17
14 mai
"Tu sais, Sara commence à se poser des questions."
J'ai fusillé Alice du regard.
"On n'a dit qu'on n'allait pas parler de ça, aujourd'hui" lui ai-je rappelé.
"Côme, je suis ton amie. Je veux juste que tu ailles mieux et que tu saches que tu inquiètes pas mal de gens, dont Sara. Elle pense qu'il y a un problème avec ton père et que tu ne veux pas lui en parler."
J'ai soupiré, et ai tendu de la monnaie au caissier du Subway. Alice avait décidé de me changer les idées à sa façon : faire une journée shopping. Non pas que j'adorais dépenser mon argent dans des vêtements, mais le bonheur d'Alice à chaque achat effectué méritait de faire sourire n'importe qui d'autre à deux cents mètres à la ronde. Il était à peine dix-neuf heures et elle trainait avec elle sept sachets provenant de magasins différents. J'ai posé notre plateau sur une table sur la terrasse, et ai commencé à manger mon sandwich sans quitter du regard Alice qui essayait de s'en sortir toute seule avec ses sachets.
"Tu n'as vraiment pas besoin d'aide ?" lui ai-je demandé en souriant malgré moi.
"Mais non, ça va aller."
Puis elle a commencé à se justifier pour chacun de ses achats. Je l'écoutais distraitement, observant les passants dans la rue. Il y en avait de toutes sortes : des jeunes, des moins jeunes, des hommes d'affaires qui venaient de finir leur journée de travail et des familles occupées. Mon regard était accroché à une femme assez grande qui claquait ses talons sur les pavés, son sac dans une main et téléphone dans l'autre, quand j'ai entendu mon nom dans la foule. Alice s'est tournée vers la voix masculine et Olivier s'est approché de nous, le sourire aux lèvres et la housse de son ordinateur à bout de bras.
"Olivier ?"
"Comment tu vas ? Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu."
Je lui ai serré la main et lui ai présenté Alice, qui a du se lever et se mettre sur la pointe des pieds pour lui faire la bise.
"Vous avez fait les magasins ?" a deviné Olivier en remarquant les sachets d'Alice amassés au pied de notre table.
"On s'est changé les idées" a répondu Alice. Puis elle s'est tournée vers moi. "Vous vous connaissez d'où, tous les deux ?"
"Euh, eh bien..." ai-je bégayé.
Alice m'a interrogé du regard.
"Je suis un coloc' de Diane."
Alice a fait les gros yeux et a décrit Olivier de la tête aux pieds.
"D'ailleurs, en parlant de ça, je pourrais te parler, Côme ?"
J'ai lentement hoché la tête, et Alice est partie en prétextant qu'elle devait aller aux toilettes. Elle m'a donc laissé seule avec Olivier, qui me dépassait d'une tête, voyait Diane comme sa petite sœur, et qui me dépassait d'une tête. Diane m'avait déjà dit qu'il était trop protecteur et qu'elle avait peur qu'il soit prêt à tout pour la protéger, et il me dépassait d'une tête. Diane était en colère et triste par ma faute, et il me dépassait d'une tête.
"Tu es courant que Diane te déteste, maintenant ?"
J'ai ravalé ma salive. J'étais surtout au courant qu'Olivier allait m'en faire voir de toutes les couleurs, oui. J'ai donc décidé d'être honnête avec lui.
"Olivier, je sais que je lui ai fait du mal, qu'elle m'en veut et que toi aussi, tu m'en veux, mais écoute : je m'en veux à moi aussi. Je suis con, terriblement con, je n'ai même pas réfléchi à ce que je lui ai dit et à cause de ça, je l'ai perdue. Et crois-moi que c'est la pire des choses qui pouvait m'arriver, et je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi."
Il a esquissé un sourire.
"Alors fais-le moi payer si tu veux, mais après ça, dis à Diane que je suis désolé. Vraiment désolé."
"Pourquoi je te le ferais payer ?"
J'ai levé les yeux vers lui. Il avait sérieusement l'air de ne pas comprendre ce que je lui disais.
