Chapitre 35 : L'aube de la guerre


Placidia et Isaac avaient le nez plongé dans plusieurs livres à la fois. D'énormes volumes étaient répandus par terre et la table était recouverte de livres, elle aussi. La voyante et son élève parcouraient les pages à toute allure et tournaient les pages une à une sans se déconcentrer.

Au bout d'une heure, Isaac s'arrêta et lut à voix haute un passage :

Les diables sont des êtres obscurs et censés être immortels. Personne ne sait d'où ils viennent et comment ils sont apparus. De toute l'histoire, une seule personne a réussi à en tuer un : Kati Ragniaski. Kati était une voyante aux pouvoirs extraordinaires et immensément puissants. » Bla, bla, bla... « ...après s'être juré de tuer ce diable, Kati est retourné le voir et a réussi à l'exterminer. Quand des villageois lui ont demandé comment elle avait fait, Kati a répondu qu'elle ne pouvait pas pénétrer dans l'esprit du diable et le dissoudre alors elle s'était faite aider par quelqu'un, sans vouloir dire qui. Cependant, des villageois avait vu un être lumineux entrer dans la grotte du diable après Kati... » Placidia ! C'est ça !

-De quoi ? fit la voyante en relevant la tête.

-L'être lumineux ! s'écria Isaac surexcité. C'est un ange ! J'ai lu le livre de voyance de mon aïeule que vous m'avez donné. Elle y a écrit que les anges et les démons pouvaient avoir des missions et que certaines d'entre elles pouvaient concerner les vivants ! Ils pouvaient donc descendre sur terre et accomplir leur mission ! Les êtres vivants ne peuvent les voir parfaitement mais aperçoivent tout de même leur silhouette : lumineuses pour les anges et sombres pour les démons. La solution est évidente avec cette information : pour tuer un diable il nous faut l'aide d'un ange si on ne veut pas en mourir ! L'être le plus abjecte contre l'être le plus pur ! Et avec Diana et son pouvoir en plus on peut dire adieu à ce diable dès qu'on le croisera !

Placidia n'avait pas l'air aussi convaincue que son élève. Elle poussa une grosse pile de livre d'une chaise et s'y affala alors que les énormes volumes soulevaient de la poussière en s'écrasant par terre.

-Tu oublie un détail... Les anges vivent dans le monde des morts...

-Mais voyons... fit Isaac en s'approchant de la voyante. Nous avons une messagère parfaite pour régler ce détail !

Placidia le regarda en fronçant les sourcils.

-Vous ne voyez pas de quoi je veux parler ? demanda Isaac avec inquiétude. Vous êtes sûre que vous allez bien ?

-Je ne sais pas... Je me sens lasse de toute cette histoire. Je ne suis plus toute jeune même si j'ai l'apparence d'une femme n'ayant pas dépassé la quarantaine... Pourtant, je sais que ce n'est pas cela qui me fatigue. Une voyante peut vivre longtemps... très longtemps... Regarde donc Jeannette la belette, l'arrière-grand-mère de ton grand-père, elle a vécu plusieurs centenaires... C'est autre chose qui me fatigue. Sans doute cette querelle incessante avec Vlorgue, ces combats, et la magie de mes boucliers protecteurs autour de la région qui puise dans mon énergie... vivement que tout cela se termine, je n'arrive plus à me concentrer.

La voyante soupira et regarda son élève avec un sourire triste.

-Toi qui es en pleine forme, explique-moi donc ce que tu as trouvé.

-Nous pouvons très facilement entrer en contact avec un ange. Nous avons la messagère parfaite : Hermine. Un fantôme peut passer du monde des vivants au monde des morts et vice versa. Elle pourra demander à sa mère, ou à la mienne, ou à ma tante de nous aider. Je suis sûre qu'une des trois obtiendra le droit de débarrasser le monde des vivants d'un diable.

-Tu as raison... Totalement raison... Je suis décidément bien fatiguée pour ne pas y avoir pensé. Et toi tu es un très bon élève.

-Vous voulez que j'aille chercher un médecin ?

-Les médecins ne sauront pas me guérir de ma fatigue, à moins qu'ils puissent régler nos problèmes d'un claquement de doigts.

-Voulez-vous alors que je demande à Luna de venir vous donner des forces ?

