18

15 mai

Diane était allongée, les yeux clos, la bouche entrouverte, le souffle régulier. La moitié de son visage était enfouie dans l'oreiller blanc qui  mettait en valeur ses cheveux blonds, disposés en auréole autour de sa tête. Oui, on aurait dit un ange, ainsi.

Je la regardais ainsi depuis une durée indéterminée, sourire aux lèvres. J'étais heureux de la retrouver. La veille, quand nous étions entrés dans l'appartement, ça avait fait plaisir à Olivier de me voir, mais pas à Paula. Elle avait été très distante et très froide, mais en réalité, je m'en fichais : j'avais Diane. Et ça valait tout l'or du monde.

Elle a commencé à remuer doucement, et la totalité de son visage a disparu dans l'oreiller, qu'elle a serré contre elle, en poussant un petit gémissement. Ça m'a fait sourire.

- Diane ? ai-je murmuré.

Elle a lentement tourné la tête et a entrouvert les yeux. A peine avais-je eu le temps de voir ses iris bleus qu'elle les a cachés à nouveau derrière ses paupières, et un sourire s'est peint sur ses lèvres.

- Bonjour, ai-je continué en levant le bras et en lui coinçant les cheveux qui se baladaient sur son visage derrière son oreille.

- Bonjour, a-t-elle marmonné.

J'ai ri et ai déposé un baiser sur ses lèvres. Elle s'est étirée de tout son long, comme le ferait les princesses dans les contes de fées, et s'est allongée sur le dos, les bras tendus au-dessus de la tête.

- Bien dormi ?

Elle a tourné la tête vers moi et a remarqué, bien que toujours souriante :

- Dois-je te rappeler que toi et moi, on recommence à zéro ?

J'ai haussé les épaules et me suis assis contre la tête de lit.

- Oui, aujourd'hui nous sommes le premier janvier ; et il faut que je t'avoue qu'hier, dès que je t'ai vue, j'ai demandé ton prénom à tout le monde pour savoir comment t'aborder.

Elle a froncé les sourcils. Elle ne me croyait sûrement pas.

- Au final, c'est toi qui es venue à moi. Ce n'est pas plus mal, regarde-nous.

- Côme...

Pourtant, elle n'a rien ajouté. Elle a simplement soupiré, s'est assise à son tour, en face de moi. Elle m'a observé pendant quelques secondes, puis a levé la main jusqu'à ma joue pour la caresser doucement.

- Mes parents viennent aujourd'hui, il va falloir que tu t'en ailles.

- On se reverra ?

Elle a esquissé un sourire. J'ai attrapé sa main et en ai embrassé la paume. Ses doigts se sont entremêlés aux miens.

- On pourrait sortir, un de ces jours, ai-je proposé. Aller voir une expo, ce genre de choses.

- Si tu parles de celle aux Beaux-Arts, je l'ai déjà vue.

- Dommage, c'était la seule que je connaissais.

Elle a pouffé et a lancé malicieusement :

- Tu sais, je ne vais pas aux musées avec mes plans culs.

- Diane... ai-je soupiré. Je suis vraiment désolé, je...

- Je sais.

Sa main a quitté la mienne, puis elle s'est levée du lit. Dos à moi, elle a enlevé son soutien-gorge et enfilé un t-shirt, puis un short en toile. Elle a attaché ses cheveux et s'est retournée vers moi en passant ses mains sur le reste de son visage.

- Tu devrais t'habiller, m'a-t-elle conseillé. Je vais préparer du café, mais c'est tout ce dont tu auras, je dois aller faire les courses avant que mes parents viennent.

J'ai hoché la tête. Elle a quitté la chambre, et je me suis laissé tomber dans le lit. Elle m'en voulait encore. Était-ce vraiment étonnant ? Il fallait cependant qu'elle comprenne que j'étais sincèrement désolé, mais comment lui faire comprendre ?

J'ai attrapé mon téléphone, et lorsque je l'ai déverrouillé, je suis tombée sur les derniers messages que j'avais envoyé à Sara. Elle était distante ces derniers temps, et n'avais pas bronché quand je lui avais dit que je restais dormir chez un ami. Ça m'avait certes arrangé, mais c'était surprenant de sa part.

Je me suis habillé et ai rejoint Diane dans la cuisine. Elle tapotait sur son téléphone, appuyée contre le plan de travail. La machine à café était en marche et faisait un bruit démentiel.

- Désolée de te mettre dehors comme ça, a-t-elle dit sans lever les yeux de son téléphone.

Je n'ai rien répondu. Elle aussi avait l'air froide tout à coup. Je me suis approché d'elle et ai caressé son bras du bout de doigts, avant de déposer un baiser dans son cou. Je l'ai entendu soupirer mais je savais qu'elle adorait ça.

- Côme, s'il te plait.

Je lui ai fait face. Jamais je ne l'avais vue comme ça ; si fatiguée, si déçue... si vulnérable. Je l'avais rendue vulnérable.

- Je ne sais pas combien de fois je vais devoir m'excuser, ai-je soupiré.

