Quarante-quatrième/Dernier Chapitre - Réécrit

Je baille en levant les yeux de mon livre, et pose ce dernier sur la table, sentant mes paupières s'alourdir. En vérifiant l'heure rapidement, je me rends compte qu'il est déjà six heures du soir. L'après-midi était bien banal. Jake est rapidement allé dans la salle de sport du sous-sol. Joyce est revenue au même moment, et il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour rejoindre le bureau de Zac, celui-ci n'ayant fait qu'aller et retourner entre les maisons de ses patients et son bureau. Quant à moi, je n'ai pas bougé du canapé, à part pour grignoter et prendre un coussin. J'ai passé ces dernières heures à contempler la pluie s'arrêter, l'esprit perdu entre deux pages de mon livre.

Je baille une nouvelle fois, alors que j'entends des bruits de pas dans le couloir.

— On n'a vraiment rien foutu de la journée, rigole Joyce en arrivant dans le salon, accompagnée de nos deux autres amis.

— Parle pour toi, souffle Zac en se laissant tomber à mes côtés sur le canapé. Je suis complètement mort.

Jake prend place dans un fauteuil, et lève ses yeux sombres vers moi. Il a l'air un peu fatigué. Je sais que nous partons pour la grotte dans peu de temps, mais je me garde de le lui rappeler pour l'instant.

— Ça va mieux, toi ? me lance Zac.

— Ah oui, oui, t'inquiète. Vous faites quoi ce soir ?

— Aucune idée. Peut-être qu'on va aller manger dehors, mais on veut pas se coucher trop tard, comme demain on retourne à la base d'entraînement.

— Encore ?

— Il faut garder la forme, répond Joyce à sa place.

Je hoche la tête. Ils n'ont sûrement pas tort. Mieux vaut se préparer le mieux possible.

Un peu moins d'une heure plus tard, alors que je discute tranquillement avec Joyce et Zac dans le salon, et que Jake finit son repas dans la cuisine, je décide de me lever du canapé et vais rejoindre mon petit-ami. Lorsque qu'il m'aperçoit, un léger sourire étire ses lèvres.

— Tu es prête ?

J'acquiesce vivement.

Cinq minutes plus tard, j'enfile un manteau et le retrouve sur le pas de la porte. Après un au revoir à nos amis, nous sortons rapidement. La pluie a cessé, mais il ne fait aucun doute qu'elle recommencera à tomber dans peu de temps.

Je suis Jake jusqu'à l'orée de la forêt en pressant le pas. Il reste silencieux, l'air soucieux. L'atmosphère est pesante, comme si l'air se faisait plus étouffant.

Toujours dans un silence des plus oppressants, nous arrivons enfin à destination. Jake écarte le rideau de lichen dissimulant l'entrée de la grotte, et y pénètre lentement. Avant de l'imiter, je jette un coup d'œil au ciel, couvert et s'assombrissant petit à petit, alors que le soleil descend à l'horizon. Il ne tardera pas à faire nuit.

Je finis par entrer, et rejoindre Jake qui est adossé à la paroi de la roche. Je ne peux réprimer un frisson. La dernière fois que je suis venue ici, j'ai cru que j'allais mourir. Ce n'est pas le meilleur souvenir que j'ai avec Jake.

— Ça va ? me lance ce dernier, la voix rauque.

Je hoche la tête, et reporte mon regard au sien, déjà animé d'une chaleur familière.

— Oui, assuré-je. Ça va.

Je déglutis, et je vois la mâchoire du loup-garou se contracter. Il n'a pas l'air d'aller très bien. En plus de la pleine lune, il y a quelque chose qui le tracasse, et je ne peux qu'en être inquiète.

— Jake, qu'est-ce qu'il y a ?

— Quoi ? Rien, me répond-il.

— Tu mens.

Jake lève légèrement le menton, et je vois dans ses yeux passer une étincelle étrange. Puis, il fixe un point invisible au sol, l'air beaucoup plus grave qu'il ne le veut sûrement. Je fais un pas vers lui, et le force à me regarder dans les yeux.

— Jake, sérieusement, insisté-je.

Il hésite un instant, et inspecte chaque détail de mon visage.

