14
20 avril
Ma tête tournait et j'avais extrêmement faim. Sara était allongée à côté de moi dans le lit, la tête posée sur l'épaule d'Alice. Je les ai regardées en fronçant les sourcils. Mais que foutait Alice dans notre lit ?
Et instantanément je me suis rappelé ma fête surprise d'anniversaire, et j'ai souri. Ça avait été une bonne soirée. Très alcoolisée pour ma part, mais une bonne soirée.
Je me suis rendu dans la cuisine en passant devant le salon, où j'entendais quelques ronflements. Des amis étaient dans la cuisine en train de discuter et de boire du café. Ils m'ont salué en souriant.
"Eh, c'était une super soirée" m'a lancé Emile.
"Tu en as bien profité, ça fait plaisir" a renchéri Julie.
Les deux étaient des amis de la fac, avec qui j'étais allé au Electro Fest en mars. Ils n'avaient beau être en couple que depuis cette soirée, ils étaient incollables, je me souvenais encore de ma surprise le lendemain en apprenant qu'ils étaient ensemble. Je n'avais pas eu le plaisir de les voir se bécoter pendant la dite soirée, j'avais été trop occupée par ma recherche d'Alice et par Diane, par conséquent.
Diane.
"Les gars, il est quelle heure ?" ai-je demandé de but en blanc.
Emilie a sorti son téléphone de la poche de son pantalon.
"Midi et demi, en même temps, on s'est couché vers cinq heures, six heures du mat'..."
Mon cœur s'est mis à battre à tout rompre. Diane. Le musée.
Je me suis précipité dans le couloir, ai enfilé une paire de baskets et suis sorti de l'appartement en claquant la porte. J'ai descendu la rue à toute vitesse, me suis engouffré dans la première rame de métro quitte à rester coincé entre les deux portes, et ai attendu le plus patiemment que je pouvais durant les sept stations qui séparait celle de la rue de mon immeuble à celui du musée.
Jamais le trajet ne m'avait paru aussi long.
En arrivant, je suis sorti en courant du métro, ai monté les marches quatre à quatre pour sortir de sous-terre et ai piqué un sprint vers le musée. Il faisait bon et beau, ça aurait pu être une journée agréable, mais force de croire que la seule raison qui me poussait à courir était l'adrénaline, que je n'avais pas encore tout a fait débourré, que je manquais cruellement de sommeil, que je portais les mêmes vêtements que la veille et qu'il émanait de moi un mélange d'odeur de bière, de transpiration et de tabac, je n'étais pas sûr de pouvoir faire face à Diane. Surtout que je n'avais même pas pensé à prendre mon téléphone, donc je n'avais aucun moyen de la retrouver, si ce n'était la chance de tomber sur elle par hasard.
Je me suis assis sur les marches du musée, et ai essayé de calmer mon pouls et ma tête qui n'avait pas cessé de tourner. Les gens devaient me prendre pour un sans-abris, quasiment allongé comme ça par terre.
Je suis longtemps resté assis là. Je ne m'attendais même plus à voir Diane, j'essayais juste de retrouver mon état normal. Mais sans ma tasse de café quotidienne, j'étais impuissant. Le soleil tapait sur mon crâne et me procurait un mal de tête horrible - ou alors c'était la gueule de bois. Je ravalais presque mes envies de vomir et j'étais incapable de me lever pour pouvoir rentrer chez moi.
Quelqu'un s'est assis à côté de moi. Je ne tournais même pas la tête pour savoir qui c'était ; au fond de moi je le savais très bien.
Nous sommes restés ainsi, en silence, pendant un temps indéfinissable et interminable. Tous mes repères avaient disparu, et la seule chose qui me paraissait familière était son parfum, une douce odeur de vanille et de cannelle, qui parvenait jusqu'à mes narines au-delà de mon odeur quasiment pestilentielle.
"Ça fait cinq bonnes minutes que je te regarde avachi là, et maintenant que je suis assise à côté de toi, je comprends et je peux affirmer que tu es complètement bourré."
Diane a fouillé dans son sac et m'a tendu une bouteille d'eau, que j'ai avidement vidé à moitié et volontairement laissé se déverser dans mon cou.
