Yuzo vit le sage d'eau et les femmes revenir vers le temple. Il fut soulagé de voir sa disciple marcher main dans la main de son amie, la tête posée sur son épaule. Yahiro s'approcha de lui en croisant les bras sur sa poitrine, l'air renfrogné.

— Elle va avoir un long chemin à parcourir avant de se remettre totalement, indiqua-t-il la voix grave.

— Le premier pas, avec la venue de ses amis, va déjà amorcer son rétablissement, souligna Yuzo.

Il se tourna vers le sage de métal en le scrutant sous sa forme peu commune.

— Dois-je vous appeler Yahora à présent ? se moqua le maître.

Yahiro serra les poings, faisant blanchir la jointure de ses doigts. Sa mâchoire se contracta lorsqu'il porta son regard glacial sur Yuzo. Le vieillard se tassa davantage sur lui-même devant la menace silencieuse du sage de métal.

— Je ne me permettrais plus une telle insulte, jura Yuzo d'une petite voix.

Resté dans la pièce principale du temple, Akira feuilleta les ouvrages de la bibliothèque. Il avait été subjugué par les objets décorant le temple, ressentant les légendes, lui contant leurs histoires. Il ne pouvait pas être plus aux anges dans cet environnement mystérieux. De plus, en rejoignant l'emplacement de Naru plus tôt, il avait été captivé par la découverte du lac des dragons jumeaux.

Suzy le rejoignit dans la pièce sans la présence de Naru. Elle sautilla comme une enfant, portant ses yeux curieux partout où elle pouvait les poser. Akira referma le livre dont il prenait connaissance, puis la rejoignit :

— Où est Naru ? interrogea-t-il inquiet de ne pas la voir.

— Elle est partie prendre une douche pour être plus présentable, répondit-elle en lui envoyant un coup de coude sur son bras et en lui faisant un clin d'œil. Ce lieu est magnifique, s'extasia-t-elle juste après.

— Je vous remercie mademoiselle, salua le maître en entrant dans le salon accompagné des deux sages.

Ils les invitèrent à s'installer autour de la table basse en leur offrant un thé bien chaud à chacun. Naru arriva quelques instants après, se sentant gênée par autant de personnes présentes rien que pour elle. Elle s'assit entre Suzy et son maître face à Akira qui la scruta de ses yeux bleu profond. La jeune femme sentit ses joues rosir devant son insistance et baissa la tête.

Akito plissa les yeux sur leurs échanges et n'apprécia guère le comportement de l'homme. Il sentit une pression sur sa jambe de la part de Yahiro qui le fusilla du regard avant de reporter son attention sur les autres.

— Naru, commença le sage de métal. Akito, Yuzo et moi-même sommes inquiets de l'état dans lequel tu t'abandonnes et avons décidé de faire venir tes amis pour t'aider à te reprendre en main.

— Ce que veut dire ta tante, renchérit Suzy, c'est que tu vas devoir reprendre du poil de la bête et que nous serons là pour te soutenir.

Yahiro se crispa, énervé de devoir prolonger le rôle que Naru lui avait affublé devant Suzy. Les sages avaient informé Akira et Suzy sur la véritable identité de la jeune femme, leur expliquant dans les grandes lignes le pourquoi ils n'avaient plus de nouvelle d'elle. Or, ils ont totalement occulté leurs rôles, se faisant passer officieusement pour l'oncle et la tante de Naru. Ils ne devaient en aucun cas se montrer sous leurs véritables aspects aux yeux des humains.

Naru tourna la tête vers les sages et son maître, les yeux larmoyants. Elle ne savait pas comment les remercier, éprouvant la gratitude envers eux, en se soulageant de la solitude dont elle se laissait bercer.

— Comme Akito a pu vous expliquer, enchaîna le maître. Dans un premier temps, votre rôle sera de la forcer à manger et de lui changer les idées. Mais, après, elle va devoir se consolider et reprendre un entraînement éprouvant.

— Sacré programme, se moqua Naru en tentant de faire de l'humour.

Son maître se tourna vers elle et prit ses mains dans les siennes.

— Ma fille, tu viens de vivre ce que je redoutais le plus depuis sa mort, déplora-il la voix tremblante. Tsukasa ne vit plus parmi nous, il nous a quittés le jour où Hauwk l'a tué. Ton ennemi, c'est lui maintenant. C'est Ganossa.

