VI-S'immiscer dans la faille

Laszlo était de plus en plus charmé par l'audace de sa belle amazone, ainsi que par sa tenue scandaleuse qui mettait en valeur son corps en sablier. Il regrettait toutefois de ne pas être le seul spectateur du charmant tableau qu'offraient ses formes indubitablement féminines. Il se rappela sa manière de poser ses poings sur ses hanches pleines pour le rabrouer avec courage et cynisme, mais écarta tout aussi vite cette image pour éviter de faire face à un fâcheux problème typiquement masculin.

Il s'adossa au grand orme dans l'espoir que son ombre le refroidirait, mais d'ici, il avait une très bonne vue des fesses généreuses de Diane, délicieusement moulées par ses culottes noires.

— Alors, mon frère, tu as finalement trouvé un remède à tes cauchemars ?

La voix de Seb le tira brusquement de sa rêverie. Il détourna promptement le regard du coupable séant.

— Cela se pourrait bien, en effet... répondit-il en ébauchant un sourire nonchalant.

Son interlocuteur rit.

— Tu n'as pas choisi la cible la plus facile. Je te souhaite bien du courage.

— Je crains de ne pas avoir « choisi », comme tu dis. Ses attraits sont difficiles à ignorer, et j'adore son caractère de feu.

Son aîné siffla.

— Je ne pensais pas que tu aimais souffrir à ce point.

— Tu ignores beaucoup de choses sur mon compte, insinua le baron, taquin.

Après un silence, il ajouta :

— Cette femme est douce comme un agneau, elle a juste besoin que quelqu'un la rassure.

Le futur vicomte toussota comme s'il s'étouffait avec sa propre salive.

— Tu es sûr que tu as des yeux pour voir ? Tu es complètement fou, ma parole !

Laszlo se demanda s'il n'avait pas raison, au fond, puis reprit sa contemplation où il l'avait laissée. Sa belle paraissait très à son aise parmi ses compagnes. Elle n'avait pas cette gêne qui la poussait à se mettre en retrait. Au contraire, elle irradiait, souriant souvent, même si elle ne montrait que rarement ses dents. Son humour était plutôt pince-sans-rire et d'autant plus mordant. Il suscitait souvent l'hilarité générale, tandis qu'elle-même tâchait de garder une mine détachée, tout en y échouant en partie.

Sébastien intervint soudain, le détournant de nouveau de son point de mire :

— Tu penses qu'elle goûte aux plaisirs saphiques ?

Cette fois, ce fut le baron qui faillit s'étrangler.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? dit-il d'un ton qu'il espéra calme.

Les yeux braqués sur Diane, il expliqua son opinion :

— Regarde comme elle agit auprès de ces demoiselles. On dirait qu'elle met à profit chaque situation pour les taquiner, les effleurer et les charmer. En outre, elle n'a pas l'air de beaucoup goûter la compagnie des hommes.

L'ancien combattant reporta son attention sur l'objet de leur discussion pour se faire son idée. Son amazone ajustait la position d'Hortense, qui tenait son arc fort maladroitement. Collée à son dos, elle touchait ses mains pour la guider et appuyait sur ses épaules pour la pousser à se détendre. Elle lui offrit même un bref massage, avant de lui caresser la tête et de lui chuchoter quelques mots à l'oreille. Puis elle passa à son élève suivante et recommença son manège.

Laszlo se retint de grogner. Elle était en effet très familière. Mais ses gestes semblaient désintéressés, dénués de désir. Ils étaient pleins d'une douceur et d'une simplicité attentionnées, tendrement amicales. Elle désirait plus que tout mettre ses amies à l'aise et leur insuffler un peu de bonheur, et utilisait ces contacts réguliers pour ce faire, ainsi que sa diligence à les seconder dans leur apprentissage. Il n'y avait pas la moindre trace de malaise en elle, ce qui expliquait sans doute qu'elle pût se montrer si tactile : elle avait besoin d'avoir confiance pour se livrer.

— Elle est réservée, statua finalement le cadet.

— Je ne suis pas sûr de te suivre sur ce coup-là, avoua son frère en secouant la tête. Elle n'a pas du tout l'air timide !

