Dix-huitième Chapitre - Réécrit

J'entends la porte de la salle de bains s'ouvrir, et Jake s'avance, suivi de près par Zac et Joyce. Je les fixe, désemparée, le regard hagard.

— Ça va ? fait Joyce en m'apercevant.

— J'ai pu lui parler.

Zac s'approche.

— Alors ?

Je le regarde brièvement, et je sens ma tête tourner, je m'agrippe au lavabo en me sentant vaciller. Jake se rapproche en un pas. Il pose une main sur mon épaule.

— Tu te sens bien ?

J'acquiesce doucement.

— On lui injectait du sang.

— Quoi ? s'étrangle Zac.

Jake retire sa main de mon épaule et je m'avance vers mon mentor.

— Elle le rejetait à chaque fois, continué-je. C'était ça, la crise que j'ai vu. Et c'est peut-être ça qui me rend spéciale, les traces de sang dans son organisme.

— Elle t'a dit autre chose ? demande alors doucement Joyce.

Je souffle.

— Pour la sortir des limbes, je dois trouver le point d'ancrage, où le lien entre nos deux mondes est le plus fin.

Zac hausse les sourcils.

— Tu ne sais pas où ça pourrait être ? lui demandé-je.

Il secoue la tête.

— Non, désolé. On dirait qu'il va falloir faire des recherches.

— Ouais, soupiré-je en acquiesçant.

Je ne dis plus rien, et sors rapidement de la pièce. Sans les attendre, je descends et longe le couloir pour sortir. J'ai besoin d'air. Je m'arrête sur une des marches des escaliers dehors, et m'y laisse tombe en prenant de profondes inspirations. Je sens déjà quelques gouttes de pluie fine s'effondrer sur mon crâne et le bout de nez. Je ferme les yeux en levant la tête vers le ciel. J'ai juste envie de me vider l'esprit un instant. Je tremble un peu, et m'abaisse contre la rambarde, le cœur battant. J'ai parfois du mal à tout réaliser, à tout comprendre. Je n'ai le contrôle sur rien, et ça m'angoisse malgré moi.

Je reste dans cette position, le visage relevé et refroidi par la bruine pendant quelques minutes, avant d'entendre la porte d'entrée s'ouvrir. Je ne me retourne pas, et la personne qui s'assied alors à côté de moi n'est pas celle que j'imaginais. Zac. Il me fixe sans parler, l'air compatissant, puis soupire.

— On t'a laissé respirer, mais il faudrait que tu rentres.

J'affaisse les épaules, et garde mon regard dans le sien, silencieuse.

— Heaven, dit-t-il alors. Je sais que tout ça doit être dur pour toi, que c'est dur à comprendre, dur à assimiler. Je sais que tu as peur, que tu préférerais même ne pas avoir de pouvoirs.

J'inspire lentement, la gorge nouée, et il continue.

— Mais il va falloir être forte. Et je sais que tu en es capable. Tout ça, c'est la personne que tu es. Tout ce que tu vis, c'est ta quête qui te mène peu à peu à qui tu es. Je suis sûr qu'à chaque fois que tu apprends un nouveau détail, tu sens un vide en toi qui se remplit peu à peu.

Je le fixe, les sourcils froncés. Il a raison...

— Alors concentre toi dessus. Concentre toi sur ce vide qui disparaît, concentre toi sur tout ce que t'apportent ces révélations. Ne te laisse pas envahir par l'angoisse. Tu es une personne hors du commun, un être absolument incroyable et tu verras, tu verras que tout ce dont tu es capable, c'est quelque chose de vraiment magnifique. Ce que tu vis actuellement n'est qu'une mauvaise passe, mais après, tout ira bien. Tu seras enfin toi-même.

Je ne réagis pas tout de suite, et laisse ensuite un sourire étirer mes lèvres, émue malgré moi. Il me rassure. Il est chaleureux, et ses paroles m'aident bien plus que je ne l'aurais pensé. Je suis surprise par cette impression de sécurité que je ressens près de lui.

— Merci, murmuré-je d'une voix rauque.

Il pose sa main sur ma tête et me sourit gentiment.

— C'est normal. Tu es sous ma responsabilité, je suis là pour ça.

J'acquiesce, et il se relève en m'interrogeant du regard.

— Tu rentres ?

— Non, réponds-je doucement. Je vais rester réfléchir un peu encore.

