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24 mars
La musique battait son plein, réduisant mes tympans à néant. Je continuais de hurler pourtant, sourire aux lèvres, la main dans celle d'Alice qui n'arrêtait pas de sauter en rythme avec les basses.
Nous étions à l'Electro Fest, l'un des festivals les plus connus de musique électro-house de la région. Je m'y étais rendu avec des amis de la fac et l'un d'eux avait eu un empêchement au dernier moment, j'avais donc proposé à Alice de venir, Thomas devait se lever tôt demain et Sara détestait ce genre de musique.
Alice ressemblait énormément à son frère. Certes, ils étaient jumeaux, mais tous deux avaient la même vision de la vie, la même façon de voir les choses, la même signification du mot "loyauté". Ils étaient les mêmes, à un détail près : Alice était un poil plus hystérique que son frère. Et était saoule plus facilement que Thomas, par conséquent.
Au bout de deux bières, elle était aussi surexcitée qu'une enfant à Disneyland, et je devais la suivre partout où elle allait si je ne voulais pas la retrouver le lendemain matin en train de dormir sur le sol. En plus de ça, j'avais promis à Thomas que rien n'arriverait à sa sœur ; double pression pour une seule soirée.
L'air était irrespirable dans la grande salle de spectacle, et j'ai pensé que les organisateurs de la soirée avaient laissé rentrer beaucoup plus de monde que la salle ne pouvait en contenir. J'ai trainé Alice avec moi jusqu'au bar, où j'ai demandé deux verres d'eau. Ils les offraient ici et les toilettes étaient submergés d'adolescentes en furie.
"C'est la meilleure soirée de ma vie !" a hurlé Alice dans mes oreilles avant de boire d'une traite son verre d'eau.
"Tu dis ça à chaque soirée" ai-je rétorqué en riant bêtement.
"J'y retourne !"
Et Alice s'est éloignée de moi et s'est perdue dans la foule.
"Non, Alice !" m'ai-je égosillé.
Mais il était trop tard. J'avais moi aussi plongé dans la foule et Alice était déjà hors de mon champ de vision. J'ai commencé à la chercher désespérément, j'ai même trouvé un couple d'amis avec lesquels j'étais venu et leur ai demandé s'ils l'avaient vue. Réponse négative, sans surprise.
Cela faisait un quart d'heure que je la cherchais et j'étais en panique totale. Je ne profitais même plus du festival, bien que le DJ aux platines était l'un de mes favoris. Puis dans la foule, j'ai enfin aperçu un visage connu.
Mais ce n'était pas celui d'Alice.
Elle aussi m'avait vu, ses yeux clairs me fixaient, comme pétrifiés. Elle restait immobile, et la musique a semblé s'arrêter, car je ne voyais plus qu'elle.
Diane.
"Tiens, un revenant."
Sans le vouloir, je l'avais rejointe. Elle était accompagnée de Paula, qui roulait des pelles à une autre fille.
"Que... qu'est-ce que tu fais ici ?"
"Ça se voit non, je chasse des zèbres."
J'ai ri, mais elle avait l'air sérieuse.
"Pourquoi tu ne réponds plus à mes messages ?" a-t-elle continué.
Je ne lui ai pas répondu. Elle pouvait m'en vouloir ; elle m'avait en effet envoyé quelques messages depuis la dernière fois, deux ou trois, pour me proposer de sortir et me demander comment j'allais. Plus d'un mois avait passé depuis que je m'étais promis de ne plus avoir affaire avec elle, que je m'étais promis de ne me consacrer qu'à Sara et d'arrêter de lui mentir. Je ne lui avais pas dit pour Diane, mais si je ne voyais plus cette dernière, ça n'allait rien changer.
Peut-être que Sara était synonyme de routine, mais cette routine m'apaisait, et je l'aimais. Alors il ne fallait pas de Diane. Ni elle, ni personne d'autre entre Sara et moi.
Or elle était bien là, devant moi, aussi belle que dans mes souvenirs. Je n'étais pas tant attaché à elle et pourtant, elle m'avait manqué. Son visage, ses yeux, ses lèvres, ses hanches, tout m'avait manqué.
"Je suis désolé."
Et je le pensais. Je n'aurais pas dû la laisser ainsi, sans un mot, sans rien dire. Naturellement, je souhaitais que ce jeu entre nous cesse, par respect pour Sara. J'aurais dû lui avouer que j'avais une copine que j'aimais et qui m'aimait, que ce qui c'était passé avec elle n'avait été qu'une connerie et qu'on devait en rester là. J'aurais dû lui dire tout ça.