"Je t'ai attendu et j'ai fini par croire que tu ne viendrais pas, parce que tu n'aimais pas les musées ou ce genre de choses."
"Désolé, j'avais oublié."
"Ah. Excuse-moi alors, c'est vrai que ce n'était pas très important pour toi de voir cette exposition, ou de me voir."
"C'est pas ce que j'ai dit..."
J'avais l'impression de parler avec Sara, c'était bizarre. Pourtant, quand Diane s'est levée et s'est plantée devant moi, bras croisés, j'avais la certitude que ce n'était pas Sara, mais bien Diane. La première chose que je voyais devant moi était ses deux longues jambes, nus. Puis je levais le regard et découvrais sa robe bleue, la même qu'elle portait lors de notre sortie en boite, ainsi qu'une veste en jean. De grandes lunettes de soleil cachaient ses yeux que j'aimais tant.
J'ai tenté d'agripper son genou, mais elle l'a retiré de mon emprise.
"Sérieusement Côme, j'ai l'impression qu'on ne se voit que pour coucher ensemble. J'adore ça, vraiment, mais... je ne sais pas, on pourrait commencer à faire d'autres activités."
"Des activités ?" ai-je répété avec grand mal.
"Bien oui. Ça fait plusieurs mois qu'on se connait et quelques semaines qu'on se voit régulièrement, mais tout ce qu'on fait c'est faire l'amour. J'adore ça je le répète, mais je ne pense pas que ça puisse durer sur le long terme."
"Bah si."
"Bah non" a-t-elle répété sur le même ton. "J'ai plus l'impression d'être ton plan cul régulier que ta copine à proprement parlé."
"Mais c'est le cas."
Diane n'a plus rien dit. Et c'est seulement en comprenant le sens de sa question que j'ai mesuré ma réponse et son impact sur Diane. J'ai levé la tête vers son visage, mon regard jusqu'alors focalisé sur son genou gauche.
"Non, pardon, je... Diane" ai-je voulu la rattraper alors qu'elle partait.
Ma main a seulement effleuré sa jambe, mais elle a fait volte-face, et a retiré ses lunettes de soleil pour planter ses yeux embués de larmes dans les miens.
"T'es un vrai connard, Côme. Tu ne peux pas jouer avec les sentiments des gens comme ça, c'est... c'est inhumain."
"Diane, je voulais pas dire ça, je..."
"Oh que si, tu l'as dit. Vas te faire foutre Côme, je ne veux plus jamais te revoir."
Elle s'est retournée puis s'est éloignée à grand pas. J'ai usé de toutes mes forces possibles et de toute ma volonté pour me lever et la suivre, et au milieu de la place où se trouvait le musée, j'ai fini par laisser tomber. Elle était trop loin désormais, inutile de vouloir la rattraper comme dans ces films mielleux que regardait Sara le dimanche soir. Je me suis laissé tomber sur le sol, et suis resté assis là en tailleur, au milieu des gens qui me regardaient comme si j'étais un extraterrestre. Il me fallait trois choses : un café, un sandwich, et une bonne douche. Mais je n'avais pas d'argent, pas de téléphone, et pas le courage d'expliquer aux autres - et encore moins à Sara - pourquoi j'étais parti comme une furie.
Il ne me restait plus qu'une seule solution.
•
Thomas m'a regardé de haut en bas. J'avais faim, j'étais fatigué, et je puais. Mais par-dessus tout, je lui devais des excuses. Je n'ai pourtant rien dit, j'ai juste planté mon regard dans le sien, comme pour dire que j'avais besoin de lui plus que de n'importe qui d'autre - car c'était le cas. Il a soupiré et m'a laissé entrer.
On ne s'est pas une seule fois adressé la parole, et j'ai mangé, fait ma dose de caféine, pris une douche, et encore mangé. J'étais en train de terminer mon deuxième sandwich quand Thomas a brisé le silence :
"J'imagine que tu n'es pas venu t'excuser, auquel cas tu ne serais pas là à mendier pour de la bouffe."
J'ai bu une gorgée d'eau et l'ai regardé. Il faisait pareil, tout en faisant tournoyer un stylo entre ses doigts. Lorsqu'il était nerveux, il devait occuper ses doigts - tout comme Alice. J'avais l'habitude de le voir comme ça, mais jamais il ne l'avait fait à cause de moi.