Il me lance un dernier sourire réconfortant, et me tourne le dos pour aller dans la maison.

En soupirant, j'enferme mon visage dans mes mains, et calme tant bien que mal mon cœur affolé. Je ne dois pas me laisser dépasser par les événements, je ne peux pas me le permettre. Et j'ai beau me répéter cela sans cesse, je n'arrive toujours pas à tout encaisser sans ciller. J'imagine qu'il y a encore trop de l'humaine en moi, trop de celle qui a disparu.

— Tu vas attraper froid, comme ça.

Je sursaute et me retourne vers celui qui vient s'asseoir près de moi en souriant. Jake. Voilà, c'est lui que j'imaginais à mes côté dans ce moment là...

— Je ne vais pas tarder, j'ai juste besoin de souffler, marmonné-je.

Jake ne me quitte pas des yeux, et je suis obligée de soutenir son regard.

— Tu sais quoi, Heaven ? soupire-t-il alors qu'une étincelle anime ses iris.

— Quoi...

— Je crois que tu as trop tendance à te renfermer sur toi-même, à tout vivre toute seule alors qu'on est là.

Je souris en coin et secoue la tête en brisant le contact visuel. Je ramène mes genoux contre moi, et pendant un instant, je me perds dans la contemplation des fines gouttes d'eau se déposant sur mes mains.

— C'est pas ça, hésité-je. Je suis juste perdue, je ne préfère pas vous parasiter avec tout ce qui me passe par la tête.

— Tu en as le droit.

Je me tourne vers lui, et je peux voir dans son regard qu'il est soudainement très sérieux. Je me sens parcourue d'un bref frisson étrangement chaud.

— Tout ça m'épuise trop, avoué-je donc. J'ai l'impression que ça me tue petit à petit, que ça m'empêche de respirer, et j'ai tout le temps peur qu'un truc arrive et...

— Ne te laisse pas faire, alors, répond le beau brun. Bats toi, et n'aie pas peur. Tant que je serai à tes côtés, rien ne t'arrivera.

Mon cœur bondit malgré moi dans ma poitrine, et je sens une chaleur vive inonder mes membres. Je n'arrive pas à détacher mes yeux des siens, et notre regard me paraît à cet instant si intense que j'ai l'impression d'en avoir le souffle coupé.

— Tu te prends un peu pour mon ange gardien, non ? ricané-je pour détendre l'atmosphère.

— Bien sûr. Tu ne vois pas ce visage angélique ?

Je m'esclaffe en voyant l'expression ridicule peignant son visage, et me sens tout de suite soulagée de voir la tension redescendre et mon cœur reprendre un rythme normal. Cependant, alors que je rigole, Jake se contente de sourire, et il semble me fixer encore plus. Alors, je me force à arrêter de rire, et il penche la tête en posant ses yeux sur mes lèvres étirées.

— Voilà, c'est ça que je veux voir sur ton visage, sourit-il.

Il cesse de regarder mon sourire et plonge son regard dans le mien, tout en venant tapoter le bout de mon nez avec son doigt brûlant. Je frissonne sous son contact avec ma peau gelée, surprise d'un tel geste d'affection de sa part. Tout de suite, je n'ai plus du tout envie de rire.

Me voyant si pantoise, Jake étire les lèvres en un rictus narquois, et il décroche son regard du mien en se levant. Quand il me tend la main pour le suivre, je la prends sans réfléchir, perturbée. J'évite ses yeux avec soin, sentant parfaitement que le moment que nous venons de partager n'était pas anodin. Jake ébouriffe mes cheveux en frottant le haut de ma tête, comme pour me sortir de ma torpeur, et je le sens poser sa main dans mon dos en m'approchant très légèrement de lui, sans que je sache si c'est pour me réchauffer ou me réconforter. Mais ce geste protecteur suffit à me mettre mal à l'aise, d'une façon que je redoute particulièrement.

Il me précède dans la maison, et je ne fais pas attention à Zac et Joyce qui sortent du salon, pour me diriger vers ma chambre. En tapotant mes joues, je prends le petit livre que j'ai emprunté dans la bibliothèque, et vais m'asseoir devant la fenêtre. J'enroule mes cheveux en un chignon négligé, puis me lance dans ma lecture.