Mais comme à chaque fois que je me trouvais devant elle, je ne pensais plus à tout ça. Il n'y avait plus qu'elle. Ni Sara, ni Thomas ni personne d'autre ne comptait. Il n'y avait plus qu'elle et rien d'autre.
Elle m'a souri, puis s'est penchée vers moi pour me dire à l'oreille :
"Ce n'est pas grave. Je suis contente de te revoir."
"Moi aussi, je suis content."
"Tu cherchais quelqu'un ?"
Alice.
J'ai retrouvé mes esprits. Diane était encore là devant moi, sa main posée sur mon avant-bras, mais la musique avait refait irruption, tout comme les gens qui nous poussaient, Paula et la fille qui s'embrassaient, l'odeur de transpiration et de bière et les vibrations des basses qui résonnaient dans ma poitrine.
"Oui, j'ai perdu une amie, elle est carrément ivre et j'ai promis à son frère de la ramener entière chez lui."
"Je vais t'aider à la retrouver alors" m'a-t-elle proposé en souriant.
Je lui ai donné le nom d'Alice, montré à quoi elle ressemblait et on s'est donné rendez-vous devant le bar dans les vingt prochaines minutes. Je suis parti d'un côté et Diane de l'autre, et quelques minutes plus tard à peine, j'ai retrouvé Alice, avec un groupe de jeunes qui s'amusaient tout autant qu'elle. Je l'ai attrapé par le bras et ai envoyé un message à Diane pour la prévenir que j'avais retrouvé Alice.
Puis je suis directement allé au bar, tenant fermement Alice par la main. Elle se plaignait mais me suivait sans se débattre, c'était déjà ça. J'ai cette fois-ci demandé une bouteille d'eau entiere, mais le barman ne m'a tendu qu'un verre d'eau.
"S'il vous plait" l'ai-je rappelé, "mon amie ne se sent vraiment pas bien, elle a besoin d'une grande bouteille d'eau fraiche."
Il a soupiré et a attrapé une bouteille de cinquante centilitres sous le comptoir. Il me l'a tendue, mais l'a ramenée à lui lorsque je m'apprêtais à lui la prendre.
"Deux euros" a-t-il annoncé alors qu'il me présentait son autre main, en forme de coupelle.
"Quoi ? Mais c'est atrocement cher ! Elle ne se sent pas bien, et vous voulez nous faire payer de l'eau alors qu'il y en a de la gratuite aux toilettes ?"
Le barman a arqué un sourcil, et s'est penché au-dessus du comptoir.
"Petit, si t'as tellement besoin d'eau, vas-y aux chiottes. Moi j'fais mon business, et ta copine, c'est pas la première que je vois dans cet état. Alors soit tu payes, soit tu t'casses."
J'ai soupiré et ai cherché mon porte-feuilles dans la poche de mon jean. Je venais d'échanger ma pièce de deux euros contre la bouteille quand Diane est arrivée.
"Diane ! Mon bel oiseau, j'savais pas que t'étais là !"
Elle a posé sa main sur mon épaule, et a salué le barman qui l'avait reconnue.
"Salut David. Tu t'es occupé de mes amis ?"
"Tes amis ?"
Diane m'a désigné d'un coup de tête, et le visage du barman est passé du dégoût à l'étonnement puis au même air niais qu'il avait affiché en la voyant arriver.
"Oh, oui, tes amis ! Je leur ai offert une bouteille d'eau, et..."
"Et tu vas les faire passer à l'arrière-bar, mon amie a besoin d'espace."
"Evidemment, évidemment..."
Nous avons contourné le bar, et David a ouvert une porte qui ouvrait sur un couloir menant à une cage d'escalier.
"Allez sur la terrasse en haut, il n'y a personne."
"Merci David" a dit Diane avant de lui embrasser la joue.
Elle a amené Alice dans le couloir. Je suis resté planté devant David, un regard méprisant sur le visage. Nous faisions la même taille et il était beaucoup plus musclé que moi, mais le fait que j'étais désormais "l'ami" de Diane m'aidait à lui tenir tête. Il a soupiré et m'a tendu ma pièce, qu'il avait mise dans sa poche.
"Merci David" ai-je dit d'une voix fluette, tout sourire.
Puis j'ai rejoint les filles sur la terrasse. Il faisait frais, mais la température était décente pour une nuit de printemps. Et puis l'alcool nous tenait chaud, et l'air frais nous changeait de l'ambiance étouffante à l'intérieur de la salle.