-Tu es gentil mon petit Isaac, mais je ne vais pas aussi mal que tu le penses. Je ne veux pas épuiser Luna pour si peu. Je vais prendre quelques-unes de mes potions et je serais en pleine forme demain matin. Quant à toi, tu vas aussi aller dormir après avoir vérifié que le reste du manoir est aussi retourné se coucher ! Demain tu pars avec Diana, Adeline, Max, Luna, Donan, Dacien et un elfe pour délivrer ta cousine. Vous devez être en forme et nous avons assez veillé comme ça !

Placidia souffla sur sa bougie et Isaac prit la sienne avec lui.

-Bonne fin de nuit ! lança la voyante en entrant dans sa tour personnelle alors qu'Isaac continuait son chemin.

Elle entendit qu'il lui répondait mais elle avait déjà fermé la porte. Elle gravit les marches de sa tour et, arrivée dans sa chambre, se dirigea tout de suite vers son lit où elle se laissa tomber.

Placidia tourna la tête vers la cheminée où était accroché le portrait du couple royal officiel. Le tableau avait été peint juste après le mariage royal. Placidia aimait beaucoup le peintre du château car il peignait la réalité, et non ce que le roi voulait voir.

Sur ce tableau on voyait dès le premier coup d'œil que la reine Lora détestait son mari et que celui-ci était mauvais. En regardant de plus près, on pouvait voir que la reine ne s'accrochait pas au bras du roi comme le faisaient les autres reines. Non, Lora se tenait droite, le corps le plus loin possible de Vlorgue en tenant son bras d'une manière à ce qu'ils aient le moins de contacts possible entre eux. Son regard était rivé vers le peintre et on voyait qu'elle se considérait comme étant l'égale du roi et qu'elle ne lui appartenait en aucun cas. Sa pensée était évidente : elle était la reine d'Algada et était juste mariée à un roi qui croyait pouvoir lui prendre son royaume.

Quant au roi, son sourire était affreux et ses yeux étaient remplis de la suffisance qu'il ressentait. On voyait tout de suite qu'il se considérait comme le plus fort, élu de la couronne.

-Mais tu n'es qu'un minable, Vlorgue, qui n'était même pas censé monter sur le trône... souffla Placidia. Et nous t'écraserons !

*

Alors que Placidia s'endormait les rêves rempli de meurtre du roi, celui-ci regardait la capitale du haut de son balcon. Le roi s'était réveillé en plein milieu de la nuit pour une raison qui l'avait effrayé en l'apprenant : l'incarnation de la guerre avait réussi à entrer dans son esprit alors qu'elle était en Fayente et lui à Romèc. C'était prodigieux mais pas vraiment bon pour lui. Cependant, il se félicitait d'avoir créé un pacte avec un diable. Celui-ci l'avait protégé et avait failli réussir à tuer cette petite insolente.

Mais quand le diable lui avait dit qu'il avait été repoussé de l'esprit de la jeune fille - car c'était une fille en plus ! - au bout de plusieurs minutes, Vlorgue avait tout d'abord cru ne pas avoir bien entendu... Mais le diable avait répété et le roi n'en avait pas cru ses oreilles : cette fille avait réussi avec l'aide de ses amis à repousser le diable qui essayait de la tuer. Il avait sous-estimé ses ennemis !

Bien sûr, Vlorgue ne connaissait pas l'intégralité de la prophétie des éléments qu'avait faite Placidia, mais il connaissait déjà le principal : trois êtres aux pouvoirs des éléments étaient nés pour le détruire. Sans oublié qu'ils étaient l'incarnation des trois grandes divinités ! Dès qu'il avait eu vent des rumeurs concernant cette prophétie, le roi avait senti que tout cela n'était pas bon pour lui. Il avait fait tuer les pères des trois enfants mais les mères avaient réussi à s'échapper. Les trois enfants avaient disparu et le pire de tout : la reine faisait partis de cette trahison et il ne pouvait même pas la tuer pour la punir sans prendre le risque de mourir avec elle. De plus, cette maudite duchesse de Fayente avait bien entendue prit toutes les choses en main et avait elle-même caché les enfants en lieu sûr.

Ne pas pouvoir atteindre ses ennemis mettait toujours en rage le roi. Surtout quand il s'agissait de cette maudite voyante, son ennemie la plus méprisée et haïe. Toujours à lui mettre les bâtons dans les roues, à lui gâcher la vie... Sa simple pensée lui donnait envie de tout casser autour de lui.

Cette nuit, tous ces souvenirs tournaient dans la tête de Vlorgue. Il poussa un juron en se tournant vers son bureau où une montagne de lettres, qui attendaient d'être ouvertes, se dressait.