Après un long moment, perdu à rêvasser et feuilleter l'ouvrage sur mes genoux, j'observe le soleil se coucher sur la forêt sous mes yeux, laissant place à une obscurité annonçant la pluie. Dans le vague, je n'entends d'abord pas la porte de ma chambre s'ouvrir, et me retourne brusquement lorsque mon nom retentit derrière moi. C'est Joyce, qui avance d'un pas hésitant.

— Qu'est-ce qu'il y a ? l'interrogé-je.

— Je venais juste voir si ça allait, sourit la jolie blonde. Et pour te dire que j'ai fait du riz, si tu veux.

— Ça va, et je mangerai après.

Elle s'assied en tailleur sur mon lit, en observant à son tour le coucher du soleil, sans un mot. Je la regarde pendant un instant, et plisse les yeux.

— Tu t'es remise avec Zac ?

Elle lâche un hoquet amusé, surprise par ma question brutale.

— Quoi ? Pourquoi tu me demandes ça ?

Je hausse les épaules.

— Vous avez l'air différents tous les deux.

Elle penche la tête en arrière, puis je la vois esquisser un sourire.

— On s'est embrassé, avoue-t-elle.

Je souris malgré moi, ahurie.

— Quand ça ?

— Hier soir. Jake était dehors, donc avec Zac on a discuté de nous deux, et tu connais la suite.

Sur son visage, je peux lire son enthousiasme, mais aussi une certaine réticence indéchiffrable.

— Alors vous êtes de nouveau ensemble ? tenté-je de m'assurer.

Elle hausse lentement les épaules et soupire.

— Je ne sais pas vraiment. Son immortalité est toujours un problème. Il ne veut pas m'aimer si c'est pour me voir mourir dans quelques dizaines d'années...

Je baisse la tête. C'est malgré tout normal qu'il pense cela. Ça doit être horrible de voir partir toutes les personnes que l'on aime peu à peu.

— C'est compréhensible, après tout, ajoute la Kitsune. Mais ce qu'on ressent l'un pour l'autre est indéniable...

— Vous devriez en parler, dis-je après une hésitation.

Elle ébauche un sourire, et me lance à son tour un regard inquisiteur.

— Tu t'es rapprochée de Jake toi aussi, me fait-elle en arquant un sourcil.

J'ouvre la bouche et baisse les yeux un instant.

— Non... Je ne sais pas. Un peu, peut-être, avoué-je.

— Je le savais ! s'exclame-t-elle. Vous êtes de plus en plus proches.

— C'est normal de se rapprocher dans des situations comme ça, non ? hésité-je.

Elle acquiesce lentement.

— Et tu ressens quelque chose pour lui ?

— Non, m'empressé-je de dire. Non, rien du tout, je le trouve juste beau, et très gentil. Point.

Un sourire en coin barre son visage, et une étincelle apparaît dans ses yeux. Avant de reprendre la parole, elle fronce le nez.

— Tu te rappelles que je t'ai dit qu'il était compliqué ?

J'opine, perplexe.

— Honnêtement, continue-t-elle, si vous vous mettiez ensemble, ça serait super, pour vous deux. Mais... Jake est mon meilleur ami, et je sais qu'il a du mal à s'ouvrir. Il est un peu... hanté, et je pense qu'il faut que tu saches certaines choses.

Je fronce les sourcils.

— Comment ça ? soufflé-je.

— Il y a trois ans, se lance-t-elle, il a disparu pendant un mois et demi, et quand il est revenu, il ne se rappelait de rien. Il n'a jamais su ce qu'il avait fait, mais il sentait que c'était mauvais, et il avait cette grosse cicatrice (elle pointe sa clavicule, et je me souviens de la fameuse cicatrice qui s'étend sur celle de Jake.) pour le lui prouver. Il n'a jamais réussi à se rappeler de ce qu'il avait fait, mais j'ai l'impression que ça l'a marqué, et il s'est... fermé.

Je déglutis. Tout ça m'a l'air bien sombre, et je n'aurais jamais pensé que Jake ait pu vivre quelque chose comme ça. À chaque fois, c'est comme si je découvrais un peu plus de la personne brisée cachée sous ce masque au sourire narquois. J'aimerais ce qu'il s'est passé, j'aimerais aider Jake dans sa propre quête, savoir qui il est, un peu plus.

— Pourquoi tu voulais que je sache ça ? m'étonné-je. C'est pas comme si ça voulait dire qu'il était mauvais.

— Non, c'est juste pour que... tu le comprennes un peu mieux.

