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8 juin (première partie)
J'imaginais qu'après avoir dit la vérité à Sara, ç'aurait été logique et rassurant de tout avouer à Diane. J'avais prévu de lui dire ; je serais arrivé chez elle, Olivier m'aurait ouvert, Paula agressé du regard et Diane serait arrivée, plus belle que jamais dans son pyjama qu'elle gardait la journée. On aurait fait l'amour, puis peut-être une deuxième fois, et je lui aurais raconté calmement, dans le lit, encore nus et blottis l'un contre l'autre. Elle aurait compris, se serait énervée mais aurait compris, m'aurait dit de m'en aller mais m'aurait retenu, comme dans les films. Là, on aurait fait l'amour une troisième fois et après ça, on aurait décidé d'être ensemble et heureux.
Mais ça ne s'est pas vraiment passé comme ça.
- Côme, papa est mort.
Retournement de situation. Mon paternel était décédé. Son cancer avait eu raison de lui, il avait atteint un stade trop avancé et il n'avait plus les forces de se battre. Ça, ç'avait été le diagnostic des médecins, des infirmiers, des neurologues. Mon frère y croyait, Barbara aussi. Même ma mère y croyait, c'était pour vous dire.
Eux, ils souffraient de la mort de mon père. En silence, mais ils souffraient. Ils étaient tristes, ma mère parce que c'était l'homme avec qui elle avait passé la majeure partie de sa vie, mon frère parce qu'il avait réussi à pardonner mon père. Moi, je n'y étais pas arrivé - pas encore ? Lorsque Bastien m'avait appelé pour m'annoncer la nouvelle, rien ne s'était produit ensuite. Je m'étais attendu à ressentir une sorte de soulagement, un sentiment de libération. Mais rien de ça ne s'était passé, et c'était comme si on avait mis le monde entier sur pause.
Ça aurait pu rester comme ça indéfiniment si Charlotte, la fille du copain de ma mère que j'avais rencontrée le premier mai à cet interminable repas de famille, n'était pas arrivée chez mon frère ce matin-là.
- Tu es déjà là ? Les funérailles n'ont lieu que cet après-midi, lui ai-je lancé en la voyant approcher dans le salon, Barbara sur ses talons.
- Je voulais vous voir, ton frère et toi. Bastien n'est pas là ? a-t-elle demandé à l'intention de Barbara.
- Il est parti conduire notre fils chez notre nounou. Tu veux boire quelque chose ?
Barbara est donc partie dans la cuisine chercher un verre de jus de fruits à Charlotte, qui restait debout, tremblante.
- Tu vas bien ?
J'avais eu l'occasion de pouvoir reparler à Charlotte très peu de fois depuis que je l'avais rencontrée. Mais les quelques fois où on s'était parlé - toutes par messages - avaient été plaisantes et je m'étais même vanté auprès de Thomas de l'opportunité de l'avoir comme demie-sœur. Charlotte était terriblement sympathique même si elle se montrait distante lorsqu'on parlait de mon père ; ce qui était tout à fait normal, mais tout de même, il s'avérait qu'elle était, et pour une raison que j'ignorais, l'une des seules personnes auxquelles je m'étais confié à ce sujet. Et à juste titre, j'avais réellement besoin d'en parler, et le fait que ce soit à elle au lieu de Thomas ou d'Alice me permettait de prendre du recul sur la chose et de pouvoir en parler plus librement, avec un nouvel œil pour me juger.
Or dès que nous parlions de ça, elle changeait de sujet le plus rapidement possible ; et je l'avais imaginée derrière son écran comme lorsqu'elle se tenait là devant moi, à cet instant précis.
- Côme, je sais que ce n'est surtout pas la journée pour parler de ça, mais...
Elle s'est mordillée les lèvres, et s'est assise sur le canapé où j'étais moi aussi assis, occupé à jouer à la console. J'ai mis le jeu sur pause et me suis tourné vers elle, pour être plus attentif.
- Tu te souviens, le jour de la fête du travail, on s'est rencontré et tu m'avais parlé de ton père et du divorce de tes parents.
J'ai hoché la tête.
- Je t'avoue que cette histoire, d'un point de vue extérieure, est assez... captivante. Je m'entends très bien avec ta mère et pourtant, elle ne m'avait jamais parlé de ça. Ce que je peux comprendre, s'est-elle empressée de rajouter, ce n'est pas le genre de choses que l'on raconte à n'importe qui.
- Logique.
- Oui, logique.
Barbara est arrivée dans le salon et a donné son jus de fruits à Charlotte, qui l'a remerciée et a bu d'une traite son verre.
- Tu es sûre que tout va bien ? ai-je demandé une seconde fois.
- Oui, tu as une drôle de tête, a renchéri Barbara en posant une main sur son épaule. Tu ne veux pas t'allonger ou te reposer ?
