Chapitre 11 : la vie du château


Adeline, qui dormait dans une petite pièce possédant une porte donnant sur les appartements d'Ameline, fut réveillée par une servante du château à une heure plutôt matinale. Elle aurait préféré dormir encore un peu car le voyage en calèche l'avait fatiguée mais elle devait absolument respecter les règles que sa grande sœur lui avait répétées tout le long du trajet sur la vie des nobles et du château. En effet, bien qu'Adeline soit née d'un comte, elle n'avait jamais vraiment vécu dans le protocole pour la simple et bonne raison que la Fayente avait ses propres règles depuis que Placidia la dirigeait. La voyante la gouvernait selon ses idées et non celles du roi. Celui-ci l'avait laissé faire après l'avoir tout de même menacée de la faire exécuter si elle allait plus loin dans sa désobéissance. Mais de toute façon, Placidia avait fait en sorte que le roi ne puisse rien contre sa région donc elle se moquait éperdument des menaces. De plus, le comte et la comtesse de Fayente n'avaient jamais prêté trop d'attention au protocole vu qu'ils n'allaient jamais au château royal.

Mais, désormais, Adeline y était et devait jouer une demoiselle de compagnie connaissant toutes ces règles compliquées de protocole depuis ses premiers pas, ou presque. Alors elle se leva dès que la petite servante lui eut tapoté l'épaule et la regarda. Elle se souvint au bout de quelques secondes qu'une demoiselle de compagnie était plus haut placée qu'une servante : c'était donc à elle d'autoriser la jeune femme qui se trouvait devant elle à parler.

-Avez-vous quelque chose à me dire, mademoiselle ? demanda Adeline.

-Je vous souhaite déjà le bonjour, demoiselle Lola, fit la servante en inclinant légèrement la tête. Votre maitre m'a dit que vous vous nommiez ainsi et que vous étiez la demoiselle de compagnie de sa fille. Le matin, c'est moi qui réveille les domestiques et le reste de la suite des invités du roi. On ne m'a pas encore donné d'ordres pour lady Violette alors j'ai pensé que je pouvais peut-être vous le demander. J'espère simplement que ne pas avoir commis d'erreur en vous réveillant à cette heure...

-Ne vous en fait pas, nous avons les mêmes habitudes qu'à la cour, répondit Adeline en lui souriant gentiment et en s'empêchant d'éclater de rire : elle avait vraiment l'impression de jouer dans une scène de spectacle comique. Nous habitions peut-être dans le château reculé du comte, nous nous comportons tout de même de façon convenable comme toutes les personnes de bonne société.

-Oh ! Désolée si je vous ai offensée ! s'exclama la servante en s'affolant.

-Ne vous inquiétez pas ! s'empressa de dire Adeline. Vous ne m'avez nullement offensée ! C'est normal après tout de penser cela. Donc agissez avec nous comme pour les autres invités. Il n'y a rien de particulier, donc vous n'avez pas commis d'erreur en me réveillant à cette heure.

-Voilà qui me soulage. Dois-je vous laisser réveiller votre maitresse pendant que je prépare le bain ?

-Effectivement.

La servante inclina une fois de plus la tête et ouvrit la porte donnant sur la chambre d'Ameline. Elle s'y faufila discrètement et Adeline la suivit en se demandant comment elle faisait pour ne pas faire de bruit en marchant sur le plancher qui, pourtant, craquait au moindre pas. La servante disparut dans une autre pièce qu'Adeline devina être la salle de bains.

La jeune fille marcha vers le lit de sa sœur et la secoua gentiment.

-Lady Violette de Pélicia... chuchota-t-elle en rigolant tout bas. Le soleil a commencé son ascension dans le ciel et l'illumine déjà. Il brillera bientôt pour illuminer votre merveilleuse beauté. Il faut donc vous lever pour que je puisse vous aider à vous préparer...

-Pas besoin de me réveiller avec des rimes, grommela Ameline en se tournant vers sa sœur.

-J'avais de l'inspiration, railla sa sœur. Allez ! Debout comtesse ! Il y a une servante qui te prépare un bain dans la pièce d'à côté. Il ne faudrait pas qu'il refroidisse ! T'as de la chance d'avoir droit à tout ça.