Je hoche la tête. C'est vrai que ce garçon est aussi mystérieux qu'il semble ne pas l'être.

Après que j'ai détourné le regard vers la forêt, nous restons silencieuses quelques instants, et je relance la conversation, la voulant cette fois plus légère.

— Dis moi, c'est quoi les pouvoirs des Kitsunes ?

Joyce hausse les sourcils, puis sourit un instant.

— On n'en a pas, mais notre technique de combat fait le boulot. On est rapides, agiles. Quand on atteint la majorité, notre renard est plus présent et se « manifeste » quand on a un excès d'émotions fortes, comme la colère. Tu le verras peut-être... enfin, il faudrait que je sois déchaînée, mais bon.

J'acquiesce lentement, attentive.

— En fait, les créatures qui ont des pouvoirs sont ceux qui ont un lien direct avec la nature, m'explique-t-elle en remarquant mon intérêt grandissant. Les sorcières par exemple, représentent la nature elle-même. Elles peuvent manier les éléments, à différents niveaux suivant leur âge. Les elfes et les fées ont chacun un élément attribué. Les fées, ça s'étend un peu plus, par exemple il y a des fées des fleurs ou des animaux - même si je n'ai jamais compris ce qu'elles pouvaient bien faire en sachant parler aux animaux.

Je l'écoute, l'air sûrement émerveillé, sans que je puisse m'en empêcher. Ce monde est bien trop ahurissant.

— Vous, continue-t-elle en me désignant de la tête, les Silencieux de Sang Pur, vous êtes particuliers. Vous descendez des sorcières et des Silencieux. Vous avez les capacités psychiques d'un Silencieux, et les dons d'une sorcière. Et l'alliance des deux donne à vos pouvoirs une importante concentration de magie, et vous permet plus de choses que les autres.

Je hausse les sourcils. J'en apprends encore sur moi-même. C'est vraiment étrange de me dire que j'ai une partie sorcière.

— Comment tu sais tout ça ?

Elle semble amusée par ma question.

— Quand on est enfants, avant d'avoir le droit d'aller sur Terre, nos cours sont surtout à propos de l'Histoire d'Érédia et ses espèces.

— Vous n'avez pas le droit d'aller sur Terre quand vous êtes enfants ?

La Kitsune secoue la tête.

— Pas jusqu'à nos dix ans, quand on reçoit notre pendentif, ça tu le sais déjà. À ce moment là, ceux qui le souhaitent peuvent vivre une existence humaine en parallèle à celle que l'on vit ici.

J'écoute attentivement ses explications, une autre question muette me titillant cependant l'esprit. Et Joyce doit la deviner à mon air perplexe, puisqu'elle lance ensuite :

— Jake n'a pas eu le droit d'avoir le sien dès la mort de ses parents. Il a dû attendre, comme tout le monde. En fait, ton pendentif devient une partie de toi à partir du moment où tu l'utilises pour la première fois, explique-t-elle. Avec, on est plus forts, plus... entiers.

Je me rappelle que Jake m'en avait parlé quand j'avais reçu mon propre pendentif. J'étais complètement hypnotisée par ce collier et j'étais devenue presque incontrôlable.

Joyce sort son collier de sa poche. Je l'avais déjà vu avant. Un petit renard bien dessiné et aux yeux oranges.

— Les pendentifs représentent notre espèce c'est ça ? interrogé-je.

Elle confirme d'un hochement de tête.

— Alors pourquoi le mien, c'est des ailes d'ange ?

Elle esquisse un sourire.

— Les Anges sont les ancêtres des Silencieux, fait-elle après un instant. Le fait que ces derniers soient muets est un symbole de pureté divine ou un truc dans le genre. Pour leur apparence pas vraiment avantageuse, je crois qu'ils n'ont pas toujours été comme ça. Si je me rappelle bien, les sorcières leur ont lancé une malédiction parce qu'ils ont brisé l'équilibre de la nature en voulant unir leurs pouvoirs pour se défaire de leur mutisme. Et comme ils étaient arrogants et vaniteux, leur punition a été de devenir repoussants, m'explique-t-elle posément. Vous, vous avez béni. En fait, tu descends des sorcières, et des Anges.

J'arque les sourcils, bouche bée. Des Anges...

— Si les Anges existent, que ça veut dire que le Paradis, l'Enfer, et tout le reste aussi ? fais-je, véritablement intriguée.

