12
17 avril
"Tu pourrais rester au lieu de partir comme un voleur."
Je me suis retourné vers Diane. Elle était adossée à l'encadrement de la porte de sa chambre, et je pouvais apercevoir son lit défait.
"J'ai déjà dû te supplier de rester dormir hier soir" a-t-elle continué. "Aujourd'hui tu n'as pas d'excuse, nous sommes dimanche et on ne fait rien, le dimanche."
J'ai esquissé un sourire et ai continué de lacer mes baskets. Je n'avais pas prévenu Sara et elle devait déjà être morte d'inquiétude.
"Je dois rentrer chez moi, Diane..."
"Pour faire quoi ? Tu ne vas pas bosser tout de même, demain tu ne travailles pas. C'est les vacances de Pâques."
J'ai redressé la tête vers elle. Même simplement vêtue d'un short et d'un t-shirt trop grand, les cheveux en bataille et les yeux encore à demi-clos, Diane restait magnifique à mes yeux.
"J'avais complètement oublié."
"La faute aux mojitos" a décrété Diane en riant.
J'ai roulé des yeux et terminé de m'habiller.
"Alors tu t'en vas vraiment ?" a fait Paula, avachie dans le canapé, un bol de céréales à la main.
"C'est bon, vous n'allez pas le retenir prisonnier ici, laissez-le tranquille" a lancé Olivier depuis la table de la cuisine, derrière son fidèle ordinateur.
Je leur ai souri. Depuis la fameuse soirée risotto et les quelques fois où j'avais ramené Diane chez elle après ses journées de travail - soit tous les vendredis soirs - ses colocataires avaient l'air de m'apprécier. J'avais juste vu quelques fois Noé, le dernier membre de la colocation, mais il passait le plus clair de son temps chez sa copine et ne venait qu'en rares occasions - dont la soirée risotto où je l'avais rencontré (comme quoi ce risotto était une véritable légende culinaire).
"Côme," m'a rappelé Diane, "sérieusement, regarde dehors ! Ce n'est pas un temps à rester au lit toute la journée ?"
"Si, bien sûr."
"Alors pourquoi pas au lit avec moi ?"
J'ai soupiré.
"Diane, tu sais très bien que j'aimerais beaucoup rester avec toi, mais je n'ai pas le choix."
"On a toujours le choix."
Cette phrase a flotté dans les airs pendant quelques instants. On a toujours le choix. Oui, peut-être après tout. J'avais le choix de rester là avec Diane autant que de rejoindre Sara. Personne ne pouvait m'empêcher ou m'obliger de voir ni l'une ni l'autre. C'était à moi et à moi seul de décider.
J'ai planté mon regard dans l'océan qu'était celui de Diane. Oui, c'était à moi de choisir. Et je la choisissais, elle.
"OK, c'est bon, je reste."
"Yes !" s'est exclamée Paula.
Elle a décampé du canapé et a rejoint Olivier dans la cuisine, qui a soupiré. Elle a tendu la main comme si elle lui demandait de l'argent, et mes soupçons se sont confirmés.
"Aboule le fric" a-t-elle dit en riant. "C'est comme ça qu'on dit chez vous."
Olivier a sorti un billet de dix euros d'un porte-monnaie dans sa poche de pantalon. J'ai froncé les sourcils, perplexe, alors que Diane a éclaté de rire.
"J'avais parié avec Olivier que tu resterais ici" m'a expliqué Paula, avant de fourrer le billet dans une poche de son pyjama.
Je n'ai pas eu le temps de répondre quoi que ce soit que Diane m'a entrainé avec elle dans sa chambre.
"Ils sont sérieux ?" lui ai-je demandé une fois assis sur son lit, alors qu'elle jouait avec un élastique à cheveux.
Elle a hoché la tête en souriant.
"Paula adore parier et défier Olivier. C'est sa manière à elle de le séduire, elle aimerait bien tenter un truc avec lui."
"Elle le drague en lui soustrayant de l'argent ?"
Diane a haussé les épaules, tout en envoyant l'élastique à travers la pièce.
"Les Belges, ils sont bizarres."
Elle s'est affalée dans son lit, me faisait rebondir sur le matelas.
"Attends deux secondes, Paula n'est pas lesbienne ?"