-Je pensais que tu étais contente de ne pas faire la comtesse, dit Ameline en se levant.

Adeline lui balança sa robe de chambre et ses chaussons en rigolant. Sa sœur se les prit en plein figure et leva les yeux au ciel en tentant de cacher un sourire.

Elle enfila sa robe de chambre et ses chaussons et suivit sa sœur dans la salle de bains. C'était une petite pièce violette n'ayant qu'une fenêtre en hauteur. Il y avait une baignoire ainsi qu'une petite cheminée, un paravent, une armoire et un panier en osier. Des oiseaux en or étaient peints sur les murs et un porte-manteau en forme de pieuvre de marbre était accroché au mur à côté de la porte.

La servante avait attaché ses cheveux bruns en chignon et s'activait à réchauffer un chaudron d'eau dans la cheminée. Lorsqu'elle sentit les deux jeunes filles approcher, elle se tourna aussitôt vers elles et s'inclina devant Ameline.

-Quel est votre nom ? demanda Ameline.

-Odette, répondit la servante. Je suis à votre service pour toute la durée de votre séjour ici. N'hésitez pas à faire appel à moi si vous avez besoin de quelque chose.

Elle s'essuya les mains sur son tablier d'un geste nerveux et prit le chaudron pour aller renverser son contenu dans la baignoire.

-C'est prêt, mademoiselle...fit la servante en remettant le chaudron dans la cheminée. Avez-vous besoin d'aide ?

-Non merci, c'est aimable à vous, dit Ameline. Je vous avertirai si j'ai besoin de quelque chose.

-Bien... Si je puis me permettre, vous êtes bien plus aimable que les invités habituels du roi et je suis heureuse de pouvoir vous servir !

Elle s'inclina et sortit sans demander son reste.

-Je n'aimerai pas faire son travail, grimaça Adeline. Ce n'est pas très juste de mettre des personnes aussi gentilles qu'elle au service de crétins.

-Vlorgue traite tous ceux qui ne sont pas riches avec mépris, fit Ameline en haussant les épaules.

Elle se débarrassa de sa chemise de nuit et entra dans le bain.

-Si tu fermais la porte, commença Ameline, tu pourrais venir avec moi !

-Oh ouais ! fit Adeline.

Elle ferma la porte à clé et se précipita dans le bain qui était tellement grand que deux autres personnes auraient pu les rejoindre sans les gêner.

-Mais il ne faut aller dans un bain avec ses habits, idiote ! s'exclama Ameline.

-On s'en fiche ! fit sa sœur lui lançant de l'eau à la figure. Je la mettrais à sécher et puis c'est tout.

Elle éclata de rire et éclaboussa de nouveaux sa sœur, qui s'empressa de répondre à son défi. Elles commencèrent alors à se chamailler dans l'eau, à tenter de se couler, et à avoir le plus de place possible jusqu'au moment où Ameline rappela qu'elles étaient attendues pour manger.

-Rabat joie ! lança Adeline en soupirant. Pour une fois qu'on s'amusait ! La dernière fois qu'on a pris un bain, c'était il y a une éternité ! Les douches rapides ce n'est pas aussi amusant.

-T'en fait pas, je suis sûre que le repas vaudra la peine de laisser tomber le bain. On va bien profiter de cette vie de château vu qu'il n'y a rien d'autre à faire et que c'est le meilleur moyen pour trouver des informations utiles !

-Super ! s'exclama Adeline en sortant du bain. Mais c'est surtout toi qui va t'amuser vu que moi je suis qu'une demoiselle de compagnie.

Elle manqua glisser sur une flaque d'eau mais se rattrapa à temps. Elle sortit une serviette en atteignant le placard et la tendit à sa sœur avant d'en prendre une pour elle. Après avoir épongé les flaques d'eaux, elles sortirent de la salle de bains après avoir vérifié qu'il n'y avait personne dans la chambre et se précipitèrent sur l'armoire.

Ameline en sortit l'une de ses robes et laissa la place à sa sœur. Adeline prit celle qu'elle avait essayée en deuxième lors des essayages avec les couturières de sa tante : une robe grise avec une ceinture blanche. Ameline avait choisi une robe rouge avec des bordures noires pour faire bonne impression au roi vu qu'il avait l'air d'aimer ces deux couleurs.

