Douzième Chapitre 2/2 - Réécrit
Le silence règne à l'intérieur. Joyce referme la porte derrière nous, et nous avançons. Pas un signe de Jake, ni de Zac. Lorsque j'aperçois la porte de la bibliothèque au fond du couloir grande ouverte, je lance un regard intrigué à Joyce qui m'emboîte le pas jusqu'à la pièce. Lorsque je franchis la porte, je reste bouche bée, et m'immobilise peu à peu en entrant. Autour de moi, s'étendent d'innombrables étagères remplies de milliers de livres. La pièce, bien plus grande que je ne l'aurais imaginé, semble s'élever sur plusieurs mètres, et je vois des petites échelles pour atteindre les plus hautes étagères qui longent les murs. Une atmosphère chaleureuse s'en dégage, le soleil perçant par les grandes fenêtres et réchauffant les couleurs des fauteuils installés çà et là. En faisant quelques pas à l'intérieur, j'aperçois alors Zac, assis par terre au milieu de dizaines de livres étalés. Le grand blond lève les yeux en nous entendant arriver, et échange un regard bref avec Joyce.
— Tu fais quoi ? m'enquiers-je.
— Des recherches, pour toi, mais c'est mal barré.
— Des recherches sur quoi ?
Il hausse les épaules.
— Tout ce que je peux trouver en rapport avec toi.
Je fronce les sourcils, sans vouloir en savoir plus, et m'engage dans les différents rayons de livres qu'offrent la pièce. Les yeux rivés sur l'océan d'ouvrages, je ne sais plus où donner de la tête et ne peux m'empêcher de détailler les titres. Recettes de potions, Histoire de l'Elfe, Érédia en cent points, Espèces de la Forêt, La Terre et son Histoire... En les feuilletant discrètement, je n'arrive pas à masquer mon sourire qui s'étire face à tant d'ouvrages improbables, et me promets de m'y intéresser de plus près dès que possible. Lorsque je penche la tête pour observer Zac et Joyce, je vois cette dernière le fixer sans qu'il ne s'en rende compte, et distingue dans son regard une expression indéchiffrable. Sentant bien que je suis de trop, je parviens à m'éclipser discrètement en empruntant un petit livre qui résume la vie à Érédia. Je grimpe les marches de l'escalier quatre à quatre, et rejoins ma chambre en pressant le pas, voulant à tout prix éviter de croiser Jake.
Après une petite heure à vaquer à mes occupations, je sors de ma chambre, et évidemment, car il le fallait, me retrouve face à Jake qui sort de la sienne. Comme par hasard. Je ravale ma salive, et m'apprête à l'ignorer pour descendre, lorsqu'il s'avance et arrive à mon niveau en quelques pas, me bloquant le passage. Je sens une vague de l'odeur de son parfum citronné, et recule, déstabilisée. Je me cogne contre le mur, et m'y adosse en tentant de masquer mon sursaut. Jake me considère en silence, les yeux plissés.
— T'es bizarre, aujourd'hui, lâche-t-il.
Je secoue la tête en fronçant les sourcils.
— Si, tu l'es. Et tout à l'heure t'as pas réagi comme d'habitude. Pourquoi ?
Il est beaucoup trop perspicace, c'en est affligeant. Mais puis-je lui expliquer maintenant, comme ça ? En suis-je vraiment capable ? Joyce m'a encouragée, mais entre en parler et le faire...
— T'es parano, soufflé-je en tentant de prendre un air détaché. J'ai juste mal dormi cette nuit, ça doit être la fatigue.
Il décroise les bras, et s'approche de moi.
— Tu mens. C'est flagrant.
Je pince les lèvres. Comment fait-il ?
— Non, Jake, sérieux, dis-je en pouffant, le plus posément possible.
Je me décolle du mur, et entreprends de le contourner pour le quitter, mais il appuie brutalement sa main droite sur le mur, à quelques centimètres de mon visage, et je suis plaquée de nouveau contre le mur en sursautant. Je sens mon cœur tambouriner dans ma poitrine, et n'ose pas le regarder dans les yeux. Il est beaucoup trop proche, et je suis encore beaucoup trop chamboulée. Alors, quand il détache sa main et la passe devant moi, je serre instinctivement les paupières et me crispe, en étouffant un hoquet. La scène dans la grotte a ressurgi dans mon esprit en une seconde, et je peux sentir à nouveau le contact de ses doigts brûlants sur ma peau, son souffle rauque contre moi alors qu'il me traînait brutalement. Et je me rends compte de mon erreur quand, en rouvrant les yeux, la poitrine en feu, je croise le regard déboussolé de Jake, qui fronce les sourcils et se détache de moi en me considérant, sans comprendre.