— Si ce soir... commence-t-il d'une voix à peine audible. S'il se passe quelque chose ce soir, et que je ne suis pas là...

— Tu as dit qu'il ne nous arriverait rien, assuré-je. J'y crois.

Les yeux de Jake brillent, et leurs étincelles dorées semblent brûler. Il déglutit, et lève sa main pour caresser mes cheveux.

— Je sais, et j'y crois aussi, répond-il. Mais je... j'ai peur, OK ? J'ai peur pour toi. Et imaginer qu'il puisse t'arriver quoi que ce soit, sans que je sois là pour t'aider, c'est...

Je sens l'émotion me prendre la gorge, et dois me concentrer autant que je le peux pour ne pas laisser transparaître ma propre peur en parlant.

— Arrête d'être aussi parano, Jake, tenté-je de le rassurer en souriant doucement. Il ne m'arrivera rien ce soir, et les Bannis ne feront rien. Il faudrait vraiment qu'on n'ait pas de chance pour qu'ils attaquent pile aujourd'hui. J'irai bien, ce soir et après.

Jake ne répond rien, et se contente d'opiner lentement, le regard plongé dans le mien. Puis, sans un bruit, il passe sa main derrière ma nuque, et m'attire vers lui. J'accepte son étreinte chaleureuse avec plaisir, et entoure mes bras autour de son dos, la tête posée contre son torse brûlant. Il maintient sa main sur le haut de ma tête, comme pour s'assurer que je ne me détache pas de lui. Je suis parcourue de frissons, et mon cœur tambourine violemment contre ma poitrine.

Soudain, je sens Jake se crisper en un spasme, et sa respiration se couper. Je me décolle de lui et le considère d'un air inquiet. Ses yeux brillants commencent à se colorer de jaune. Je hoquette, prise de court par la situation, alors que mon loup-garou de petit-ami ôte son tee shirt sous mes yeux, dévoilant son corps athlétique toujours aussi hypnotisant.

— Heaven, oh, fait-il en me voyant ainsi pantoise.

— Oui, oui, réponds-je en reportant mes yeux aux siens. D'accord. Je fais quoi ?

Il m'indique le fond de la grotte en s'y dirigeant, l'endroit où il se place visiblement à chaque transformation. Il se tourne face à la paroi, et place ses pieds dans les menottes accrochées à la roche, avant de les les fermer avec vivacité. Il semble pressé, et je vois déjà ses muscles se contracter peu à peu.

— Tu peux attacher celles pour les mains, s'il te plaît ?

Je hoche la tête, et m'active en contrôlant tant bien que mal ma nervosité. J'accroche avec difficulté les lourdes menottes aux poignets de Jake, et m'assure que tout est bien solide.

— Merci, fait-il en tournant les yeux vers moi.

Je lui adresse un sourire hésitant, et remets en place ses cheveux tombant sur son front déjà un peu transpirant. Je garde ma main sur sa joue, et serre la mâchoire en voyant les iris de ses yeux virer totalement au jaune, signalant le début de la transformation. Il soutient mon regard, et je vois déjà la douleur apparaître sur ses traits. Mon cœur se serre à cette vision de lui, souffrant sans que je ne puisse l'aider, et je détache mes doigts de son visage, tremblante. Sa respiration se saccade en quelques secondes, et alors qu'il serre les poings si fort que ses phalanges pâlissent, il secoue la tête.

— C'est bon, articule-t-il difficilement, vas-y. Sors d'ici.

Je ne bouge pas pendant une seconde, et je le vois se plier en deux, réprimant un gémissement angoissé.

— Heaven, tu m'as promis.

Mes lèvres tremblent, et après un dernier instant d'hésitation, je hoche la tête et recule d'un pas, puis deux. Je ne veux pas partir, mais je lui ai en effet promis de le faire. Alors je tourne le dos à mon petit-ami tordu de douleur, qui pousse un cri étouffé en faisant claquer ses chaînes entre elles, et sors de la grotte en quelques pas tremblotants. Le dernier son qui me parvient avant que tout bruit soit étouffé par celui de la pluie de nouveau battante, est celui d'un craquement d'os, précédant un hurlement étranglé.

