La nuit chute

Je traine mes pieds contre l'asphalte. Les passants s'empressent et s'entrecroisent, les bruits de moteurs soulèvent des nuages de pollution noirâtre. Les chaussures couinent sur le trottoir trempé. Mes vêtements troués laissent passer les gouttes de pluie. Elles glissent le long de mes mains et de ma colonne, s'infiltrent jusqu'à la moelle.

Je savoure ces sensations et tourne sur moi-même, bras écartés, au travers de la foule. Sensation de liberté intense. Les couleurs des manteaux dégoulinants sont délavées par les nuages qui pleurent en un linceul d'eau sale.

J'ai toujours aimé ces moments, quand la mélancolie se noie dans le mauvais temps. Quand les âmes esseulées se rassemblent dans la rue pour grogner un peu sur le ciel capricieux.

Je soupire de bonheur et continue mon chemin. Je recueille des miettes de paroles pour déguster des conversations décousues.

« Où tu as mis les vieux malades sur le placard de la cuisine ? C'est ta cousine pour ranger une fois.

— Spectacles de danse pour des spaghettis ou blanc de poulet ?

— La triche était nettement plus bleue que violette.

— Je n'en sais que les semis du mois dernier et les splendides aurores boréales. »

Terriblement évocateur, et incroyablement renversant. J'aime tant ces petits bouts de riens qui forment un dialogue splendide. De l'absurde à l'état pur, porté par des mots simples.

J'ai un faible pour la simplicité.

Je danse sur mes deux pieds, les claquements secs de mes talons contre le pavé résonnent dans ma tête. J'avance dans ce milieu obscur, la rue, un dimanche pluvieux.

Aujourd'hui, dimanche deux novembre, liberté de quelques heures. Elle prendra bientôt fin, à la tombée de la nuit, pour mon rendez-vous.

À cette pensée, un frisson me parcourt. Je n'ai plus beaucoup de temps.

Les enseignes défilent sous la caresse de mon regard. Les odeurs de cigarettes sont infusées à la pluie, un torrent qui glace les épaules et fige les sens. Je guette les murs lisses, à la recherche d'une brèche, d'une ouverture vers un intérieur chaleureux.

Les réverbères s'allument. Il doit être tard. Leur lumière orangée se reflète dans les gouttes régulières. L'ondée laisse place à l'averse.

Je saute sur le pas d'une librairie, et franchis la porte dans un tintement cristallin. L'intérieur est chaleureux, les étagères tapissent les murs. Des livres par centaines sont étalés, partout. Des lueurs couleur rubis sont disposées entre les ouvrages. Des piles précaires sur le bord du comptoir, les tranches colorées alignées sur les meubles en chêne sombre. Et la petite vendeuse, une jeune femme ronde aux yeux d'ambre perdu. Ses larges boucles d'ébène reposent sur la table où elle s'est accoudée. Son corps se soulève au rythme de sa respiration. Elle semble absorbée par de sombres pensées, ses pupilles tournées vers le néant.

Je risque un œil au travers de la vitre presque opaque. L'extérieur est toujours prisonnier de l'eau.

Je vais être en retard à mon rendez-vous.

Je caresse les tranches des livres. Je parcours du regard les titres alignés et saisis un volume au hasard.

Morose.

Je l'ouvre et plonge le nez entre les pages pour en sentir les délicats parfums. Je frissonne. Je ne peux m'empêcher de frissonner à l'idée de ces mots que je ne connais pas, blottis au chaud entre la couverture et le résumé.

C'est ce même trouble qui me prend lorsque j'essaie d'imaginer les fils de vie entremêlés, les chemins qui se croisent sans se regarder, et les possibles mystérieux. Des inconnus touchants dans leurs secrets.

Parfois, je préférerais les inconnus aux intimes, dont la fragrance d'incertitude a un désagréable gout de passé.

La libraire semble seulement se rendre compte de ma présence. Elle me sourit.

— Ne soyez pas en retard, surtout, lâche-t-elle.


Première partie de cette nouvelle, la suite arrivera très bientôt, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !!

Lusi. 

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