Leurs regards roucoulèrent, tandis que les sourires s'intensifièrent. Akira et Naru étaient assis sur le sol, feuilletant les ouvrages à leurs dispositions. Ils ne remarquèrent pas la présence de Yuzo qui les épiait depuis le couloir. Le maître devait absolument trouver un moyen d'éloigner l'antiquaire de sa disciple, pour l'informer de sa découverte. De plus, il souhaitait qu'il reparte à Izumo pour pouvoir développer son entraînement.

Naru tourna la page de son livre, furetant de temps en temps vers Akira, concentré sur son propre ouvrage. Des lunettes posées sur le nez, il retranscrivait les indices dans un carnet, tout en suivant les lignes des pages avec son doigt. La jeune femme posa sa tête contre sa paume, puis l'observa attentivement, se remémorant tout ces moments de complicités qu'ils ont partagés tout le long de la semaine. Elle se sentait légère, amoureuse, rougissant quand celui-ci leva son regard vers elle et lui renvoyant son sourire.

— Tu ne fais pas trop de recherche là, taquina-t-il en plissant ses yeux.

— Si, si, répondit-elle rêveuse.

Il arqua un sourcil, se demandant comment pouvait-elle en apprendre plus sur son diamant si elle passait son temps à l'observer.

— Je fais des recherches sur le séduisant homme sous mes yeux, observant sa concentration sans failles, la tête plongée dans ses livres.

La réponse de Naru le surprit, puis il sourit en posant sa joue contre son poing.

— Et qu'as-tu découvert ?

Elle fit mine de réfléchir en levant les yeux au plafond. Son comportement amusa l'antiquaire, surtout quand elle changea de position pour se rapprocher de lui. Naru se déplaçait sur ses genoux et ses mains, puis ancra son regard dans celui d'Akira.

— Que vous êtes un bien bel homme.

À la fin de sa phrase, il caressa la joue de Naru, puis écrasa ses lèvres sur les siennes. Leur échange passionné fut interrompu par le vibreur du téléphone d'Akira. Il passa outre l'appel, intensifiant son baiser avec la jeune femme. Les doigts de la jeune femme glissèrent dans ses cheveux, rapprochant son corps du sien. Cependant, le mobile renouvela ses vibrations, encore et encore. À contrecœur, Akira rompit cette étreinte, et glissa la main dans la poche de son pantalon pour en sortir l'engin. Il porta un regard sur l'écran, et fronça des sourcils sur l'appelant.

— Je vais devoir m'éclipser ma belle, je dois rappeler.

Il déposa un baiser rapide sur les lèvres de Naru, puis se leva et sortit rapidement de la bibliothèque. Naru le regarda s'éloigner étonné, et reprit position devant ses livres.

— Naru, aurais-tu un instant à m'accorder ?

La jeune femme se retourna vers son maître qui se tenait sur le pas du couloir, le dos courbé et les mains jointes derrière son dos.

— Bien sûr, maître.

Elle se leva à son tour et suivit Yuzo jusqu'au dojo. C'était le moment idéal pour lui de parler à sa disciple. Sur le tatami, il s'assit sur ses genoux, le dos droit, tout comme Naru qui adopta la même position, main posée à plat sur ses cuisses.

— Naru, dès demain tu reprendras ton entraînement pendant quinze jours avant de repartir à Izumo, annonça-t-il de but en blanc. Tu vas devoir te concentrer sur le pouvoir que tu as invoqué en affrontant Yahiro.

— Mais, nous n'avons pas fini nos recherches...

Le maître leva sa main pour arrêter le flot de paroles de la jeune femme. Elle pinça ses lèvres, contrariées par cette décision. Yuzo soupira, puis ancra son regard dans celui de sa disciple.

— J'ai trouvé les réponses à cette question, ma fille.

Son ton sérieux ne laissait pas une pensée traverser la jeune femme. Des jours et des jours a fouiller les archives sans trouver le moindre indice, et la réponse, se trouvaient dans les mains de son maître.

— Ton cristal appartenait autrefois au cœur du dragon céleste.

Les yeux de Naru s'écarquillèrent de stupeur. Ses mains se portèrent devant sa bouche ouverte, tant la surprise d'une telle annonce ne pouvait être vraie. Yuzo reprit son explication, les mots de la prophétie oubliée résonnèrent dans l'esprit de la jeune femme.

Né d'une guerre entre frères, le mal s'étendra à la recherche de leurs cœurs. D'un blanc pur céleste, la pierre de vie basculera dans les ténèbres. Noir d'une obscurité sans faille, la pierre de la mort s'élèvera à la lumière. Les cristaux réunis conféreront l'accès au plein pouvoir.

— Cela veut dire...

Yuzo hocha la tête.

