Chapitre 8: le réapprovisionnement
Le lendemain, quand les enfants se réveillèrent, Placidia était toujours debout.
-Tu n'as pas dormi ? demanda Luna.
-Non, répondit Placidia en refermant son livre. Je n'avais pas sommeil. Par contre, vous, vous avez dormi un bon bout de temps : il est déjà midi. Mais c'est que vous en aviez besoin, alors je vous ai laissé en profiter.
De l'agitation à la droite de la voyante attira leur attention :
-Quelqu'un a vu le sac de nourriture ? s'alarmait Adeline en tournant en rond là où il était censé se trouver. Il a disparu !
-Comment ça ? fit sa tante en se tournant vers elle.
-Je ne le trouve plus, je te dis ! Il aurait dû être là !
Placidia se leva et rejoignit Adeline, septique.
-Tu es sûre d'avoir bien cher...
Mais elle s'arrêta en arrivant à sa hauteur : il n'y avait plus rien au milieu des fougères.
-Mais... commença-t-elle, bouche bée. Personne ne s'est approché du camp, cette nuit ! J'ai veillé du début à la fin.
-On nous a pourtant volé, dit Diana en s'approchant, de mauvaise humeur.
-Pourquoi seulement la nourriture ? demanda Max. Ils auraient pu prendre nos armes et les chevaux avec. On va pas s'en plaindre, mais avouez que c'est étrange !
Personne ne répondit. Diana se concentra et sonda les environs, mais il n'y avait personne...
-Peut-être qu'ils voulaient juste nous obliger à nous réapprovisionner dans un village, pour mieux nous tomber dessus, non ? proposa Luna. Cette cachette était assez éloignée pour être vidée sans qu'on ne les remarque, pour peu qu'ils ne tentent pas de s'approcher davantage de nous. Il est plus facile de faire une embuscade et de voler les gens dans des rues étroites qu'en pleine nature !
-Oui, en effet, dit Placidia d'un air pensif. C'est sûrement cela... Il y a justement un village dans les environs. Seulement un, aucun autre aux alentours. C'est sans doute là qu'on nous attend !
-Alors il ne faut pas y aller ! affirma Donan.
Dacien l'approuva énergiquement.
-Mais nous sommes obligés d'y aller, expliqua sa tante. Nous avons besoin de trouver de quoi nous réapprovisionner.
-Il faudra rester sur nos gardes, alors, dit Diana. Et toujours être à plusieurs, et armés !
Placidia sourit pour toute réponse, puis partit ranger son livre : il l'avait trop absorbée, à présent elle ne le lirait plus avec autant de concentration !
Une heure plus tard, ils étaient en selle, en direction du village. Les plus petits chantaient pour passer le temps. Cela dura des heures, jusqu'à ce que l'après-midi laisse la place au soir. Le village fut alors en vue, et les petits s'égosillèrent, la voix sèche :
-Le village ! cria Airy. Je le vois !
-Comme tout le monde Airy ! répliqua Alix. Arrête de crier, tu fais peur à mon cheval !
Le petit garçon croisa ses bras et se mit à bouder.
-Les enfants, dit Placidia, à partir de maintenant restez sur vos gardes. De plus, vous devriez arrêtez de faire autant de bruit. Tentons donc de rester discrets et de nous fondre dans la masse.
Diana et Luna se lancèrent un regard en coin : leur groupe pouvait tout faire, sauf rester discret et ne pas se faire remarquer ! Voir un tel groupe d'adolescents et d'enfants, mené par une femme, voyager en se bousculant, rigolant et plaisantant, ce n'était absolument pas ordinaire.
Ils entrèrent donc dans le village. Un petit village joyeux et accueillant. Les quelques personnes qui marchaient dans les rues souriaient et souhaitaient la bienvenue aux nouveaux arrivants, mais restaient distants, pressés par leurs affaires.
-Excusez-moi monsieur, sauriez-vous où nous pouvons trouver une auberge ? demanda la voyante à un passant.
-Mais bien sûr, madame. Allez sur la place de la mairie et suivez le ruisseau. Vous trouverez l'auberge au niveau du petit pont.
-Merci, dit la voyante alors qu'il repartait déjà.
Ils suivirent la route que leur avait indiquée le passant et arrivèrent devant une petite auberge. Apres avoir laissé les chevaux dans la petite écurie mise à la disposition des voyageurs, ils entrèrent, grimaçant aussitôt devant le vacarme provoqué par le grand nombre de clients.
Certaines personnes étaient accoudées au bar et buvaient, d'autres dansaient au centre de la salle sur l'air de la musique d'un clavecin et de la voix d'une chanteuse, et les autres étaient assis aux tables et mangeaient en parlant fortement.
-Hum, bonjour, fit Placidia à l'aubergiste en s'approchant bar. Pourrait-on loger ici ?
L'homme les détailla du regard, semblant dérangé par quelque chose. Peut-être sentait-il le sortilège qui enveloppait la voyante, empêchant quiconque de reconnaître en elle la duchesse de Fayente.
