IX-Gros dérapage
Diane songea d'abord avec horreur que cet âne était en train de mettre en danger sa réputation, puis se rappela qu'elle n'en avait guère et que, de toute façon, elle s'en moquait comme d'une guigne. Toutefois, ce serait un bon argument pour l'obliger à s'excuser à genoux...
Une ire indicible suivit ce bref moment de frayeur. Cet homme était d'une goujaterie sans pareil ! Il avait commencé à lui faire la leçon et s'étonnait qu'elle lui répondît, c'était à n'y rien comprendre. Il devait croire au mythe de la femme soumise. Avec elle, autant dire qu'il allait être servi !
Elle décida de passer à l'action en se rappelant la présence de ses couteaux dans ses bottes. Bien sûr, elle ne comptait pas blesser Laszlo. Elle voulait simplement l'obliger à la laisser repartir et lui faire assez peur pour qu'il ne retentât plus jamais pareil enlèvement. Elle se sentait terriblement honteuse de ne pas pouvoir échapper à la prise du baron alors même qu'elle s'entraînait depuis son enfance pour se défendre de ce genre d'individu. Elle pensa qu'elle allait juste lui faire payer pour cette impression d'impuissance qui la ramenait à ce jour dramatique qui avait changé sa vie à jamais. La petite fille en elle hurlait de terreur, mais elle ne pouvait pas la laisser prendre le dessus. Elle se battrait bec et ongles, comme elle se l'était juré il y avait des années.
Diane cessa de frapper le dos de son agresseur et, du bras gauche, celui qui ne touchait pas le dos de Laszlo et risquait donc moins d'attirer son attention, elle tenta d'atteindre sa chaussure. L'opération était difficile, cependant, puisqu'elle devait éviter tout contact avec le bras qui l'enserrait pour ne pas éveiller les soupçons. Or, ledit membre se trouvait sur son chemin, ce qui signifiait qu'elle devait donc passer son propre bras par-dessus en l'arquant, perdant ainsi de précieux centimètres.
La jeune femme essaya de remonter discrètement son pied en pliant les genoux et en glissant légèrement sur l'épaule du baron. Elle put ainsi se rapprocher un peu plus de son but : elle sentit sa botte sous ses doigts. En tournant sa jambe sur le côté, elle réussit à passer la main sous l'obstacle et parvint finalement à tirer délicatement la précieuse arme de son carcan. Elle souffla, soulagée, et la dissimula dans la manche de sa chemise en l'empêchant de tomber à l'aide de son poignet. Une fois debout, elle devrait trouver un stratagème pour que Laszlo ne remarquât pas son manège, à moins de le menacer directement. Mais dans l'immédiat, elle ne pouvait rien faire de plus.
L'archère se morigéna mentalement : cela lui apprendrait à n'emporter avec elle que deux couteaux. Dorénavant, elle ferait en sorte d'en cacher d'autres à des endroits plus faciles d'accès, au cas où elle se retrouverait un jour dans la même situation. Elle était parvenue à les atteindre, certes, mais elle avait eu beaucoup de chance.
— Cela fera l'affaire, marmonna son ravisseur pour lui-même.
Il déposa sa charge au sol sans préavis, et Diane se retint de tomber de justesse. Le trajet, effectué la tête à l'envers, l'avait quelque peu déstabilisée. Elle regarda ensuite autour d'elle et découvrit qu'il l'avait emmenée derrière l'écurie, où personne ne risquait de les surprendre, excepté peut-être le palefrenier. Cette constatation ranima sa rage, et elle en oublia presque sa peur.
— Si vous voulez crier, vous pouvez le faire, à présent, déclara le baron en la fixant. Vous vous donniez en spectacle.
Son ton calme et condescendant l'énervèrent d'autant plus. Elle le défia, la tête haute et le menton résolument pointé en avant.
— Vous n'allez pas me faire croire que vous m'avez portée tout ce temps juste pour que je pique une crise sans risquer d'écorcher les oreilles des autres ! Vous racontez n'importe quoi.
— Vous avez raison, reconnut-il après un temps. J'ai terriblement envie de vous mettre une fessée, et je me voyais mal le faire devant votre père.
Cette remarque grossière lui fit perdre toute maîtrise d'elle-même, et elle bondit en avant tout en rugissant et en dégainant son couteau, dans l'intention de le pointer sur la gorge de Laszlo. Celui-ci réagit avec une rapidité qui la laissa impuissante : il captura ses deux poignets de ses mains, puis les fit passer dans une seule pour la désarmer avec la seconde. Il la fit ensuite tourner pour l'empêcher de se servir de ses genoux et la coinça contre son torse.
Diane entendit un bruit métallique et comprit qu'il avait jeté le poignard au loin. Il put ainsi saisir son menton et l'obliger à tourner la tête vers lui.
— Vous allez trop loin, mon petit.
Sa voix était calme, mais ce qu'elle vit dans ses yeux la terrifia. Ils étaient d'une froideur inqualifiable.
— J'ai vu de nombreuses personnes mourir, poursuivit-il après un silence interminable. Et j'en ai également tuées beaucoup. Ne vous avisez plus jamais de pointer une arme sur moi si vous ne voulez pas réveiller mes plus bas instincts.