— Tu es une descendante directe du dragon du ciel.

Le choc de l'annonce, la fit perdre l'équilibre.

— Cela ne se peut...

Il était temps de lui annoncer la vérité sur ses origines, ainsi de ceux de Ganossa, Hauwk et les siens. Naru écouta attentivement son maître, se décomposant au fil du récit, absorbant difficilement son passé, découvrant qui se cachait derrière ce vieil homme qu'elle considérait comme un père. Il n'imaginait pas tout ce qui en découlait, sans se douter un seul instant que, pendant leurs conversations privées, une ombre écoutait l'échange entre le maître et sa disciple.

Ses yeux blancs fixaient la jeune femme le cœur serré avant de s'évanouir à la fin du récit.

* * *

La journée était bien entamée quand Naru retourna à la demeure, le regard baissé sur ses pieds, songeant à l'échange avec son maître. Elle s'arrêta au milieu de la cour, et porta son regard sur le craquement des branches dans les arbres. Le shishi odoshi cogna son trop-plein contre la roche, alors que le vent hivernal souleva ses cheveux roux. Elle ne savait plus quoi penser de tout cela, mais devait se préparer à reprendre un entraînement intensif.

— Tu m'as l'air perdu dans tes pensées.

Naru se tourna vers Akira, le regard inquiet, son sac de voyage sur l'épaule. La jeune femme pencha la tête sur le côté en remarquant ce détail.

— Tu vas quelque part ?

— Je dois retourner en urgence à Izumo, souffla-t-il désolé. Il y a eu un cambriolage à la boutique, mon apprentie ne peut pas gérer les dégâts tout seul.

— Je comprends, mais ton départ et si précipité, s'inquiéta-t-elle.

Il s'approcha, glissa ses doigts dans la chevelure de la jeune femme, puis lui déposa un baiser sur le front. Naru ferma les yeux à ce contact.

— Je te promets que tu auras de mes nouvelles, rassura-t-il. Ton oncle m'attend pour me déposer à la gare.

Naru ne souhaitait pas qu'il parte aussi précipitamment, mais avec ce qu'elle venait d'apprendre et les jours à venir, il valait mieux qu'Akira ne soit pas là. Elle le regarda s'éloigner, et rejoindre Akito dans son costume trois-pièces qui attendait déjà l'antiquaire au niveau de la porte du sanctuaire.

La jeune femme se dirigea dans la forêt, puis glissa son doigt sur son diamant pour appeler Kido. Le Kitsune apparut à ses côtés et l'interrogea du regard.

— Marchons un temps mon ami, j'ai besoin de me vider l'esprit.

Le renard la regarda en penchant la tête sur le côté, puis la suivit dans le silence.

* * *

— Il lui a tout révélé ? explosa Yahiro.

— Du calme mon ami, nous savions que ce jour allait arriver, apaisa Mohiro.

En attente du retour du sage de l'eau, les autres s'étaient rassemblés dans leur sanctuaire. Mohiro devait informer de l'avancée de l'entraînement de la jeune femme.

— Ce que tu as affronté lors de ta colère n'était autre que le pouvoir en sommeil du dragon des cieux coulant dans les veines de Naru.

— Mais comment cela peut-il être possible ? s'exclama Yahiro ahuri.

Meromi gardait le silence depuis le début de la conversation. Son doigt replié, était calé contre sa bouche l'air songeur. Le sage de métal avait eu du mal à se remettre de sa confrontation contre Naru, il avait ressenti ce pouvoir ancestral depuis longtemps oublié. Or, un frisson glacé lui parcourut l'échine quand il se rappela le rétrécissement des pupilles de la jeune femme en deux fentes verticale. Son comportement glacial en avait pris un coup. Il porta une main à son front, abattu par la nouvelle.

— Nous avions pourtant tout fait pour que cela ne se reproduise pas, souffla-t-il.

— Nous sommes certes les sages et créateurs de ce monde, mais nous ne pouvons contrôler les évènements, annonça Mohiro contrit. Les rouages de ce destin se sont mis en place dès l'affrontement des dragons.

Une brume bleutée se matérialisa au centre du sanctuaire. Akito en sortit, le regard sérieux.

— Maintenant que nous sommes tous réunis, nous allons pouvoir échanger sur le soutien que l'on va apporter à Naru.

Les sages se mirent en cercle autour du puits de lumière reflétant la lueur de la lune. Un échange silencieux débuta entre eux, les yeux fermés, et les bras levés vers les étoiles. L'avenir restait encore plus incertain depuis que les légendes remontèrent à la surface, flouant leur vision du monde et sur l'affrontement final entre Naru et Ganossa. Aucune erreur ne pouvait être permise pour le vaincre.