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17 Février

Je caressais du bout de l'index le dos nu de Sara. J'y ai déposé un baiser, et me suis levé, afin de rejoindre la cuisine. Ç'avait beau faire plusieurs mois maintenant que j'habitais dans cet appartement avec Sara, je ne me sentais toujours pas chez moi. J'avais quitté la maison de mon père une semaine après avoir fêté mes dix-huit ans, et j'en étais ravi - mais la maison me manquait.

J'ai préparé du café, puis m'en suis versé une tasse. J'ai regardé les nouvelles du jour sur mon portable, puis je me suis préparé pour aller en cours. En prenant mon sac, laissé la veille sur la table de la cuisine, ainsi que mon téléphone, j'ai remarqué que j'avais un message : Diane.

« C'était cool hier soir »

J'ai souri, puis suis sorti de l'appartement en courant, déjà en retard. Dans le métro, je me suis souvenu de la soirée que j'avais passé la veille. Après les cours, je m'étais rendu au magasin de jouets juste avant la fermeture, sans réelle conviction d'y trouver Diane. Mais elle était bien là, je l'avais trouvée à la caisse en train de saluer ses collègues.

"Toujours à la recherche de super-héros ?" m'avait-elle lancé dès qu'elle m'avait vu, un sourire aux lèvres.

Moi, j'étais toujours aussi heureux de la voir, elle et ses yeux magnifiques.

Nous avions juste bu un verre dans un restaurant-bar non loin du centre commercial du magasin ; et nous nous étions quittés après un long baiser d'adieu.

Je suis sorti de la rame de métro, le souvenir de ses lèvres dévorant les miennes. Partout où j'allais, je pensais à elle, je rêvais d'elle ; je la désirais à chaque heure de la journée, souhaitais sentir l'odeur de sa peau et de ses cheveux, sentir ses mains caresser tout mon corps, sentir la pointe de ses seins sur mon torse, sentir son souffle chaud dans ma nuque. Je souhaitais sentir son corps et son âme, la regarder se déhancher nue devant moi, l'écouter gémir et en demander plus, goûter encore et encore et encore ses lèvres.

Mais surtout, je voulais me noyer dans son regard. Son regard si pur, si doux, et si malicieux que j'avais l'impression qu'il me déshabillait dès qu'il se posait sur moi. Je voulais la voir sourire, comme quand je la faisais rire, un vrai sourire, dévoilant ses dents du bonheur. Comme ce soir-là au bar, ou toutes les autres nuits, dans mes rêves.

Diane me hantait, éveillé comme endormi.

En arrivant devant la fac, j'ai reçu un message de Sara, qui me souhaitait de passer une bonne journée. Ça m'a arraché un sourire. Sara accordait beaucoup d'importance aux petites choses de la vie ; dont le fait de se dire bonjour le matin. Rien qu'un simple sourire pouvait illuminer notre journée, d'après elle. Elle était incroyablement optimiste et ne s'attardait pas sur les mauvaises nouvelles. Et je savais tout ça, parce que j'aimais Sara. Nous étions ensemble depuis trois ans, et tout allait pour le mieux - quelques disputes de temps en temps, certes, mais généralement, tout se passait à merveille. Nous avions trouvé notre petite routine et nous étions bien, ainsi. Mais cette routine m'angoissait : et si elle durait, éternellement ?

Diane incarnait le changement, la surprise, le désir de briser cette routine. Alors si Sara apprenait son existence, tout serait cassé, et plus rien ne serait comme avant.

C'était pour ça que, quand je suis sorti de cours l'après-midi et ai reçu cet autre message de Sara, mon sang n'a fait qu'un tour.

« Rentre directement des cours, il faut que je te parle »

Elle a deviné, c'était cuit. Tout était fichu. J'ai envoyé un message à Thomas, lui demandant de l'aide, mais il n'a pas répondu. J'ai poireauté dix minutes devant l'université, ne sachant pas quoi faire. Je devais trouver une excuse. Je devais m'excuser auprès de Sara. Lui dire que je l'aimais et que Diane ne comptait pas pour moi.

En reprenant la route vers l'appartement, je me suis dit que ce n'était pas une bonne idée, de continuer de mentir. Bien sûr que Diane comptait pour moi ; mais Sara comptait aussi. L'esprit embrouillé et torturé, je suis entré dans l'immeuble et suis monté jusqu'à la porte de l'appartement, notre porte.

Je l'ai poussé avec grand mal, et j'ai retrouvé Sara assise à une chaise de la table de la cuisine, pianotant sur son téléphone, en face du vase où trônaient les roses que je lui avais offerte lundi pour la Saint Valentin. Elle a levé la tête lorsqu'elle m'a entendu entrer, et m'a souri. Elle est venue déposer un baiser sur mes lèvres.