La bouche sèche, l'archère acquiesça lentement, toujours le regard fixé au sien. Elle comprenait effectivement qu'elle avait dépassé les bornes, à présent. Cet homme était dangereux. Trop pour qu'elle l'affrontât. C'était folie que de le menacer comme elle l'avait fait un instant plus tôt. Un sentiment cuisant de honte l'envahit. Il était causé à la fois par sa faiblesse et l'arrogance dont elle avait fait preuve.
— Bien. Je vois que nous nous comprenons, constata-t-il en la sondant toujours avec attention.
Il ajouta ensuite, sur un ton radouci :
— Puisque vous n'êtes pas du genre à vous montrer honnête envers vous-mêmes ou envers les autres, je le serai pour deux. Sachez que je ne pensais pas vraiment ce que j'ai dit. À propos de vos capacités de tir. Vous êtes vraiment très douée. Plus que la plupart des hommes de ma connaissance. Je voulais juste éveiller votre esprit de compétition pour voir ce dont vous étiez réellement capable... et aussi parce que j'aime vous voir vous embraser avec tant de passion.
Il ponctua ses propos d'une caresse aussi délicate qu'une brise sur sa joue. Diane fut étonnée de voir qu'un homme dans lequel était contenue tant de violence pût se montrer si doux. Elle fut également surprise en comprenant qu'il l'avait incroyablement bien cernée. Elle se rendait compte qu'il existait une part d'ombre en elle, qu'elle essayait de taire tant bien que mal. Et elle devait reconnaître qu'elle se comportait souvent avec les autres en montrant plus d'acrimonie qu'elle n'en ressentait vraiment. C'était sa manière à elle de se protéger, même si elle était pleine de failles.
Elle fut bizarrement flattée par ses compliments à l'égard de ses talents d'archère. Elle venait de faire les frais de l'incroyable habileté de cet homme dans les sports de combat, et était donc reconnaissante qu'il la reconnût malgré son échec comme une adversaire digne de ce nom.
Quant à ses derniers mots... eh bien, elle n'entendait pas vraiment ce qu'ils signifiaient, mais elle avait une conscience acérée de son index qui s'aventurait à présent vers le coin de ses lèvres. La respiration soudain hachée, elle les entrouvrit pour laisser passer davantage d'air.
— Voilà que vous avez perdu votre langue, petite vipère ? Je n'aurais jamais cru voir ce moment arriver un jour, ironisa Laszlo en frôlant son arc de cupidon. Souhaitez-vous que je la retrouve pour vous ?
Diane déglutit difficilement et vit que le baron n'en perdait rien. Elle sentait confusément qu'il lui tenait des propos scandaleux, mais elle n'arrivait pas bien à cerner en quoi. Son pouce, qui avait rejoint son index sur sa bouche et soulignait sa lèvre inférieure, la troublait.
— Je... pardon ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils, s'efforçant de reprendre pied.
Un rire bas et rauque lui répondit, lui tirant un frisson. Quelque chose dans son ventre remua, qui lui parut à la fois délicieux et désagréable. Exactement comme quand l'anticipation se mêlait à la peur.
— Je vous demande si vous voulez que je vous embrasse, mon petit, traduisit-il, du feu dans ses yeux toujours arrimés à sa bouche.
Elle dirigea son regard sur celle de Laszlo, attirée malgré elle par le mouvement que causaient ses paroles. La jeune femme songea qu'elle était drôlement bien dessinée. Et d'un coup, le surnom familier qui lui avait tant déplu lui parut la plus enivrante des musiques. Encore une fois, elle dut se concentrer sur le sens des mots de son interlocuteur, qui peinait à émerger dans son esprit sollicité par mille détails. Elle se détacha à grand-peine de sa contemplation, ce qui lui permit de comprendre la proposition scandaleuse qu'il lui faisait. Elle inspira vite, mais prudemment, doucement, pour que le baron qui semblait sensible à son moindre mouvement ne se méprît pas.
— Je... non, non je ne veux pas ! balbutia-t-elle enfin, la panique lui étreignant le cœur.
Il pressa son index au centre de sa bouche, la lui faisant entrouvrir délicatement, comme un bouton de rose qui éclot.
— Vraiment ? murmura-t-il de cette voix cassée si agaçante qui fissurait ses défenses. Vous en êtes sûre ? C'est bien dommage...
Laszlo passa le pouce sur sa lèvre supérieure, lentement, frôlant au passage ses gencives et ses dents. Elle dut se retenir de toutes ses forces de bouger pour mettre un terme à sa caresse. Si elle parvenait à le convaincre de son indifférence, il la laisserait tranquille. Et elle savait qu'il ne l'embrasserait jamais sans son consentement. Il désirait sa complète reddition, mais il ne l'aurait pas. Jamais. Le regard de Diane se durcit tandis qu'elle parvenait peu à peu à reprendre contact avec la réalité. Elle avait failli céder car tout cela avait pour elle le goût de l'inconnu, mais elle se rendait compte que ç'aurait été une terrible erreur.