— Non, ça ne veut rien dire. On ne sait pas, et comme partout, certains y croient, et d'autres non. Mais les Anges, eux, sont réels. On ne sait pas qui ils sont, s'ils sont simplement des personnes normales transformées, ou de véritable êtres immaculés, ça reste incertain.

Je reste sans voix, emplie d'un émerveillement total, allié à l'angoisse face à une telle révélation. C'est passionnant. Zac avait raison. À chaque fois, à chaque explication, le vide que j'avais dans la poitrine se comble un peu plus. Je ne dois me concentrer que sur ce que ça m'apporte. Je ne pensais pas que Joyce était aussi calée sur l'Histoire d'Érédia. Elle est plus qu'une belle blonde joyeuse. Son apparence cache une intelligence certaine. Quand je l'ai rencontrée, je ne pensais pas qu'elle se révélerait aussi intéressante.

— C'est bon à savoir, souris-je.

Elle me sourit à son tour.

— Tu viens manger, maintenant ?

J'accepte d'un hochement la tête, et m'étire avant de la suivre au rez-de-chaussée.

Après que nous ayons mangé, je me suis réfugiée dans le salon avec un paquet de chips. Le regard perdu sur la pluie derrière la grande fenêtre, je me laisse emporter par la contemplation. J'ai toujours aimé contempler les trombes d'eau s'effondrer sur le sol, s'écouler le long des vitres en de fines gouttes. Je pourrais rester des heures à regarder la pluie tomber. J'aime aussi les orages. Le tonnerre et les éclairs, cette atmosphère spéciale, j'adore voir la nuit s'illuminer l'espace d'une demi-seconde, de cette lumière étrange et aussi effrayante qu'envoûtante. Je suis sûrement un peu bizarre...

Je suis perturbée en pleine réflexion par un éclat de voix derrière moi. Je sursaute et manque de m'étouffer avec une chips.

— Meurs pas, rigole Jake en s'approchant de moi.

Je lève les yeux au ciel en toussant. Je le vois se pencher vers moi en me regardant droit dans les yeux, un léger sourire sur le visage, puis il porte sa main au paquet de chips et me sourit en en mettant une dans sa bouche, avec un regard trop intense pour être innocent. Je déglutis. Il a parfaitement remarqué l'étrange tension qui est née entre nous, et s'en amuse sans vergogne. Je ne parviens pas à décider si j'apprécie ça ou non.

— Tu veux t'entraîner avec ton arme ? me propose-t-il alors qu'il continue de piocher dans mes chips.

Je hausse les sourcils et me relève hâtivement. J'oublie rapidement ma fatigue renaissante. J'ai vraiment apprécié manier mon arme la dernière fois, et ça commençait à me manquer.

— Bien sûr, fais-je, une légère excitation dans la voix.

Il esquisse un sourire puis me fais signe de sortir de la pièce. J'ai eu raison de préférer ma tenue de sport à mon pyjama moins chaud. Le loup-garou me précède dans l'escalier qui mène à la salle d'armes. Il s'empresse d'y empoigner son couteau à dents. Je fixe un instant mon arme, puis imite Jake. Je ne peux m'empêcher de sursauter un peu quand les flammes bleues s'animent autour de la lame. C'est toujours perturbant et impressionnant pour moi.

Sous mon regard sceptique, Jake s'avance au fond de la pièce et pousse sur une pierre du mur. Il doit actionner un mécanisme puisque la pierre s'enfonce et une partie du mur se déplace. Je reste muette, et nous entrons alors dans cette pièce cachée. Elle est assez grande et présente du matériel de musculation, ainsi qu'assez de place libre pour s'entraîner. Le côté où je me trouve avec Jake est vide, et permet de bouger aisément.

Jake se place devant moi et fait tourner son arme dans ses mains. Je soutiens son regard et l'imite en clouant mes pieds au sol. J'aime la sensation de pouvoir qui se répand dans mes bras et mon corps quand je tiens ma dague. J'ai l'impression d'être capable de tout avec cette lame enflammée.

— Tu sais, lance Jake, je n'aurais jamais pensé que tu deviendrais comme ça.

Je lui lance un regard interrogatif.

— Quand je t'ai rencontrée, je pensais que t'étais un peu naïve, que tu étais le genre de filles un peu idiote sur les bords et qui a besoin d'être rassurée H24. Mais je me suis trompé. T'es impressionnante, petite Heaven, me sourit-il.

