible, attendant vainement un signe de sa part. Son absence au lycée aujourd'hui m'oblige à imaginer qu'il a décidé de m'abandonner, de ne finalement pas m'aider après ma réaction négative à sa révélation. Je pourrais comprendre, mais j'espère sincèrement que j'ai tort. Je me prends sûrement trop la tête comme d'habitude, et il est peut-être simplement retourné à Érédia pour mieux m'aider...

La cloche sonne et me sort de ma torpeur. Je sursaute, et ramasse mes affaires à la hâte. Enfonçant directement mes écouteurs dans mes oreilles, j'ignore une remarque de Shelsy, et sors rapidement de la pièce.

Je me réfugie dans la bibliothèque pour travailler. Je suis déjà débordée alors que l'année vient de commencer, je ne sais pas vraiment comment je vais m'en sortir si je dois en plus gérer toute cette histoire de magie.

Une heure passe, durant laquelle je n'arrive pas à me concentrer sérieusement, l'esprit occupé à songer à Jake. Même la musique ne fait pas taire mes pensées assourdissantes. Je lâche mon crayon et soupire en enfouissant mon visage dans mes mains. Le poids sur mon cœur ne fait que s'alourdir, et m'épuise d'instant en instant. Je regrette vraiment ma réaction, j'aurais dû contenir mon émotion, j'aurais dû lui dire que je ne lui en voulais absolument pas, que j'étais simplement sous le choc...

Je rouvre lentement les yeux, démoralisée, et à ce moment, dans la lumière aveuglante de l'après-midi, une silhouette apparaît dans mon champ de vision en s'asseyant face à moi. Lorsque je lève les yeux vers celle-ci, je ne peux m'empêcher de hoqueter silencieusement. Jake est installé devant moi, les bras croisés et une expression sereine bien que sérieuse sur le visage. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine, et je sens déjà la nervosité m'emplir. Je ne m'attendais pas à le voir débarquer de la sorte. Il est toujours aussi beau, c'est bien la seule chose qui semble constante. Je reste muette pendant quelques secondes, bouche bée, et il me considère avec calme.

— Je suis désolée, lâché-je finalement à mi-voix, pantoise. Je ne voulais pas te vexer, j'ai juste été sous le choc, et...

— T'inquiète, m'interrompt alors Jake. Je comprends.

— Vraiment ?

— Oui, fait-il en haussant les épaules. Après réflexion, je pense que j'aurais eu la même réaction que toi. Tant que tu ne rapportes pas ta rancœur sur moi...

— Non, je... Je ne t'en veux vraiment pas, et à ce point, je ne sais même pas si j'en veux vraiment aux loups-garous.

Il plisse légèrement les yeux, et décroise les bras, silencieux. Il semble m'inspecter, réfléchir, et finit par se relever.

— Tu veux pas qu'on sorte ? m'interroge-t-il. Il ne vaut mieux pas qu'on nous entende.

Je regarde autour de moi. Il y a en effet quelques lycéens, potentielles oreilles indiscrètes. Je hoche donc la tête et range mes affaires dans mon sac en me levant à mon tour. Puis, lentement, je suis Jake hors de la bibliothèque, puis du bâtiment. Nous croisons quelques camarades de classe, qui nous lancent tous des regards dubitatifs. Tous se demandent comment nous nous connaissons, sans grande surprise.

Une fois dans la rue, je dirige Jake vers le chemin qui mène à mon appartement, et presse le pas pour m'adapter à sa cadence de marche.

— Quand est-ce qu'on retourne à Érédia ? m'enquiers-je.

— Je ne sais pas, mais pas trop rapidement. C'est mieux que que tu ne te fasses pas trop remarquer.

Je ne réponds pas tout de suite, et souffle.

— Parce que sinon, je risque de me faire tuer ? lancé-je d'un ton légèrement cynique.

— Heaven... Peu importe le risque, moins de gens seront au courant, mieux ce sera.

— Pourquoi tu l'as dit à Neela, alors ?

— Parce qu'on peut lui faire confiance. Je la connais depuis toujours, elle ne me trahira jamais.