"Si je suis venu te voir," a-t-il continué, "c'est pour te parler de Diane. Je sais bien que tu es aujourd'hui la dernière personne qu'elle voudrait voir et qu'elle est vraiment en colère contre toi, mais je la connais. Et avant d'être en colère, elle est triste. Tu lui manques beaucoup, même si elle ne veut pas se l'avouer."
Je lui manquais.
"Alors je ne sais pas pourquoi tu as eu la connerie de lui dire ça, et j'imagine que tu as bien une raison, mais je n'avais jamais vu Diane aussi heureuse que quand elle était avec toi. Elle avait l'air d'être elle-même, en tout cas, et je ne veux pas qu'elle retombe dans ce fichu trou qu'elle s'ait creusé pour je ne sais quelle raison. Et s'il y a bien une personne qui peut l'aider, c'est toi Côme. Elle tient beaucoup à toi, et reprends-moi si ce n'est pas le cas, mais toi aussi, tu tiens à elle. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir cette alchimie qu'il y a entre vous."
J'ai baissé la tête vers mes baskets. Je manquais à Diane. Diane me manquait. Mais je l'avais repoussée, voulu l'oublier, m'étais éloigné d'elle. Je ne la méritais pas, ça, non.
"Promets-moi d'y réfléchir" m'a dit Olivier avant de partir.
Y réfléchir. À quoi bon ? Si j'allais la voir, je lui ferais encore du mal. Et il y avait Sara. Encore et toujours Sara. Si je faisais en sorte de faire quelque chose de bien pour l'une, l'autre souffrait, parfois sans le savoir. Et je les aimais toutes les deux.
Et alors, ça m'a explosé à la figure. Je me suis assis sur la chaise, et je n'ai pas vu Alice me rejoindre.
J'aimais Sara. Oui, je l'aimais, parce qu'elle était là, depuis des années, elle ne m'avait jamais laissé tomber et elle m'aimait. Je l'aimais comme j'aimais le soleil, les étoiles, la mer, je l'aimais comme j'aimais rire avec Alice et jouer avec Thomas. Je l'aimais parce qu'elle faisait partie de ma vie et que ma vie faisait partie d'elle, désormais.
Mais j'étais amoureux de Diane. Éperdument amoureux de Diane, comme j'avais été amoureux de Sara il y avait des années de ça. Mais aujourd'hui, maintenant, toutes les secondes qui passaient ne faisaient prolonger et attiser l'amour que j'avais pour Diane.
"Côme, tu vas bien ?"
"Alice, je suis amoureux de Diane."
"Heureuse de te l'entendre dire. Tu ne vas manger ton sandwich ?"
Je me suis brusquement levé de ma chaise, et Alice m'a interrogé du regard.
"Il faut que j'aille lui dire."
"Wow, Côme, tout doux. Je te rappelle qu'en ce moment-même, elle te déteste. Et je ne pense pas que tu vas lui faire changer d'avis en lui disant que tu l'aimes."
"Bien sûr que si, il se passe toujours ça dans vos livres, à toi et Sara."
"Sara ! Quelle bonne idée de parler d'elle : tu as pensé à elle ? Tu l'aimes non ?"
"Alice, il va falloir que tu te décides dans quel camp tu te trouves. Mais pour le moment, c'est encore moi qui choisis de qui je suis amoureux. Merci pour l'après-midi, je t'adore."
Je lui ai embrassé le crâne et me suis éloigné d'elle à grands pas. Pour retrouver Diane.
Je suis arrivé devant son immeuble, essoufflé. J'ai appuyé sur l'interphone, et après trois sonneries, elle a décroché.
"Oui ?" a fait sa voix depuis l'appareil.
J'ai été incapable de prononcer un seul mot. Ma bouche était ouverte et pourtant, aucun son n'en sortait. Je savais que c'était elle, je devais lui dire, alors pourquoi rien ne sortait ?
"Quelqu'un est là ?"