Un sourire aux lèvres closes est apparu sur son visage, mais rien d'autre ne s'est passé. Elle m'a juste servi du café et est allée dans la salle de bain après m'avoir fait comprendre que lorsqu'elle en sortirait, je ne devais plus être là.

Sara était allongée dans le canapé, ordinateur sur les genoux et pieds sur mes cuisses. J'étais en train de regarder des vidéos, écouteurs dans les oreilles, quand un de ses pieds m'a fait comprendre que je devais l'écouter. J'ai retiré les écouteurs de mes oreilles et ai tourné la tête vers elle.

- Tu es bizarre, en ce moment, a-t-elle annoncé.

- Tu es pareille, ai-je rétorqué.

- Parce que toi tu l'es ; je ne sais plus comment agir avec toi. Tu as l'air toujours ailleurs, toujours perdu... enfin, plus que d'habitude.

J'ai baissé les yeux. Thomas et Alice m'avait prévenu : Sara se souciait de moi. Elle a posé son ordinateur sur la table basse et s'est assise en tailleur, pour être plus proche de moi.

- C'est à cause de ton père ?

J'ai secoué la tête, n'ayant pas la force de lui expliquer que ce vaurien n'avait même pas la légitimité d'être le sujet d'une seule discussion.

- Alors quoi ? On a toujours été proche, Côme, mais ça fait quelques mois déjà que j'ai l'impression que tu ne te confies plus. Il y a même des moments où je me demande si tu me caches des choses...

Mais comment faisait-elle ?

- Ça va, je t'assure, ai-je marmonné.

- Arrête de me mentir, qu'est-ce qui se passe ?

J'ai poussé un long soupir - trop long et trop suspect. Mais curieusement, je voulais qu'elle s'en rende compte ; je voulais qu'elle sache, par-dessus tout.

Je connaissais Sara depuis mon entrée au lycée. Elle et moi étions dans la même classe, c'était comme ça qu'on s'était connu. Nous sommes devenus amis, et très vite, meilleurs amis. On se parlait tout le temps, passait nos journées ensemble ; c'était très vite devenu ambigu et nous sommes sortis ensemble. Et voilà, ça faisait trois ans. Trois ans. C'était vertigineux. Les gens autour de nous pensaient que c'était le grand amour, qu'on allait se marier, avoir des enfants. La réalité, c'était que Sara était ma première copine sérieuse ; et pour une raison que j'ignorais, je ne m'étais jamais, jamais imaginé faire ma vie avec elle. Et pourtant, le temps passait, et ça s'allongeait, et j'avais de plus en plus de mal à m'imaginer rompre avec elle, tout en pensant que je ne ferais jamais ma vie avec elle. Et si je restais avec elle, c'était parce que j'étais bien avec elle, mais je ne l'aimais plus comme avant. C'était juste devenu une habitude.

- Côme ?

Sara m'a sorti de mes pensées. J'ai croisé son regard, et pour la énième fois depuis que je connaissais Diane, je me suis senti coupable. Mais plus par rapport à mon infidélité ; cette fois-ci, c'était parce que je m'étais rendu compte que je n'étais plus amoureux d'elle. Et elle continuait tout de même à s'inquiéter pour moi.

- Je...

Ses yeux verts sondaient mon esprit, et ma bouche était incapable de lui dire. Mais comment pourrais-je lui dire ? Comment réagirait-elle ?

- Il faut que j'aille prendre l'air, ai-je dit.

Je me suis levé et ai laissé Sara seule sur le canapé. Je suis allé dans notre chambre et ai ouvert la fenêtre. La ville était loin d'être calme, le dimanche. J'ai attrapé le paquet de cigarettes sur le rebord de la fenêtre et en ai fumé une, les yeux rivés sur les passants. Il ne faisait pas très beau, ce dimanche, le ciel était gris et il faisait presque froid.

Bastien, Thomas et Alice me disaient de choisir. Choisir entre Diane et Sara. La question ne se posait même pas ; mais le vrai problème, ce n'était pas mes sentiments. C'était ma lâcheté. Jamais je n'arriverais à rompre avec Sara, ni lui dire que je la trompais, ni que je ne l'aimais plus. Peut-être que je n'en avais pas envie ; ça faisait trois ans qu'on était ensemble et on était bien, tous les deux. J'avais peur de l'inconnu, encore plus peur de Diane.

Tout s'emmêlait dans mon esprit. Alors quoi, j'aimais Diane mais j'avais peur d'être avec elle ? Et j'aimais être avec Sara mais je ne l'aimais plus elle, et j'avais peur de lui dire ? Ça n'avait aucun sens. Je me croyais dans un film à l'eau de rose ou dans un livre d'amour sans queue ni tête.

Sara est entrée dans la chambre. En la regardant ainsi, sur le pas de la porte, je me suis rendue compte que ça faisait longtemps qu'elle et moi, on n'avait pas fait l'amour. Qu'on n'avait pas partagé un baiser langoureux. Ni un autre moment romantique. Elle aussi devait s'en être rendue compte.

Ça ne me manquait même pas. J'étais monstrueux.

Elle a marché jusqu'à moi, a posé une main dans mon dos, et nous avions regardé la rue en silence. Oui, elle comme moi nous en étions rendus compte.

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