Partie II : Tezcatlipoca

« C'est chiant... grommela l'adolescent en traînant les pieds. J'ai hâte de rentrer à la maison... »

Marco faisait partie de ces adolescents « typiques » qu'Hollywood se plaisait à mettre en scène dans leurs productions les plus bas de gamme. Toujours à râler, jamais content, tête à claques au possible et bien d'autres. Un véritable amour d'une quinzaine d'années que tout le monde aurait voulu avoir chez soi. Enfermé dans sa cave. Et si possible, jamais retrouvé jusqu'à ce qu'on lui ait fait comprendre que ses mimiques et ses réflexions donnaient juste envie de lui mettre la tête dans le mur.

« ... l'Empire des Aztèques, qu'on devrait appeler "Mexicans", mais qui n'est que très peu utilisé dans le langage courant, est un empire particulier puisqu'il s'agit d'un ensemble pluriethnique qui n'est pas vraiment stable en son sein... »

Ses parents l'avaient traîné sans aucune pitié avec sa petite sœur dans un voyage au Mexique. Ce n'était pas le pays le plus accueillant du monde. Ce n'était pas pour rien qu'on voyait sortir des séries sur ce pays. D'ailleurs chaque épisode de ces dernières gentiment regardé sur un site parfaitement légal était souvent tagué avec l'indice : « Mafia », « Drogue », « Trafiquants », « Meurtre », « Prostitution » et autres petits plaisirs de la vie qu'il aurait été dommage de rater.

Toutefois, cet historien et cette anthropologue avaient sauté sur l'occasion que représentaient les vacances d'été pour y aller. Après tout, tant qu'ils faisaient bien attention, il n'y avait aucune raison de s'inquiéter n'est-ce pas ? De toute façon, cela arrivait toujours aux autres ce genre de choses. Et puis, les médias exagéraient toujours tout, c'était bien connu.

Toujours est-il que Marco boudait maintenant la décision de ses parents, qui l'empêchait de profiter du bon temps avec ses amis. Aussi, il y avait plus amusant qu'un mois à Tenochtitlan, ancienne capitale de l'Empire aztèque située dans le Yucatán.

Et ce guide horripilant ne pouvait s'empêcher de parler et de déblatérer des choses tout à fait inutiles à propos de cette civilisation. Vraiment, il irritait l'adolescent. C'est pourquoi, sans aucune gêne, il grinça d'une voix audible à tous :

« Qu'est-ce qu'on en a à foutre, sérieux ? Ils se sont fait botter le cul par les Espagnols, c'est bon maintenant, on n'en parle plus ! »

Ses parents lui firent les gros yeux, mais ne le réprimandèrent pas. Ils préféraient ignorer ce genre de choses plutôt que de se battre contre Marco et manquer une miette des paroles du guide. Ce n'était ni un mauvais père ni une mauvaise mère, simplement, leur travail et leurs plaisirs passaient avant leurs enfants. Il était d'ailleurs un couple avant d'être parents.

Lucia, la plus jeune, était d'une remarque lucidité, ainsi que d'un étonnant calme pour son âge. Elle avait compris très tôt que compter sur eux pour être attentionné, était une mauvaise idée. Elle avait l'habitude des événements étranges et choses surprenantes auxquels personne ne croyait. Alors la petite fille vivait très bien le fait de ne pas être couvée.

Ce n'était pas le cas de l'aîné qui ne cessait de se rendre désagréable. Son psychologue affirmait qu'il s'agissait d'un moyen d'attirer l'attention.

Quelques-unes des personnes présentes levèrent les yeux au ciel pour signifier leur lassitude face au comportement du jeune homme. Le guide, qui faisait preuve d'une bonne volonté peu commune, entendit très distinctement la remarque et lança :

« Et qu'est-ce qui vous intéresserait, jeune homme ? Des histoires plus incroyables ? Les mythes peut-être ? »

Un sourire en coin se forma sur le visage de Marco qui ne put s'empêcher de poser la question la plus stupide qu'il pouvait trouver et donc empêcher son interlocuteur d'y répondre :

« On dit que les Conquistadors ont rapporté plein d'or en Europe... Mais c'était qui les plus riches au niveau des empires ? Les Aztèques, les Incas ou les Mayas... »

Bien décidé à clouer le bec à ce jeune impudent, le guide sembla réfléchir quelques instants, triant dans ses souvenirs, les éléments qui pourraient lui fournir une réponse. Finalement, il haussa les épaules et raconta :

« Je serais bien en peine de vous répondre de manière précise. Quelques documents ont beau nous être parvenus, leur fiabilité n'est pas indiscutable. Cependant, je peux vous raconter une anecdote qui vous montrera que, dans ce cas-ci, les Incas n'étaient pas en reste niveau richesse. »

Les anecdotes, c'était ce que Marco appréciait le plus dans les cours. C'était d'ailleurs un des seuls moments où il écoutait. Son attention se fit donc plus grande. Cela sembla satisfaire son interlocuteur, même si extérieurement, il n'en laissa rien paraître. Il sourit et débuta sa petite histoire.