Sachant que si je reste plus longtemps face à l'entrée de la grotte, je vais y retourner, je préfère courir pour ne pas faillir à ma promesse. J'essaie, tout en m'essoufflant sous l'averse glacée, de me persuader d'avoir fait le bon choix.

J'arrive enfin à l'orée de la forêt, et m'arrête pour faire une pause pendant quelques instants, les genoux fléchis et les mains sur les hanches. Je reprends mon souffle difficilement, le visage inondé et les oreilles assénées par la pluie frappant violemment le sol. Je jure silencieusement, à bout de nerfs malgré moi, et finis par secouer la tête en me remettant en route.

Mais, alors que j'approche des rues vides d'Érédia, un énorme bruit de choc détonne, et fait trembler le sol. Je laisse échapper un cri de surprise, et sens ma respiration se bloquer quand je lève les yeux pour comprendre d'où venait cette violente collision. Et ce que je découvre me laisse bouche bée. Tout autour de moi, entre la ville et la forêt, s'étend une sorte de mur translucide, formant un dôme gigantesque aux tons électriques. C'est clairement une barrière magique, dégageant une telle puissance que je n'ose même pas l'approcher. En me rendant compte de ce qu'il se passe, une boule s'installe dans ma gorge et je reste immobile, entendant peu à peu les gens sortir de chez eux. Nous sommes enfermés, isolés. Et il ne fait presque aucun doute que c'est l'œuvre des Bannis. Nous avions raison. Jake avait raison. Et il n'est pas là.

Je secoue la tête et décide d'ignorer mon angoisse grandissante, en tournant le dos à ce mur pour foncer vers la maison de Zac. Je manque de glisser plusieurs fois, mais finis par arriver à destination. Je trouve mes amis dehors dans la rue, eux aussi abasourdis.

— Qu'est-ce que c'est ? lancé-je à Zac, à bout de souffle.

— Une barrière, répond-il sans lâcher des yeux cette dernière, confirmant ainsi mes pensées.

— C'est les Bannis, hein ?

Il ne bouge pas, et je vois sa mâchoire se contracter. Ses cheveux sont trempés, et ses yeux bleus luisent presque sous la pluie battante. Joyce, quant à elle, a le regard perdu entre les gens maintenant amassés autour de nous et la barrière magique, l'air visiblement au bord de la panique.

— Zac, c'est les Bannis, ou pas ? insisté-je, la voix tremblante.

— Je ne sais pas, avoue-t-il. Je ne sais pas.

— Pourquoi ? Qui veux-tu que ce soit d'autre ? m'époumoné-je pour masquer le son de la pluie.

Il secoue la tête, visiblement plus perturbé que je ne le pensais. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens et sais que nous perdons le contrôle de tout ça rapidement, et je sens ma gorge se serrer au fur et à mesure que ma panique accroît. Je déglutis, et mon ami se tourne enfin vers moi, le regard sombre.

— J'ai vu ça une seule fois dans ma vie, Heaven. Et si c'est la même personne qui est à son origine, on est encore plus dans la merde qu'on ne le pensait.

J'ouvre la bouche sans répondre, attendant qu'il continue, sans comprendre. Alors, Zac poursuit, d'une voix rauque à peine audible dans ce déluge.

— Le sorcier qui a aidé l'ancien roi pour l'extermination des Silencieux de Sang Pur et des loups-garous. Il avait fait ça, pour être sûr que personne ne sorte de la ville.

J'étouffe un hoquet, et sens mon cœur bondir dans ma poitrine. Tout cela n'a aucun sens. Je sens ma tête tourner. Tout est en train de s'accélérer, et je ne sais absolument pas quoi faire.

— Mais... m'étranglé-je.

— Je ne comprends pas plus que toi, mais on n'a pas le temps pour réfléchir.

Je m'apprête à demander ce que nous sommes censés faire, mais plusieurs détonations assourdissantes me coupent dans mon élan et je laisse échapper un nouveau cri. Des explosions. Le signe des Bannis. Je lance un regard paniqué à Zac, qui lui, garde tant bien que mal un air maîtrisé. Il hoche lentement la tête, comme s'il organisait les idées dans son esprit, et finis par interpeller Joyce, complètement désemparée.