"Elle est bi, je crois. Quoi qu'il en soit, je les vois bien ensemble, tous les deux. Elle est un peu imprévisible comme moi, et Oli est quelqu'un de très calme et très rangé. Ça ne m'étonnerait même pas qu'il nous cache une deuxième vie avec femme, enfants, maison, chien et tout le tralala."
Elle s'est retournée vers moi, et m'a souri.
"Qu'est-ce qu'il y a ?" lui ai-je demandé.
"Je suis contente que tu sois resté. Je pensais qu'Oli allait gagner son pari."
Je lui ai souri en retour. Elle s'est redressée et a filé sous la couverture, puis m'a demandé de la rejoindre. J'ai donc enlevé mes chaussures, que j'avais enfilées quelques minutes plus tôt, et l'ai rejointe. Nous étions tous les deux face à face et sans un mot, nous nous observions tous les deux. Ses deux yeux bleus m'hypnotisaient toujours autant, cependant à force de la voir, j'avais eu le temps de remarquer deux petites fossettes se dessinaient au coin de ses lèvres lorsqu'elle souriait vraiment. Vraiment, car elle souriait tout le temps, en soi, mais ses vrais sourires, ses sourires sincères, pouvaient être identifiés grâce à ses deux minuscules fossettes.
À ce moment-là, elles étaient bien là, encadrant avec délicatesse ses lèvres rosées et son sourire radieux.
"Parle-moi de toi" ai-je chuchoté.
Elle a arqué un sourcil. Peut-être parce que j'avais murmuré, car moi non plus, je ne savais pas pourquoi je l'avais fait.
"De moi ?" a-t-elle soufflé dans un murmure.
J'ai hoché la tête. Non, ce n'était pas le fait de parler à voix basse qui l'étonnait ; c'était de parler d'elle. Elle a réfléchi quelques instants, puis s'est approchée de moi, nos têtes à quelques centimètres l'une de l'autre, pour rester dans la confidence.
"Eh bien, ça fait quelques mois que je suis en colocation seulement. Je suis arrivée en décembre, tu vois. Le feeling est tout de suite passée avec Paula, elle est vraiment super gentille. Avec Oli, ça a été compliqué. Nous sommes deux extrêmes lui et moi."
"Oui, j'avais remarqué."
Elle m'a souri, et a poursuivi.
"On a commencé à bien s'entendre seulement en février. Je n'avais toujours pas de vrai lit - je dormais sur un matelas posé par terre - et il m'avait parlé de son cousin qui en revendait un. Ça m'avait intéressée et je l'ai eu à un bon prix. Le truc, c'est que le lit avait du être démonté, et je ne suis pas une as dans le montage de meubles. On a passé une après-midi entière avec Oli à monter ce fichu lit, et on a bien rigolé. À partir de là, on a cessé d'être juste de simples colocataires et nous sommes devenus amis. Et ça me fait tellement plaisir d'avoir un ami comme lui."
"C'est-à-dire ?"
"Il est vraiment super, on ne dirait pas comme ça, mais c'était un vrai rebelle au lycée. Il a redoublé son année de terminale et c'est arrivé en fac de médecine qu'il a cessé d'être quelqu'un qu'il n'était pas. Il a été dans une école de gestion et maintenant, il est en master et il aime ce qu'il fait. Et je l'admire pour ça, c'est dur d'être soi-même dans cette société."
"Toi tu es toi-même."
Elle m'a regardé tristement et a secoué la tête.
"Non, bien sûr que non. Personne ne l'est tant qu'il n'a pas eu son déclic. Oli a eu le sien, j'attends toujours le mien. Cette fille qui sourit tout le temps, qui connait tout le monde, ce n'est qu'une façade, ce n'est pas la vraie moi."
"Alors qui est la vraie toi ?"
"Je ne sais pas encore. On ne se trouve pas comme ça. C'est ça, le déclic : trouver qui nous sommes vraiment."
"J'aimerais bien t'aider à te trouver."
"Mais tu m'aides déjà, Côme, c'est ça qui est cool."
Elle a plongé son regard dans le mien et a glissé doucement sa main sur ma joue.