Alice buvait à grandes gorgées l'eau, pendant que Diane lui parlait.
"Ça va aller ?" lui a-t-elle demandé.
"Ouais, ouais. J'ai besoin de faire une pause, je crois."
J'ai soupiré et ai arraché la bouteille d'eau des mains d'Alice.
"Eh !"
"Plus jamais tu me fais ça, tu m'entends ?" ai-je crié, furieux. "Ton frère m'aurait tué si je t'avais perdue !"
"Côme, ça va. Je n'ai plus quinze ans, je sais me défendre."
"Tu sais te bourrer la gueule aussi."
"Oh, ça va je te dis ! Je suis adulte et responsable, Thomas doit comprendre que je n'ai plus besoin d'un baby-sitter."
J'ai poussé un soupir de rage et lui ai rendu la bouteille. Elle m'a filé une clope, que j'ai allumée sur le champ.
"Tu es la sœur de Thomas ?" a demandé Diane à Alice, alors qu'elle ne savait plus où se mettre.
"Malheureusement oui. Et toi tu es Diane, c'est ça ?"
Diane a acquiescé. J'ai aperçu Alice me fusiller du regard, mais je l'ai ignorée. Je savais qu'elle allait me reprocher de voir encore Diane, et même si je lui disais que pour ce soir c'était un hasard, Alice n'était pas au courant pour toutes les autres fois et j'allais passer un mauvais quart d'heure pour ne lui avoir rien dit.
•
"Tu l'as revue combien de fois ?"
J'ai soupiré. Il était presque une heure du matin et j'avais cours le lendemain matin.
"Côme ?"
"Deux ou trois fois seulement."
Alice s'est massée les tempes.
"Et Sara ? Elle est au courant ?"
"Non, t'es folle."
"C'est moi qui suis folle, Côme ? Sérieusement ?"
"Ne crie pas, j'ai mal au crâne."
On était tous les deux dans la voiture d'Alice. J'avais conduit, on était devant mon immeuble, et comme je ne voulais pas laisser Alice au volant tant qu'elle ne marchait pas droit, j'avais accepté qu'elle me sermonne.
"Et en plus de ça, Thomas est au courant, lui."
"Ne sois pas jalouse de ton frère, Alice, ça ne sert à rien."
"Je ne suis pas jalouse. C'est juste que lui ne m'a rien dit, mon propre frère."
"Je lui ai demandé de garder le secret."
Elle a passé une main dans ses longs cheveux ondulés et imbibés d'odeur de la bière et a soupiré.
"Et ça va s'arrêter quand, cette histoire ? Jusqu'à ce que Sara découvre la vérité ?"
"C'était fini, je te l'ai déjà dit : ce soir, c'était un hasard."
"Et comment ça se fait que je ne te crois pas ?"
"Pour la dernière fois, Alice : j'avais arrêté de la voir. Elle m'envoyait des messages, je n'y répondais pas. Je m'étais décidé de ne plus mentir à Sara, que ce qui c'est passé avec Diane n'était pas sérieux et que je devais l'oublier. J'aime Sara, OK ? Je l'aime et je ne veux absolument pas la perdre, et Diane a le pouvoir de m'éloigner d'elle. C'est pour ça que je ne voulais plus la voir. Tu me crois, maintenant ? Ou je dois te montrer les messages que Diane m'a envoyés ?"
"D'accord, d'accord. Je te crois."
J'ai fermé les yeux et ai poussé un long soupir d'agacement. Alice avait encore une autre différence avec son frère : elle était beaucoup moins laxiste que lui.
"Et maintenant ?" a-t-elle soufflé. "Qu'est-ce que tu vas faire ?"
"C'est-à-dire ?"
"Ne me dis pas que la voir ce soir ne t'a pas fait changer d'avis."
J'ai tourné la tête vers elle, puis je l'ai dévisagée. Alice ressemblait beaucoup trop à Thomas, et de ce fait, je n'arrivais jamais à dire si elle était jolie ou pas : elle avait les mêmes yeux sombres, les mêmes cheveux roux et ternes, les mêmes taches de rousseurs, le même nez en trompette, la même fossette sur le menton. Comme son frère, lorsqu'elle riait, son nez se retroussait d'avantage. Comme son frère, lorsqu'elle était en colère ou fronçait tout simplement les sourcils, un pli se dessinait au centre de son front.
Et comme son frère, elle me connaissait trop bien.
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