Un bras de fer pour une réponse

 Trois jours après, le soleil baignait de sa lumière la chambre de Naru. Elle se réveilla d'un long sommeil, sans rêve ni cauchemars, mais le cœur meurtri par cette terrible découverte. Lentement, elle se leva et palpa son corps à la recherche des blessures, mais n'en vit aucune d'apparente, hormis ses membres endoloris.

Elle plongea sa tête dans ses mains, fermant les yeux en revoyant une fois de plus son regard de haine.

— Comment était-ce possible ? se marmonna-t-elle, la voix éraillée.

Naru ne comprenait pas pourquoi l'homme qu'elle chérissait tant depuis leur première rencontre, dont elle faisait le deuil depuis sa perte, pouvait se tenir devant elle à cet instant. Son regard lui avait glacé le sang. Son rire l'avait fait frémir d'angoisse. Son toucher lui avait électrisé le corps et ses coups l'ont anéantie.

Le dos courbé et les épaules avachies, elle se dirigea en traînant des pieds jusqu'à la salle d'eau. Malgré un temps de repos mérité pour ses efforts, ses yeux bouffis par la tristesse se reflétaient dans le miroir. Elle se déshabilla et se glissa sous la douche. L'eau chaude coulant sur elle ne la réchauffait pas, bien au contraire. Naru frissonna, les mains posées contre la paroi, fixant le sol en pierre. Ses longs cheveux ruisselaient en même temps que ses larmes, tandis qu'un hurlement de rage se répercutait dans la pièce.

Avant de partir pour sa mission, Akito était resté dans la pièce principale, attendant le réveil de la jeune femme. Il était posé dos au mur à l'extérieur de sa chambre et sentit les tourments accaparer Naru. Son regard se tourna vers la baie vitrée, se sentant désolé pour l'héroïne. Il sursauta quand il entendit son hurlement se répandre dans l'appartement et baissa la tête d'amertume avant de disparaître.

Naru était à présent dans un train la menant à la préfecture de Toyama. Elle avait la tête posée contre la vitre, regardant le paysage défiler sous ses yeux d'un air absent. À la sortie de sa chambre, elle n'avait pas remarqué la présence des sages et elle a eu beau les appeler, qu'aucun n'est apparu devant elle. Naru avait grandement besoin d'explication.

La jeune femme n'a pas perdu de temps en attrapant ses affaires, quittant les lieux jusqu'à la gare pour se rendre là où elle aurait les révélations tant souhaitées. Son portable se mit à vibrer sur la tablette devant elle. Naru porta son regard dessus et vit qu'Akira désirait la joindre. Elle appuya sur le bouton raccroché, soupirant en portant ses yeux sur la verdure extérieure.

Elle avait remarqué que Suzy et Akira avaient tenté de la joindre à plusieurs reprises, laissant des messages d'inquiétude à son égard face à son long silence. Loin d'elle de vouloir les inquiéter, mais elle n'avait pas le cœur à partager sa peine actuelle. Après un changement à la gare, et avoir marché les mains dans les poches à l'arrivée dans la préfecture, Naru remonta le sentier menant au temple de son maître.

* * *

Yuzo profitait d'un instant sous la fraîcheur de fin d'après-midi pour regarder le ciel. Il tassait son tabac dans sa pipe, qu'il allumait en se demandant pourquoi les sages étaient soudain si silencieux. Le maître avait également remarqué un changement dans l'atmosphère entourant la forêt. Le shishi odoshi tapait son extrémité dans un bruit sourd, brisant le silence régnant dans la cour.

Il baissa le regard de la cime des arbres en repérant un mouvement à l'entrée du temple. Naru était là, figée sur place, le scrutant d'un air mélangeant la tristesse, la colère, le dégoût. D'un pas hésitant, elle s'avança lentement vers son maître. Or, la rage qu'elle ruminait depuis son départ lui fit accélérer ses pas, et elle se mit à courir en hurlant de haine à l'encontre de son maître.

Celui-ci se redressa rapidement sur ses jambes, en la voyant arriver rapidement, mais surtout en entendant le cri de désespoir franchir les lèvres de sa disciple. Naru leva son poing avant de l'abattre sur Yuzo qui stoppa son attaque :

— Pourquoi ? ragea-t-elle en larme. Pourquoi vous m'avez dit qu'il était mort !

Le maître arrêta tout mouvement de défense contre Naru, pétrifié d'apprendre que son ancien élève se soit montré face à elle. Dans sa folie, Naru alla lui porter un autre coup. Cependant, son geste fut arrêté par Akito qui apparut à ce moment-là en lui maintenant son poignet en l'air. Sortant de la forêt, Kido accourut vers elle et se mit à grogner vers le sage qui retenait son ami.