— Qu'est-ce que... fait-il dans un souffle.
Je vois ses tempes battre, et il me détaille de la tête aux pieds, tentant de déchiffrer ma réaction. Je suis prise au piège. Je n'ai pas réfléchi et ai simplement répondu instinctivement à son mouvement inattendu, sans penser au fait que je ne devrais avoir aucune raison de craindre les gestes de Jake. Soudain, je vois son regard s'attarder sur mon avant bras dénudé, et il écarquille doucement les yeux en serrant la mâchoire. Je baisse la manche de mon tee-shirt et lui lance un regard alarmé. Il a vu les égratignures. Et le connaissant si perçant, je sais qu'il commence à comprendre. Et il n'aime pas ce qu'il comprend. En clignant des yeux, comme pour reprendre ses esprits, il recule et entrouvre les lèvres. Puis, il lève le doigt vers moi, sans pouvoir prononcer un seul mot. Et moi, je reste là, clouée contre le mur, prise d'une panique silencieuse. Sans bouger, je l'observe secouer la tête alors que son regard s'anime d'une lueur étrange, et me tourner le dos avant de descendre d'un pas titubant. En l'entendant traverser le couloir d'en bas et claquer la porte d'entrée, je me laisse glisser au sol en laissant échapper un juron, le poing dans le vide. Je reste accroupie pendant quelques instants, à calmer ma respiration haletante, en tentant de me donner un peu de courage. Je ferme les yeux, et inspire profondément. Puis je me relève et expire en secouant la tête, avant de m'élancer dans l'escalier. Je vais le trouver, et tout lui avouer. Je ne peux laisser une telle situation durer. Plus vite tout sera avoué, plus vite on pourra l'oublier. Alors, peu importe les conséquences, il faut que j'enlève ce poids de ma poitrine. Et même si ça brise le peu de relation que l'on a, il faut que je lui dise.
Dehors, je mets quelques minutes à le chercher, dans toutes les rues qui se présentent à moi, et commence à perdre espoir avant que je ne l'aperçoive au loin, assis sur un banc, la tête balancée en arrière. Je reste l'observer pendant un instant, sans savoir comment aller vers lui. Puis, lorsqu'il se lève, je cours vers lui pour ne pas le perdre de vue alors qu'il s'engage dans une ruelle étroite. En arrivant derrière lui, je l'interpelle, et il se retourne avec un sursaut. Le soleil qui éclaire faiblement la rue peint son visage et en dévoile les traits crispés, et j'ai un mouvement de recul en apercevant une telle expression.
— Heaven, j'essaie de me rappeler, mais...
Sa voix est tremblante, et je suis totalement désarçonnée en le voyant ainsi.
— Ton bras, souffle-t-il. Ça vient d'où ? Tu l'avais pas hier. Tu...
— Jake...
Dans ses yeux brillants, je ne vois rien de plus que du trouble et de la supplication. Il est complètement abandonné à sa confusion.
— Tu sais ce qu'il s'est passé hier soir, pas vrai ?
Je déglutis, la gorge nouée par l'appréhension, et hoche la tête. Alors, il lâche un souffle étranglé, et prend mon bras pour en dévoiler la peau, où on ne voit plus que quatre fines écorchures de moins en moins visibles.
— C'est moi qui t'ai fait ça ?
J'acquiesce de nouveau, et sa bouche s'entrouvre, son regard s'assombrissant. Alors, je m'éclaircis la voix, et inspire avant de me lancer. Il faut qu'il sache, qu'il sache que c'est de ma faute.
— Je t'ai suivi jusqu'à la grotte.
— Quoi ? s'étrangle-t-il.
— Je voulais voir où tu allais pendant la pleine lune, juste jeter un coup d'œil et te laisser tranquille, je suis... je suis désolée, j'ai été complètement conne, je me suis pas doutée que tu allais te transformer aussi vite.
— Tu as tout vu ? Tu m'as vu me transformer ?
Je sens mes mains trembler, et je soutiens son regard pendant un instant qui semble durer une éternité.