"Avec toi, je suis à l'aise, je n'ai pas à me cacher. Bien sûr que la Diane de façade reste là, car elle fait partie de moi et c'est comme ça que je suis pour le moment. Mais je sens qu'avec toi, je suis bien, je peux être moi-même."
Je lui ai souri.
"Et en quoi c'est cool ?"
Elle a ri, puis s'est encore rapprochée de moi. J'ai passé ma main sur sa taille pour la serrer contre moi.
"J'en sais rien. Je t'avoue que cool, c'est le mot qui sort automatiquement quand je ne sais pas vraiment dire ce que je ressens."
"C'est cool alors."
"Cool" a-t-elle murmuré.
Nos lèvres se sont enfin rejointes. Et comme elle le disait, c'était cool. Cool parce que je n'avais qu'une seule envie, c'était de faire durer ce moment pour toujours. Cool parce que j'avais l'impression de connaître ses lèvres par cœur à force de les embrasser, de les caresser, de les effleurer. Cool parce que ses longs doigts s'agrippaient à ma nuque et les miens s'assuraient qu'elle ne s'éloigne pas trop de moi, pour faire durer cet instant, pour toujours.
"Diane ?"
Elle a poussé un soupir d'exaspération et s'est tournée vers Olivier, qui avait passé la tête entre les deux portes coulissantes.
"Oui ?" a-t-elle dit, agacée.
"Paula rejoint des amis ce midi et je vais manger chez mes parents, tu te débrouilles pour la nourriture ?"
"Oui, merci, je sais encore cuisiner des pâtes."
"Super" a-t-il dit avant de refermer les portes.
On allait recommencer à s'embrasser, mais on a entendu Olivier crier à travers tout l'appartement :
"Paula, rends-moi mes dix euros, ils n'étaient pas en train de niquer !"
"Tu mens !" a-t-on entendu Paula.
Diane a éclaté de rire.
"Je les adore mais ils peuvent être lourds, parfois" m'a-t-elle confié.
"Preuves à l'appui."
Elle a ri, puis a encerclé ma taille de ses bras et a posé sa tête sur mon torse. J'ai laissé une main se perdre dans ses cheveux et l'autre caresser son dos.
"J'aimerais que tous les dimanches soient comme celui-ci" a murmuré Diane.
•
J'ai inspiré longuement, et ai poussé la porte de l'appartement. Six appels manqués, quatre messages vocaux et une bonne dizaine de messages. Parfois je me demandais si Sara n'était pas seulement ma petite amie mais aussi un agent de police.
Je n'avais même pas préparé un mensonge digne de ce nom. Il était six heures du soir et je n'avais aucune excuse, d'autant plus que j'avais sa voiture pendant tout ce temps. En clair, j'étais cuit. Est-ce que ça en valait la peine ?
Mille fois oui. Et plus si on n'osait pas me croire. J'aurais donné tout ce que j'avais si j'avais pu rester encore une heure de plus avec Diane. Ça n'avait pas été que cool ; non, ça avait été parfait. Toute la journée, il n'y avait eu qu'elle et moi. Le reste du monde s'était évaporé lorsque nous avions entendu Paula claquer la porte de l'appartement pour rejoindre ses amis.
On avait passé la journée au lit. Pourtant, nous n'avions pas passé notre temps à faire l'amour, comme on aurait pu le croire : on avait parlé, on s'était embrassé, il me semblait qu'on avait dormi et on avait beaucoup ri.
Bon, nous avions fait l'amour, oui. Mais une fois, et ce n'était pas suite à une pulsion sexuelle ou autre ; ça n'avait été ni sauvage, ni brusque. Ça n'avait pas été que question de sexe, mais plus de sentiments. C'était arrivé doucement, on riait et je l'avais regardée rire. Puis je m'étais penché sur elle, on s'était embrassé, puis on avait fait l'amour, le vrai amour. Ça avait été doux, sensuel, ça avait duré longtemps mais ça n'avait pas été long. Jamais je ne l'avais autant regardée alors qu'on était en train de le faire. Jamais je n'avais pris autant de plaisir à l'embrasser et à la toucher.