"Je..." ai-je réussi à articuler.
"Oli, c'est toi ? Tu as oublié le code ?"
J'ai inspiré longuement. Il fallait que je lui dise. Il le fallait. Et au moins, je ne m'en voudrais plus. Ou je m'en voudrais moins.
"Eh oh ?"
"Diane, je suis désolé."
J'ai repris mon souffle, bizarrement hors d'haleine. Plus aucun son ne sortait de l'interphone et pourtant, Diane était encore là, les petits bruissements indiquaient qu'elle n'avait pas raccroché.
"Côme, qu'est-ce que tu fous ici ?" a fait une voix derrière moi.
Je me suis retourné vers Paula, qui était accompagnée d'un garçon. Elle m'assassinait du regard et j'ai compris que tout le monde dans la colocation avait appris ce que j'avais fait à Diane.
"Fous-le camp, Diane ne veut plus te voir et moi non plus."
"Paula, laisse-moi m'expliquer..."
"Fous-le camp" a-t-elle sifflé.
Et comme le garçon à côté d'elle me regardait aussi de travers et devait peser à coup d'œil dans les quatre-vingt kilos de muscle, je suis parti. Aussi lâchement que ça, j'ai abandonné. Je suis allé dans la bouche de métro la plus proche et y suis descendu. En attendant que le prochain métro arrive, j'ai sorti des écouteurs et me suis demandé à quel point je pouvais être bête. Comme si Diane allait me pardonner pour ce que je lui avais fait. Comme si elle voulait bien me revoir et faire comme si de rien n'était. Parce que c'était ce que j'espérais ; qu'elle et moi recommencions tout à zéro. Que la vie reprenne son cours parce que son éloignement y avait mis fin.
Le métro est arrivé, il était rempli à craquer. J'ai soupiré et suis tout de même entré, en m'accrochant péniblement à la barre de fer moite au milieu de tous ces inconnus, eux aussi moites. Une sonnerie terrible a retenti pour annoncer la fermeture des portes et un poids lourd s'est cogné contre moi. Une personne venait d'entrer à la hâte dans le métro, manquant de se faire aplatir par les portes, et s'accrochait à moi pour ne pas perdre l'équilibre. Le souffle court, je me suis retourné vers elle, Elle, qui me regardait avec ses deux grands océans infinis. J'ai cru que j'allais l'embrasser durant le reste de ma vie. À la place, nous sommes restés là, comme deux grands idiots, et les passagers devaient se demander quand Diane allait s'excuser de m'avoir poussé, or c'était à moi de m'excuser.
Nous sommes tous les deux sortis à la station suivante, et j'ai pu enfin l'admirer de la tête aux pieds. Elle était si belle, alors qu'elle ne portait qu'un sweat-shirt fermé jusqu'au coup, un short de sport et des tongs. Je détestais les tongs mais elles lui allaient si bien à elle, que je me suis promis de m'en procurer une paire.
Elle a coincé nerveusement des mèches de cheveux derrière ses oreilles. Ils étaient décoiffés et peinaient à rester en place dans un chignon qui allait sûrement lâcher d'une seconde à l'autre. Elle n'était pas maquillée et avait du feutre sur ses longs doigts tout fins qui jouaient avec les cordons de son sweat.
Mais elle était tellement belle.
"J'imagine que tu dois avoir une bonne raison d'être venu me voir" a-t-elle dit, et je me suis seulement rendue compte que sa voix aussi m'avait manqué.
"Je... je voulais m'excuser."
"Pourquoi ? Parce que t'es un gros connard ou parce que tu m'as traitée comme une merde ?"
Sa voix s'est brisée et des vagues se sont agitées dans ses océans.
"Je ne sais même pas pourquoi je t'ai suivi, Côme. Mais s'il y a bien une chose que je sais, c'est que tu ne le mérites pas."
J'ai hoché la tête en m'approchant d'elle.
"Tu ne peux pas savoir à quel point je te déteste" a-t-elle continué en pleurant toujours.
"Diane..."