— Allez chercher vos armes, et préparez vous, ordonne-t-il avec un effroyable sang-froid. On se rejoint après.

J'acquiesce, et Joyce fait de même. Nous nous élançons vers la maison. Sans parler, nous courons dans les escaliers, entrons en trombe et descendons jusqu'à la salle d'armes. J'empoigne ma dague, qui s'anime instantanément, et prends une grande inspiration. Joyce prend son katana et une épée pour Zac, et je vois qu'elle tremble malgré elle, comme moi. Nous sommes paniquées, et nous n'y pouvons rien.

— Joyce, il faut qu'on se ressaisisse, lâché-je, frissonnante.

Elle se tourne vers moi, les cheveux ruisselants et le visage livide.

— Je sais, tu as raison, répond-elle. Mais...

— J'ai peur, moi aussi. Je ne sais pas si on avait raison d'être confiants, je ne sais pas si on avait raison de dire que rien n'allait nous arriver, et je ne sais pas si je suis prête, même si je l'espère. Mais toi, tu l'es. Tu as été entraînée toute ta vie pour ça. Tu peux le faire. Il ne faut pas que la peur nous empêche de nous battre, mais nous motive à le faire.

En prononçant ces mots, je tentais de me convaincre autant qu'elle. Je me sens complètement démunie face à la situation, et je ne pensais pas réagir ainsi. Je croyais que tout allait être plus automatique, plus efficace, que je ne réfléchirais pas et agirais le plus calmement possible. Mais j'avais évidemment tort. J'ai été prise de court, et ça ne me réussit pas.

Mon amie acquiesce lentement, et inspire un grand coup en passant la main dans ses cheveux. Puis, elle ferme les yeux, en continuant son exercice de respiration, avant d'attacher le pendentif de son espèce à son cou. Elle secoue la tête, puis ouvre de nouveau les yeux, ceux-ci à présent d'un orange vif, brillant plus que jamais. Elle semble ravivée d'une force qu'elle n'avait pas il y a quelques secondes, et serre fermement son katana. Je la fixe un instant, puis l'imite en contrôlant aussi bien que je le peux les frissons parcourant mon échine. J'hésite en prenant mon pendentif dans ma main, mais, après un regard encourageant de Joyce, je finis par le nouer à mon cou, sentant instantanément ma respiration se calmer, et mes muscles se tendre. Je serre à mon tour le manche de ma dague, et observe une seconde le halo bleu s'en échappant. Une fois dehors, avec une arme pareille et le signe de mon espèce ornant mon cou, je dévoilerai à tout le monde ma véritable nature. Je ne pourrai pas revenir en arrière, je ne pourrai sûrement plus me cacher, même dans la foule distraite d'une bataille sanglante.

— Tu es sûre de toi ? s'enquiert Joyce, partageant visiblement mes pensées.

Pendant un instant, je ne réponds pas, et garde les yeux rivés sur mon arme. Puis, lentement, je hoche la tête.

— Oui.

Je n'ajoute rien, et nous n'attendons plus pour repartir. Nous retournons dans le couloir, marchons jusqu'à la porte d'entrée. Avant d'ouvrir celle-ci, je prends une profonde inspiration. À partir du moment où je sortirai, il ne faut plus que je me laisse démunir par mes émotions. J'ai appris à me battre, à me défendre, à utiliser mes pouvoirs et ma force contre un ennemi potentiel, il est temps de mettre tout cela à l'œuvre. Je ne dois pas penser aux risques, ni à Jake qui est seul, isolé de nous tous et qui ne peut donc pas intervenir, exactement comme il l'avait prédit, je ne dois pas penser à l'idée qu'il puisse lui arriver quelque chose non plus. Il faut que je me concentre.

Je tourne la poignée, et nous voilà de nouveau dehors.

Joyce et moi rejoignons Zac en courant, et le trouvons peu de temps après, en compagnie de plusieurs inconnus. Je regarde autour de moi. J'ai l'impression que la population entière s'est amassée ici - hormis les enfants, probablement isolés par sécurité - et semble prête au combat.

— Tout le monde est prêt pour l'affrontement, nous intime Zac en prenant son épée. Et vous ?