-Tu es assorties à la salle du trône et à Vlorgue, en effet... fit Adeline en l'observant. Mais ça te va beaucoup mieux !

-Merci, dit sa sœur en se brossant.

Adeline s'empressa de l'imiter et l'aida ensuite à se tresser les cheveux. Les deux sœurs se chaussèrent ensuite et Ameline tira la petite ficelle accrochée au-dessus de son lit.

Odette, la servante, entra dans la chambre.

-Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-elle en s'inclinant.

-Nous ne savons pas où se trouve la salle à manger, dit Ameline.

-Oh ! Eh bien, veillez me suivre.

Elle les emmena à l'autre bout du palais et les fit entrer dans une salle qui ressemblait à celle du trône, sauf qu'il y avait une grande fenêtre et une longue table au centre.

-Ma chère fille ! s'exclama le comte Alphonse de Pélicia. Comment allez-vous ?

-Très bien, père, dit Ameline. Bonjour, Majesté, ajouta-t-elle en s'inclinant devant le roi.

-Bien le bonjour ! fit celui-ci en lui montrant une chaise à côté de Donan. Veillez-vous asseoir à côté de votre frère Camille.

-Où est-ce que ma demoiselle de compagnie peut manger ? demanda Ameline en s'asseyant.

-Elle peut aller dans la salle d'à côté où les professeurs, les écuyers et les suivantes mangent. Je vous assure qu'ils n'y a pas de vermine, de servantes ou de valets. Elle ne sera pas avec des gens sans le moindre rang vu que demoiselle de compagnie nécessite tout de même un rang convenable et jamais je n'autoriserai que des personnes de rangs soient placées parmi des miséreux.

Adeline se retint de lui dire le fond de sa pensé et se contenta de s'incliner avant de partir.

-Vous n'aviez pas besoin de m'expliquer tout cela, Majesté...fit Ameline. Je vous assure que ce n'est pas parce que j'ai été élevé au milieu de la campagne que je ne connais rien à l'étiquette et au protocole.

-Désolé si je vous ai vexé, je ne connais rien encore des histoires des enfants de mon ami...dit Vlorgue en tapotant le bras d'Alphonse qui paraissait très heureux.

Adeline entra dans la salle que le roi lui avait indiquée sans même la regarder et soupira de soulagement. Cette pièce était beaucoup plus lumineuse et chaleureuse : les murs étaient blancs, des fenêtres éclairaient la salle à travers des rideaux verts, de tables de bois étaient recouvertes de nourriture - certes moins luxueuse que pour les haut-nobles - et les gens qui y mangeaient riaient, contrairement à ceux assis à la table du roi.

A peine avait-elle fait deux pas que tout le monde se tourna vers elle et la regarda avec étonnement. Adeline prit une grande respiration et fit son plus grand sourire :

-Bonjour à tous, je m'appelle Ade... Lola ! se reprit-elle à temps. Je m'appelle Lola et je suis la demoiselle de compagnie de la fille, Violette, du comte Alphonse de Pélicia. Nous sommes arrivé seulement hier alors je ne connais pas beaucoup de monde ici.

-De qui es-tu la fille ? demanda une jeune fille aux cheveux roux avec un sourire aimable.

Elle portait une belle robe, ce qui fit penser à Adeline qu'elle aussi devait être demoiselle de compagnie.

-Je suis orpheline, répondit Adeline. J'ai été recueilli par la famille du comte.

Un groupe de jeunes garçons se détourna d'elle et recommença à manger. Des hommes qui se trouvaient à la table la plus éloignée mangeaient eux aussi en parlant du fils du duc de Pélicia qui ne voulait apparemment rien écouter de leur cours. Adeline se dit qu'ils devaient être des professeurs et que le duc de Pélicia était donc au château lui aussi avec sa famille. Des jeunes filles recommencèrent à leur tour à parler tandis que la rousse faisait signe à Adeline de s'asseoir près d'elle.

Adeline lui sourit et s'assit à sa table, où se trouvaient aussi une autre fille, blonde, et deux garçons ayant tous les deux des cheveux noirs. L'un était plus grand que l'autre et avaient des yeux gris tandis que le plus petit avaient des yeux verts. Ils semblaient tous les deux nerveux et jetaient des regards inquiets à la table des professeurs.