Le regard du roi fut attiré par la lettre que lui avait envoyée sa femme quelques jours plus tôt. En apprenant son évasion, le roi avait cru exploser de colère. Il n'avait pas été aussi furieux depuis le jour où les enfants de la prophétie lui avaient échappé. Pour se calmer, il avait fait exécuter tous ses prisonniers et fait brûler leur maison.

L'idée que la reine Lora soit à présent avec Placidia le rendait fou. C'était d'ailleurs sans aucun doute cette voyante qui voulait lui faire passer un message par la lettre de Lora. C'est pour cela qu'il ne l'avait pas encore ouvert et qu'il ne le ferait sans doute jamais. Il n'avait pas le temps de s'occuper des plaintes d'une petite duchesse traitre et impertinente dont il souhaitait oublier l'existence.

Des bruits de courses se firent entendre dans le couloir. On frappa à la porte et le roi grogna en autorisant l'ouverture de sa chambre.

Un grand homme en armure entra, une lettre à la main. Ses longs cheveux roux étaient tressés et retombaient sur ses épaules. Il portait une moustache de belle taille et ses yeux verts scintillaient d'une lueur inquiète.

-Majesté ! dit l'homme en s'inclinant. Je viens interrompre votre royale paix nocturne pour une affaire de la plus haute importance !

-Quoi donc, général ?

-Le duc de Pélicia vient de nous envoyer une lettre disant qu'il se ralliait à nous pour la guerre que la reine vous a déclarée !

-La guerre ? Quelle guerre ?

-Je n'en sais rien, Majesté. Le duc dit que la reine vous a envoyé une déclaration de guerre et a envoyé aux ducs des différentes régions d'Imline une demande de ralliement.

Vlorgue se tourna vers le bureau et empoigna la lettre de la reine. Il l'ouvrit d'un geste sec, en sortit la feuille et lut. Ses yeux parcoururent les lignes à toute vitesse alors que le général essuyait nerveusement son front remplie de sueur.

-Elle va me le payer ! cria le roi en jetant la lettre dans la cheminée.

Il commença à faire les cent pas sur son tapis en réfléchissant à voix haute.

-Ma propre femme me déclare la guerre et ose me dire qu'elle gagnera ! Je savais que j'aurai dû tenir la duchesse de Fayente loin de la reine ! C'est cette misérable voyante qui l'a poussée à se révolter contre moi au lieu de rester sagement dans son coin ! Je me fais la promesse de la tuer de mes propres mains... Placidia a embobiné trop de monde...surtout les personnes sur lesquelles je pensais pouvoir compter. D'abord Rodrigue, puis la reine qui en a fait sa dame de compagnie, ensuite Marik qui n'a pas hésité à me trahir lors de cette maudite journée qu'est celle de la naissance de ces enfants démoniaques... Oui ! Je tuerai cette voyante !

Le roi s'immobilisa soudainement et regarda le général.

-Donnez l'ordre à toutes les régions d'Imline de se rallier à MOI ! Que tous les hommes de seize à cinquante ans prennent les armes et viennent grossirent les rangs de mes armées ! Nous allons écraser cette petite région insignifiante qu'est la Fayente. Nous aurions dû le faire depuis longtemps pour la simple et bonne raison qu'elle est dirigée par une traitresse qui ne fait pas respecter les lois. Vous avez compris, général ! Tout de suite !

-Bien, Majesté ! Tout de suite, Majesté !

Le général s'inclina et sortit en courant. Le roi se tourna vers son balcon et y alla en se maudissant d'avoir laissé de l'avance à ses ennemis en n'ouvrant la lettre que ce soir. Mais aucune région n'oserait lui résister et la Fayente se retrouverait seule contre la puissance d'Imline.

Vlorgue regarda un point au loin. Tout là-bas se trouvait la Fayente. Placidia avait beau protéger sa région et son manoir d'une protection invisible, il irait en personne pour la détruire avec l'aide du diable. Il ferait ensuite entrer son armée et la région rebelle serait mise à feu. Il regagnerait enfin son palais en triomphe avec Placidia, les enfants magiques et la reine en prisonniers. Il les tuerait un par un devant une foule admirative. Tous, sauf la reine qui rejoindrait alors les cachots les plus sombres pour le reste de sa vie.

Vlorgue avait ainsi planifié la guerre du début à la fin...

Mais est-ce que tout allait se passer comme prévu ? Telle est la question que nous pouvons nous poser.

La nuit froide laissait peu à peu place à l'aube...

A une aube sombre et obscure...

A l'aube de la guerre...

Fin du tome 1

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