— On est prêtes, répond sa petite-amie.

Il l'observe pendant un instant, puis d'un geste brusque, la serre contre lui, et embrasse son front.

— Je t'aime, OK ? l'entends-je lui dire d'une voix rauque.

Joyce hoche la tête, les lèvres tremblantes. Mon cœur se serre, et je déglutis.

Puis, alors qu'un brouhaha désorganisé résonnait autour de nous, un silence de mort s'installe, seulement brisé par l'averse. Au début, en levant les yeux, je pense que c'est de ma faute, et que les gens ont remarqué mon arme, mais non. Personne ne m'accorde d'attention pour le moment, tous bien trop préoccupés par l'approche de dizaines et de dizaines de Bannis, franchissant un à un la barrière magique, dans notre direction. Ça commence.

Je n'ai pas le temps de réagir, que les gens autour de moi s'élancent déjà vers nos ennemis, et je vois les armes voler dans les airs. Sous l'averse gelée, l'armée des Bannis se mêle en quelques secondes aux habitants d'Érédia, et je reste paralysée. Je vois Joyce s'éloigner, et son katana transperce l'abdomen d'un elfe, alors que Zac a déjà disparu dans la foule. Tout autour de moi, je peux déjà voir des corps tomber, des armes ensanglantées s'agiter, des éclairs de magie fuser. C'est absolument irréel, et je ne sais pas comment je vais m'en sortir.

Ce n'est que quand je vois un Banni s'avancer à grands pas vers moi que je comprends qu'il est temps pour moi de réagir. Armé de deux longs sabres, il saute juste face à moi, et je ne réfléchis pas quand je me baisse pour esquiver son coup, avant d'enfoncer ma dague étincelante dans le bas de son dos. Le Banni se tourne, et j'ai le temps de croiser son regard d'un violet à présent terne, avant qu'il ne s'effondre brutalement dans la boue. Je sens un haut-le-cœur me secouer, et je suis obligée de détourner les yeux de cet homme, ce cadavre à mes pieds. Je viens de tuer quelqu'un. Je l'ai tué. Je tremble de tous mes membres, et j'ai à peine le temps de faire un pas en arrière, que je vois une nouvelle horde de Bannis se précipiter vers moi. Je pousse un cri incontrôlé, et me mets à les fuir instinctivement. Je cours dans la foule déchaînée, me reçois nombre de coups que j'esquive avec panique. Je finis par trébucher, et tombe à genoux sur le sol boueux dans un endroit caché entre deux maisons, le souffle court et le cœur affolé. Je serre les paupières, sachant bien que je n'ai que quelques secondes pour me calmer. Je prends difficilement de profondes inspirations, essayant tant bien que mal de ne pas penser à la bataille qui fait rage dans mon dos. Il faut que je me calme, il faut que je me calme, me répété-je mainte et mainte fois, sentant peu à peu revenir le peu de contrôle que j'ai sur ma respiration.

Je me relève en tremblant, et me retourne pour faire face à la scène presque inimaginable se déroulant sous mes yeux. Je me rappelle avoir pensé « Une guerre entre créatures fantastiques, incroyable » il y a longtemps. C'est en effet incroyable, mais c'est encore plus terrassant et effrayant. Mais j'ai dit que je me battrais. Et je dois le faire, je dois aider mon peuple.

Je secoue la tête, et ne réfléchis pas une seconde de plus avant de m'élancer parmi tous les combattants. J'aperçois Joyce dans la foule, et il ne me faut même pas une seconde pour me rendre compte qu'elle est acculée et ne remarque pas l'ennemi qui s'approche de son dos. Alors, je m'y précipite en courant, et saute sur le Banni qui s'apprêtait à la frapper, lâchant un cri guttural. Joyce sursaute en abattant son dernier ennemi, et se retourne vers moi, les yeux écarquillés. Sur son visage, j'aperçois déjà des traces de sang. Nous nous fixons en silence pendant quelques secondes, puis mon amie hoche la tête et s'élance de nouveau dans la bataille. J'inspire profondément, et gonfle mes poumons d'énergie, avant de m'y relancer à mon tour.