Il haussa finalement les épaules et fouilla dans un tiroir :
-Il me reste deux chambres, vous devrez faire avec, lâcha-t-il d'une voix morne.
-Ce sera parfait, assura Placidia.
Après que la duchesse eut payé, l'aubergiste leur donna les clés de leurs chambres. Ils mangèrent, et quand ils eurent fini, montèrent à l'étage pour échapper à la foule.
-Très bien, les garçons vous prenez la plus petite, et nous nous prenons la grande, dit Placidia en ouvrant les deux portes.
-Et reste en contact avec les chevaux et les oiseaux... chuchota Luna à Diana. Comme ça, si quelqu'un les attaque, on ira les secourir.
-Oui, cela ne fera pas de mal, approuva leur tante.
*
Le lendemain matin, Diana fut la première à se réveiller. Sans doute était-ce dû au fait qu'elle n'avait pas réellement réussi à s'endormir, son esprit étant assailli par les rêves des animaux avec qui elle était resté en contact. Chasser un souris et l'engloutir, ou se rouler dans l'herbe pour se gratter le dos, ce n'était pas des songes qui aidaient à dormir.
-Debout, dit-elle aux autres quand elle jugea l'heure résonnable. Plus vite nous aurons quitté cette ville, moins on risquera de se faire attaquer ! ajouta-t-elle.
-Vraiment ? fit Ameline en ouvrant difficilement les yeux. On ne peut pas dormir encore un peu ?
-Diana a raison, répliqua Placidia en se levant. Mieux vaut se dépêcher.
Une fois que filles et garçons furent levés et habillés, ils prirent un rapide petit déjeuner et allèrent se réapprovisionner.
-Les triplés et les jumelles vous allez acheter de la viande sèche et de l'eau. Les autres, vous venez avec moi. Nous allons nous occuper du reste, dit la voyante en sortant de l'auberge.
Personna ne fit d'oppositions, et chaque groupe partit de son côté.
-Vous croyez qu'on va se faire attaquer ? demanda Dacien au bout d'un moment.
Ils longeaient une ruelle d'habitations en mauvais état, vide de tous passants, à la recherche d'une boucherie.
-Je ne sais pas... fit Luna, que le silence mettait mal à l'aise. Peut-être...
-Sûrement ! affirma Diana.
Sur ces mots, elle se retourna et brandit son arc vers un toit. Elle tira, la flèche fila, et un homme tomba par terre avec un bruit sourd.
Diana se précipita sur l'homme et cria aux autres :
-Il y en a encore deux derrière vous !
Donan se retourna et poussa brusquement Ameline pour ne pas qu'elle se retrouve sans tête. L'épée passa deux centimètres au-dessus de ses cheveux et Donan attaqua celui qui tenait cette épée. Luna et Dacien se précipitèrent sur l'autre et réussirent à le désarmer, tandis qu'Ameline cherchait du regard d'autres potentiels attaquants.
-Attache-le avec cette corde, ordonna Luna à son frère.
Quand leur homme fut bien ligoté, Donan les rejoignit. Il avait laissé son adversaire étendu dans la boue.
-Il est mort, répondit-il à la question muette de Luna. Pas très résistant... Je lui ai juste coupé un bras pour le désarmer et il s'est affalé par terre. Il s'est vidé de son sang à une vitesse impressionnante.
-C'est barbare, conclut Ameline en grimaçant.
-C'est la guerre, rétorqua Donan. Du moins, ça le sera bientôt, d'après ce que j'ai compris.
Ils rejoignirent ensuite Diana qui avait ligoté l'homme qu'elle avait fait tomber.
-Il n'est pas mort lui ?
-Si, mais je l'ai ligoté quand même. Tomber du toit lui promettait une mort lente et douloureuse, et je ne voulais pas qu'il me frappe dans un dernier sursaut alors qu'il mourait peu à peu...
-Ah... En tout cas, nous, on a réussi à conserver celui-ci, fit Dacien en montrant l'homme.
-Super !
Diana s'approcha de lui et mit un poignard contre sa gorge d'un geste sec et ferme. Luna lui jeta un regard d'avertissement : elle ne cachait pas sa désapprobation devant la brutalité de sa sœur. Mais Diana ne sembla pas le remarquer :
-Pourquoi nous avoir attaqués ? demanda-t-elle.
L'homme ne répondit pas.
-Evidemment... soupira la jeune fille avant de continuer sur un ton plus menaçant. Tu me réponds, ou on va voir si tu parles mieux avec la tête décrochée du corps !
Elle eut une mimique qui sembla effrayer davantage l'homme que ses paroles :
-C'est, c'est... c'est le... c'est le rrr... roi. C'est le roi Vlorgue ! dit le prisonnier d'une voix apeurée. Il nous...nous ... nous a dit de vous tu... tuer ou sinon il s'a...s'attaquerait à nos fa...familles...
Diana desserra sa prise et regarda ses frères et sœurs.
-Comment t'appelles-tu ? reprit-elle.