« Eh bien, il faut savoir que si l'Empire inca a été vaincu si facilement, c'est d'abord parce qu'il était pluriethnique. Cela encourageait les dissensions internes. De plus, Pizarro et Almagro, les deux Conquistadors qui dirigeaient l'expédition, sont arrivés en pleine querelle de succession pour la place d'Empereur, l'ancien étant décédé. Les deux protagonistes de cette rivalité étaient Huascar et Atahualpa. Ce dernier est le champion des régions du nord, tandis que Huascar est installé au départ à Cuzco, la capitale. Atahualpa va réussir, avant l'arrivée des Espagnols, à capturer Huascar. Sauf que l'Empire n'est pas encore réunifié et le nouvel Empereur n'est toujours pas retourné à la capitale. Par un cruel hasard du destin, il va rencontrer les Conquistadors dans la ville de Cajamarca. Atahualpa va être capturé et pour éviter de mourir, il va devoir se plier aux exigences de ces ravisseurs. Et tenez-vous bien, il va leur promettre de leur faire remplir la pièce dans laquelle il était enfermé de métaux précieux. Pensez bien que ce n'était pas une petite pièce. Ses dimensions étaient même plutôt impressionnantes. Et il va le faire. Il va faire remplir la pièce. Pour vous donner une petite idée de la masse : chaque simple soldat a reçu environ vingt-deux kilogrammes d'argent. Bien sûr, c'était des chefs-d'œuvre artistiques qui ont été fondus, sans un seul remords. Mais bon, cela montre l'entendu de la richesse... »

Il se tut et les regarda tous un par un, attendant une réaction. Comme elle ne vint pas, il déclara :

« Bien, l'aparté fini, retournons maintenant aux Mexicans... »

Marco resta pendant quelques instants silencieux, ingérant les informations qui venaient de lui être données. Une fois cela fait, il s'exclama, coupant une nouvelle fois le guide :

« C'est n'importe quoi ! C'est impossible ! On ne peut pas faire une chose pareille ! C'est un mythe, c'est sûr. »

L'interpellé le fixa alors dans les yeux et prononça les mots suivants d'un ton aussi froid que le temps était chaud :

« Ah ? Dans ce cas-ci, non. Et d'ailleurs, ces Conquistadors sont pour la plupart morts dans la pauvreté extrême. Ils n'étaient pas très doués pour gérer leur pécule : prostituées, alcool, tout y est passé... »

Marco grogna quelque chose. En réponse, le guide planta ses yeux dans les siens et prononça d'un ton glacial :

« Mais, pensez juste à quelque chose, jeune homme : "Après tout, je crois que les légendes et les mythes sont en grande partie faits de vérité". »

Et sur ce, l'homme se désintéressa totalement de l'adolescent et poursuivit son travail. On ne le payait pas à ne rien faire.

*

L'homme laissa les touristes prendre quelques photos devant la pyramide à degrés de Chichén Itzá et se mit un peu à l'écart, allumant une cigarette. S'il se faisait prendre, il se ferait passer un savon par sa direction. Malheureusement, il était devenu accro. Les autres se moquaient d'ailleurs beaucoup de lui à ce propos : cela avait tellement peu de classe. Il n'était pas n'importe qui tout de même. Ce genre de vices était réservé aux basses créations. Pas à eux.

La sœur de Marco arriva alors derrière lui. Elle était discrète, mais le guide la repéra instantanément. Lucia ne s'en formalisa pas.

« Moi, je vous crois, annonça-t-elle. Je sais qui vous êtes. J'ai lu beaucoup de livres sur la mythologie, vous savez.

- Ah bon ? s'étonna-t-il. Tu es bien clairvoyante alors. Je suis pourtant très discret, petite Sibylle.

- Votre aura ne peut être cachée complètement. Vous êtes trop lumineux. Vous comparez aux autres seraient comme dire qu'une lampe de poche est un soleil.

- Tu aurais pu choisir quelque chose de plus poétique, gamine. »

Dans ce monde, seules les Sibylles étaient capables de les reconnaître et donc, de faire attention à ne pas les contrarier par inadvertance. Elles étaient rares et précieuses, possédant un don immense qui faisait prématurément vieillir leur esprit. Contrairement à ce que les Hommes pensaient, elles n'étaient pas folles. C'était eux qui l'étaient.

Lucia le regarda avec de grands yeux remplis d'innocence et lui demanda de sa petite voix fluette :

« S'il vous plaît, faites-en sorte que la providence soit toujours avec nous. »

Il l'observa longuement. Il sourit doucement, lui passa une main affectueuse sur la tête puis repartit vers le groupe sans dire un mot, écrasant le mégot dans son cendrier de poche. S'il commençait à polluer, il allait se faire taper sur les doigts par toutes ces saletés d'écolos qui passaient leur temps à piailler pour la planète à chacune de leur réunion.

Lucia n'avait toujours pas fait un mouvement.

Sur son front, à l'endroit où il l'avait touchée, une petite marque dorée était apparue et s'estompait déjà.

Il en fallait peu pour devenir le prophète d'un Dieu.

Simplement y croire.


Partie publiée le 27/11/2016.

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