Identifiant les Bannis à leur marque, je ne me pose plus de questions et assène chacun d'eux croisant ma route de coups de dague secs, concentrant toute ma force pour garder mon regard droit devant moi, pour ne pas avoir à regarder les gens mourir. Je n'ai pour le moment pas besoin d'utiliser la magie, et c'est très bien comme ça. J'exécute mes mouvements avec un automatisme déconcertant, comme si je me dissociais de la réalité et ne me rendais compte de rien, volontairement. Je dois ignorer ce goût amer dans ma bouche, oublier cette sensation que mon cœur va exploser. Je dois oublier.

Je cherche, en même temps que je combats nombre d'inconnus, mes amis. Je ne trouve ni Zac, ni Joyce, ni aucun autre de mes alliés. Je ne peux donc pas savoir s'ils vont bien. Je n'arrive pas à non plus à voir qui gagne, entre nous et les Bannis. La pluie, le bruit et le nombre bien trop élevé de gens perturbent ma réflexion, et je suis vouée à mettre à terre des Bannis jusqu'à ce que cela cesse.

La foule se disperse peu à peu, et je parviens enfin à apercevoir Zac et Joyce pas très loin de moi, tous deux se battant sans relâche et ne semblant pas blessés. Mais, alors que je me sens rassurée pendant un instant, je vois de nouveau un Banni m'approcher à grands pas, l'air plus robuste que les autres. Je presse le manche de mon arme, et l'attends avec détermination. Mais c'est à ce moment que je vois derrière lui, à une dizaine de mètres à peine, un autre Banni courir vers Zac, et brandir son arme au dessus de lui. J'ai à peine le temps de crier le nom de mon ami, que le long sabre du Banni étincelle sous la pluie, et transperce sa poitrine d'un coup sec.

— Zaaaaaac ! hurlé-je à nouveau, le ventre retourné et les oreilles bourdonnantes.

Je tente de courir dans sa direction, ne parvenant pas à voir parfaitement la scène, mais le Banni en face de moi m'en empêche, et empoigne violemment mon bras. Je donne un coup hasardeux dans sa direction, qui n'a aucun effet, et je sens ma respiration se saccader peu à peu. Mon ennemi tire violemment mon poignet, et je donne un nouveau coup de dague pour me défaire de son emprise brutale. Je parviens avec un peu de chance à lui écorcher le bras, avant d'enfoncer mon arme dans son abdomen alors qu'il atteint ma clavicule en tombant à terre. J'étouffe un cri de douleur, et m'éloigne de lui en pressant la main sur ma plaie sanglante. Je sais que d'autres vont arriver, et que je suis blessée, mais je m'en fiche royalement pour le moment. Je veux juste voir Zac.

— Zac ! Zac ! répété-je en m'écorchant la gorge, des larmes brûlantes se mêlant bientôt à la pluie frappant mon visage.

Je titube en tentant d'apercevoir la scène, et mon souhait est exaucé une seconde plus tard. Alors que je vois de nouveau des Bannis approcher, j'entends, masquant le son assourdissant de la pluie, un cri déchirant qui restera certainement ancré dans mon esprit à jamais. Joyce. Elle vient de voir, en même temps que moi, Zac s'effondrer à terre, parmi les corps baignant dans la boue et le sang. Je la vois écarter tout le monde à coups de Katana, et se jeter sur son petit-ami en hurlant son nom. J'éclate en sanglots, et, ne parvenant plus à bouger, m'effondre à genoux, ignorant mes ennemis qui sont à moins d'un mètre de moi. Tout mon corps tremble, et je suis absolument frigorifiée par la pluie et le choc. Je ne sais pas si Zac est mort, mais s'il ne l'est toujours pas, il risque de l'être bientôt. Et prendre conscience de cela me tord le ventre et me donne envie de vomir. J'ai l'impression que je n'arrive plus à respirer, et malgré mes quelques essais fébriles, je ne parviens pas non plus à me relever. Je suis complètement sonnée.

Je ne tente même pas de me débattre quand un Banni agrippe mon bras pour me relever, et je laisse échapper mon arme de ma main, ne réfléchissant plus à rien, ne comprenant plus rien. Je garde les yeux rivés sur Joyce, semblant plus paniquée que jamais alors qu'elle secoue dans tous les sens son petit-ami, mon mentor, qui est visiblement inconscient... ou mort, je ne pourrais le dire, et le penser me fait bien trop mal.