Son interlocuteur lui offrit un sourire énigmatique en guise de réponse. Il ne souhaitait pas particulièrement dévoiler à qui que ce fût ce qu'il avait deviné de Diane. Et il commençait tout juste à entrevoir une part plus sombre de la jeune femme, une facette sur laquelle il espérait fortement se méprendre, mais qui la rapprochait étrangement de lui. Il se demandait si un homme lui avait fait du mal. Cela pourrait expliquer qu'elle se montrât aussi froide envers tout le sexe opposé.

Une bouffée de tendresse le secoua soudain tout entier. C'était une battante, une petite sœur d'armes, il en avait la conviction. Toutefois, si elle le laissait percer son armure, alors, il serait là pour la protéger. Malheureusement, il n'était pas certain d'y parvenir... Les épreuves qui vous forgeaient, Laszlo le savait mieux que personne, étaient les plus difficiles à mettre de côté.

— Et merde, jura Sébastien, toujours à côté de lui. Tu es complètement mordu, mon pauvre. C'est écrit sur ta figure. Et ça ne fait même pas un jour que tu la connais !

— Alors imagine ce que ce sera au bout de trente ans de mariage, rétorqua-t-il en riant.

Il songea que vivre avec elle serait un défi de tous les jours, une aventure merveilleuse. Il ne pourrait pas se reposer sur ses acquis, mais continuerait d'avancer main dans la main avec sa guerrière pour affronter ensemble leurs démons. Cependant, il allait vite en besogne : si elle pouvait l'apprécier ne serait-ce qu'un peu, ce serait déjà un remarquable progrès...

— Qui est-ce ? demanda soudain son frère en désignant du menton un homme qui sortait de la maison.

Laszlo haussa les épaules en signe d'ignorance, puis reporta son attention sur le nouvel arrivant. Il n'était pas très grand et possédait une démarche particulière, un peu comme un bateau tanguant sur l'eau, à la fois rythmique et gracieux, mais également malhabile, comme s'il risquait de perdre l'équilibre à tout moment. Il venait vers eux, si bien qu'il pût bientôt distinguer ses courts cheveux noirs et lisses, ainsi que ses yeux d'un joli vert menthe. Laszlo devina rapidement qu'il devait s'agir de Gregory, le frère de Diane, et en informa Séb. Leurs deux visages se ressemblaient beaucoup, même si la morphologie de leurs corps était très différente. Il se rappela Yves, leur père qu'il avait rencontré la veille, et songea que ses enfants avaient sans doute presque tout pris de lui, excepté sa grande taille en ce qui concernait son fils.

— Bonjour, messieurs, les aborda-t-il. Je me permets de me présenter à vous, puisque nos hôtes sont déjà tout à leurs activités. Je m'appelle Gregory Iria, je suis le frère cadet de Diane.

Il parlait vite, l'air un peu gêné. Sans doute était-il timide. Le futur vicomte lui adressa un franc sourire.

— Enchanté, Gregory. Je suis Sébastien, mais mes amis m'appellent Séb. Quant à ce grand gaillard, il s'agit de mon frère, Laszlo. Je ne saurais trop vous conseiller de l'éviter comme la peste s'il vous paraît de mauvaise humeur.

Le principal concerné lui donna un coup de coude.

— Ne l'écoutez pas, il aime raconter des âneries.

Gregory les dévisagea tour à tour puis, l'air préoccupé, demanda :

— Comment vous êtes-vous fait cette... cette...

— Cicatrice ? intervint Laszlo.

Généralement, les nobles gens évitaient de lui poser cette question qui leur brûlait pourtant les lèvres. Ce jeune homme était tout aussi honnête que sa sœur. L'ancien combattant aurait pu s'en offusquer, mais il trouvait au contraire que c'était une bonne chose : être épié sans cesse et pris pour cible des rumeurs s'avérait souvent désagréable. Il préférait de loin la franchise et le courage de ce petit brun. Il devinait qui plus est que sa curiosité n'était pas malsaine. Gregory n'avait simplement pas de filtre, s'il en croyait son instinct, plutôt bon juge de l'âme humaine. Sans doute cela lui jouait-il des tours dans le monde.

— Un coup d'épée reçu à la guerre, révéla-t-il au jeune homme en lui souriant.

— Oh ! s'exclama-t-il en retour. C'est trop classe !

Laszlo se crispa. Il se rappela ensuite qu'il aurait probablement dit la même chose, avant ses dix-huit ans, et se força à se détendre. Il fallait vivre la guerre pour la saisir dans toute son horreur. Elle laissait des blessures à la fois visibles et invisibles, et celles qui demeuraient sur sa peau n'étaient pas les plus douloureuses.