Je pouffe. Mon cœur fait des bonds dans ma poitrine quand il me sourit comme ça.

— Merci, petit Jake, rigolé-je.

Il pousse un soupir amusé. Je me sens plus légère avec lui.

— Bon, on peut s'y mettre ? lance alors le loup-garou.

— On peut s'y mettre, confirmé-je avec un hochement de tête déterminé.

Jake plante son regard dans le mien et un léger sourire étire ses lèvres. Je lui rends son sourire et il fend l'air de son couteau. Je l'esquive de justesse et agite un peu ma dague dans sa direction. Il recule puis me donne un coup que je pare au dernier instant. Il incline la tête en baissant son arme un moment.

— On va compliquer un peu les choses, rigole-t-il.

J'arque un sourcil. Je donne un coup dans son couteau, il le secoue l'espace d'une seconde, et alors que je tente d'atteindre son bras, il passe ce dernier derrière mon dos et agrippe le mien en le bloquant contre mes omoplates, sans me faire mal. Il place alors rapidement son arme contre ma carotide, sans que j'ai le temps de me débattre. Il la presse légèrement, puis je profite de son bref relâchement pour me retourner et lui donner un coup de genou dans le ventre. Il baisse donc sa garde un léger instant, et je peux alors donner un coup dans son arme et me placer derrière lui en me hâtant. Je tire son bras libre et appuie doucement la pointe de ma dague dans le bas de son dos. Je souris et articule lentement contre son oreille :

— Là, tu serais mort.

Il se retourne.

— Mais tu serais morte avant.

Le beau brun m'adresse un sourire narquois, et j'opine, obligée d'avouer qu'il a raison.

— Sache que si tu arrives à me battre aujourd'hui, ça sera uniquement parce que je suis très, très gentil, ajoute-t-il.

Il penche son visage vers moi en passant le doigt sous mon menton, comme pour me narguer encore plus, et je sens mes joues se réchauffer. Quel idiot !

— Donne moi au moins l'impression d'être forte, merci, répliqué-je.

Il sourit de toutes ses dents, et je serre un peu plus le manche de mon arme en sentant mon cœur bondir dans ma poitrine.

— T'aimes bien ton arme, hein ? note Jake.

Je hoche la tête, jetant un œil à cette dague semblant faite pour moi, comme si elle était un prolongement magnifique de ma main. J'ai l'impression d'être invincible avec, de détenir un pouvoir sans limite, et c'est un sentiment à la fois rassurant et étrangement effrayant.

— C'est magique, soufflé-je alors.

Il me rend mon sourire. Nos regards restent solidement accrochés à l'autre, et nous restons quelques instants ainsi, avant que Jake ne secoue frénétiquement la tête.

— Tu as beaucoup changé, Heaven.

Je l'interroge du regard.

— Tu ne l'as peut-être pas remarqué, mais tu es plus souriante, plus spontanée, plus attentive. Tu as beaucoup appris, et j'ai l'impression que tu t'affirmes enfin. On voit peu à peu la véritable toi, et on te découvre chaque seconde un peu plus. C'est passionnant, rit-il.

Je ne sais pas quoi répondre, alors je me contente de le remercier d'un sourire, me laissant me noyer dans son regard, cet océan sombre, semblant briller, presque brûler.

Mon cœur bat la chamade, et à cet instant, dans le silence brisé par l'averse qui résonne doucement dans la pièce où une atmosphère étrange règne, je voudrais faire un pas de plus pour me blottir dans les bras de Jake et me réchauffer. Je frissonne à cette pensée. Je reporte finalement mon regard à celui de Jake, et secoue la tête.

— On continue ?

Il hausse les sourcils, et il ne lui en faut pas plus. Il secoue son couteau de chasse, et je fais virevolter mon arme, traînant de légères flammes bleutées. C'est vraiment beau.

— Utilise ton corps, cette fois ci, me conseille alors le loup-garou. Quand tu te battras pour de vrai - si ça arrive -, tu verras que ton ennemi se servira de tout son corps pour te vaincre, et tu devras faire pareil. Alors frappe, n'aie pas peur de me faire mal, je suis en béton, ricane-t-il finalement.

— Si tu le dis.

Je lui donne un coup de poing dans l'abdomen qui ne l'affecte nullement. Je crois que quand je lui ai donné le coup de genou dans le ventre, il a surtout été surpris et c'est ce qui l'a déstabilisé, et en aucun cas ma « force ». Il est évident que pour le battre réellement, il me faudra bien plus d'expérience. Mais je me promets d'un jour y arriver.