Son changement d'attitude n'échappa pas au baron, qui retira ses doigts, non sans l'avoir gratifiée d'une dernière pression, plus forte et incroyablement tentatrice, sur toute la surface de ses lèvres. Sans doute était-il un débauché rompu à cet exercice, songea l'archère pour se ressaisir. Il n'ignorait rien de la manière de séduire une femme.
— Me laisserez-vous au moins embrasser votre main ? susurra-t-il tout près de son oreille.
Elle put presque sentir la caresse de sa bouche sur son lobe, mais il s'agissait seulement de son souffle, lourd de promesse. Diane acquiesça pour lui montrer qu'elle n'avait pas peur de céder à ses avances, d'autant qu'un simple baisemain lui paraissait bien innocent.
Le lent sourire de Laszlo lui fit vite comprendre combien elle se trompait...
En lui tenant toujours le menton, et sans cesser de la regarder intensément, il porta sa main à ses lèvres en prenant tout son temps. D'abord, il la garda légèrement à distance, guettant sur son visage tous les sentiments qu'elle laissait malgré elle entrevoir. Après une éternité, quand il parut satisfait, il approcha davantage sa main, si près qu'il la touchait presque. Il souffla sur son gant, et la jeune femme eut alors la certitude qu'il avait exécuté ce geste à dessein avec son oreille. Des milliers de petits frissons parcoururent son corps tout entier, dans l'expectative de ce qui allait suivre.
Comme si le baron avait perçu son impatience grandissante, il choisit ce moment précis pour déposer le sceau de ses lèvres sur son gant. Son baiser dura longtemps, très longtemps, et Diane perçut sa chaleur malgré le cuir épais qui le séparait de sa peau. Elle songea pendant un instant que la tentation était largement supportable, mais il mordilla alors cette couche de protection dérisoire, les yeux sensuellement plantés dans les siens. Il répéta plusieurs fois ce geste, avec plus ou moins de pression, tout en promenant son menton sur son poignet, à la manière d'un chat câlin, la faisant panteler. Sauf qu'il n'avait rien d'un animal innocent, et tout du dangereux prédateur. Le tissu bougeait sur elle en même temps, créant une délicieuse friction. Comment cet homme parvenait-il à prodiguer de telles sensations à une zone de chair aussi anecdotique ? C'était un mystère, un mystère qu'elle souhaitait de plus en plus percer...
Quand Laszlo remarqua avec un air de triomphe sa respiration hachée, il sema une pluie de baisers sur sa main, remontant progressivement. Il saisit son poignet du côté extérieur pour pouvoir atteindre l'autre versant, terriblement sensible, plus facilement, et continua de la torturer avec sa bouche habile. Il exécuta alors un mouvement qui parut tellement obscène à Diane qu'elle se figea tout à fait : il lécha son gant généreusement, lui révélant une longue langue rose au goût de l'interdit. Elle eut un brusque mouvement de recul, tempéré toutefois par les doigts qui la tenaient toujours. Elle se morigéna en découvrant le sourire qui se dessinait sur le visage du baron : elle s'était promis de demeurer impassible et y échouait lamentablement.
Laszlo eut une dernière audace avant de la libérer de sa scandaleuse étreinte : il prit en bouche chacun de ses doigts, tour à tour, avec cette lenteur à la fois délicieuse et exaspérante. Il les suçota avec une mine gourmande qui acheva de la déstabiliser tout à fait. L'archère ferma les yeux malgré elle, ne pouvant supporter plus longtemps ce spectacle érotique qu'il lui offrait avec tant de diligence.
Il la relâcha enfin, et elle put ouvrir les paupières sans risquer de succomber à une nouvelle vision licencieuse. Il paraissait particulièrement content de lui : Diane craignait de n'avoir pas su rester impassible, en apparence du moins, car il était évident que toutes sortes de pensées se bousculaient dans sa tête. À présent, il allait probablement tâcher de pousser son avantage à la moindre occasion. Il la poursuivrait inlassablement jusqu'à ce qu'elle répondît « oui », et elle avait bien peur de finir par réaliser son fantasme...
— Nous n'avons pas achevé cette compétition de tir à l'arc, il me semble. Nos amis doivent nous attendre, remarqua Laszlo comme si de rien n'était.
Pourtant, une flamme inassouvie brûlait dans son regard gris. L'orage y couvait, à la fois inquiétant et subjuguant. La jeune femme eut à nouveau l'impression de s'embraser et une douce chaleur vint colorer ses joues de rouge. Elle se fit violence pour ignorer ce que son corps criait malgré elle et trouva un refuge dans la confrontation que lui faisait miroiter le baron :
— Allons-y. Il me tarde de vous écraser.
C'était un terrain beaucoup plus sûr.
*
Bonjour !
Cela faisait une éternité que je n'avais pas posté un chapitre. Je comptais écrire pendant les vacances, mais comme vous le savez, celles de Noël ne sont pas les plus calmes...
J'espère que votre lecture vous a plu. N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce "gros dérapage" !
Je vous souhaite une bonne année 2023,
Obombra
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