"Vas te faire foutre, Côme."
Des gens descendus dans la station nous regardaient, et jamais je ne m'étais senti aussi vulnérable et aussi idiot.
"Je suis désolé."
"Et moi je te déteste."
Pourtant, elle s'est réfugiée dans mes bras et a éclaté en sanglots. Je l'ai serrée contre moi et n'ai plus prêté attention autour, parce qu'il n'y avait plus que nous. J'ai enfoui ma tête dans ses cheveux en bataille, ils sentaient l'amande douce et ça m'apaisait. Ça m'apaisait de la savoir près de moi à nouveau, de sentir son corps contre le mien et nos cœurs battre à l'unisson.
"Je suis tellement désolé" ai-je soupiré.
Des larmes roulaient doucement sur mes joues. Diane s'est éloignée et a levé la tête vers moi. Je lui ai attrapé les mains et les ai serrées si fort que j'ai cru que j'allais les briser.
"S'il te plait, laisse-moi au moins une chance de tout réparer. Je ne veux pas te perdre, Diane, je ne veux plus te perdre."
Elle a secoué la tête en pleurant.
"Diane, je t'en supplie. Je... tu n'as pas idée à quel point je serai prêt à tout pour te revoir."
Elle s'est pincée les lèvres, et j'ai laissé ses mains quitter les miennes. Elle s'est essuyée les joues et m'a demandé, son regard plongé dans le mien et satisfait de ma noyade :
"Prêt à tout ?"
"À tout."
Elle a soupiré, et je me suis agenouillé devant elle, dans une station de métro, en pleurs, mais je m'en fichais parce que c'était pour elle.
"Je t'en supplie, Diane. Je sais que je suis un idiot, que tu mérites mille fois mieux que moi et que si tu acceptes malgré tout, il va te falloir du temps pour me faire confiance. Mais j'ai toujours été sincère, et pour la dernière fois, j'étais à côté de la plaque. Je ne veux pas te perdre, Diane, je..."
Je t'aime, ce n'est pourtant pas si compliqué que ça à dire.
"Alors on recommence tout à zéro."
J'ai levé les yeux vers elle.
"Je ne sais pas qui tu es, tu ne sais pas qui je suis, et on apprend à se connaître. Un nouveau départ."
"D'accord, d'accord, tout ce que tu veux."
Je me suis relevé et face à elle, j'ai du rallier toutes mes forces pour ne pas l'embrasser.
"On fait ça alors ?" a-t-elle demandé en me tendant la main, comme pour conclure un accord.
"On fait ça."
J'ai pris sa main dans la mienne. Elle l'a serrée, et avant que je n'ai pu ouvrir la bouche, elle s'est hissée vers moi et m'a embrassé. Elle s'est emparée de mes lèvres comme elle seule arriver à le faire, ses mains se sont agrippées à ma nuque et tout ce que j'ai pu faire, c'est passer mes bras autour de sa taille et la serrer contre moi le plus fort que je le pouvais. Puis nous reprenions notre souffle, les yeux dans les yeux, et elle pleurait encore.
"Pourquoi ?" lui ai-je demandé en soufflant.
Mais elle a repris de plus belle et j'ai pu goûter une nouvelle fois à ses baisers salés. Je l'ai éloigné de moi à contre-cœur - ça me l'a même arraché - et ai passé mes doigts sous ses yeux.
"Diane" ai-je murmuré.
Malgré les larmes qui inondaient son visage, elle m'a souri. Et ç'a été certainement la chose qui m'a rendu le plus heureux de la journée.
NDA
Bonjour ! J'espère que ce chapitre vous a plu :)
Je voulais simplement m'excuser d'avoir pris du retard dans l'écriture de cette histoire, mais je passais mes épreuves du bac et je ne pouvais pas me permettre de privilégier l'écriture avant mes révisions - j'espère que vous comprenez ce point de vue car moi-même je ne le comprends pas.
J'essaye de poster dans les prochains jours, mais si ce n'est pas le cas, rendez-vous samedi prochain !
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