— Désolé d'avoir disparu ainsi Kido, mais je ne veux pas qu'elle regrette son geste plus tard, indiqua-t-il à l'attention du loup avant de porter son regard sur Naru.

— Lâche-moi, espèce de traître, hurla celle-ci en se débattant avec hargne. T'es de mèche avec lui, hein ?

— Calme-toi, Naru. C'était pour ton bien que nous avons décidé de te mentir, gronda Akito en la retenant. Nous n'avions pas d'autre choix pour que ton apprentissage se termine, et cela a pour autant attristé le maître qui porte ce lourd fardeau sur ses épaules.

Naru s'arrêta de se mouvoir un instant au grand soulagement du sage. Elle tourna lentement sa tête vers lui, les yeux transpirant le meurtre. Il ne put agir assez vite, qu'elle lui porta un coup dans l'entrejambe qui lui fit défaire sa prise. Bien qu'il soit un sage, il resta avant tout un homme avec certaines faiblesses. Sa complainte se perdit en écho jusqu'aux oreilles de ses frères et de sa sœur. Yahiro apparut en ressentant sa douleur, puis attrapa Naru par la taille en lui bloquant les bras avec puissance.

— Maintenant, ça suffit, clama-t-il d'une voix forte, faisant s'envoler les oiseaux dans le ciel.

Le silence s'abattit lourdement dans la cour. Yuzo, resté choqué par la nouvelle, leva son regard fatigué vers sa disciple. Il vit la douleur prendre le pas dans ses yeux. Les larmes commencèrent à s'écouler sur ses joues tant la souffrance accabla Naru.

La jeune femme, crispée depuis son arrivée, laissa son corps s'alourdir par le poids de sa tristesse. Yahiro desserra son emprise sur elle, la laissant tomber à genoux sur le sol. Sous le regard de tous, elle se mit à hurler de souffrance, pleurant de tout son être, réalisant la bêtise qu'elle allait faire. Tout se mélangea à l'intérieur de son cœur, alors que Yuzo s'approcha d'elle pour la prendre dans ses bras.

— Je suis vraiment désolé de t'avoir caché la vérité, ma fille, pleura-t-il à son tour. Je n'aurais pas dû, mais c'était son dernier souhait.

— Pourquoi ? sanglota-t-elle la tête posée sur l'épaule de son maître. Pourquoi m'a-t-il laissé ?

Yuzo caressa les cheveux de Naru, mais ne répondit pas à sa question. Yahiro aida Akito à se lever, alors qu'il se tenait encore ses parties avec les mains. Kido, qui ressentit la blessure béante saignant dans le cœur de son amie, se tourna vers le sage d'eau :

— Je te laisse deux jours pour rester auprès d'elle. Nous reprendrons notre discussion après, indiqua-t-il avec sérieux.

Le Kitsune se leva sur ses pattes et se retourna vers la forêt. Il tourna son museau vers Naru, les pupilles tremblants de colère contre son nouvel ennemi. Puis, il leva la gueule vers les sages :

— Vous êtes les deux seuls dont j'autorise la présence auprès d'elle.

Sur ses dernières paroles, il trotta vers les arbres et disparut dans la forêt. Le maître avait senti le corps de sa disciple s'alourdir dans ses bras. Elle s'était endormie d'épuisement. Il leva la tête vers les deux sages restés statiques devant les paroles du loup et les interrogea dans une colère maintenue :

— Vous allez immédiatement m'expliquer de quoi parle Kido et comment Naru a appris l'existence de Ganossa !

Akito et Yahiro baissèrent la tête ensemble. Le maître savait qu'un jour ou l'autre, les deux disciples qu'il considérait comme ses enfants allaient tôt ou tard s'affronter. Meromi l'avait d'ailleurs mis en garde lors de sa dernière visite, or, il avait perçu des éléments qui lui avaient été dissimulés. Les sages n'avaient pas d'autre choix que de révéler l'histoire concernant les esprits de la forêt et eux. Ils racontèrent également le combat de Naru au sanctuaire de Kyoto et sa rencontre avec le successeur de Hauwk.

Toute la vérité avait été dévoilée au maître et à Naru qui se réveilla peu de temps après le début de leur récit. Elle comprit les décisions de l'homme l'ayant élevé depuis toutes ses années, mais n'arriva cependant pas à faire face à la blessure qui lui entravait le cœur.

* * *

— Elle est partie se coucher, souffla Yuzo.

— Nous continuerons de veiller sur elle, mais nous serons moins présents qu'avant, indiqua Yahiro d'un ton froid.

Le maître leva son regard vers le ciel étoilé en caressant sa longue barbe grisonnante.

— Les prochaines épreuves vont s'annoncer plus que délicates. Nous ne serons pas au bout de notre peine, soupira-t-il inquiet. 

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