-Je m'appelle Gloria, dit la jeune fille. Et voici mes frères ! Le plus grand c'est Sage - je me demande toujours pourquoi ma mère l'a appelé comme ça d'ailleurs - et le plus petit c'est Fred, qui est mon frère jumeau.

-Je ne suis pas petit, marmonna Fred en continuant de regarder les professeurs. Je n'ai juste pas encore fait ma poussé de croissance. D'ailleurs, Sage vient de la commencer... Je la commencerais sans doute moi aussi à quatorze ans.

-Vous avez quel âge ? demanda Adeline.

-Douze ans, répondit Gloria. Et Sage quatorze ans. Et voici Vanille, ajouta-t-elle en montrant la jeune fille blonde, qui a treize ans. Nous sommes toutes les deux les demoiselles de compagnie de la fille du duc de Pélicia. Mes frères sont les écuyers du fils ainé, et les amis de jeu du plus petit.

Elle indiqua la table et Adeline jeta un coup d'œil en-dessous. Un petit garçon de l'âge d'Airy était en train de dessiner un champ de fleurs, sous la table.

-Il essaye d'échapper à la vigilance de ses professeurs, expliqua Vanille en chuchotant. Alors on l'aide...

-Ah... Vous venez aussi de Pélicia ?

-Nous, oui...comme toi ! fit Sage en la regardant avec un air moqueur qui fit froncer les sourcils à Adeline. Nous sommes les enfants du baron Louis de Pélicia.

-Moi, dit Vanille. Je suis la fille du Vicomte Paul de Romèc. Il m'a envoyée à l'âge de huit ans chez le duc de Pélicia car ma mère continuait et continue toujours de n'avoir que des filles et nous ne lui servons à rien, sauf à vider son garde-manger. Alors il nous envoie toutes au fur et à mesure chez des ducs, des comtes ou des marquis pour devenir demoiselles de compagnie de leurs filles.

-Tes parents continuent toujours à faire des enfants ? demanda Adeline avec étonnement.

-Oui... J'ai seize sœurs en tout, sans compter les huit qui sont mortes-nées... Je suis la neuvième. Mon père veut un héritier mais il n'y a pas de garçons qui sortent de ma mère. Ou...si ! Il y en a eu un ! Mais il est mort au bout de deux heures. Ca tout juste été assez pour que mon père se dise qu'il finira par réussir à avoir un fils un jour.

Adeline en resta bouché bée. Déjà que sa mère avait eu sept enfants, plus deux adoptées...jamais elle n'aurait imaginé qu'on puisse faire autant de grossesses. Elle se demanda d'ailleurs si sa mère aurait fait d'autres enfants si elle était toujours en vie...

-Tu dois avoir des sœurs dans toutes les régions...fit Adeline.

-Oui... affirma Vanille. Sauf en Fayente, bien évidement... Mon père déteste trop leur duchesse pour envoyer l'une de ses filles là-bas. On m'a d'ailleurs appris que la duchesse avait été la demoiselle de compagnie de la reine...pourtant elle était née comtesse !

-On peut servir n'importe qui de plus haut-placé que sois...dit Adeline. Même si les duchesses, comtesse et marquises préfèrent la plupart du temps ne pas se mettre au service de quelqu'un. Mais la duchesse de Fayente était surtout une amie pour la reine.

-Tu en sais des choses pour une fille qui a été élevée dans un trou pommé, ricana Sage.

Gloria lui donna un coup de pieds sous la table - après avoir vérifié que le fils du duc de Pélicia n'était pas dans la trajectoire - en lui lançant un regard d'avertissement. Son frère lui sourit avec un air innocent. Fred, lui, se contenta de regarder Sage avec désapprobation. Vanille n'avait pas remarqué ces échanges, contrairement à Adeline qui observaient les trois frères et sœurs avec suspicion. Sage agissait assez étrangement.

-Dépêchons-nous de manger ! fit Gloria. Nos maitres finissent leur repas dans une heure. Profitons-en pour aller nous promener dans le château ! On pourra te faire visiter aussi, Lola.

Adeline lui sourit, elle allait enfin pouvoir commencer le plan qu'elle avait monté avec sa sœur...

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