C'est alors que je vois, d'une Joyce brisée, une aura enflammée s'élever avec force, irradiant tout autour d'elle avant de l'envelopper totalement. Son esprit se manifeste, et forme à présent un renard incandescent et majestueux tout autour d'elle. C'est aussi magnifique que triste, et voir autant de puissance émaner de mon amie Kitsune à cet instant me procure autant de fascination que de douleur.

C'est à ce moment que je reviens à moi-même et me décide enfin à me défendre. Mais le Banni derrière moi semble dégainer ce que je pense être son arme, et appuie d'une main sur ma clavicule ensanglantée, m'arrachant un gémissement. Et soudain, tandis que je m'apprête à lever le bras pour réagir enfin, il agrippe mon cou. Je n'ai pas le temps de comprendre ce qu'il se passe, que je le sens y enfoncer lentement une seringue. Je laisse échapper un hoquet étranglé, et il desserre son étreinte alors que je sens rapidement toute force quitter mon corps.

La dernière image que j'ai avant de perdre connaissance, est celle de mon amie Kistune se relevant au dessus du corps sûrement sans vie de Zac, avant de bondir avec un cri de rage, faisant étinceler son Katana au dessus des têtes de tous ses assaillants. Et je ferme les yeux en m'effondrant sans comprendre, sans savoir si je suis en train de mourir, si je vais survivre, ni si quelqu'un survivra réellement à cette bataille.

* * *

J'entrouvre lentement les paupières, sentant la lumière filtrer légèrement à travers mes cils, et pendant un instant, je me demande si j'ai rêvé. Mais la douleur lancinante dans tout mon corps, et la légère sensation de brûlure sur ma clavicule me font revenir à moi-même. Non, je n'ai pas rêvé. L'affrontement a bel et bien eu lieu, Zac a bel et bien été blessé, peut-être tué, et j'ai bel et bien été endormie par un Banni au plein milieu de tout ça.

Quand j'ouvre enfin les yeux, et bouge légèrement, je mets quelques secondes à prendre conscience de ce qu'il se passe. Je suis attachée à une chaise, de massives menottes bloquant mes poignets et mes chevilles, dans une pièce aménagée de quelques étagères et aux murs de pierres, à l'apparence très rustique. Il y a une vieille porte en bois fermée en face de moi, et une petite fenêtre de chaque côté, semblant donner directement sur l'extérieur et laissant passer la faible lumière des lampadaires. Il fait nuit, et la pluie a cessé. Je ne sais absolument pas où je suis, mais c'est visiblement un endroit ancien. Un frisson parcourt mon échine. Et si...

— Ah, tu es réveillée, entends-je derrière moi.

Je sursaute, et me retourne brutalement. Une femme se tient à présent à côté de moi, ses oreilles pointues relevées. Mais la première chose que je remarque chez elle est le cercle que son cou arbore. Une Bannie. Alors l'hypothèse que je me faisais il y a quelques secondes s'avère plus que plausible. Je suis chez eux.

— Vous êtes qui ? articulé-je difficilement, la bouche pâteuse et les paupières lourdes.

Elle ne répond pas, et fixe la plaie sur ma clavicule. Celle-ci est toujours douloureuse, mais elle semble se refermer plus rapidement que je ne l'aurais pensé. Enfin, ça dépend du temps que j'ai passé ici.

— Ça fait combien de temps que je suis là ? m'enquiers-je alors que la femme inspecte mes bras pour s'assurer que je n'ai pas d'autres blessures profondes.

— Une heure.

— Et pourquoi je suis là ?

— Ah, ça, ce n'est pas à moi d'y répondre.

Elle plante enfin son regard vert dans le mien, et je déglutis.

— On ne te fera pas de mal, si c'est ce que tu te demandes, fait-elle.

— « On » ?

Un léger sourire étire le coin de ses lèvres, et dévoile une petite fossette sur sa joue.

— Tu vas comprendre très vite. Mais encore une fois, ce n'est pas à moi de tout t'expliquer.

— Alors c'est à qui de le faire ?