— Oui.
Un silence s'installe, et Jake souffle pendant une seconde. Il encaisse, il ne s'y attendait pas. Le voir comme ça me serre le cœur d'une manière inexplicable, car je sais qu'il va se sentir coupable alors qu'il ne devrait pas. Et je ne veux pas, non, je ne veux pas qu'il change lorsqu'il est avec moi.
— Et après ? fait-il d'une voix rauque.
Durant un instant, je le regarde sans répondre, mais je vois dans son regard tant de peine que je ne peux me décider à ne pas le soulager lui aussi. Il a besoin de savoir, même si ça le blesse.
— Tu m'as dit de partir, tu m'as prévenue et j'ai rien fait, d'accord ? commencé-je. J'ai absolument pas bougé alors que je savais que tu allais finir par devenir incontrôlable. Alors forcément, quand j'ai voulu partir, tu t'es détaché, et... et tu m'as attaquée.
— Oh non, oh non... Heaven, putain...
— C'est de ma faute ! le coupé-je. J'aurais dû partir dès que je t'ai vu.
Sans répondre, il secoue la tête.
— Je t'ai fait quoi ? Comment tu...
— Tu m'as étranglée, lâché-je d'une voix rauque. D'accord ? Tu m'as plaquée contre le mur violemment, tu m'as étranglée. Tu as essayé de me tuer, mais je me suis débattue et j'ai réussi à te repousser, et c'est comme ça que je me suis laissée griffer. Mais j'ai réussi à t'assommer, OK ? Et je suis partie. Alors...
— J'ai essayé de te tuer, répète-t-il dans un hoquet étranglé.
Les larmes sont remontées dans ma gorge, mais je les ravale dès que Jake raccroche son regard au mien. J'ai l'impression de ne plus pouvoir respirer, que mes jambes vont lâcher et que mon cœur va exploser. J'ai tout avoué. J'ai tout dit, et le dire ne m'a absolument pas enlevé de poids, il l'a rendu encore plus lourd. Parce que maintenant, je porte l'affreuse culpabilité d'avoir mis Jake dans un tel état.
— Jake, j'ai réussi à me défendre. Je vais bien.
— Non, non. C'est faux, tu ne vas pas bien, parce que tu as failli mourir, à cause de moi. Mais bordel, Heaven ! Quelle idée, aussi, de... de suivre un putain de loup-garou le soir de la pleine lune ? T'aurais pas pu réfléchir ? T'aurais dû savoir que... Évidemment que j'allais te faire du mal, merde...
Dans sa voix rauque, je décèle toute son incompréhension, sa colère et sa culpabilité, et je les prends en pleine face, en ravalant ma salive sans un mot. Il ne faut pas qu'il s'en veuille. Qu'il m'en veuille à moi, qu'il me haïsse d'avoir fait une telle erreur, mais il ne peut pas s'en vouloir.
— C'est pour ça, c'est de ma faute, m'aventuré-je à déclarer.
— Non, siffle-t-il. C'est de ta faute si tu m'as suivi, mais... Le reste, c'est moi. Tu n'as pas bougé parce que tu étais choquée, et parce que tu comprenais que dalle à ce qu'il se passait. Tu ne pouvais pas savoir que j'allais perdre conscience, et tu ne pouvais pas savoir que je devenais... aussi violent (il fronce les sourcils, comme si lui aussi s'en rendait compte).
— Justement ! Si je n'avais pas été assez bête pour te suivre, jamais tout ça ne serait arrivé ! C'est à moi que tu dois en vouloir, pas à toi-même.
Il secoue la tête et ne répond pas, le regard rivé au sol. Mais je sais qu'il n'est pas d'accord. C'est à lui qu'il en veut.
— Tu as peur de moi ? lâche-t-il alors en arrimant ses yeux aux miens.
— Non, réponds-je brutalement, sans réfléchir.
— Tu devrais peut-être, je t'ai presque tuée.