J'acquiesce lentement, et enfonce mes mains dans les poches de ma veste. Je n'arrive pas à me détendre.

— Comment tu l'as connue ? demandé-je alors.

— Elle m'a en quelque sorte « élevé » après la mort de mes parents.

Je frissonne, et reste muette pendant un court instant. Il est orphelin, lui aussi. Je comprends mieux son expression particulière lorsque je lui ai révélé que je l'étais. Ce n'était pas un simple embarras, ou juste de la compassion. Il comprenait, il comprend.

— Oh... me contenté-je de souffler. Désolée.

— T'inquiète, je les ai pas connus, ils sont morts quand j'avais un an. Aussi à cause du roi, d'ailleurs, ça nous fait un point commun.

Je lève les yeux vers lui, et ébauche un sourire triste. Je croise son regard, toujours aussi hypnotisant, et il soupire légèrement. Au cause du roi... Il détourne les yeux, et je continue de l'observer, sans bruit. Il est étrangement serein, calme, comme s'il se contrôlait absolument et parfaitement. Son comportement n'est pas facile à décrypter, et cela dû sûrement à mon impossibilité de lire dans ses pensées. Je n'arrive pas du tout à cerner ce garçon.

— Neela... C'est une elfe, non ? hésité-je.

— Oui, exactement. Elfe de l'eau.

— Ah, oui, j'aurais pu le deviner. La peau bleue, quand même...

Jake rit doucement, et un frisson parcourt mon dos.

— C'est vrai, sourit-il. Il va falloir t'y habituer, parce que tu n'as pas fini de voir des espèces de toutes les sortes, crois moi.

— J'imagine, oui... Un peu comme les yeux du roi, c'était super flippant.

Je déglutis et tremblote légèrement en revivant ce souvenir presque douloureux. Ces yeux transparents qui transpercent et gèlent toutes les cellules du corps d'un regard. J'espère ne plus jamais avoir à l'affronter.

— Quoi, ses yeux ? s'intrigue alors Jake.

— Bah, ils sont pas vraiment normaux, quoi. Enfin, pour moi en tout cas, avoir des yeux blancs comme ça n'est pas vraiment normal.

Il s'arrête brusquement de marcher, et me jette un regard interloqué en fronçant les sourcils, heurté, comme si je disais n'importe quoi.

— Hein ? lâche-t-il. Ses yeux ne sont pas blancs, Heaven, ils sont marron.

Je le fixe sans comprendre. Je n'ai pas halluciné, je suis persuadée de ce que j'atteste. Jamais je n'oublierai ce regard.

— Je n'ai pas eu d'hallucination, je les ai vu blancs, je te jure.

Il ne répond pas, trop troublé pour riposter. Il secoue la tête, et pince l'arête de son nez.

— Bon, je te crois. Mais... tu es bien la seule à les voir blancs, alors bon...

Je prends une profonde inspiration, et porte mes mains à ma nuque. Ne pas se prendre la tête, ne pas se prendre la tête...

— C'est rien, c'est rien... fais-je en tentant de m'en convaincre moi-même.

— On verra, mais on dirait bien qu'on va devoir retourner à Érédia plus tôt que prévu.

Je soupire, et lève la tête vers lui, qui me lance un regard chaleureux, affichant une moue se voulant rassurante. C'est gentil de sa part, de vouloir que je m'inquiète le moins possible, mais je crois bien que c'est impossible.

Le reste du chemin se fait dans un silence rarement brisé par quelques discussions sur le lycée, et nous arrivons rapidement chez moi. Je laisse Jake en bas de mon immeuble, et lui souris en lui disant au revoir. Après un sourire éclatant de sa part, je lui tourne le dos et monte chez moi. Je m'affale quelques minutes après dans mon canapé, ferme les yeux, épuisée, et me sens m'endormir assez rapidement. Tout tourne dans ma tête, mon monde est sens dessus dessous, et je ne parviens pas à mettre les bons mots sur mon état actuel. C'est indescriptible. Je suis dans le noir total, pourtant aveuglée par la lumière, seule au milieu d'un chaos silencieux.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top