Je m'adresse à elle avec fermeté, bien décidée à ne pas me laisser abattre malgré ma panique intérieure. Je suis silencieusement complètement affolée, et je ne sais pas du tout comment je vais me sortir de ce pétrin.

La Bannie ne répond pas, et elle plisse les paupières un instant, avant de reculer d'un pas, puis de me tourner le dos. Elle se dirige vers la porte, et sans un bruit, sort de la pièce.

À la seconde où elle ferme la porte, je commence à m'agiter sur ma chaise, essayant de trouver un moyen de me détacher. Voyant que la force ne m'est d'aucune utilité, je ferme les yeux et tente de solliciter la magie pendant quelques secondes. Mais c'est également impossible. Je fronce les sourcils, ne comprenant pas comment cela est possible. Sentant que la panique recommence à monter, je me force à me concentrer sur ma respiration. J'inspire et expire profondément, en essayant de remettre en place toutes les idées se bousculant dans mon esprit. Je remets dans l'ordre les événements de la soirée, pour mieux comprendre comment je me suis retrouvée là, et fais de nouveau face a des souvenirs plus qu'angoissants. Je repense à Jake, que j'ai quitté à la grotte quelques minutes à peine avant le début de la bataille et que je n'ai toujours pas revu, aux Bannis que j'ai tué et aux gens que j'ai vu mourir, à Zac qui lui aussi n'a probablement pas survécu, à Joyce que je n'avais jamais vu aussi enragée et détruite, au chaos. Ça n'a jamais été aussi le bordel dans ma vie en si peu de temps. Et pour la première fois réellement, je ne sais absolument, absolument pas quoi faire pour m'en sortir.

Je suis sortie brutalement de ma torpeur par le son de la porte en bois se rouvrant lentement. J'avale difficilement ma salive, et je vois la Bannie rentrer de nouveau dans la pièce.

Mais ce n'est pas la seule qui entre, et elle est suivie de près par quelqu'un, que je ne reconnais que quand la porte se referme derrière lui. Et mon souffle est coupé, ma tête assénée d'un coup invisible, et ma poitrine compressée par un haut-le-cœur. Le choc est indéfinissable. Et ma rage n'a d'égal que ma panique à cet instant.

— Heaven, je te présente... annonce la femme.

— Je sais, la coupé-je d'une voix rauque à peine audible.

Je ne quitte pas le regard glacial de l'homme se tenant devant moi, et il s'avance en silence. Un frisson parcourt tout mon corps, alors que je prends conscience que c'est réellement lui, face à moi, à cet instant. Jorah. L'ancien roi d'Érédia, le responsable du massacre de mon espèce, de mes parents, celui qui a injecté son propre sang dans mes veines, ce monstre, se tient à un mètre de moi, l'air plus majestueux que son frère ne l'a jamais eu, le regard plus transperçant que celui de son frère ne l'a jamais été, n'inspirant que pouvoir, peur et dégoût. Je n'ai jamais été aussi terrassée, à la fois aussi démunie et aussi enragée. J'ai l'envie incontrôlable et effrayante de lui sauter à la gorge et le tuer de mes propres mains, de le voir agoniser.

— Bonsoir, Heaven.

Le son de sa voix fait frissonner mon dos, et je serre les poings pour empêcher mes mains de trembler. Je ne lui réponds pas, et garde mes yeux arrimés aux siens, paralysée par une angoisse et une rage indéfinissables. Je n'aurais jamais imaginé que ce moment arriverait réellement. Mais il est arrivé, et je ne sais pas comment je vais faire. Je suis seule, et pour le moment, je n'ai aucune échappatoire.

Et je ne sais pas ce qu'il adviendra, mais si je peux être sûre d'une chose, c'est que tout ça est loin d'être fini.

FIN



_ _ _ _ _

Et voilà c'est la fin ! Maintenant, passez au tome 2 pour rattraper les autres ;)
Je suis vraiment désolée de l'avoir posté aussi tard, j'étais en plein déménagement (premier appart la galère donc j'étais débordée)
J'espère que vous me pardonnez et que ce chapitre vous a plu !
Maintenant, le tome 1 est clos, prêts pour l'aventure du tome 2 ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top