Les mains de Naru tremblèrent en entendant encore une fois l'implacable vérité. Elle baissa la tête, pinçant les lèvres pour retenir un sanglot voulant s'échapper. Ne pouvant empêcher ses mouvements, Akira se leva de sa place et s'agenouilla près de la jeune femme. Il l'a pris dans ses bras, apportant le réconfort qu'il n'a pu faire plus tôt. Il fut choqué de sentir son corps si frêle se blottir contre lui. Naru se sentit étrangement apaisé contre lui, entendant son cœur battre au même rythme que le sien.

— Suzy et moi-même sommes là pour t'aider à te remettre sur pied, lui murmura-t-il à l'oreille. J'ai fermé la boutique pour un temps indéterminé, expliquant à mes clients que je devais partir pour une fouille archéologique.

— Le patron me devait des congés, ajouta Suzy. Je serai ici le temps qu'il faudra, et ne t'inquiète pas pour lui, il ne te renverra pas, je m'en suis assurée.

Naru sourit à son intention, ne doutant pas un seul instant du pouvoir de persuasion de son amie. Quand Suzy se mettait une idée en tête, elle était inarrêtable.

Les sages les laissèrent après avoir déjeuné avec eux. Naru se força à manger sous l'œil attentif de son maître, veillant à ce qu'aucun grain de riz ne reste dans son bol. Yuzo les abandonna par la suite pour laisser sa disciple aux mains de ses amis.

Ils se baladèrent tous trois dans la forêt bordant le temple. Admirant la faune et la flore d'un air admiratif. Suzy lui raconta que leur client favori réclamait toujours ses portions de banana split, tandis qu'Akira les suivait un peu en retrait, les mains dans les poches. Naru sentit son cœur s'alléger en leur présence et les guida jusqu'aux sources chaudes. La réaction de son amie ne se fit point attendre quand elle découvrit les lieux.

— Wouahou ! s'exclama-t-elle avec de grands yeux ronds. Ça appartient également à ton maître cet endroit ?

Elle était subjuguée par tant de beauté dont le paysage procurait autour des sources.

— Oui, pouffa Naru en se moquant de la réaction de Suzy. Tout le mont Tate appartient au maître. C'est une zone protégée, interdite d'accès au touriste.

— C'est ici qu'il vous a élevé ? demanda Akira, lui aussi époustouflé.

Naru se crispa quand il a indiqué le « vous » dans sa demande. Elle hocha la tête, portant ses mains sur ses bras, retenant un frisson glacé. Voyant son comportement, l'antiquaire s'approcha d'elle et posa ses mains sur ses frêles épaules :

— Je te prie de m'excuser, Naru, j'ai encore du mal à m'habituer.

Akira s'en voulait de lui avoir fait rappeler la raison de ses tourments. Elle posa sa main sur la sienne et se retourna pour lui faire face. Le cœur de Naru se mit à battre la chamade devant le regard intense de l'antiquaire. Il leva sa main et la posa contre la joue de la jeune femme, qu'elle accueillit avec douceur en fermant les yeux.

— Hem, hem, racla Suzy de sa gorge.

Les deux sursautèrent, se tournant vers leur amie qui sourit de toutes ses dents, les yeux pétillants de malice.

— Je vais vous laisser entre filles, j'aimerais voir d'un peu plus près les ouvrages de votre maître et d'y comparer mes recherches, indiqua Akira, gêné.

Naru hocha la tête, souriant légèrement. Pour une raison qui lui était encore inconnu, en la présence de cet homme, son cœur se mettait à battre la chamade et elle se ait apaisé de toute sa douleur. Suzy la surprit en lui sautant sur le dos, et se moquant des rougeurs apparut sur ses joues. La jeune femme se retourna et proposa un bain à son amie, qui accepta avec joie la proposition tout en continuant à la chambrer.

Après son départ auprès des filles, Akira ne retourna pas directement au temple, mais se dirigea vers le lac. Ses pas le guidèrent comme un souvenir lointain enfoui au plus profond de son âme. Il arriva devant les étendues d'eau de couleur rouge rubis et bordeaux, reflétant le soleil dans le ciel. Son regard se perdit sur la surface de l'eau, sentant son cœur battre d'une étrange excitation.

Il détourna son regard de la vue pour le porter sur le cerisier dénué de feuillage. Akira s'approcha du tronc et leva sa main pour effleurer le dos des dragons gravés à même l'écorce de ses doigts. Un rictus se forma à la commissure de ses lèvres, assombrissant son regard quand le parcours de ses doigts atteignit les lettres T et N entrelacées ensemble. Il resta ainsi de longues minutes, contrôlant sa respiration qui gonflait son désir envers Naru, avant de retourner au temple comme si de rien n'était.