Je réitère l'opération à plusieurs reprises le plus rapidement possible, il n'est absolument pas atteint, et pouffe même à un moment. Je lui donne un coup de pied dans le genou, en gardant ma dague devant les yeux, puis essaie de le faire tomber. Il semble me laisser faire et n'essaie pas de riposter. Il me repousse facilement à chaque fois. Je me fige soudainement, et recule d'un pas. Je lui lance un regard de défi, un sourire étirant mes lèvres. Je prends une longue inspiration, il semble intrigué et plisse les yeux en comprenant peu à peu. Je lâche mon arme et entends un choc métallique. Je ferme les yeux, ne pouvant m'empêcher de sourire un peu. J'ai cette sensation que je commence à reconnaître, la sensation de mes pouvoirs à découverts, ce léger frisson qui me parcourt le corps, cette chaleur agréable dans tous mes membres, dans le bout de mes doigts. Je rouvre mes yeux et me rends compte, au regard de Jake, qu'ils sont redevenus bleus. Je le savais. Je le sens, maintenant. Le loup-garou acquiesce lentement en comprenant enfin ce que je suis en train de faire. Je serre les poings un instant, respire lentement puis m'élance vers lui, prête à le pousser. Mon idée est efficace et Jake est obligé de reculer d'un air plus incertain dès que j'entre en contact avec lui.

— En béton, hein ? le taquiné-je alors qu'il s'avance vers moi, cette fois ci plus enclin à un petit combat.

— Tu triches, on n'avait dit pas de magie !

— On n'a jamais dit ça !

Me voyant lui sourire avec fierté, il balance son bras vers moi, et parviens facilement à me faire tituber. Quand je manque de tomber à terre, je râle et me remets en condition. Alors, il recommence à attaquer, et je me concentre pour l'esquiver et enchaîner alors tant bien que mal les mouvements que Zac m'a appris la dernière fois. Je le fais plus rapidement cette fois, mais Jake ne se laisse pas faire et se défait assez facilement de moi. J'agrippe encore son bras, cette fois ci plus fermement, et concentre toute ma force pour le battre. Je parviens à le maintenir immobile avec beaucoup de concentration et d'effort, puis j'exécute les mouvements appris. Je profite de ma rotation pour attraper mon arme à terre - en manquant de peu de glisser - et la placer au coin du cou de Jake. Il lâche un souffle rauque, et j'écarte mon arme. Quand je relâche son bras, je remarque alors que je lui ai fait une marque rouge, plutôt voyante. Je louche dessus.

— Je t'ai fait mal ?

— Non, non. Mais fais attention avec ta magie.

— Je m'en suis pas rendue compte, désolée...

— C'est rien ! me rassure-t-il. C'est bien, tu apprends vite. Dommage que je me sois laissé faire tout le long, quoi.

Il sourit, et je le fusille du regard en penche la tête sur le côté. Je sais bien qu'en vraie condition, je me retrouverais au sol en deux secondes, mais il pourrait cesser de frimer. Non, en fait, qu'il n'arrête pas...

Quand Jake demande à continuer, j'accepte, mais m'efforce d'être plus vigilante lorsque nous reprenons nos enchaînements. Mon arme en main, j'apprends quelques manières de bouger stratégiquement, et Jake est un excellent entraîneur. Je sais qu'il ne se donne pas à fond, mais il m'aide justement à progresser. Me battre avec lui est à la fois amusant et enrichissant, et j'apprécie ce moment inédit entre nous. Retrouver aussi toutes les sensations perdues depuis quelques jours, toute cette adrénaline et cette excitation, est affreusement satisfaisant.

Je reprends mon souffle après quelques longues minutes, et me sens légèrement prise de vertige. Lorsque je me mets à tousser, c'est avec une grande appréhension que j'observe ma main. Et mon inquiétude se confirme. Plusieurs gouttes de sang s'étendent dans ma paume. Encore une fois. Je déglutis, un arrière-goût de métal en bouche. Je lance un regard inquiet à Jake, et essuie mes gencives en sentant le sang affluer sur ma langue. Mes tempes battent violemment. Je ne dois pas paniquer, c'est normal. Mais je sens une plus forte montée de sang et suis obligée de le ravaler, avec une grimace de dégoût.

— On doit remonter.

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