Il essaie de prendre un air détaché, et je n'aime pas ça. Il veut masquer ses émotions, qui sont sûrement trop intenses pour qu'il puisse les exprimer. Mais il ne faut pas, je ne peux pas le laisser se renfermer lorsque c'est moi qui devrait tout prendre. Alors je serre les dents, et expédie les quelques pas qui me séparent de Jake pour lui empoigner la main, et la pose sur mon cou avec fermeté. J'empêche ma respiration de se couper, et garde mon regard planté dans celui de Jake, qui est à présent à quelques centimètres de mon visage. Aussi près, je peux apercevoir dans ses yeux de minuscules paillettes dorées autour de ses pupilles. Il me considère d'un air profondément heurté, sans oser se défaire de mon étreinte. Le cœur battant, je garde mes mains autour de son poignet, et tente d'ignorer le contact de ses doigts sur ma gorge, d'arrêter de l'associer à la violence d'hier soir.
— Je n'ai pas peur, articulé-je calmement. Hier, j'étais effrayée, oui. J'ai cru que j'allais mourir, et c'est ça qui m'a donné la force de te repousser. Tu vois les marques dans ton dos ? C'est moi. Je t'ai fait mal, moi aussi. Je me suis défendue, face à une bête qui n'avait plus rien de toi, et je porte absolument toute la responsabilité de ce qui s'est passé.
— C'était moi, souffle Jake. Je ne suis qu'à moitié homme.
— La ferme.
Sa mâchoire se détend, et il me lance un regard interloqué en se taisant, alors que je me sens frissonner à mes propres mots. J'hésite pendant un instant à lâcher sa main, mais je sens que c'est efficace.
— Je sais que c'était toi, poursuis-je. Mais tu n'arrives pas à te contrôler, et ce n'est pas de ta faute. C'est moi qui ai été débile et qui ai fait n'importe quoi, qui t'ai ignoré quand tu m'as suppliée de partir. Ce qui m'est arrivé est uniquement arrivé à cause de mon irresponsabilité. Tu n'as rien à te reprocher, parce que tu n'as rien fait. Tu n'étais plus là. Alors, encore une fois, je n'ai pas peur de toi. Je vais bien, je vais m'en remettre. J'aurais bien fini par le voir un jour ou l'autre, de toute façon.
Je m'arrête, et sens mes lèvres trembler. C'est la première fois que je m'adresse de cette manière à Jake. J'ai été totalement honnête, et espère sincèrement qu'il a compris ce que je voulais lui dire. Lentement, je desserre mes mains de son poignet, et laisse mes bras tomber. Je m'attends à ce que Jake détache sa main de mon cou, mais au lieu de ça, il l'observe, puis détaille mon visage d'un regard rapide, en passant son pouce sur ma mâchoire. Je frissonne sous son contact surprenant, et il entrouvre les lèvres, en plongeant de nouveau son regard dans le mien.
— Je suis désolé, déclare-t-il, avec tant de sincérité que je suis pendant un instant paralysée.
— Je t'ai dit que...
— Je sais, m'interrompt-il. Mais je suis quand même désolé.
Ses longs cils battent une seconde, et il laisse enfin sa main glisser de ma nuque. J'ai l'impression que les battements de mon cœur se calment enfin.
— Mais ne t'en veux pas non plus, ajoute-t-il. Tu as juste été curieuse, et tu ne savais absolument rien des circonstances. Tu apprends encore, tu ne peux pas te blâmer pour... ça.
— Alors ce n'est de la faute de personne ?
Il hausse les épaules. Je ne tente pas d'insister. Je sais que, malgré le fait qu'il accepte ce que je lui dis, il ne peut s'empêcher de se sentir coupable. Et je l'accepte à mon tour, puisqu'il a compris. Il a simplement besoin de temps. C'est à moi à présent de lui prouver que si je ne lui en veux pas, il n'a aucune raison de le faire à ma place. Je dois lui montrer, et j'espère avoir déjà commencé. J'ai réussi à ne pas tressaillir alors que je ressentais son contact sur ma gorge, j'ai réussi à accepter les deux parts de Jake tout en m'obligeant à les unir, et je sais que je n'ai aucune raison de le craindre. C'est un loup-garou, voilà tout. Et si je ne comprenais pas ce que ça voulait vraiment dire auparavant, je le sais à présent. Et je le lui montrerai.
Je lève les yeux vers lui, et esquisse un sourire, qu'il me rend avec éclat. Ça y est, Jake est revenu. Joyce avait raison, je me devais de tout lui dire. Et finalement, le soulagement est là. Et je sens au fond de moi que notre relation a en effet changé, mais peut-être pas si négativement, après tout. Je suis un peu troublée. Avec lui, j'ai l'impression de devenir folle.
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