"Putain Côme, pourquoi je te file à bouffer alors que tu agis comme une pourriture avec moi ?"
"Je ne sais pas."
"Si tu crois que ça répond à ma question. Qu'est-ce qu'il t'arrive pour que tu sois dans un état pareil ?"
"Diane ne veut plus me parler."
"Encore elle ?"
J'ai levé les yeux. Thomas a passé ses mains sur son visage, et a attrapé ses cheveux roux comme s'il voulait les arracher.
"Je ne sais pas ce qui me retient de te foutre un pain dans la gueule, sérieux."
"Je lui ai dit que ce n'était qu'un plan cul pour moi."
"T'es vraiment con."
"Je sais."
"Et le fait qu'elle soit ton « plan cul », ce n'est pas le cas, évidement."
"Évidement que non."
"T'es vraiment, vraiment con, Côme."
"Je sais."
Il m'a tendu une tasse de café puis a croisé ses bras. J'en ai bu les deux tiers, puis je me suis lancé :
"Je suis désolé pour ce que je t'ai dit, l'autre jour."
"Pas moi."
J'ai souri malgré moi. Thomas comme moi avions notre fierté, et l'un de nous allait devoir la mettre de côté pour que la situation redevienne normale. Et je savais pertinemment que c'était à moi d'abaisser mon bouclier.
"Je sais que je suis con, pas la peine de me le répéter. Mais tu l'es autant que moi, à preuve du contraire."
Et pour la première fois de la journée, je l'ai vu esquisser un sourire.
"Thomas, sérieusement."
"Sérieusement, tu me soules avec tes histoires de cœur et de cul."
"C'est pas pour autant que toi et moi on n'est plus pote, si ?"
"On choisit pas son frère, qu'est-ce que tu veux que je te dise."
Je lui ai souri, mais il n'a rien fait de similaire. Pendant un instant, j'ai cru qu'il allait me jeter dehors, à me regarder comme ça.
"Diane t'a bien dit qu'elle ne voulait plus te parler ?"
"Oui, mais..."
"Profites-en pour l'oublier. Ton histoire avec elle, et tu le sais, c'était une connerie."
"On croirait entendre Alice."
"Peut-être bien, mais il n'y a que comme ça que tu iras mieux, Côme."
J'ai hoché la tête, puis j'ai soupiré. De toute manière, même en la rappelant une dizaine de fois et en lui laissant une tonne de messages pour lui dire que j'étais désolé et que ce n'était qu'un malentendu, elle ne me répondrait pas et ne voudrait plus me voir.
"OK, je dois l'oublier, tu as raison."
"Je sais que ça va être difficile parce que tu l'aimes, mais tu y arriveras."
"Je ne suis pas amoureux de Diane, Thomas" ai-je dit en riant. "Je te l'ai dit des centaines de fois."
"Et je ne t'ai pas cru des centaines de fois. Tu peux la faire à Alice, mais pas à moi. Tu aimes Diane, ça c'est sûr. Alors peut-être que tu ne t'en es pas rendu compte, mais tu l'aimes, beaucoup plus que tu ne veux te laisser le croire."
"Thomas, je..."
"Je sais, tu aimes Sara. Mais tu aimes aussi Diane, voire plus que Sara."
"Arrête de dire des conneries."
Il a levé les mains en l'air, comme s'il se rendait.
"Très bien. Admettons que je dise des conneries. C'est toi le mieux placé pour savoir ce que tu ressens après tout, et tant mieux, tu auras moins de mal pour l'oublier."
J'ai fixé la tasse de café vide.
"Ça va être dur de l'oublier comme ça" ai-je soupiré alors que le visage de Diane me revenait en mémoire, comme si ça faisait déjà des semaines que je ne l'avais pas vue.
"T'inquiète, on se bourre la gueule ce soir, ça aidera."
"Ouais, et je vais dire quoi à Sara ? Je suis déjà parti sans prévenir tout à l'heure, elle dormait encore."
"Dis-lui que tu passes la soirée avec ton meilleur ami pour rattraper ton anniversaire. Ça suffira amplement, et en plus de ça, c'est la vérité."
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