Mais encore une fois, le problème, c'était Sara. Je n'avais pas pensé à elle de la journée, si ce n'était que lorsque je suis sorti de l'immeuble de Diane. Je n'avais pas envie de la perdre, elle et moi nous connaissions depuis longtemps, et je l'aimais. Beaucoup. Je n'étais pas prêt à la laisser partir. Mais si elle apprenait pour Diane et moi, c'était sûr qu'elle partirait, elle portait tellement d'importance à notre couple qu'elle en oubliait presque parfois que nous étions deux personnes à part entière.
C'était pour ça que, lorsque je l'ai vue allongée dans le canapé, tasse de thé à la main et l'air sereine, je n'ai pas forcément bien compris ce qu'il se passait. Elle aurait été furax de n'avoir pas eu de mes nouvelles depuis la veille. Mais rien. Pas un mot, si ce n'était que :
"Côme, tu rentres enfin" m'a-t-elle accueilli en souriant.
Elle s'est levée et m'a embrassé. Puis elle a caressé ma joue, ses yeux verts emplis de tendresse plongés dans les miens.
C'était comme un retour brusque au monde réel. Je l'aimais toujours. Je ne pouvais pas la laisser.
"Ça va ?" lui ai-je demandé.
"Oui, Thomas est venu tout m'expliquer. Je suis contente que tu rentres, comment va ton père ?"
"Mon..."
Je n'ai pas terminé ma phrase, car j'ai entendu la chasse d'eau s'activer. Thomas est sorti de la salle de bain en se frottant les mains sur son jean. Il a croisé mon regard, est resté immobile pendant quelques secondes, et m'a souri.
"J'ai expliqué à Sara que l'hôpital t'avait appelé d'urgence" a-t-il annoncé. "Et pour ton téléphone qui n'avait plus de batterie. N'empêche que la prochaine fois que tu dors chez moi, tu devrais prendre ton chargeur."
"Alors, ton père n'a rien ?" s'est inquiétée Sara.
J'ai longtemps fixé Thomas, qui m'a adressé un léger coup de tête en direction de Sara. Alors il m'avait couvert. Encore une fois.
"Non, tout va bien" ai-je réussi à souffler. "Tout va bien, plus de peur que de mal."
"Super" a dit Sara en souriant. "Thomas, tu restes manger ce soir ?"
"Non, je vais rentrer, merci Sara."
"D'accord. Reviens quand tu veux, ça m'a fait plaisir de te voir."
Ils se sont fait la bise. Sara est partie dans la cuisine pour me préparer une tasse de café. J'ai raccompagné Thomas à la porte, et quand j'ai été sûr que Sara ne pouvait plus nous entendre, j'ai poussé un soupir de soulagement.
"Merci Thomas, je ne sais pas comment..."
"Je t'arrête tout de suite Côme" m'a-t-il coupé, son sourire disparu. "J'ai été voir Sara seulement pour la rassurer, elle. C'est mon amie et je ne veux qu'elle souffre. Alors si je t'ai couvert, c'est seulement pour elle."
J'ai baissé la tête, honteux.
"Thomas, je sais que tu dis ça pour hier, je suis désolé."
"Non, Côme. Tu te trompes, si je dis ça, c'est parce que tu t'es mis dans la merde tout seul, mais tu nous as entraînés dedans, avec Alice. Et j'en ai marre de mentir pour te couvrir, tu ne te rends même pas compte que tout ce que tu dis touche aussi ton entourage et pas seulement ta petite personne."
J'ai pensé à Bastien. Lui aussi m'avait promis de ne rien dire à Sara, mais que je ne devais pas tarder à prendre une décision. Il mentait pour moi, comme Thomas et Alice. Et tout comme eux, ça pouvait lui retomber dessus.
"Et tu ne penses même pas à Sara" a conclu Thomas, avant de me tourner le dos et de se diriger vers la cage d'escalier.
J'ai secoué la tête, et me suis avancé dans le couloir à mon tour. Thomas était déjà en train de descendre les escaliers.
"Tu as tort !" ai-je crié pour qu'il s'arrête. "Je pense à elle, tout le temps !"
Il a soupiré et s'est tourné vers moi.
"Côme, ça suffit déjà de mentir à tes amis, alors ne te mens pas à toi-même, s'il te plait."
Il m'a regardé quelques secondes, puis est parti, me laissant seul sur le palier.
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