- Je suis désolée si je vais te paraître irrespectueuse ou complètement folle Côme, a cependant continué Charlotte en ignorant nos questions. Mais je me suis intéressée à toute cette histoire, j'ai souhaité en parler avec ta mère, et sans surprise, elle a cherché à m'éloigner du sujet.
J'ai froncé les sourcils. Mais à quoi jouait Charlotte ?
- Pourquoi tu t'intéresses tant à cette histoire ?
- Tu sais, avant de m'enterrer en prépa, j'ai tenté une année en fac de droit. J'ai toujours rêvé d'être avocate, défendre les gens, tout ça... Ça me passionne.
- Quel rapport avec l'histoire de mes parents ?
- Tu m'as raconté que, malgré les violences de ton père, c'est lui qui a eu ta garde. Je me suis penchée sur la question et c'est juste inexplicable.
- Je suis d'accord avec toi.
- Mais toi, qui t'a raconté ça ?
- Ma mère.
Charlotte a lentement hoché la tête, puis s'est mise à fouiller dans son sac.
- Côme, je suis désolée, mais je trouve ça vraiment trop louche. Tout procureur digne de ce nom n'aurait jamais accepté que la garde d'un enfant, même presque majeur, soit donné à un parent violent. C'est juste... con. Et impossible. Et le fait que tu n'aies pas assisté à l'audience m'a encore plus mise la puce à l'oreille et...
- Tu es en train d'insinuer que ma mère m'a menti ?
J'avais dit ça plus violemment que je ne l'avais voulu. J'aurais préféré resté calme, surtout avec Charlotte ; mais elle était en train de me faire comprendre que ma mère m'avait menti et ça, rien ne lui permettait de faire une chose pareille.
- Côme, non, je... Ecoute, à première vue, j'y ai pensé, mais je me suis vite reprise ; je ne pensais pas ça de ta mère, je pensais qu'il y avait eu un problème au niveau du jugement, c'est tout. La faute des avocats, faute de preuve, je ne sais pas vraiment.
Je me suis radouci et elle a soupiré. Barbara, qui s'était assise sur l'accoudoir, à côté de Charlotte, restait silencieuse et nous écoutait, mais l'expression de son visage parlait à sa place. Elle avait compris quelque chose, je la connaissais depuis assez longtemps pour réussir à déduire ça de sa part. Mais quoi ?
- Tu pensais ? a-t-elle alors soufflé.
Charlotte a baissé la tête.
- Oui, je... J'ai voulu retrouver la procédure du jugement, les notes du greffier, tout. J'avais encore ma carte étudiante de ma fac de droit, je pensais pouvoir passer mais ils m'ont bien fait comprendre que je ne pouvais pas lire ce genre de documents. Alors je... J'ai fait ce que tout avocat aurait fait à ma place, et suis allée parler aux acteurs du divorce.
- Marie ? a demandé Barbara, alors qu'elle avait compris tout aussi bien que moi de qui parlait Charlotte.
Cette dernière a lentement secoué la tête, et je suis sorti de mes gonds.
- Tu as été parler à mon père ?
- Côme, je suis désolée, je...
- Mais pour qui tu te prends, Charlotte ? Tu n'avais pas le droit de faire ça, tu n'as aucun lien de parenté avec ce type, tu... Tu n'avais pas le droit !
- Mais je voulais...
- Tu n'as pas à te mêler de cette histoire !
- Côme, calme-toi, m'a demandé Barbara.
- Mais elle n'avait pas le droit ! ai-je crié. Tu l'as entendu aussi bien que moi, elle a été voir mon père ! Charlotte, tu es complètement cinglée.
- Je voulais simplement lui poser des questions, il n'y a rien de mal à ça.
- Lui poser des questions ? ai-je répété en riant nerveusement. Comme : oh, Claude, est-ce vrai que vous frappiez votre femme ? Dites-moi la vérité, c'est vrai que je ne suis que la fille du nouveau copain de votre ex-femme, vous n'avez rien à me reprocher alors ne me mentez pas !
- Côme !
La voix de mon frère a résonné dans le salon. Je me suis tourné vivement vers lui, et son air furieux et sévère, celui qu'il prenait lorsque Gabriel avait fait une bêtise, celui qui le faisait encore plus ressembler à notre père, a réussi à me faire taire.
- Charlotte, qu'est-ce que tu fais ici ? Je viens d'appeler ma mère et elle te cherche partout, avec Franck.
- Ils ne savent pas que je suis ici, je devais vous donner quelque chose.
Elle a enfin sorti la main de son sac et m'a tendu, la main tremblante, une feuille pliée en quatre.
- Je suis donc allée voir votre père pour lui poser des questions. Il m'a tout simplement donné ça ; c'est son éloge funèbre, et il souhaitait que tu la lises, Côme.
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