-Grégory, mademoiselle, je m'appelle Grégory. Je ne suis qu'un pauvre cultivateur, ne me faites pas de mal, je vous en prie... J'ai quatre enfants en bas âge, ils ont besoin de moi.
"Vlorgue a bien choisi, c'est quelqu'un que n'importe qui d'autre que lui aurait du mal à tuer", pensa Diana en soupirant.
-Sais-tu qui nous sommes ?
-Non... dit-il en tremblant.
La jeune fille vérifia dans ses pensées si ce qu'il avait dit était vrai, puis lui enleva ses liens.
-Et bien pars ! Ne repasse jamais sur notre route en aillant de mauvaises intentions ou sinon tu mourras ! Et je te déconseille de retourner voir le roi, ou tu periras de sa main.
Elle le libéra complètement et l'homme partit en courant, la tête dans les épaules, semblant ne pas encore croire en sa chance.
-Tu allais vraiment le tuer s'il ne répondait pas ? lâcha Luna une fois l'homme hors de vue.
-Non, j'aurai lu dans ses pensées, rebondit Diana. Et de toute façon je l'ai quand même fait pour vérifier... Bref ! Maintenant on finit nos courses et on rentre à l'auberge.
*
-Alors ? demanda Diana à sa tante quand ils arrivèrent à l'auberge.
-Nous avons été attaqués par deux hommes, dit la voyante en posant ses courses. Heureusement que Adeline les avait vus arriver. On les a vite abattus. Et vous ?
-On s'est fait attaquer par trois hommes, répondit Ameline. On en a tué deux et on a ligoté le troisième. Diana l'a fait parler. Il devait nous tuer par ordre du roi, sinon sa famille allait mourir. Comme il ne nous connaissait pas et qu'il était en quelque sorte innocent, on l'a laissé partir.
-Oh là là... marmonna Placidia. Il me reste encore à vous apprendre comment vous comporter avec ces gens...
Elle regarda autour d'elle puis chuchota.
-Je vous le dis maintenant car vous vous retrouverez bientôt dans la même situation. Vous n'auriez pas dû le laisser partir ! Il va retourner vers sa famille, et le roi le retrouvera et va apprendre son échec ! Vlorgue va le faire parler, puis le tuer. Il saura ce qu'il s'est passé. Vous auriez dû le tuer, il était condamné de toute façon ! Ou alors, il fallait faire en sorte qu'il ne puisse retourner chez lui.
-Donc il faut tuer les innocents qui nous mettent en danger, comme les véritables soldats du roi ? demanda Diana.
-Les soldats sont souvent des innocents mêlés par hasard à tout ça, dit Placidia. Donc la réponse est oui, il faut éliminer tout danger en temps de révolte si nous voulons sauver le reste du royaume.
Luna, qui incarnait la vie, fut la plus choquée par les paroles de la voyante. Tuer ne faisait pas partie de leurs habitudes. Ils avaient récemment dû tuer pour se défendre, mais la réalité les rattrapait peu à peu, et ce n'était pas pour leur plaire.
Seule Diana, en tant qu'incarnation de la guerre, arrivait à voir la situation sous un différend angle. Une flamme au fond d'elle la tenait en alerte, prête à se battre, lui donnant conscience de tous les enjeux et de leurs responsabilités.
-A la guerre comme à la guerre, en somme, dit la jeune fille. Toutes les bonnes causes ont leur lot de pertes, innocentes ou coupables... C'est ça ?
-Oui, Diana, c'est ça.
La voyante avait l'air fatigué, et ils purent entrapercevoir pour la première fois une lueur dans son regard qui laissait entendre la longue vie épuisante et usante qu'elle avait déjà menée avant cette aventure.
-Je propose de ne pas rester plus longtemps, fit alors Ameline en se levant. Nous sommes peut-être au chaud dans cette auberge, et installés confortablement, mais nous devons nous dépêcher ! La reine nous attend, comme tu nous l'as dit. Et en plus, il reste sans doute encore quelques personnes qui veulent nous tuer. Alors même si c'est bizarre, je préfère retourner dans la forêt, dormir dans l'herbe et repartir sur la route que de rester une minute de plus dans ce village.
-Tu as raison Ameline, dit Placidia en se levant à son tour. Nous partons tout de suite !
Les chaises raclèrent le sol et chacun alla chercher ses affaires. Quelques minutes plus tard, ils étaient en selle et sortaient du village.
-As-tu remarqué que certaines personnes nous regardaient bizarrement à l'auberge ? demanda Luna à sa sœur jumelle.
-Moi aussi je les ai remarqués ! dit Max.
-Euh... non. Pas spécialement... répondit Diana. Ils étaient tous bizarres, et bourrés.
-Mais il y avait un groupe d'hommes au fond de la salle qui nous regardait, insista Luna. Tu n'as pas vu ?
-Apparemment non.
Luna regarda devant elle et soupira.
-Je pense qu'on va les revoir... reprit-elle. J'ai comme un mauvais pressentiment...
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