— Gregory, intervint sèchement une voix avant de se radoucir. Tu te montres indiscret. Excuse-toi.

C'était Diane qui les avait rejoints. Laszlo ne la surveillant plus, il ne l'avait pas vue approcher et prendre place à son côté.

— Il n'y a pas de mal, la rassura-t-il d'un geste apaisant de la main. Nous discutions simplement.

Le jeune homme ne comprenait pas sa bévue, s'il en croyait sa mine interrogatrice qui allait de lui à sa sœur. Le baron lui sourit avec indulgence pour qu'il se détendît, puis Séb lui proposa de tirer quelques flèches avec lui, ménageant ainsi un tête-à-tête avec Diane à son cadet.

— Je suis vraiment désolée, dit-elle en le regardant dans les yeux. Gregory ne se rend souvent pas compte qu'il va trop loin. J'ai beau le lui expliquer, je crois que cela lui échappe.

Il saisit sa main gantée de cuir marron dans un geste spontané et la caressa du pouce.

— Puisque je vous dis que ce n'est rien.

Son amazone mouva les doigts pour fuir son étreinte et il les relâcha à regret. Ce faisant, elle détourna le regard, l'air gêné. Laszlo reprit un chemin plus sûr en poursuivant la conversation :

— Je trouve l'honnêteté de votre frère plutôt rafraîchissante. On me regarde souvent comme une bête curieuse sans pour autant oser me dire un mot.

L'archère releva les yeux vers lui, étonnée.

— Ce n'est qu'une balafre. Je ne vois pas pourquoi on en ferait des gorges chaudes.

Cela le fit rire.

— Tout le monde n'a pas votre désintérêt et votre gentillesse. Cette entaille me défigure, et on a moins de sympathie pour un homme laid.

Elle lui assena une tape sur le coude.

— Vous savez pertinemment que vous ne l'êtes pas, dit-elle en levant les yeux au ciel.

Elle se tut brusquement, semblant se rendre compte des paroles qu'elle venait de proférer, et rougit délicieusement.

— Oh... alors, comme ça, vous me trouvez beau ? insista le baron avec une mine taquine alors même que son cœur battait la chamade, dans l'attente de sa réponse.

La pique porta et rendit à Diane son humeur belliqueuse :

— Ne déformez pas mes propos. J'ai simplement dit que vous n'étiez pas moche.

— Moi qui pensais que vous me trouviez hideux... me voilà rassuré.

Laszlo lui offrit son plus beau sourire. Il était bêtement heureux, alors qu'elle ne lui avait même pas dit clairement qu'elle le trouvait à son goût ! Il s'agissait toutefois d'une petite victoire.

— Merci. Pour Gregory, je veux dire, reprit la jeune femme après un temps. Vous et votre frère l'avez mis à l'aise. Il a beaucoup de mal à s'intégrer en société. Il est unique en son genre. Il a beaucoup à offrir, mais l'on s'arrête souvent à la surface.

Son expression fataliste peina son interlocuteur. Il découvrait là une de ces épreuves qui l'avaient forgée.

— Tout le plaisir est pour moi. Nous avons seulement fait connaissance, mais je pense que c'est un bon garçon. Il a sans doute besoin de temps pour s'habituer à échanger avec les autres.

Diane secoua tristement la tête.

— Je crains que cela n'aidera guère. Il est ainsi depuis l'enfance. Il y a des moments...

Elle chercha ses mots, la mine contemplative, puis lui expliqua de son mieux :

— Il se renferme totalement. Il ne veut plus ni voir ni entendre le monde qui l'entoure. C'est comme si tout devenait trop pour lui.

L'ancien combattant posa une main réconfortante sur son épaule. Cette fois-ci, elle ne repoussa pas son geste. Elle venait de lui livrer une part importante d'elle-même, et il vit dans ses yeux émeraude qu'elle en prenait conscience. Il eut l'impression d'avoir acquis un peu de sa confiance en traitant son frère comme n'importe quel autre gentilhomme de sa connaissance. À présent, elle savait qu'il n'était pas foncièrement mauvais, même si elle conservait sans doute des a priori à son égard. Sa rancœur ne s'envolerait pas du jour au lendemain, cependant il parviendrait à lui montrer petit à petit qu'il était un homme honorable... et surtout, aimable et désirable. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top