"Alors, tu as passé une bonne journée ?"

J'ai lentement hoché la tête, bien qu'elle ne me regardait pas. Elle n'avait pas l'air d'être triste parce que je la trompais, ou en colère. Je l'ai suivie du regard, s'affairant sur le plan de travail.

"Je fais bouillir de l'eau pour le thé, tu en veux ?"

"Non merci" ai-je refusé. "Tu devais me dire quelque chose ?"

Son sourire a disparu, et j'ai compris qu'elle avait tout bonnement oublié qu'elle devait me parler d'une chose importante.

"Ah, oui... Chéri, vas dans le salon s'il te plait. Je te rejoins.

J'ai obéi, bien que je détestais qu'elle me donne des ordres. Ça ne faisait que trop bien me rappeler qu'elle avait un an de plus que moi et que c'était elle qui commandait, car si je n'étais là que depuis quelques mois, elle habitait dans cet appartement depuis un peu plus d'un an.

"Ton frère a appelé, tout à l'heure" a-t-elle commencé en s'asseyant sur le canapé à côté de moi. "Il m'a appelée."

J'ai arqué un sourcil. Pourquoi Bastien appellerait-il Sara ?

"Il a voulu me joindre ?"

"Non, il voulait me parler. Déjà, il m'a dit que Gabi s'amusait beaucoup avec ses super-héros."

"Viens-en au fait, s'il te plait."

Elle a hoché la tête, puis a soupiré.

"Bien. L'hôpital l'a appelé il y a quelques jours. L'état de ton père s'aggrave de jour en jour, et..."

"Je te l'ai déjà dit," la coupai-je en serrant les dents, "je ne veux plus jamais entendre parler de mon père."

"Côme..."

"Je pensais avoir été clair à ce sujet."

Je me suis levé du canapé, où nous nous étions assis. On a entendu le sifflement de la bouilloire depuis la cuisine, indiquant que l'eau était prête. Le regard vert de Sara me fixait tendrement.

"Je sais que tu ne veux pas en parler. Mais Bastien m'a dit qu'il avait vraiment besoin de toi ; ton père a besoin de toi."

"Il ne sait pas ce qu'il dit, ce vieux con a perdu la tête, je te rappelle."

"Ce vieux con est ton père, Côme" m'a sèchement repris Sara. "Ça va faire bientôt un an que tu ne l'as pas vu, et des années que tu ne lui parles plus. Je ne sais pas ce qu'il a fait pour que tu le détestes tant, mais il va bien falloir que tu lui en parles un jour, et le plus tôt sera le mieux. Sa santé se dégrade, et..."

"Je t'ai dit que je ne voulais pas en parler !"

Elle a soupiré bruyamment, et s'est à son tour levée. Sara était beaucoup plus petite que moi, mais elle me faisait toujours peur quand elle arborait ce regard.

"Je ne te demande pas de m'en parler. Je ne te demande pas non plus de faire la paix avec ton père ; mais il serait temps que tu cesses d'agir comme un enfant et que tu ailles au moins lui rendre visite."

Elle a disparu dans la cuisine, et je n'ai pas tardé à sentir une odeur de thé au jasmin se répandre un peu partout dans la maison. J'ai soufflé, puis l'ai rejointe dans la cuisine. Elle s'était assise sur la table, tournant une cuillère dans son thé, qu'elle sucrait toujours. Une larme perlait sur sa joue, et j'ai ressenti un pincement au cœur.

"Excuse-moi."

Elle a bu une gorgée de son thé.

"Ce n'est rien" a-t-elle lâché dans un murmure presque inaudible.

"Si, si c'est quelque chose."

Je me suis placé devant elle, ai pris sa tasse des mains et l'ai déposée sur le plan de travail dans mon dos.

"Sara, je suis désolé, sincèrement. Je m'énerve sur toi alors que tu n'y es pour rien. Et puis..." ai-je soupiré, "tu as raison. Je dois aller voir mon père, c'est la moindre des choses."

"Ne te sens pas obligé d'y aller, Côme. Tu as des raisons de lui en vouloir, je ne sais pas lesquelles, mais tu as forcément des raisons."

J'ai souri timidement, et j'ai embrassé son front, posant mes mains ses hanches.

"Je t'aime, tu sais."

Elle s'est reculée, et m'a souri.

"De tout mon cœur" ai-je poursuivi en replaçant une de ses longues mèches brunes derrière son oreille.

"Moi aussi, je t'aime."

J'ai souri à mon tour, et l'ai embrassé. Elle a répondu à mon baiser en passant ses bras autour de mon cou, a rejoint ses jambes derrière mon dos, et nous avons fait tomber les roses sur le sol et fait l'amour sur la table de la cuisine.

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